N°25 TROIS ESSAIS SUR LA THÉORIE SEXUELLE
de Sigmund Freud (1905)
Le numéro 25 de cette liste est mon père... Oh pardon! C'est Sigmund Freud (1856-1939) avec ses Trois Essais sur la théorie sexuelle. Curieux lapsus... Je me demande ce que mon inconscient a bien pu vouloir me dire par là...
La révolution freudienne mérite évidemment sa place dans ce hit-parade des 50 livres du siècle, et les Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie semblent un choix idéal. Au tout début du siècle, le docteur Sigmund y définit les bases de la psychanalyse : 1) La sexualité humaine est aberrante; 2) La pulsion sexuelle se manifeste avant la puberté et l'enfant est un pervers polymorphe; 3) Le sexe n'entretient que des rapports occasionnels avec la procréation. Ces affirmations, aujourd'hui anodines et acceptées de tous (sauf, peut-être, de Christine Boutin), ont fait scandale à l'époque. On cessa de saluer Freud dans les rues de Vienne ainsi que dans tout l'empire austro-hongrois. C'est tout juste s'il ne fut pas lapidé, ce sympathique bourgeois barbu cocaïnomane, âgé alors de 49 ans. (Plus tard, les nazis brûlèrent ses livres pour éviter d'effectuer leur propre analyse...)
Après s'être intéressé aux rêves en 1900, Freud se passionne pour les perversions sexuelles et plus particulièrement les pulsions. C'était diablement excitant mais pas nouveau (le manuel de Krafft-Ebing date de 1886). La véritable révolution du livre se produit quand il creuse les causes de ces pulsions. D'où vient notre libido? Freud affirme qu'elle se forge durant notre petite enfance, que nos névroses datent du stade anal, oral, phallique, ainsi que du complexe d'Œdipe : grosso modo, tout dépend de la façon dont on a désiré sa mère ou son père avant la puberté.
Ces découvertes, encore discutées aujourd'hui, ont créé un bouleversement total non seulement au XXe siècle, mais dans l'histoire de l'humanité. Après Copernic, qui nous a appris que nous n'étions pas au centre de l'univers, et Darwin, qui nous a dit que nous descendions du singe, Freud nous dit que nous ne sommes même pas maîtres de notre volonté et, partant, de notre sexualité. C'est ce qu'il appellera la « troisième vexation » et qui le conduira, lors de son arrivée à New York, à affirmer : « Je leur apporte la peste. » Pour vivre heureux, nous devons apprendre à explorer notre inconscient. Vous me direz que « Connais-toi toi-même », Socrate l'avait dit avant Freud. Et je vous répondrai « OK mais laissez-moi terminer ». Il est clair que l'homme n'est pas plus équilibré aujourd'hui qu'il y a un siècle. La psychanalyse aurait-elle échoué ? Sur le plan scientifique, on peut en discuter ; quand on voit Gérard Miller à la télé, il est légitime de se poser la question ; mais à mon avis sa vraie victoire est littéraire.
Le mécréant Nabokov définissait la psychanalyse comme « l'application quotidienne de vieux mythes grecs sur les parties génitales ». C'était négliger que les Trois Essais sur la théorie sexuelle ont influencé toute la littérature du siècle. Si l'on y réfléchit, sans Freud il n'y a bien sûr pas de Surréalisme, pas de Zweig ou Schnitzler, mais aussi pas de Proust — qui n'avait même pas eu besoin de lire Sigmund pour être freudien —, pas de Gide, pas de Thomas Mann, à vrai dire sans Freud, il n'y aurait pas grand monde sur notre liste. Sans sa peste, on aurait également été privés des livres de Philip Roth et des films de Woody Allen. Alors, rien que pour Roth et Allen, il faut remercier Freud d'avoir humilié l'être humain en le traitant d'obsédé sexuel infantile. Il faut bien se rendre compte que chaque fois que vous traitez votre fiancée d'« hystérique », votre meilleur pote de « mythomane », votre employeur de « paranoïaque » ou votre père d'« homosexuel refoulé », vous rendez hommage à Freud. Sans lui, vous les traiteriez de «folle», « menteur », « persécuté » et « euh... papa, enlève cette robe s'il te plaît ».