N°10 L'ÉCUME DES JOURS
de Boris Vian (1947)
Le number ten est un conte de fées innocent et triste : L'Écume des jours, merveilleuse histoire d'amour que Boris Vian (1920-1959) a écrite en 2 mois, à 27 ans, et qu'il résumait ainsi : « Un homme aime une femme, elle tombe malade, elle meurt. » (Love Story d'Erich Segal est donc un plagiat éhonté!)
L'imagination... Ah, l'imagination. On la croyait morte, celle-là. Finie, dépassée, assassinée par le réalisme et le naturalisme, l'autobiographie et le roman engagé. La poésie tendre et fantastique des amours de Colin et Chloé apporte un cinglant démenti aux ennemis de l'invention. Non, l'imaginaire n'est pas contradictoire avec l'émotion, ou l'humour, ou la satire. On peut parfaitement être absurde et révolté, comme l'a montré Albert Camus. Et Vian, bien que centralien et existentialiste, était un ami de Queneau, il connaissait donc le surréalisme et la pataphysique, qui imprègnent sa romance délicate et loufoque. Vian s'y moque de Jean-Sol Partre (l'auteur de La Lettre et le Néon), condamne le travail, l'argent et le mariage, montre que tout est impossible (le bonheur, la santé, l'amour, la vie) et en même temps comment des nénuphars poussent dans les femmes et des appartements rétrécissent. Il y a un point commun entre J.D. Salinger, l'auteur de L'Attrape-Cœurs, et Boris Vian, l'auteur de L'Arrache-Cœur (en plus de ces titres qui se ressemblent beaucoup) : tous deux refusent le monde adulte, même si le premier vit toujours alors que le second est mort à 39 ans il y a 40 ans. Impossible de résumer L'Écume des jours: c'est un roman trop fragile, trop cristallin, trop magique pour être expliqué par un type assis dans un fauteuil devant son iMac.
Il me faudrait un pianocktail, ce mythique instrument qui mélange les alcools en même temps que les notes (sans doute inspiré à Vian par l'orgue à parfums de Des Esseintes). Après avoir bu des litres de liqueurs mélangées, je pourrais aller à la patinoire avec des jolies filles qui riraient et alors je serais dans l'ambiance, je me mettrais à jouer de la trompette pour fêter la 10e place de Boris Vian, et une petite souris grise à moustaches noires viendrait commenter en direct la victoire de Jean-Sol Partre sur le vrai Jean-Paul Sartre, qui n'est que 13e chez nous : car ce classement est la preuve que les fêtards inconséquents sont plus grands que les philosophes intelligents. Nous célébrons ici un zazou aussi désespéré que dégingandé, un immense artiste qui ne fut pas pris au sérieux de son vivant et qui triomphe car ses livres ne servent qu'à s'amuser, à fuir la mort, avant de se faire exploser le cœur trop jeune dans une salle de cinéma où l'on projette votre œuvre sur trop grand écran. L'histoire ne dit pas si l'autopsie y trouva un nénuphar géant...
Il existe sûrement des gens qui n'aiment pas L'Écume des jours, qui trouvent ce livre nunuche ou puéril, et je voudrais ici même dire, solennellement, à ces gens que je les plains, parce qu'ils n'ont pas compris ce qui est le plus important en littérature. Vous voulez savoir ce que c'est ? Le charme.
Si j'avais eu plus de place, je vous aurais parlé d'Holden Caulfield, qui mériterait amplement de figurer lui aussi dans ce Top 50 avec ses conneries à la David Copperfield, mais j'a i pas envie de raconter ça et tout.