Chapitre 2
Il faisait presque nuit quand Armand Marsolais tendit les clés au voiturier du restaurant. Les jours raccourcissaient si vite en septembre ! À Montréal, cependant, les feuilles des arbres avaient à peine commencé à tomber et le thermomètre indiquait cinq degrés de plus qu’à Québec. L’enquêteur consulta sa montre : dix-neuf heures vingt-trois. Plus que sept minutes avant l’arrivée de Nadine. Il eut envie d’un scotch, mais Nadine commandait toujours du vin blanc à l’apéritif. La serveuse lui suggéra le Ca’del Solo qui était fruité sans être trop sucré et qui plaisait beaucoup à ses clients. Armand Marsolais but un premier verre sans le goûter, anxieux à l’idée de revoir Nadine, anxieux d’être anxieux. Comment aurait-il pu être détendu, quand le départ de la capitale avait été si problématique ? Une voiture faisait toujours défaut au moment le moins opportun. Il ne se serait pas plaint, trois semaines plus tôt, si le moteur avait eu des ratés alors qu’il partait pour le lac à l’Épaule. Il se serait frotté les mains, ça oui… Et il inventerait un bon motif pour ne pas y retourner à l’Halloween comme l’envisageait Judith.
— Je n’ai pas envie de perdre ma soirée à ouvrir la porte et à risquer d’attraper la grippe, ni de dépenser cinquante dollars pour des bonbons qui nuisent à la santé. Les enfants se bourrent déjà de cochonneries à l’école. Je le sais, il y a toujours une file devant la distributrice.
— Comme tu voudras, ma chérie, avait répondu Armand Marsolais en se promettant d’être au travail le 31 octobre.
Si Judith tenait tant à s’éloigner de la ville, il serait ravi de la reconduire au chalet, mais il ne resterait sûrement pas là-bas à recevoir ses directives, à reteindre le bois des portes et des fenêtres ou à réparer pour la centième fois la maudite berceuse. Quand se déciderait-elle à en choisir une autre ? Elle avait les moyens d’acheter la compagnie qui fabriquait ces meubles ! Elle avait les moyens de tout et l’envie de rien, contrairement à lui qui n’avait aucuns moyens et l’envie de jouir de tout. Contrairement à Nadine qui savait profiter de la vie, des bons restos, des voyages, des beaux hôtels. Elle aurait préféré qu’il réserve une chambre au Vogue ou à l’Hôtel de la Montagne, mais il voulait éviter le centre-ville où il redoutait d’être reconnu.
— C’est ridicule, avait-elle dit la veille au téléphone. Montréal n’est pas un village, c’est plus anonyme que Québec.
— J’ai vu trop de malheureux hasards dans mon travail. C’est plus prudent de s’éloigner du centre. Je réserverai près du Village. Je n’ai pas de gais dans mes relations, on sera tranquilles. On pourra se promener dans la rue main dans la main, personne ne nous ennuiera.
— On mangera boulevard Saint-Laurent, s’était entêtée Nadine. C’est là que je veux aller !
Il avait cédé et il observait maintenant les dîneurs attablés au restaurant. Nadine avait raison, il avait pris des précautions inutiles. Il ne connaissait personne et personne ne lui prêtait attention. Il consulta de nouveau sa montre, dix-neuf heures quarante-cinq. Le taxi devait être bloqué au coin de Sherbrooke et Saint-Laurent, c’était ainsi les vendredis soir. Il songea qu’il aurait eu le temps de boire un scotch, hésita, fit signe à la serveuse, sourit : Nadine poussait la porte.
Qu’elle était belle ! Elle marcha vers lui et il se réjouit de constater que tous les clients la suivaient du regard. Quel homme aurait pu demeurer insensible à ses charmes ? Même les femmes la dévisageaient. Il lui répétait souvent qu’elle aurait pu être mannequin. Elle protestait, il exagérait, elle n’était ni assez grande ni assez mince. Justement, on en avait marre de ces tops aux poitrines trop plates ; les vrais hommes aimaient les femmes qui avaient des rondeurs aux bons endroits. Il résista au désir de lui mettre la main sur les fesses, espéra que le service serait rapide et qu’ils rentreraient sans tarder à l’hôtel. Là, il lui ferait l’amour pendant des heures et des heures, oubliant leur longue séparation, ces semaines sans la voir, sans la toucher, ces semaines où il avait tant peiné à jouer la comédie auprès de Judith. En embrassant Nadine, il comprit qu’il avait atteint et même dépassé le point de non- retour. Il devait se débarrasser de Judith.
Mais de quelle manière ? Quand on connaîtrait le montant de sa fortune, il serait bien évidemment le premier suspect. Et il refusait de divorcer, de ne se contenter que d’une petite partie de ses millions. Il n’avait pas enduré Judith toutes ces années pour rien ! Il voulait dépenser cette fortune avec sa sirène aux cheveux d’or, sa déesse, son enchanteresse. Car Nadine était une magicienne pour l’avoir à ce point ensorcelé, Nadine…
Combien de fois répétait-il mentalement ce prénom délicieux au cours d’une journée ? Nadine… Il ne supportait plus la vie sans elle.
* * *
Quand la sonnette de l’entrée retentit chez Maud Graham, elle n’eut même pas le temps de réagir. Maxime se précipitait en hurlant : « Grégoire ! C’est Grégoire ! » Elle posa son couteau, la pomme qu’elle était en train de peler, s’essuya les mains, goûtant les cris joyeux de ses protégés, souriant en les entendant chahuter, souhaitant que leur complicité ne s’altère jamais, qu’ils éprouvent l’un pour l’autre ce qu’elle ressentait pour Léa, sa meilleure amie depuis plus de vingt ans.
— Eh ! Biscuit ! Grégoire soupe avec nous ! C’est cool, hein ?
— Surtout que c’est moi qui cuisine, fit Grégoire.
— Tu dois avoir appris plein de trucs depuis que tu travailles au restaurant, hein ?
Grégoire acquiesça ; la cuisine du resto était tellement mieux équipée que celle de Maud.
— Je vais te donner de bons couteaux pour Noël, Biscuit.
— Je ne veux pas que tu dépenses ton argent pour moi.
— Surtout que j’en gagne pas mal moins…
Maud se retint de questionner Grégoire ; elle était persuadée qu’il n’avait pas abandonné complètement la prostitution. Il faudrait un certain temps avant qu’il renonce à flamber des centaines de dollars par semaine, avant qu’il se contente de son salaire d’aide-cuisinier. Il était assez intelligent pour comprendre qu’il avait eu de la chance que Pierre-Yves le fasse engager au Laurie Raphaël malgré son peu d’expérience. Mais parviendrait-il à supporter la routine, les horaires exigeants, l’effort physique ? Comme s’il devinait ses pensées, Grégoire lui sourit.
— J’ai l’habitude d’être debout, c’est certain… J’ai assez traîné dans les rues. C’est sûr qu’il y a moins de place dans une cuisine que sur Saint-Olivier.
— Quand est-ce qu’on soupe ? demanda Maxime. J’ai faim !
— Tu n’as rien mangé à l’école ?
— Oui, oui, mais…
Maxime refusait de leur avouer qu’il avait partagé son lunch avec Pascal qui s’était encore fait voler le sien. Heureusement qu’il avait envisagé cette possibilité et qu’il avait ajouté deux barres tendres aux sandwiches que lui avait préparés Maud. Combien de temps durerait cette situation ? Il avait promis le silence à Pascal, mais il aurait bien aimé que Benoit Fréchette et Betty Désilets cessent de harceler son copain. Pourquoi étaient-ils toujours sur son dos ?
— C’était déjà comme ça à mon autre école, avait confié Pascal à Maxime. J’étais content quand Benoit Fréchette a quitté mon autre école pour le secondaire. Je pensais que j’aurais la paix. Si j’avais su que je le retrouverais ici ! Il m’appelait déjà « le crapaud » à cause de mes lunettes.
— Les crapauds ne portent pas de lunettes, avait rétorqué Maxime.
— Il trouve que je ressemble à un batracien avec mes yeux globuleux. À cause des verres qui grossissent. Ce n’est pas de ma faute si je suis myope et astigmate.
— Ast… quoi ? Il faudrait que tu parles pour qu’on te comprenne, c’est énervant.
Pascal avait blêmi aussitôt et Maxime avait regretté de l’avoir critiqué. Il s’était repris, avait tenté de lui expliquer que sa manière de s’exprimer pouvait agacer les gens.
— Moi, je ne parle pas avec des mots à cinquante piastres.
— Je suis astigmate et myope, je ne peux pas inventer autre chose.
Pourquoi voulait-il toujours avoir raison ? C’était pénible. Pascal avait énuméré tous les sévices que lui avait fait subir Benoit Fréchette.
— Tu n’as rien dit à tes profs ? s’écria Maxime même s’il savait qu’il ne se serait jamais plaint à un enseignant.
— Ma mère a rencontré mon prof… C’était pire ensuite. J’espérais qu’au secondaire je recommencerais à zéro, mais Benoit voudra « s’amuser » avec moi. Parfois, je rêve que je le tue. Si j’avais un anneau qui me rend invisible comme celui de Frodon, je pourrais lui taper dessus sans qu’il sache que c’est moi. Je ne me gênerais pas. Et j’aurais des amis, si je ressemblais à Frodon, et des chevaliers pour me protéger.
Mais Pascal ne possédait aucun pouvoir magique. Il n’était même pas capable de monter la côte Gilmore à bicyclette, alors… Il lui avait confié la veille que Benoit l’avait menacé de lui couper la langue s’il se plaignait de lui à sa mère. « Je ne veux pas que ta grosse moman vienne nous causer du trouble cette année, as-tu compris ? » Maxime savait bien que Benoit ne couperait pas la langue de Pascal, mais le message n’en était pas moins angoissant.
— Fais semblant de ne pas l’entendre, avait suggéré Maxime. Il va se tanner.
— Oh non ! Il ne se lassera jamais. C’est un sadique.
— Un sadique ? Tu exagères…
— Non. Il a déjà lancé un chat contre un mur de briques parce qu’il l’avait griffé. C’est un vrai malade.
— Il n’en a pas l’air…
— Si les maniaques avaient l’air de maniaques, les gens les éviteraient, les victimes se méfieraient et les criminels ne pourraient les agresser. Je ne sais plus quoi faire.
Maxime non plus. Devait-il rompre sa promesse et demander son avis à Maud ? Elle voudrait s’en mêler. Elle voudrait voir la mère de Pascal. Elle voudrait discuter.
— Maxime ?
— Qu… quoi ?
— Je te parle, fit Grégoire. À quoi tu penses ?
— À rien.
— Je suis très bon là-dedans, moi aussi.
Grégoire avait tenté durant des mois de faire le vide dans son esprit, d’oublier les visites d’oncle Bob dans sa chambre, l’incrédulité, l’indifférence de sa mère, l’abandon de son père. Si son père n’avait pas quitté la maison, Bob n’aurait pas habité chez eux, n’aurait pas posé ses pattes sales sur lui. Rien, ne penser à rien était plus difficile qu’il n’y paraissait. Grégoire avait traîné des heures dans les arcades à s’étourdir du bruit des machines, à se concentrer sur les points à accumuler, à n’échanger qu’une phrase ou deux avec les autres joueurs tout aussi laconiques que lui. Est-ce que Maxime avait des ennuis ?
— Comment ça va, à l’école ?
— J’aime les cours de maths. Germain est cool.
— Et en français ?
Maud Graham guettait la réaction sur le visage de Maxime. Il pinça les lèvres d’un air dégoûté. Comment parviendrait-elle à l’aider dans une matière où elle-même n’avait jamais brillé ?
— À quoi ça sert de lire des livres plates ?
— On découvre beaucoup de choses dans les livres.
— Pascal lit sans arrêt et ça ne l’aide pas tant que… Bon, on oublie l’école et on mange ! Sinon, je vais manquer mon émission.
Si seulement Biscuit l’avait autorisé à regarder la télévision en mangeant. Elle était inflexible sur ce point ; souper ensemble ne signifiait pas uniquement se nourrir, mais partager les impressions de la journée, échanger, discuter, communiquer. C’était moins compliqué chez son père : Bruno aimait les mêmes émissions de télé que lui et ils s’installaient ensemble devant le poste. Mais Biscuit avait d’autres qualités. Si elle promettait de faire quelque chose, elle le faisait. N’empêche, il était heureux que Grégoire soit présent, ce soir-là. Il n’aurait pas à chercher des sujets de conversation pour éviter de raconter ce qui se passait à l’école.
— Est-ce qu’Alain nous rejoint pour souper ?
— Il est encore à Montréal.
— Tu dois t’ennuyer, hein, Biscuit ?
Oui, Alain lui manquait, mais elle aimait se languir de son amoureux et le retrouver avec un plaisir décuplé par ce sentiment d’absence, de manque. Les fins de semaine ressemblaient à des fêtes, comme s’ils s’étaient perdus de vue depuis des lustres, et elle goûtait la joie de recréer l’intimité, de reprendre les gestes amoureux, de s’étonner de leur entente au quotidien.
Elle avait la gorge serrée quand elle voyait sa voiture s’éloigner en direction du pont Pierre-Laporte, elle craignait l’accident bête qui lui ravirait son amour mais, heureusement, c’était aussi le dimanche soir que Maxime débarquait chez elle surexcité, échevelé, affamé : le rosbif était-il prêt ? Il n’y avait que cet enfant pour aimer autant son rosbif trop cuit, pour la distraire, pour balayer sa nostalgie.
— Léo, où est le gros Léo ?
— Il dort dans ma chambre, déclara fièrement Maxime. Il est toujours dans ma chambre.
— Je me suis couché là souvent, se rappela Grégoire. Est-ce que Léo ouvre encore la fenêtre en jouant avec le loquet ?
— Oui, il est très intelligent.
Et le temps passe très vite, songea Maud Graham. Elle revoyait Grégoire endormi tout habillé sur le lit, le premier soir où elle l’avait hébergé. Elle avait mis une demi-heure à le déchausser tellement il était agité. Elle avait dès lors compris que ses nuits étaient aussi chargées d’angoisse que ses journées. D’où venait ce jeune prostitué ? Qui l’avait autant abîmé ?
— Ce n’est pas Léo qui paie les factures d’électricité, grogna Graham. Il ne referme pas la fenêtre quand il sort.
— Arrête de chialer, tu n’endurerais pas un chat idiot. C’est pour ça que tu nous aimes, on est intelligents.
Grégoire n’aurait jamais proclamé qu’elle les aimait, un an plus tôt. L’arrivée de Maxime dans leurs vies avait facilité leurs rapports, distillé leur gêne. Cet enfant était si spontané qu’il les obligeait à baisser la garde, à oublier leur réserve. Un magicien, voilà ce qu’était Maxime Desrosiers, fils d’un petit délateur et d’une mère fantôme. Par quel miracle n’avait-il pas perdu sa faculté de s’émerveiller, sa curiosité, son enthousiasme ? Indestructible Maxime… Grandirait-il en conservant ces qualités ? Grandirait-il tout court ? Il était petit pour son âge et elle savait qu’il en souffrait. Il mangeait pourtant avec beaucoup d’appétit. De plus en plus, d’ailleurs : le frigo tenait du tonneau des Danaïdes depuis la rentrée des classes. Avec les visites régulières de Grégoire, Graham avait l’impression d’avoir parcouru les rayons du supermarché plus souvent dans le seul mois de septembre que durant toute l’année précédente. Elle était étonnée que deux maigrichons comme Maxime et Grégoire puissent manger autant. Et, comble de l’injustice, ne jamais grossir.
Ils se resservirent tous deux une part de lasagne, tandis qu’elle mettait son assiette dans le lave-vaisselle pour résister à la tentation de les imiter et qu’elle se préparait aussitôt un cappuccino en guise de dessert.
— Tu ne veux pas goûter à ma tarte aux poires ?
— Arrête, Grégoire. Tu sais très bien que je surveille mon alimentation durant la semaine.
— Pour mieux pécher avec ton beau Alain…
— Justement, si Maxime en laisse un peu, il nous restera de la tarte pour le dessert de samedi.
— C’est bon quand c’est frais, décréta Grégoire. Je t’en apporterai une autre. Ne prive pas cet enfant de nourriture…
— Je ne suis pas un enfant, s’écria Maxime. Je ne suis pas le plus petit de la classe, si vous voulez savoir.
Il se leva, repoussa sa chaise et s’installa devant la télévision.
— Moins fort, Maxime, on ne s’entend plus. Est-ce que cet enfant est sourd ?
— Ce n’est pas un enfant, la corrigea Grégoire. Il vient de nous le dire.
Il désigna le salon ; il rejoindrait Maxime pendant qu’elle potasserait ses dossiers.
— Je suis bien obligée de travailler, ce soir.
— À cause du meurtre à Charlesbourg ? À la radio, ils disaient que vous n’aviez aucun indice.
— C’est vrai, admit Maud Graham. La victime n’est pas fichée dans nos dossiers. Même pas une contravention, pas d’histoires de drogue, petite vie tranquille, célibataire, vivant à Cap-Rouge depuis deux ans. Pourquoi s’est-il fait descendre ?
— Une erreur ?
— Peut-être.
Elle ne pouvait révéler à Grégoire que Mario Breton avait un tatouage à l’épaule gauche qui l’intriguait : ça ressemblait à une ancre de bateau, mais la peau avait été brûlée au chalumeau, brouillant le dessin. Pour empêcher qu’il soit identifié ? Par qui ? On veut effacer un tatouage quand il nous rappelle de mauvais souvenirs, le nom d’une personne qu’on a aimée et qui nous a quitté. Pourquoi Breton avait-il voulu faire disparaître cette ancre à son épaule ? Maud se contenta d’une question.
— Que faisait Mario Breton si loin de chez lui à trois heures du matin ?
— Il sortait de chez quelqu’un. Ou il y allait.
— C’est ça qui m’embête…
— Au moins, tu n’as pas Moreau dans les pattes.
Non, et Maud Graham appréciait le nouveau qui le remplaçait.
— Marsolais n’a pas fait une seule blague idiote depuis le début de septembre. Il s’entend bien avec tout le monde. Si Moreau pouvait… Enfin, je…
— Tu ne souhaites pas sa mort, ni son retour non plus, c’est ça ?
Elle le chassa de la cuisine en le fouettant avec un torchon à vaisselle. Il savait qu’il avait raison. Elle s’enferma dans son bureau et relut des dossiers, cherchant des failles dans les raisonnements, les petits détails qui l’orienteraient sur la bonne piste, un témoignage obscur ou trop clair, trop précis, peu crédible. Elle ne quitta sa retraite qu’une seule fois pour refaire du café. Ses protégés étaient toujours installés devant le téléviseur, silencieux, apparemment captivés par l’invasion de la planète par des extraterrestres.
Elle ne pouvait pas deviner que Maxime s’apprêtait à décrire Pascal à Grégoire. Elle se demandait ce que feraient les extraterrestres s’ils devaient découvrir qui avait assassiné le comptable. Elle aurait aimé avoir leurs pouvoirs paranormaux.
* * *
Il pleuvait tellement, quand Maud Graham réveilla Maxime, qu’elle lui offrit de le conduire à l’école avant de se rendre au travail.
— Toi, tu ne commences pas à cette heure-là.
— Mon enquête n’avance pas, je ferais mieux d’arriver tôt. Et ça t’évitera de te faire tremper en attendant l’autobus.
— Elle passe toujours à moins quart. Et j’ai un bon imperméable.
— Il, pas elle. Autobus est masculin.
— Je rejoins Pascal à l’arrêt. Il s’inquiétera si je ne suis pas là.
Et il aura peur de se retrouver seul avec Benoit et Betty. Ils l’obligeront peut-être à aller au fond de l’autobus et ils lui voleront son lunch. Ou ils déchireront ses livres. Ou ils casseront ses crayons. Betty dira qu’il sent mauvais. Cette fille ne touchait jamais à Pascal, mais elle chuchotait à l’oreille de Benoit qui soumettait ensuite une nouvelle idée à ses copains. Ils s’esclaffaient et, deux minutes plus tard, ils s’en prenaient à Pascal.
Si Maxime était à ses côtés, ils hésiteraient. Non, ils les insulteraient tous les deux. Ils les traiteraient de tapettes. Maxime aimait Grégoire tel qu’il était, mais il ne voulait pas qu’on croie qu’il était homo. Il n’était pas fif. Il ne le serait jamais.
— On s’arrêtera devant l’arrêt du bus et on fera monter ton copain.
— Ce n’est pas mon copain, se défendit trop vite Maxime. C’est juste un gars qui est dans mes cours…
— Tu veux pourtant te rendre au collège avec lui.
Maxime soupira ; cette manie de poser des questions… Léo, sautant du lit, lui offrit une diversion opportune.
— Il a rêvé, cette nuit. Il grognait. Il est drôle, Léo. Je suis content de ne pas être allergique comme Pascal…
— Pascal ?
— Est-ce qu’il reste des gaufres ?
Pourquoi refusait-il de lui en apprendre davantage sur Pascal ? Quels étaient leurs rapports ? Maud Graham, dubitative, referma la porte de la chambre de Maxime. Était-elle trop curieuse ? Ou devait-elle poser plus de questions ? Comment savoir si elle agissait en tutrice aimante ou en détective ? Léa l’avait prévenue : elle s’interrogerait chaque jour sur la plupart de ses décisions, elle douterait souvent, elle se tromperait parfois. Bref, elle vivrait ce que vivent tous les parents qui se soucient de l’éducation de leurs enfants. Elle devrait définir plusieurs frontières : qu’était l’intimité d’un adolescent, que pouvait-elle chercher à savoir sans sombrer dans l’inquisition ? Si Maxime était si réticent à parler de Pascal, c’était peut-être parce qu’il ne savait pas encore très bien s’il aimait ou non ce garçon. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps.
Elle n’insisterait pas pour en savoir plus aujourd’hui. Elle partirait au travail en même temps que Maxime, pour qu’il constate qu’elle ne cherchait pas un prétexte pour l’accompagner à l’école. Elle jeta un coup d’œil au calendrier posé sur le réfrigérateur : plus que deux jours avant le retour de Rouaix, parti en France. Elle l’emmènerait au restaurant où travaillait Grégoire pour fêter leurs retrouvailles. Rouaix aimait tellement les abats ; il adorerait le ris de veau à l’hydromel qu’on y préparait. Elle aussi succomberait, ce jour-là ; elle tricherait, oublierait son régime. Elle goûterait même au moelleux aux noisettes dont Grégoire lui avait vanté la douceur et la subtilité. Rouaix lui avait manqué plus qu’elle ne l’aurait cru. Elle aurait aimé qu’il la conseille à propos de Maxime, profiter de son expérience de père. Son fils Martin n’avait pas toujours été facile à comprendre…
Depuis que Maxime était entré dans sa vie, Graham s’interrogeait sur sa propre existence, sur son passé : comment était-elle à douze ans ? Renfermée, déçue. Sa vie s’écoulait si terne, si monotone ; chaque jour ressemblait au précédent et sûrement au suivant. Elle ne s’ouvrait pas à ses parents. Ni à sa sœur. Ils s’étaient tous moqués d’elle quand elle avait déclaré qu’elle ferait carrière dans la police, qu’elle serait détective. À l’époque, elle rêvait d’enquêtes dangereuses qui secoueraient des années d’ennui. Elle avait été servie… Que lui réservait l’affaire Breton ? Marsolais penchait pour un meurtre gratuit, mais elle s’accrochait à l’incongruité de la présence du comptable à Charlesbourg en pleine nuit. Une nuit où il pleuvait des cordes. Une nuit qui avait effacé bien des indices.
Une odeur de café flottait dans le bureau quand elle enleva son manteau. Une odeur plus ronde qu’à l’accoutumée, plus alléchante. Elle sourit malgré elle en humant l’irrésistible parfum. D’où venait cet arôme ?
— Je gage que tu ne refuseras pas un petit espresso ? avança Marsolais en lui tendant une tasse, une vraie tasse en porcelaine.
Elle prit la tasse tandis qu’il lui offrait du sucre.
— Non, je l’aime noir. Qui a apporté ce café ici ?
— C’est moi. Je déteste la lavasse des machines. Ce n’est pas buvable. Et puis il y a plus de caféine dans un café filtre. Je suis assez nerveux.
— Oui, avec Fecteau qui se plaint déjà de nos résultats. Ou plutôt de nos non-résultats. On a interrogé tous les habitants de la rue Montclair. Personne n’a rien vu, rien entendu. Et ça se comprend, il pleuvait, il tonnait, il n’y avait pas un chat dehors, sauf Breton. Je suis certaine qu’il n’était pas là par hasard. Ça ne colle pas avec les témoignages que nous avons sur lui. J’ai repensé aux commentaires de ses collègues de travail : c’est le gars le moins spontané qui puisse exister. Il arrivait exactement à neuf heures le matin, mangeait à midi pile, partait à dix-sept heures. Pas une minute de plus ou de moins. S’il traînait à Charlesbourg en pleine nuit, c’est qu’il y avait suivi quelqu’un… Une femme, une maîtresse ?
— Ou un homme, un amant ? Tu opterais pour une affaire de sexe ?
— Je crois à un deal qui a mal tourné, à une chicane, Marsolais. On n’est pas dehors à trois heures du matin, à moins qu’on se pointe chez quelqu’un ou qu’on en sorte. Il s’est fait descendre entre le moment où il a quitté X et celui où il a regagné sa voiture. Il s’est écroulé devant sa Nissan. Il avait les clés à la main. On lui a volé son portefeuille mais pas sa voiture.
— Le criminel devait avoir la sienne. Il ne pouvait pas l’abandonner là… Encore moins appeler un taxi pour s’enfuir.
— S’il habite à quelques mètres de là, il n’a pas eu du tout besoin d’une voiture. Imagine la scène. Breton se présente chez sa maîtresse, ils se disputent, Breton part. Elle est furieuse, elle le suit, le tue et rentre chez elle. Elle est persuadée qu’on l’arrêtera, qu’un voisin aura tout vu et l’aura dénoncée. Elle ne dort pas de la nuit, mais il ne se passe rien avant l’aube. Puis Mme Charbonneau promène son chien et se met à crier en découvrant le corps de la victime. La meurtrière se précipite à la fenêtre. Des voisins sortent pour aider Mme Charbonneau qui est tombée dans les pommes. Elle les imite… et se rend compte que personne n’a rien remarqué, rien entendu.
— On aurait donc déjà interrogé le ou la coupable ?
Cette hypothèse déplaisait à Marsolais. Il fallait que l’enquête traîne, qu’il ait le temps de réfléchir, de trouver un moyen d’utiliser ce crime pour servir ses intérêts… Il était à l’affût de toute occasion qui lui permettrait de se débarrasser de Judith. Il espérait qu’un psychopathe ait élu domicile à Québec. Une chicane de couple ? Oh non ! Pour cacher sa déception, il remplit de nouveau la tasse de Maud Graham avant de se frotter le menton et d’avouer qu’il fumerait volontiers une cigarette.
— Moi aussi.
— Tu fumes ?
— Je fumais, précisa Graham. Ça fait cinq mois que j’ai arrêté. Avant, j’avais arrêté pendant un an. Puis j’ai recommencé. J’espère que cette fois c’est la bonne.
— C’est pareil pour moi. En plus, ma femme fume. Ça n’aide pas.
— Hier soir, j’ai montré la photo de la victime à tous les habitants de la rue Montclair. Personne n’a reconnu Breton. On ne l’a jamais aperçu dans les parages. Ou les amants se voyaient toujours en pleine nuit, ou c’était sa première visite à Charlesbourg. Un one-night stand… Avec une femme. Ou avec…
— Un homme ?
— Pourquoi pas ? Ils se rencontrent dans un bar gay. Ils se plaisent. Breton le suit chez lui. Pour une raison ou pour une autre, l’amant panique et le tue.
— Il vise bien pour quelqu’un qui panique.
— Oui, tu as raison. Et ça me dérange. La balle était logée en plein cœur… mais avec un 357 Magnum.
— Avec les dommages collatéraux que ce genre de balle cause, notre tueur était certain que Breton ne pouvait pas s’en tirer. En plein cœur, oui, et en ruinant tout ce qu’il y a autour.
Graham grimaça de dépit.
— Ma théorie de la scène de ménage qui tourne mal est trop simple. Il ne faut pas oublier que notre victime était comptable… S’il s’était occupé de blanchiment d’argent ? On pourrait envisager un règlement de comptes. Tout est possible. On n’a rien sur Breton. Le DMN[1] ne nous a rien appris. On ignore où il s’est fait tatouer. Et pourquoi il a voulu effacer cette ancre ou cet hameçon… Personne n’a pu nous le dire.
— Il y a des types qui se font tatouer sur un coup de tête et le regrettent ensuite. Mais j’ai envoyé l’image un peu partout. J’aurai peut-être des résultats.
— J’apprécierais. Ce type m’ennuie. Il est trop discret.
Marsolais admit que les collègues de Mario Breton le trouvaient très secret ; ils ignoraient comment il meublait ses loisirs.
— Une secrétaire m’a mentionné un certain intérêt pour l’aviation, rapporta Graham, mais sans me fournir de précisions.
— Ça coûte cher, piloter, fit Marsolais. Même si tu n’achètes pas l’avion, il y a beaucoup de frais… Son salaire ne lui permettait pas de telles dépenses.
Il songea à Judith qui avait accepté, en mai, de faire en avion le trajet Montréal-Québec après de si longues discussions qu’il n’avait pas profité du vol tellement il était excédé. D’autant plus que Judith s’était amusée, poussant des exclamations de surprise dès qu’ils avaient décollé.
— Je vérifie aujourd’hui son compte en banque. Je rencontre tantôt le gérant de la banque. On trouvera peut-être des rentrées irrégulières ? À moins que tu préfères t’en occuper. Je me renseignerai aussi sur les cours de pilotage dans la région. Et il faut retourner voir les voisins et ses collègues. Lesquels choisis-tu ?
Maud Graham sourit à Marsolais ; elle reverrait les habitants de la rue Louis-Francœur. Elle les aborderait d’une manière différente. D’un autre côté, elle ne voulait pas laisser tout le travail de bureau à Marsolais.
— Ça ne me dérange pas.
Qu’il était donc différent de Moreau ! Elle serait ravie de retrouver son cher Rouaix, mais celui ou celle qui travaillerait avec Marsolais serait bien loti. Toujours de bonne humeur, curieux, ne comptant pas ses heures ; une fameuse recrue. Presque trop parfait pour être vrai.
— On doit te regretter à Montréal, plaisanta-t-elle.
— C’est sûr que mon café est excellent.
— On devrait avoir le rapport balistique avant midi. Ils vont nous confirmer que c’est bien un 357.
— Je retourne à Charlesbourg, cet après-midi. J’ai donné une copie de mon rapport à Fecteau.
— Tu étais ici de bonne heure ! Je vais avoir des complexes…
Marsolais expliqua qu’il voulait se familiariser avec ses autres collègues, le personnel, les techniciens des différents services.
— Tu te plais à Québec ?
— Beaucoup. C’était une idée de ma femme, mais je suis heureux d’avoir déménagé.
— Ta femme est enseignante, non ? Ma meilleure amie l’est aussi… Elle a trouvé la rentrée un peu difficile.
— Judith est contente d’avoir changé d’école. Elle travaillait dans l’est de Montréal, l’année dernière. Il y avait longtemps qu’elle voulait vivre ici. Elle est née à Neufchâtel. Je connais aussi la région. Chaque été, on va au chalet qui appartenait à sa sœur.
— Appartenait ?
— La sœur de ma femme est morte, il y a plusieurs années, murmura-t-il. Elle a tout légué à Judith. Dont ce chalet au lac à l’Épaule.
— C’est un beau coin, non ? Nous, on était à Stoneham, cet été.
— Alain Gagnon et toi ?
— Tu es au courant de tout. Moreau t’a renseigné.
— Ce n’est pas un scoop.
Maud Graham attrapa son manteau de cuir. Qu’il était lourd ! Elle souhaitait presque l’arrivée de l’hiver pour porter son Kanuk si léger et cependant si chaud, si douillet. Le froid viendrait pourtant bien assez vite. Les arbres perdaient leurs feuilles au moindre coup de vent et Maxime avait promis de nettoyer la cour en rentrant de l’école avant la fin de la semaine. Léa soutenait qu’elle devait lui confier certains travaux, pour qu’il prenne quelques responsabilités.
Il lui paraissait si petit, si jeune, si fragile. Est-ce qu’il aimait l’école où il étudiait, ou faisait-il semblant pour lui plaire ?
* * *
La taille du gymnase impressionnait Maxime à chaque cours d’éducation physique. Il n’avait jamais fréquenté une école dotée d’un gymnase si formidablement équipé. Il fut déçu quand l’enseignant déclara que le beau temps leur permettrait de courir autour de l’école. Courir ! Il avait couru toute sa vie dans les rues de Saint-Roch ou de Limoilou. Ça n’avait rien de très excitant.
— En silence. On sort en silence !
Maxime sentit qu’on tirait le bas de son tee-shirt.
— Eh, c’est vrai que tu joues au hockey ?
Maxime se retourna, croisant les doigts dans la poche de son survêtement : si c’était ce Max dont avait parlé Véronique, s’il pouvait lui offrir de se joindre à son équipe !
— J’ai toujours joué au hockey. Toute ma vie.
Il n’était pas obligé de préciser qu’il s’exerçait avec ses amis dans les ruelles ou les fonds de cour, sans autre équipement qu’une paire de gants usés, jusqu’à ce qu’Alain lui fasse cadeau d’un casque et de protections pour les genoux et les poignets.
— On va voir si tu sais courir, pour commencer.
Dès que retentit le coup de sifflet, Maxime s’élança si vite que les premiers élèves s’écartèrent de son chemin pour éviter d’être bousculés. Maxime montrerait à tous qu’il était très rapide. Et capable d’échapper à l’ennemi : deux autres garçons le suivaient de près. Il ne se laisserait pas dépasser. Il devait être le premier ! Son cœur pesait une tonne, lui brûlait la poitrine, mais il continuait à courir : Max l’admettrait dans son équipe ! Il faillit s’écrouler quand il s’arrêta en face de Max et de Julien, mais il grimaça un sourire.
— Oui. Tu cours vite. Es-tu ailier ou défense ?
— J’aime les deux positions.
— On joue après la classe, à côté de chez Julien. Il y a un terrain de tennis où personne ne va jamais. Tu peux venir. À une condition.
— Une condition ?
— On ne veut pas que tu traînes le Crapaud avec toi.
— Le Crapaud ?
— Pascal. Si tu aimes mieux l’avoir comme ami, c’est ton choix.
Maxime secoua la tête : il n’emmènerait pas Pascal. Promis. De toute manière, Pascal ne jouait pas au hockey. Il ne serait pas intéressé.
— Ça, on le sait, on le sait. C’est certain que le Crapaud n’est pas sportif. Une vraie guenille molle. Je gage qu’il sera le dernier à avoir fait le tour de l’école. Et qu’il se plaindra d’avoir mal aux pieds. Viens, je n’ai pas envie qu’il nous colle après.
Maxime n’hésita qu’une seconde : il n’avait rien promis à Pascal. Il avait seulement proposé qu’ils fassent équipe ensemble si le prof donnait un cours de badminton. Il s’éloigna avant que Pascal lui fasse signe, soufflant dans les derniers mètres.
Devrait-il manger avec lui, ce midi ? Si Max et Julien le voyaient en sa compagnie, ils changeraient peut-être d’idée et refuseraient qu’il se joigne à leur équipe… Il avait tellement attendu cet instant qu’il n’allait pas risquer de perdre ses nouveaux amis parce que Pascal était incapable de s’en faire de son côté. Il avait été très gentil avec lui depuis le début des cours, mais il avait envie de s’amuser au lieu de rester dans un coin à l’écouter raconter les livres qu’il avait lus. Il était intéressant quand il décrivait les chevaliers de la Table ronde, mais il ne savait même pas qui avait remporté la coupe Stanley au printemps dernier, ni quel groupe rock donnerait un spectacle au Colisée en novembre. Il vivait trop dans ses histoires inventées et pas assez dans la vraie vie.
* * *
Aujourd’hui, Maxime Desrosiers a fait semblant de ne pas me voir à la cantine. Il a avalé ses sandwiches sans regarder dans ma direction, puis il est sorti avec Max Poulain et Julien Archambault.
Une seconde plus tard, Betty est venue m’écœurer. Elle m’a piqué mon livre des symboles et l’a lancé au bout de la salle. Elle a dit en riant : « Va le chercher. Va chercher, bon chien. » Je n’ai pas répondu. Je ne savais pas quoi répondre.
Quand je parle, mes mots se transforment, les autres ne les entendent pas comme je les dis. Pendant le cours de français, j’ai raconté l’histoire de Merlin, mais tout le monde me dévisageait d’un air ennuyé. Même Maxime. Jeudi dernier, il m’avait pourtant posé des centaines de questions sur l’Enchanteur.
Je voudrais pouvoir changer Benoit et Betty en pierres. En grosses pierres laides et inutiles, qui ne peuvent pas me crier des bêtises. Ma mère va m’acheter un livre de magie pour mon anniversaire. J’espère qu’il y a des recettes de potions pour les rendre malades.
J’aimerais que Betty perde tous ses cheveux. Je lui lancerais un collier de chien et lui ordonnerais d’aller le chercher à quatre pattes. Et Benoit, je voudrais qu’il ait de gros boutons. Il serait dégoûtant. Les filles le trouveraient beaucoup moins sexy. Et les profs ne lui souriraient plus. Ils ne savent pas qu’il les imite dans leur dos. Même Judith Pagé qui ne lui a jamais enseigné. Elle est trop stupide pour s’en rendre compte.
Betty est sotte d’être amoureuse de Benoit. Avant, elle était moins bête avec moi. On a même joué au Nintendo ensemble deux fois. Je la comparais à la fée Morgane. Elle aimait ça que je la compare à une magicienne. Maintenant, elle dit que ce sont des histoires de bébé. Pourquoi est-elle fâchée contre moi ? Je ne lui ai rien fait. Maman ne l’a jamais aimée mais, moi, ça me plaisait de l’avoir comme voisine. Elle a toujours de nouveaux gadgets. Son père gagne beaucoup d’argent. Le mien m’en donnerait peut-être si j’étais bon en sport. Mon père jouait au football quand il était jeune. Je déteste le football. Ça n’existait pas à l’époque des chevaliers de la Table ronde. J’aurais voulu vivre avec eux.