I
Imhotep poussa un soupir de satisfaction quand il en eut fini avec les devoirs rituels qui lui incombaient en qualité de prêtre chargé du culte des morts. Rien n’avait été oublié, le cérémonial suivi avec un soin méticuleux. Imhotep était, à tous égards, un homme consciencieux. Il avait fait les libations exigées, brûlé de l’encens, assuré les ordinaires offrandes de nourriture.
Il alla rejoindre Hori qui l’attendait dans la petite chambre qui se trouvait à l’entrée du Tombeau. Là, Imhotep redevenait le propriétaire terrien, l’homme d’affaires. Pendant plus d’une demi-heure, il s’entretint avec Hori des cours, des récoltes et des bénéfices qu’il devait tirer de ses céréales, de son troupeau et de ses bois.
Hochant la tête, il dit enfin :
En vérité, Hori, ton cerveau est fait pour les affaires !
— Il s’est habitué à elle ! répondit l’autre, en souriant. Il y a tant d’années que je m’occupe des tiennes !
— Avec beaucoup de dévouement, je le sais. Il y a une chose dont je voudrais te parler. Il s’agit d’Ipy. Il se plaint de n’avoir ici qu’une situation subalterne.
— Il est encore très jeune.
— Oui, mais il est très intelligent ! Il estime que ses frères ne le traitent pas comme il conviendrait. Sobek le rudoie et l’envoie promener. Yahmose, de son côté, l’exaspère avec ses perpétuelles recommandations et ses conseils prudents. Ipy est un tempérament fier et il n’aime pas recevoir des ordres. En outre, il estime qu’il n’y a ici qu’une personne qui ait le droit d’en donner, moi !
— C’est exact, dit Hori. J’ajoute qu’à mon sens, Imhotep, c’est ce qui ne va pas, ici Puis-je parler librement ?
— Je t’en prie, mon bon Hori. Tes paroles sont toujours sages et je tiens compte de tes avis.
— Alors, voici ce que je voulais te dire. Il faudrait que, durant tes absences, quelqu’un eût ici une autorité réelle.
— Je m’en remets à toi et à Yahmose du soin d’administrer mes affaires.
— Je sais que nous agissons en ton nom quand tu n’es pas là, mais cela ne suffit pas. Pourquoi ne fais-tu pas d’un de tes fils ton associé, par un acte légal ?
Imhotep, sourcils froncés, marchait de long en large.
— Auquel de mes fils songes-tu ? Sobek a des manières autoritaires, mais il ne sait pas obéir ; et je ne puis lui faire confiance. Il a trop mauvais esprit.
— Je pensais à Yahmose. C’est ton aîné. Il est de relations agréables, il t’aime et il t’est dévoué.
— Je t’accorde tout cela, mais il est trop timide, trop timoré. Il s’incline devant tout le monde. Évidemment, si Ipy avait quelques années de plus…
— Il est dangereux de donner de l’autorité à un homme trop jeune !
— C’est très vrai ! Quoi qu’il en soit, Hori, je réfléchirai à ce que tu m’as dit. Yahmose est certainement un bon fils, un fils obéissant…
Doucement, mais d’une voix pressante, Hori déclara :
— Je crois que ce serait la sagesse !
Imhotep regarda Hori. Ses yeux interrogeaient.
— Que veux-tu dire ? demanda-t-il enfin.
— Je disais il y a un instant, répondit Hori, qu’il est dangereux de donner de l’autorité à un homme trop jeune. Il n’est pas moins dangereux de la lui donner trop tard.
— Parce qu’à ce moment-là il a trop l’habitude de recevoir des ordres pour prendre celle de commander lui-même ? Il y a peut-être du vrai là-dedans.
Imhotep soupira et poursuivit :
— Ah ! Il est bien difficile de mener une famille ! Les femmes, en particulier, sont dures à manier. Satipy a un caractère impossible, Kait a des accès de bouderie et de mauvaise humeur… Mais il faudra tout de même qu’elles comprennent que j’entends que Nofret soit traitée avec les égards convenables. Je crois pouvoir dire…
Il s’interrompit. Hors d’haleine, un esclave, qui avait gravi le sentier en courant, s’arrêtait devant lui.
— Qu’est-ce ? demanda Imhotep.
— Maître, un bateau est là, qui vient de Memphis. Il amène un scribe, appelé Kameni, qui apporte un message.
Imhotep ne put retenir un geste d’agacement.
— Encore des ennuis ! Quand je ne suis pas là pour m’occuper de tout, rien ne marche droit !
Il s’éloigna vivement par le sentier. Hori, inquiet et préoccupé, alla se rasseoir dans un coin d’ombre.