N°18 LE LOTUS BLEU
d'Hergé (1936)
Sapristi! Que dis-je : Tonnerre de Brest! Je ne suis pas numéro 18! Tout ça parce qu'un bougre de bachi-bouzouk, un boit-sans-soif, un olibrius bruxellois, un marin d'eau douce a décidé de s'emparer de ma place !
« Tintin » ! quel nom ridicule, en plus ! Un soi-disant reporter international qu'on ne voit jamais écrire ses articles, inventé par un ancien boy-scout nommé Georges Rémi (1907-1983), dit RG, comme dans « Renseignements Généraux » ! Drôle d'idée pour un pseudonyme, surtout quand on a des opinions politiques peu recommandables : colonialistes et parfois même racistes dans Tintin au Congo... sans évoquer un comportement douteux pendant la Seconde Guerre mondiale belge (collaboration à un journal dirigé par des Allemands).
Hergé n'en demeure pas moins l'inventeur de la bédé européenne grâce à sa ligne claire, son sens de l'intrigue avec suspense en bas de page (les planches uniques paraissant au rythme hebdomadaire, il fallait tenir les jeunes lecteurs en haleine d'une semaine sur l'autre) et ses personnages aussi burlesques que récurrents : le capitaine Haddock, le professeur Tournesol, la Castafiore, les détectives Dupond et Dupont et bien sûr Tintin et Milou. Il dessine, modernise, adapte et vulgarise (au sens noble du terme) le roman-feuilleton à la Rocambole. D'ailleurs le dernier de ses 23 albums s'intitulera Tintin et les Picaros en hommage à ces aventuriers espagnols du XVIe siècle qui ont donné leur nom au roman picaresque.
Le Lotus bleua été choisi pour représenter Tintin dans ce hit-parade pour deux raisons : d'abord parce qu'il fallait bien choisir un épisode de ses aventures ; ensuite parce qu'il s'agit de la première aventure de Tintin pour laquelle Hergé s'est véritablement documenté. Publié en 1936 en noir et blanc, Le Lotus bleu sera remanié et colorisé en 1946. C'est la suite des Cigares du Pharaon, qui mettait déjà aux prises Tintin avec une bande de trafiquants de drogue. Cette fois, ces sacripants se manifestent en pleine guerre sino-japonaise. Tintin se rend même à Shanghaï dans une fumerie d'opium qui s'appelle le Lotus bleu. C'était tout de même trash pour l'époque : comme si aujourd'hui on sortait une bédé pour enfants qui se passait dans un club échangiste ! Tintin sauve la vie de Tchang, un jeune garçon qu'il voit se noyer lors d'une crue du Yang Tsé Kiang (fleuve cher aux personnages d'Antoine Blondin dans Un Singe en hiver). Ensemble ils affrontent le redoutable Rastapopoulos, un lointain ancêtre de Pablo Escobar. A la fin, lorsqu'ils se séparent, Tintin verse une des seules larmes de sa carrière, ce qui a entraîné de nombreuses gloses sur sa possible homosexualité avec ce jeune Chinois : hypothèse aussi stupide que de le supposer zoophile avec Milou, même si Hergé a effectivement rencontré un Chinois nommé Tchang Tchong-jen qui lui a donné de précieux conseils pour son récit.
De Gaulle a dit un jour : « Mon seul rival international c'est Tintin. » Il a péché par mégalomanie car aujourd'hui un album de Tintin se vend toutes les deux secondes et demi dans le monde. A notre connaissance les Mémoires d'espoir du Général n'atteignent pas le millionième de cette gloire.
Si j'avais eu plus de place, j'aurais pu m'étaler sur le whisky du capitaine Haddock, nommé Loch Lomond, du nom d'un lac écossais où je me suis baigné ivre mort il y a quelques années... A suivre!