N°7 LES RAISINS DE LA COLÈRE
de John Steinbeck (1939)
Les Raisins de la colèrene méritent pas qu'on en pique une. Ce vaste pensum de John Steinbeck (1902-1968) décrit la terrible crise des années 1930 qui mit sur la paille les pauvres agriculteurs du Midwest américain, lesquels y étaient déjà (sur la paille). Cela donna un beau film de John Ford avec Henry Fonda déguisé en paysan révolté. A l'époque, les Américains, comme aujourd'hui, s'en foutaient des pauvres tant qu'ils n'étaient pas blancs : Steinbeck eut le mérite de leur montrer qu'on pouvait être blanc de peau et miséreux de portefeuille, ce qui écorna quelque peu « the American Dream ». La Seconde Guerre mondiale arriva ensuite juste à temps pour faire diversion, comme les bombardements sur l'Irak au moment de l'affaire Lewinsky.
La famille Joad est contrainte d'abandonner l'Oklahoma pour tenter de trouver du boulot en Californie : en Hudson Super-Six sur la route 66, elle traverse des Etats hostiles, les grands-parents meurent, les enfants pleurent de faim, et tout ça pour finir dans un camp tenu par des exploiteurs qui les tabassent et en assassinent même un. Tu parles d'une « Frontière » !
Si vous récoltez Les Raisins de la colère, et que vous les laissez fermenter, ils donnent un vin charpenté mais pas un nectar des plus subtils. Les romans engagés vieillissent mal, comme le beaujolais nouveau qu'il vaut mieux boire l'année de sa production parce qu'il est encore pire après. Dans son bien nommé Journal inutile, la seule notation intéressante de Paul Morand est : « Les idées font vieillir les livres comme les passions font vieillir les corps. » J'irais même jusqu'à dire — sans risque d'être contredit puisque je suis seul dans le froid et la désolation de ce travail hostile — que Grapes of Wrath est le Germinal du XXe siècle, ce qui n'est pas obligatoirement une injure. Si on prenait Les Misérables d'Hugo et qu'on en faisait un western ? On verrait bien une adaptation réalisée par Josée Dayan avec Gérard Depardieu dans le rôle principal. Ce serait bien mais est-ce que ce serait beau ? Pas sûr : de même que le mieux est l'ennemi du bien, on sait depuis André Gide que le bien est l'ennemi du beau (« on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments »).
Pour faire efficace, Steinbeck nous en met plein la vue et en rajoute dans le mélodrame naturaliste : bien qu'il les dépasse tous les deux dans notre Top 50 et qu'il ait récolté comme eux le Prix Nobel de Littérature en 1962 (véritable épidémie dans cet inventaire), ses dialogues argotiques ne sont pas d'Hemingway, ses descriptions sociales ne sont pas de Faulkner ; en fait, le principal reproche qu'on peut faire à Steinbeck n'est pas de sentir le pâté mais le pathos. S'il vous en faut absolument une dose, lisez plutôt Des souris et des hommes qui a l'avantage d'être plus court.
Si on avait eu plus de place, je vous aurais parlé de mes origines agricoles. Oui, ma famille avait autrefois quelques vassaux qui cultivaient nos terres, tandis que nos intendants leur prélevaient la dîme et que mes trisaïeuls droitdecuissaient leurs filles. Dérapé ? Comment ça j'ai dérapé ?