N°8 POUR QUI SONNE LE GLAS
d'Ernest Hemingway (1940)
Pour qui sonne le glas? Il sonne pour moi, qui ne suis pas numéro 8.
Il était temps qu'arrive sur cette liste Ernest Hemingway (1898-1961), Prix Nobel de Littérature en 1954, l'auteur de Pour qui sonne le glas en 1940. For Whom the Bell Tolls est LE grand roman de la guerre d'Espagne avec L'Espoir de Malraux (paru 3 ans auparavant). C'est le plus épais roman d'Hemingway, le plus ambitieux et celui qui s'est le mieux vendu (un million d'exemplaires en 1 an), mais aussi celui où il met le mieux en pratique sa Théorie de l'iceberg, selon laquelle ce qui figure dans ses livres n'est que la partie émergée d'un iceberg immense. Cela veut dire que Pour qui sonne le glas aurait pu être dix fois plus long s'il avait étalé sur la page toutes ses munitions! Ouf, on l'a échappé belle, car personnellement, comme Dorothy Parker, ce que je préfère chez Hemingway sont ses nouvelles brèves et incisives où il réalise vraiment son rêve : écrire comme Cézanne peint (voilà qui fera plaisir à France Gall).
Pour qui sonne le glas nous plonge donc en pleine guerre civile espagnole, du côté des partisans républicains; les dialogues fusent, on prépare une attaque, Robert Jordan doit faire sauter un pont, il tombe amoureux de Maria; le roman se déroule sur 70 heures durant lesquelles Robert comprend petit à petit qu'il va mourir pour pas grand-chose; mais, pas chien, il l'accepte. Le fameux style télégraphique d'Hemingway (logique, en temps de guerre) devient vers la fin plus lyrique qu'à l'accoutumée : il y a même quelques adjectifs, dites donc! Hemingway n'hésite pas à montrer un massacre de franquistes par des communistes sans pour autant nuire à la cause antifasciste. Comme quoi il est important, quand on veut défendre les gentils contre les méchants, de ne pas faire des gentils trop gentils, ni des méchants trop méchants. Blessé en Italie pendant la guerre de 1914, Hemingway en a fait L'Adieu aux Armes 10 ans plus tôt — comme cela ne lui a pas trop mal réussi, il nous refait le coup avec son expérience de correspondant de guerre en Espagne dans le même camp que George Orwell. Il faisait du Nouveau Journalisme bien avant que Tom Wolfe s'en prétende l'inventeur !
« Papa » Hemingway serait certainement ravi de voir qu'il dépasse Joyce, Fitzgerald et Faulkner dans ce Top 50 : il est un des rares auteurs à envisager la littérature comme une compétition. Il la comparait souvent à un match de boxe dans lequel il voulait envoyer Maupassant au tapis et tenir quelques rounds face à Tolstoï. En revanche, il sera sûrement très fâché de découvrir qui est 7e de ce classement... Pauvre Ernest! Etre battu par Proust, d'accord, mais par Steinbeck... Il y a de quoi se flinguer! Oups, pardon, j'ai gaffé puisque c'est ce que vous avez fait, Ernest, comme votre père.
Pour conclure, je voudrais citer ce qu'a écrit sainte Dorothy Parker, dans le New Yorker: « Ford Madox Ford a dit de cet auteur "Hemingway écrit comme un ange". Je conteste (rien de tel que la contestation pour soigner un mal de tête matinal). Hemingway écrit comme un être humain. »