N°21 LE MEILLEUR DES MONDES
d'Aldous Huxley (1932)
Si je ne suis pas numéro 21, c'est tout simplement parce que je ne suis pas assez beau. Si j'avais été cloné sur Filip Nikolic des « 2Be3 » il est évident que les gens auraient voté pour moi...
Le numéro 21 des 50 livres du siècle est Le Meilleur des mondes, le plus célèbre roman de l'écrivain britannique Aldous Huxley (1894-1963). Le plus incroyable dans ce livre est sûrement sa date de publication : en 1932, Huxley a déjà tout prévu — le clonage, les bébés-éprouvette, le totalitarisme, la mondialisation matérialiste, le nouveau fascisme d'un bonheur artificiel et obligatoire, la soft-idéologie.
Le Meilleur des mondes critique les utopies comme 1984 16 ans plus tard; comme le roman d'Orwell, c'est une dystopie, c'est-à-dire une utopie négative, mais à cette différence près qu'il s'agit surtout d'un roman sur la biologie. Huxley avait-il abusé de la mescaline quand il a écrit sa préface de 1946 ? Toujours est-il qu'il lit dans l'avenir lorsqu'il y écrit que : « La révolution véritablement révolutionnaire se réalisera, non pas dans le monde extérieur, mais dans l'âme et la chair des êtres humains. » Aujourd'hui, avec les manipulations génétiques, le clonage d'une brebis et d'une vache, la fécondation in vitro et le séquençage du génome humain, nous savons que l'ère de la post-humanité approche. En 1998, Michel Houellebecq rendait d'ailleurs longuement hommage, dans son roman Les Particules élémentaires,à Aldous Huxley en reconnaissant qu'il est le premier romancier à avoir anticipé le bouleversement des bio-technologies.
Comme 1984, Le Meilleur des mondesse passe dans un Londres futuriste. Le livre commence par la visite guidée d'un « Centre d'incubation » où l'on produit des bébés en flacons. L'Etat Mondial fabrique les humains de façon industrielle, selon des critères de sélection eugénistes (le sperme des beaux va avec les ovules des belles, les moches avec les moches) avant de les conditionner par l'hypnose pendant leur sommeil pour l'emploi qui leur a été assigné. Sur terre, il n'y a plus ni familles, ni races, ni pays. La liberté sexuelle est totale (mais Shakespeare est interdit), tout le monde nique tout le monde ou alors prend du « soma », une drogue gratuite très euphorisante. Quel monde merveilleux : une permanente partouze de junkies! Eh bien non, pas si merveilleux que ça. Dans Candidede Voltaire, quand Pangloss répète que « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles », n'oublions pas qu'il est borgne et ne voit donc qu'une moitié de la réalité.
Le pouvoir a intérêt à ce que les citoyens jouissent le plus possible pour ne pas penser. Le héros du roman s'appelle Bernard Marx (oui, comme l'autre barbu) et il a eu du bol : à la suite d'une erreur de manipulation en laboratoire, il dispose d'une conscience et peut même tomber amoureux de Lenina (oui, comme l'autre bouc). On le suit dans sa tentative de révolte avec John, un Sauvage, qui, lui, a été élevé dans une réserve primitive, au Nouveau-Mexique, à l'écart du Brave New World. Sans dévoiler la fin, je crois qu'on devine aisément que la rébellion tournera court...
Roman d'anticipation prophétique, reposant sur une connaissance scientifique et politique très réaliste, Le Meilleur des Mondes n'a pas pris une ride, au contraire. Parmi les 50 livres du siècle, c'est probablement celui dont la lecture est la plus urgente aujourd'hui. Aldous Huxley avait-il raison d'avoir si peur? Vous le saurez en vivant dans les prochaines années...