N°38 AUTANT EN EMPORTE LE VENT
de Margaret Mitchell (1936)
Excusez-moi mais quand je pense qu'il n'y a même pas un Gérard de Villiers dans ce Top 50 des livres du siècle, ça me déçoit beaucoup. En plus le numéro 38 est Margaret Mitchell (1900-1949) pour Autant en emporte le vent, simplement parce que nos 6 000 votants ont vu un vieux film avec Clark Gable!
Vous me direz, Gone With the Wind, le pavé original, est préférable au film, et encore plus au remake de Régine Deforges (La Bicyclette bleue), même avec Laetitia Casta dans le rôle (mmm... quoique). Sachez que cette moue dubitative m'a rendu célèbre dans tout le quartier de l'Odéon. Mouiii. (Ici le lecteur devra m'imaginer levant le sourcil droit pendant 5 secondes.) Après mûre réflexion, comme j'ai fait Sciences-Po, je vous dirai qu'en ce qui concerne Autant en emporte le vent, il y a du pour et du contre.
Le pour : oui, bon, d'accord, il est heureux que figurent quelques best-sellers dans cette liste. A force d'expériences narratives et d'innovations formelles, le XXe siècle a eu tendance à oublier que le roman consiste aussi tout simplement à raconter une histoire, une aventure humaine, un amour perdu, à inventer des personnages flamboyants comme ceux d'Alexandre Dumas et à les faire courir dans les prés, galoper à cheval (ou courir à cheval et galoper dans les prés), et s'embrasser devant une ville en flammes comme Scarlett O'Hara et Rhett Butler. Pour le romanesque, faut que ça cavale, que ça couche, que ça se quitte, que ça se retrouve et que ça recouche ! La littérature doit être un film en CinémaScope projeté à l'intérieur de notre tête. Si Jacques Laurent était toujours en vie, il vous aurait expliqué cela mieux que moi, mais puisqu'il vient de nous quitter, reportez-vous à son Roman du roman (Éditions Gallimard, 1978).
Le contre : c'est tout de même un livre très mièvre, aux ficelles usées — la fresque historique, la guerre qui tue les gens, le beau mec cynique et la petite dinde amoureuse dont l'amour pur est menacé par la folie des hommes... Justement, depuis qu'on a inventé le cinématographe, on se dit que peut-être ces histoires-là ont fait leur temps dans le roman moderne. Quand on n'a que 50 bouquins à retenir pour résumer un siècle aussi agité et révolutionnaire que le nôtre, je ne suis pas sûr que Gone With the Wind soit complètement indispensable. C'est un livre du siècle précédent! Victor Hugo, d'accord, pas Max Gallo ! Par la faute de Margaret Mitchell, cette aimable Sudiste, les librairies du monde entier sont chaque année encombrées de tonnes de romans à l'eau de rose sur fond de drames historiques et/ou de couleur locale. Des pavés où les après-midi sont « radieux », les garçons « vifs et ombrageux », et où les cils des filles se mettent à battre « aussi vite que des ailes de papillon ». Avons-nous vraiment patienté tous ces millénaires pour lire ceci : « Scarlett ne répondit rien mais son cœur se serra. Si seulement elle n'était pas veuve! Si seulement elle était encore Scarlett O'Hara ! Elle porterait sa robe vert pomme garnie de rubans de velours vert foncé qui sautilleraient sur sa poitrine. » Autant en emporte ce roman!
Bien sûr j'aurais pu vous raconter aussi d'autres choses sur Scarlett, mon arrière- grand-père américain l'a bien connue dans les docks d'Atlanta; dans sa jeunesse on la surnommait « la Goulue » et je peux vous garantir qu'elle n'était pas farouche...