N°16 PAROLES
de Jacques Prévert (1946)
Jacques Prévert (1900-1977) n'aurait pas dû intituler son premier recueil de poèmes Paroles puisque chacun sait que les paroles s'envolent, alors que les écrits restent. Or, bien que très populaire (ce recueil s'est vendu à un million d'exemplaires à sa sortie), Prévert est décrié, méprisé par la critique, voire insulté par ses confrères. Michel Houellebecq, poète lui aussi, ne dit-il pas dans ses Interventions que « Prévert est un con » ?
On pourrait certes lui rétorquer que tout ce qui est exagéré est insignifiant, mais à sa relecture, il est indéniable que Prévert déçoit, surtout quand on vient d'être transporté juste avant par les Alcools d'Apollinaire. Le mégot aux lèvres, Prévert renverse de la cendre sur ses poèmes, qui ressemble à la poussière d'un grenier.
Paroles s'avère finalement un titre honnête car ce recueil ne réunit pas vraiment des poésies mais plutôt des textes de chansons, que Joseph Kosma aurait pu mettre en musique. Prévert était surtout un grand dialoguiste de cinéma (Quai des brumes. Les Enfants du paradis, Le jour se lèveforment une sorte de trilogie des faubourgs) et cette gouaille déteint sur sa poésie qui est simplette, démago, répétitive, nunuche, pleine de calembours à la Bobby Lapointe et de naïvetés involontaires à la Christian Bobin : la guerre c'est pas bien, l'amour c'est mieux, les riches c'est méchant, la mort c'est triste, les oiseaux c'est joli, les fleurs ça sent bon... Sans insulter sa mémoire, on peut voir Jacques Prévert comme une sorte d'anar anticlérical à la Brassens plus que comme un nouveau Paul Verlaine. Même sévèrement murgé, on imagine mal ce dernier écrire un aussi faible quatrain :
« Notre Père qui êtes aux cieux
—
Restez-y.
Et nous, nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie. »
Certes, il pourra sembler injuste que notre inventaire dénigre un auteur qui les aimait tant (les inventaires). Prévert n'est pas un con mais plutôt une sorte de Bernard Buffet de la poésie — un type que le public adore parce qu'il est facile d'accès mais que la critique déteste pour la même (mauvaise) raison. Force est de constater qu'il a davantage influencé Michel Audiard qu'Henri Michaux. Un poète « populaire » ne peut pas être « culte » ; le succès rend le snobisme impossible ; croyez bien qu'il m'en coûte beaucoup d'écrire cela. Pour sa défense, on reconnaîtra que Prévert eut l'élégance de composer une poésie simple : dans le siècle qui a rendu la poésie hermétique et expérimentale (et coupée de tout public), son principal crime fut probablement d'être compris.