4.

L’opération Green Band débuta soudainement et sauvagement, comme une pluie de météores traversant le ciel pour venir s’écraser sur la ville de New York.

Elle réduisit en miettes des baies vitrées de la hauteur de plusieurs étages, éventra des toits asphaltés et secoua des rues entières dans le voisinage du Pier 33-34 sur la Douzième Avenue, entre la 12e et la 15e Rue. Dans un monstrueux éclair de lumière blanche, dure et aveuglante.

À neuf heures vingt, ce matin-là, le Pier 33-34 – qui avait jadis accueilli des bateaux somptueux tels que le Queen Elizabeth et le Queen Elizabeth II – s’embrasa subitement et se transforma en un véritable chaudron ardent, un creuset de flammes qui ratissèrent l’air et se propagèrent avec une telle impétuosité que même les eaux de l’Hudson parurent cracher de colossales colonnes de feu dont certaines s’élançaient à plus de cent mètres de haut.

D’épais nuages de fumée tapissèrent le ciel de la Douzième Avenue, semblables à de gigantesques parapluies noirs ouverts brusquement au-dessus des immeubles. Des éclats de verre de près de deux mètres de long et des projectiles d’acier chauffés à blanc fusaient dans les airs, retombant avec un effet de ralenti irréel. Lorsque les vents du fleuve tournèrent, on entr’aperçut un autre spectacle surnaturel : celui du squelette métallique incandescent de la jetée elle-même.

L’explosion de la bombe et sa dispersion s’étaient accomplies en moins de soixante secondes.

Cela correspondait à la lettre à l’avertissement de Green Band : un inimaginable spectacle son et lumière, une démonstration spectrale d’horreurs et de terreurs annoncées…

Le quai où étaient amarrés le Mauretania, l’Aquitania et l’Ile-de-France avait été pulvérisé par les puissantes déflagrations et les jets de flammes.

Cette fois-ci, l’une parmi les milliers de menaces épouvantables dont New York faisait couramment l’objet était devenue réalité, porteuse d’un message sans précédent, qui serait bientôt transmis par la radio et la télévision aux auditeurs et aux téléspectateurs à travers le monde.

À dix heures trente-cinq, le matin du 4 décembre, plus de sept mille disciples fervents du capitalisme – opérateurs DOT[5], jeunes commissionnaires arborant de fringantes vestes à épaulettes et des coupes de cheveux tombantes, agents de change résolus aux expressions sévères, analystes du marché obligataire, surveillants en veste vert vif – circulaient, affairés et blasés à la fois, dans les trois salles principales combles de la Bourse de New York.

Douze écrans de téléscripteurs surélevés crachaient des informations financières parfaitement intelligibles pour ces professionnels aguerris – et pour eux seuls.

Le volume des transactions de la journée, un vendredi ordinaire, excéderait aisément les cent cinquante millions d’actions.

Les pères de cette institution, les tout premiers spéculateurs à la hausse et à la baisse, avaient été de féroces négociateurs et des gestionnaires de génie. Leurs successeurs, qui n’étaient le plus souvent que des héritiers abâtardis, ne montraient pas une maestria particulière pour les opérations de change.

À dix heures cinquante-sept, « la Cloche » – autrefois une véritable cloche d’incendie en laiton, que l’on faisait tinter à l’aide d’un maillet en caoutchouc et qui signale encore aujourd’hui l’ouverture officielle du marché à dix heures précises et sa fermeture à seize heures – sonna à l’intérieur de la Bourse de New York. À la manière d’un feu d’artifice pétaradant dans une cathédrale.

Un silence absolu s’ensuivit.

Un silence accablé.

Auquel succédèrent un incontrôlable bourdonnement de rumeurs effrénées et trois minutes de confusion et d’anarchie : du jamais vu à Wall Street.

Finalement, la voix basse et tonitruante du directeur de l’institution financière mugit dans les haut-parleurs de la sono vétusté :

— Messieurs… Mesdames… La Bourse de New York est officiellement fermée… Je vous prie de bien vouloir quitter l’enceinte de la Bourse. Veuillez sortir immédiatement ! Ceci n’est pas une alerte à la bombe mais une réelle situation d’urgence !

Vendredi Noir
titlepage.xhtml
vendredi noir_split_000.htm
vendredi noir_split_001.htm
vendredi noir_split_002.htm
vendredi noir_split_003.htm
vendredi noir_split_004.htm
vendredi noir_split_005.htm
vendredi noir_split_006.htm
vendredi noir_split_007.htm
vendredi noir_split_008.htm
vendredi noir_split_009.htm
vendredi noir_split_010.htm
vendredi noir_split_011.htm
vendredi noir_split_012.htm
vendredi noir_split_013.htm
vendredi noir_split_014.htm
vendredi noir_split_015.htm
vendredi noir_split_016.htm
vendredi noir_split_017.htm
vendredi noir_split_018.htm
vendredi noir_split_019.htm
vendredi noir_split_020.htm
vendredi noir_split_021.htm
vendredi noir_split_022.htm
vendredi noir_split_023.htm
vendredi noir_split_024.htm
vendredi noir_split_025.htm
vendredi noir_split_026.htm
vendredi noir_split_027.htm
vendredi noir_split_028.htm
vendredi noir_split_029.htm
vendredi noir_split_030.htm
vendredi noir_split_031.htm
vendredi noir_split_032.htm
vendredi noir_split_033.htm
vendredi noir_split_034.htm
vendredi noir_split_035.htm
vendredi noir_split_036.htm
vendredi noir_split_037.htm
vendredi noir_split_038.htm
vendredi noir_split_039.htm
vendredi noir_split_040.htm
vendredi noir_split_041.htm
vendredi noir_split_042.htm
vendredi noir_split_043.htm
vendredi noir_split_044.htm
vendredi noir_split_045.htm
vendredi noir_split_046.htm
vendredi noir_split_047.htm
vendredi noir_split_048.htm
vendredi noir_split_049.htm
vendredi noir_split_050.htm
vendredi noir_split_051.htm
vendredi noir_split_052.htm
vendredi noir_split_053.htm
vendredi noir_split_054.htm
vendredi noir_split_055.htm
vendredi noir_split_056.htm
vendredi noir_split_057.htm
vendredi noir_split_058.htm
vendredi noir_split_059.htm
vendredi noir_split_060.htm
vendredi noir_split_061.htm
vendredi noir_split_062.htm
vendredi noir_split_063.htm
vendredi noir_split_064.htm
vendredi noir_split_065.htm
vendredi noir_split_066.htm
vendredi noir_split_067.htm
vendredi noir_split_068.htm
vendredi noir_split_069.htm
vendredi noir_split_070.htm
vendredi noir_split_071.htm
vendredi noir_split_072.htm
vendredi noir_split_073.htm
vendredi noir_split_074.htm
vendredi noir_split_075.htm
vendredi noir_split_076.htm
vendredi noir_split_077.htm
vendredi noir_split_078.htm
vendredi noir_split_079.htm
vendredi noir_split_080.htm
vendredi noir_split_081.htm
vendredi noir_split_082.htm
vendredi noir_split_083.htm
vendredi noir_split_084.htm
vendredi noir_split_085.htm
vendredi noir_split_086.htm
vendredi noir_split_087.htm
vendredi noir_split_088.htm
vendredi noir_split_089.htm
vendredi noir_split_090.htm
vendredi noir_split_091.htm
vendredi noir_split_092.htm
vendredi noir_split_093.htm
vendredi noir_split_094.htm
vendredi noir_split_095.htm
vendredi noir_split_096.htm
vendredi noir_split_097.htm
vendredi noir_split_098.htm
vendredi noir_split_099.htm
vendredi noir_split_100.htm
vendredi noir_split_101.htm
vendredi noir_split_102.htm
vendredi noir_split_103.htm
vendredi noir_split_104.htm
vendredi noir_split_105.htm
vendredi noir_split_106.htm
vendredi noir_split_107.htm
vendredi noir_split_108.htm
vendredi noir_split_109.htm
vendredi noir_split_110.htm