15.

La Cour entra dans la ville de Loches le 24 octobre. Les deux jours précédents, Nicolas Poulain avait envoyé des fourriers et des maréchaux des logis pour marquer à la craie blanche la porte des maisons retenues par la Cour, ainsi que le nom et la qualité de ceux qui devaient y loger. En même temps, toutes les chambres d’auberge avaient été réservées. La Cour devait rester trois jours avant de repartir vers La Haye. Les Gelosi et Olivier furent logés à l’enseigne du Cheval noir, à côté du couvent des Ursulines. Dès le lendemain de leur arrivée, le majordome de la reine convoqua les comédiens au château afin qu’ils préparent la grande salle du Logis royal dans laquelle ils donneraient leur spectacle.

Depuis deux semaines, le ventre perpétuellement noué par la peur, Ludovic Gouffier ne dormait plus, persuadé que, s’il fermait les yeux, les Gelosi en profiteraient pour lui faire un mauvais sort. Il tentait vainement de se rassurer en se disant qu’il n’avait jamais rien laissé permettant de l’incriminer, mais Gabriella était bien venue en France pour mettre en garde Isabella contre lui et celle-ci avait bien fouillé son coffre. Il l’avait aussi entendu proposer à son amie de revenir à Mantoue, ce qui signifiait qu’Isabella avait été innocentée. Sans doute le vice-podestat avait-il découvert dans le couteau factice la pièce qui empêchait la lame d’entrer dans le manche. Dès lors, le magistrat avait dû en déduire qu’il s’agissait d’une tentative d’assassinat préparée par un des comédiens, et Ludovic, dernier arrivé dans la troupe, avait dû être le premier soupçonné.

Isabella l’évitait et ne lui adressait plus la parole. Quand allait-elle dire à Flavio qu’il était le responsable de ses tortures et de leur emprisonnement ?

À Chenonceaux, chaque matin, après une nuit sans sommeil, il décidait de fuir, puis il repoussait sa décision quand il s’apercevait que les autres comédiens le traitaient toujours amicalement.

Pourquoi Isabella ne le dénonçait-elle pas ? Par manque de preuves ? Sans doute. Après tout, elle ne pouvait deviner la raison pour laquelle il avait truqué le couteau. À moins qu’elle attende un moment favorable pour se venger. Chaque heure, chaque minute, il craignait d’être saisi par ses compagnons, traîné dans un bois et découpé en lanières. Pourtant, s’il reçut des injures de Flavio, ce fut seulement parce qu’il jouait de plus en plus mal sur scène.

Le voyage entre Chenonceaux et Loches avait été un supplice. L’un de leurs chariots s’était embourbé et ils s’étaient trouvés isolés dans la forêt. Ludovic avait bien cru sa dernière heure venue tant l’occasion était propice pour Flavio de le torturer à mort, mais personne n’avait fait attention à lui.

Son idée de faire disparaître Isabella lui paraissait désormais irréalisable. À moins de la tuer devant tout le monde, il n’avait jamais eu d’occasion. Et s’il se faisait prendre, c’était la question, puis l’exécuteur de la haute justice qui lui couperait les mains et les brûlerait avant de le pendre. Il avait assisté à ce tourment plusieurs fois devant la Croix-du-Trahoir.

Entre les supplices de Flavio et ceux du bourreau, quel espoir lui restait-il ? Ne pouvant plus supporter ces perpétuelles terreurs qui le rongeaient, il prit la décision de fuir en arrivant à Loches. Il savait même où il irait. Retourner en Italie n’était pas envisageable : les Gelosi le retrouveraient partout et le marquis Guglielmo Gonzaga était puissant. Revenir à Paris était tout aussi impossible, car il y était trop connu.

Il se rendrait à Cognac.

Dans la large ceinture de cuir qu’il portait à même la peau, il y avait sept cents écus d’or. Ceux que lui avait donnés Catherine de Médicis et ceux qu’il avait gagnés. Avec ça, il pourrait vivre des années. À Cognac, il ferait des recherches autour de l’abbaye de Notre-Dame de Châtres. Peut-être le prieur n’était-il pas mort, peut-être avait-il laissé à d’autres les papiers qu’il possédait, ou bien les avait-il cachés. Il pourrait aussi interroger les notaires du pays. Avec un peu de chance, il s’était persuadé qu’il parviendrait à rentrer en possession de sa maison de Garde-Épée.

Avant de monter au château avec les autres comédiens, il se rendit à l’une des écuries qui se trouvaient le long des remparts. Là, on lui proposa deux bons chevaux, une selle et un équipement de voyage comprenant des bottes de cavalier, une grosse couverture et un épieu, pour une centaine d’écus. Il avait déjà fait la route de Cognac à Paris et se savait capable d’y retourner. Avec deux chevaux, il voyagerait rapidement. Il promit au marchand de repasser en début d’après-midi. Il voulait d’abord retrouver les autres comédiens au château pour montrer qu’il était là, puis il trouverait un prétexte pour revenir à l’hôtellerie. Il préparerait ses bagages, se rendrait à l’écurie et quitterait la ville. Il trouverait bien où loger en chemin, à une lieue ou deux. Au pire, il dormirait dehors ; même si le ciel était sombre, il ne pleuvait pas.

Au château, il se rendit au Logis royal, à la pointe nord de l’enceinte. On lui expliqua que la reine mère s’était installée dans le logis neuf construit par Louis XII, tandis que la salle pour le spectacle serait celle où le dauphin Charles avait reçu Jeanne d’Arc après sa victoire à Orléans, quand elle l’avait supplié d’aller se faire sacrer à Reims.

Il resta un moment avec les femmes de la troupe qui, sur les bancs de pierre du petit jardin, regardaient Il Magnifichino et Francesco Andreini se livrer à une hilarante parade de capitans. C’est Flavio qui vint le chercher pour lui demander conseil sur la construction de la scène que des menuisiers montaient dans la grande salle du vieux logis.

La reine venait de lui faire savoir qu’elle allait recevoir un homme de grand talent, un gentilhomme qu’elle estimait beaucoup et qui était aussi un des amis les plus chers d’Henri de Navarre. Elle voulait l’honorer en le conviant au spectacle du lendemain. Dans la salle, ouvriers et artisans sciaient des planches et accrochaient des tentures. Ludovic fit quelques remarques sur l’assemblage des décors, puis laissa Flavio en grande discussion avec un artisan. Tout le monde l’ayant vu, personne ne penserait qu’il avait quitté Loches si on le cherchait maintenant. Il allait fausser compagnie à la troupe quand Marie de Surgères, accompagnée d’un valet, l’aborda : la reine voulait le voir.

Inquiet par cette convocation inattendue, il la suivit. La dame d’honneur le fit passer dans une chambre d’apparat remplie de gentilshommes et de serviteurs mais où il n’aperçut aucune dame. Sans doute étaient-elles encore en train de se pimplocher, à cette heure. Ensuite ils traversèrent la chambre privée pour entrer dans l’ancien cabinet de travail de Charles VIII. Catherine de Médicis était assise au fond d’un grand fauteuil, tout en noir, pareille à une sinistre corneille. Sur une escabelle, Hélène de Bacqueville lui tenait compagnie, deux lévriers couchés à ses pieds.

— Laissez-nous ! ordonna la reine, au valet, tandis que Marie de Surgères attendait debout.

Catherine de Médicis hocha plusieurs fois de la tête en exhalant un long soupir.

— Ce voyage m’a fatiguée, Ludovic. La goutte me torture et j’ai hâte de rentrer chez moi… Mais je me dois d’être au service de mon fils et du royaume… Je viens d’être prévenue de l’arrivée d’un plénipotentiaire de monseigneur de Navarre accompagné d’un de mes amis, M. de Montaigne. Je les recevrai ce soir. J’ai prévenu Flavio que je voulais demain un spectacle exceptionnel. À cette occasion, je veux (elle insista sur ce mot) que Mme Andreini apparaisse comme une véritable déesse. Vous qui la connaissez bien, conseillez-lui de se faire aussi belle et aussi charmante qu’elle le peut, car il faut que M. de Montaigne rapporte tant de louanges à Navarre que celui-ci n’ait plus qu’une envie : la connaître.

Venant du jardin, des rires et des applaudissements parvinrent soudain jusque dans la salle.

— Que se passe-t-il dehors, monsieur Gouffier ? demanda la reine.

— Il Magnifichino et Francesco Andreini improvisent la rencontre entre le capitaine Spavento et Scaramouche, Majesté.

— Allez voir ! ordonna Catherine de Médicis à Hélène, et dites-moi si je dois aller regarder.

La jeune femme s’approcha de la fenêtre aux petits carreaux en losange. Comme on y voyait mal à travers le verre dépoli, elle tenta d’ouvrir la croisée, mais ne put y parvenir.

— Allez donc à la loggia de l’oratoire ! fit la reine avec brusquerie.

La dernière pièce du logis neuf était l’oratoire d’Anne de Bretagne, une élégante salle gothique où la pierre était travaillée comme de la dentelle avec des formes d’hermine et de cordelière. Un petit balcon ouvrait sur le jardin.

La jeune fille s’y rendit et revint presque aussitôt.

— Je n’ai jamais rien vu d’aussi drôle, madame, vous devriez venir ! s’exclama-t-elle.

Les deux dames d’honneur aidèrent la reine à se lever tant elle avait de difficultés à bouger avec sa goutte. La soutenant, elles l’accompagnèrent sur la loggia en passant par un cabinet où la reine rangeait ses affaires privées.

Ludovic se trouva seul dans la salle. Comme le valet avait refermé la porte, les gentilshommes de la reine qui se trouvaient dans la pièce d’à côté ne pouvaient le voir.

Il aperçut alors, sur une table d’angle du cabinet, près d’une des fenêtres donnant sur le chemin de ronde, le coffret à flacons de Ruggieri qu’il avait vu à Paris. Pris d’une idée subite, il s’approcha. Et s’il prenait un flacon de poison ? se dit-il. Il ouvrit prestement le coffret et découvrit les flacons qu’il avait vus à l’hôtel de la reine. Lequel prendre ? se demanda-t-il. Le noir lui parut le plus sinistre. Il s’en saisit, le glissa dans son pourpoint et referma le coffret à l’instant où la reine revenait de l’oratoire.

— Vous auriez dû m’accompagner, Ludovic. C’était d’une drôlerie !

— Je le sais, madame, j’espère un jour atteindre le niveau de leur art.

— N’oubliez pas de parler à Isabella. Ne me décevez pas ! Hélène, raccompagnez-le !

Ludovic sortit en se disant que s’il pouvait faire absorber rapidement ce poison à Isabella, il serait sauvé et n’aurait pas à fuir…

Serrant précieusement le petit flacon noir au fond de sa poche, il quitta le château en réfléchissant sur la façon dont il allait s’y prendre. Il était bien sûr impossible de vider son contenu dans un verre lorsque les Gelosi dînaient, en revanche, empoisonner l’aiguière d’eau de la chambre des Andreini lui parut plus sûr.

Après réflexion, il jugea que ce n’était pas une bonne idée, car si Francesco se servait de l’aiguière, il mourrait et Isabella devinerait tout. À ce point de ses réflexions, il fut pris d’un doute. Et si le flacon ne contenait pas de poison ? Il se dit qu’il devait faire un essai sur un animal. Mais lequel ? S’il utilisait un chien, il risquait de ne pas avoir assez de produit, et on pourrait s’interroger en découvrant le cadavre de l’animal.

Il songea à une souris. Arrivé à l’auberge, il avisa un garçon d’écurie et lui demanda de lui attraper une souris ou un mulot, en justifiant qu’il en aurait besoin pour son spectacle. Le gamin, qui avait l’habitude de piéger les rongeurs dans le cellier, lui promit de lui en apporter un dans une des petites cages de bois qu’il utilisait.

Moins d’une heure plus tard, Isabella rentrait au Cheval noir en compagnie des deux autres comédiennes de la troupe, Maria, l’épouse de Pantalone, et Flaminia, la femme de Flavio. Elles y attendraient les autres comédiens pour dîner à l’auberge.

Depuis plusieurs jours, Isabella était préoccupée, et si elle ne parlait plus à Ludovic, ce n’était pas parce qu’elle se méfiait toujours de lui car, n’ayant rien découvert, ses soupçons s’étaient atténués. Non, la véritable raison de son angoisse portait sur l’enlèvement de cette femme à Montauban dont Gabriella lui avait parlé.

Pourtant, à ce moment-là, elle n’avait pas voulu s’y intéresser. Sans doute n’y croyait-elle pas jusqu’au jour où elle avait appris que Mme de Montpensier, souffrante, avait quitté Chenonceaux soi-disant pour rentrer à Paris. Elle s’était renseignée. La duchesse était, en réalité, partie par la route de Tours avec une troupe armée dirigée par un nommé Cabasset, capitaine du duc de Mayenne qui venait justement de revenir de Guyenne. Les voisins de Gabriella, logés à la Baiserie, les accompagnaient.

Étaient-ils partis pour Montauban enlever cette Cassandre ? Cela paraissait maintenant vraisemblable. Ne devait-elle pas en parler à la reine ? Mais porter une telle accusation contre la sœur du duc de Guise, avec pour seul témoin une personne qui n’était plus là était impossible. Elle serait accusée de diffamation. Devait-elle pour autant rester silencieuse ? Sa conscience s’y opposait, mais que faire d’autre ? Elle se sentait rongée par le remords et l’impuissance.

Elle traversa la cour de l’hôtellerie sans se rendre compte que Ludovic la regardait arriver de la fenêtre de sa chambre.

Un peu plus tôt, le garçon d’écurie lui avait apporté une souris dans sa cage. Sitôt seul, il avait trempé un morceau de paille dans le flacon noir et en avait frotté l’extrémité sur le museau du rongeur. Au bout de quelques secondes, l’animal s’était affaissé, mort. C’était bien du poison ! Ludovic avait ouvert la fenêtre et jeté le cadavre dans la cour.

C’est alors qu’il avait aperçu Isabella et ses deux amies qui revenaient du château.

Peut-être était-ce une occasion inespérée, se dit-il. Isabella allait sans doute dans sa chambre, elle serait seule, et il avait du poison.

Mais comment le lui faire absorber ? Il repensa à l’aiguière d’eau. Il avait le temps d’aller dans la chambre de la comédienne. Il savait parfaitement crocheter une serrure, surtout celles de cette hostellerie qui étaient d’une grande simplicité. Mais si elle ne buvait pas ?

Ne sachant que décider, et à la recherche d’une solution, son regard balaya sa chambre pour s’arrêter sur une coupe en terre emplie de pommes. Isabella adorait les pommes tandis que son mari ne les aimait pas. Ne pourrait-il pas empoisonner celles qui étaient là, et les déposer chez elle ?

Il revint à la fenêtre. Isabella était toujours dans la cour et parlait maintenant avec ses amies. Il se saisit de deux des pommes, parmi les plus belles, et les perça plusieurs fois près de la queue avec une grosse aiguille qu’il utilisait pour attacher son costume de scène, évidant le plus possible l’intérieur du trou. Ensuite, dans le creux, il fit couler une bonne partie du flacon. Les trous absorbèrent rapidement le liquide. Tout ceci n’avait pas pris deux minutes. En même temps, il jetait par moments un regard dans la cour. Isabella y était toujours. Quand le poison fut entièrement absorbé, il prit l’aiguille, les pommes et sortit. La chambre des Andreini était à deux portes de la sienne. Il tordit l’aiguille et l’introduisit dans la serrure, faisant rapidement basculer le pêne. Il entra. La première chose qu’il vit fut la coupe de pommes. Il en retira trois et plaça les deux siennes au-dessus, puis il ressortit. Des bruits de pas retentissaient déjà dans l’escalier de bois, faisant grincer les marches. N’ayant pas le temps de refermer, il se précipita chez lui.

Pendant ce temps, la souris, qui était tombée sur de la paille au pied de sa fenêtre, avait repris connaissance et détalé.

Dans la cour, Isabella avait demandé à ses deux amies si elles savaient où logeait M. Hauteville, car à force de tourner et de retourner son dilemme dans sa tête, elle avait songé à ce jeune homme avec qui elle avait plusieurs fois parlé et qui était l’ami du prévôt de la Cour. Elle s’était dit qu’elle pourrait lui raconter ce qu’avait entendu Gabriella, et lui demander conseil. Il l’écouterait et, s’il le jugeait utile, il en parlerait à son ami sans qu’elle soit incriminée.

Flaminia venait justement de lui dire qu’il logeait dans la même hostellerie qu’eux, à l’étage au-dessus. Elle l’avait vu le matin même. Isabella s’était donc renseignée auprès d’une servante de l’hôtellerie qui lui avait confirmé la présence d’Olivier Hauteville dans sa chambre.

Comme elle était avec ses amies, elle pouvait aller voir le jeune homme chez lui sans risquer sa réputation. Il lui suffirait de lui parler seule à seule, sous la surveillance à distance de celles-ci. Elle leur annonça son dessein, en le justifiant par une demande de renseignements sur la prochaine étape de la Cour, et leur demanda de l’accompagner, ce qu’elles acceptèrent avec plaisir, car Olivier était beau garçon et les deux comédiennes fort sensibles aux jeunes gens.

Seulement, comme elles avaient faim, elles se rendirent dans leur chambre chercher un fruit. Isabella fut surprise de trouver la porte de la sienne ouverte, mais elle se dit que son mari – ils avaient chacun une clef – avait dû oublier de fermer. Elle entra, prit deux pommes et rejoignit ses amies. Ensemble, elles montèrent à l’étage. Au palier, Isabella planta ses dents de nacre dans un fruit. La servante lui avait dit qu’Hauteville logeait à la troisième chambre. En marchant, elle avala sa bouchée, puis s’arrêta devant la porte et gratta à l’huis. À cet instant, elle s’écroula.

Entendant les hurlements provenant de l’étage au-dessus, Ludovic se précipita, le cœur battant. Quand il arriva dans la chambre d’Olivier Hauteville, Maria et Flaminia étaient autour du lit à rideaux où reposait Isabella, rigide, livide, morte. Les deux comédiennes sanglotaient. Olivier Hauteville, assis sur le lit, lui tenait les mains comme pour tenter de la ranimer.

— Que se passe-t-il ? s’enquit Ludovic en dissimulant sa joie.

— Cours chercher Flavio et Francesco, Ludovic ! Isabella a eu un malaise. Trouve aussi un médecin !

— Il faudrait des sels, proposa-t-il, pas pressé de partir.

— Inutile ! intervint Olivier, Mme Andreini ouvre les yeux ! Ce ne sera rien…

Isabella ouvrait en effet les yeux, et son premier regard tomba sur Olivier. Son sauveur, celui qui l’avait ramenée du pays des morts ! Elle ressentit la chaleur des mains qui tenaient les siennes et reprit vie.

Son cœur s’emplit brusquement d’un sentiment de reconnaissance et d’amour d’une force qu’elle n’avait jamais connue.

— Olivier… murmura-t-elle.

— Ludovic, qu’attends-tu ? Va vite chercher Flavio et Francesco ! cria Maria.

Ludovic était paralysé par la terreur. Elle vivait ! Le flacon ne contenait donc pas de poison ! Il devait fuir, vite !

— J’y vais, balbutia-t-il en sortant.

Dans le couloir, il aperçut les deux pommes et les ramassa. Il se précipita dans sa chambre, ouvrit sa malle, vida son contenu dans deux grands sacs de toile, jeta les pommes à l’intérieur, défit son pourpoint, détacha sa ceinture contenant sa fortune, sortit cent écus, se rhabilla, remplit ses poches des écus, mit son manteau, saisit toutes les couvertures de la chambre, prit son sac, ramassa une dague et un pistolet, et sortit en courant.

Bien que surpris de sa précipitation, le patron de l’écurie fit seller la jument hongre qu’il lui avait vendue sans poser de questions. Ludovic vida ses sacs dans les sacoches du second cheval. Vérifia l’équipement, attacha tout son matériel avec des sangles, paya et partit.

Passé la porte de la ville, il s’arrêta à une boulangerie dans le faubourg pour acheter un pain de seigle, puis mit ses chevaux au trot. Il fallait qu’il soit loin avant la nuit.

Dans la chambre, Isabella avait l’esprit complètement engourdi, envahi par une passion qui avait chassé tous les autres sentiments. Elle serait restée prostrée s’il n’y avait eu Olivier, l’homme qu’elle chérissait désormais le plus au monde.

La voyant ainsi affaiblie, le jeune homme se leva pour lui servir un verre de vin de Touraine qu’il avait fait monter. Il s’assit à nouveau sur le lit et la fit boire avec une grande douceur. Un peu de couleur revint sur les joues de la jeune femme.

— Que m’est-il arrivé ? demanda-t-elle.

— Tu as croqué dans la pomme, et tu es tombée, déclara Maria.

— La pomme ? Je ne me souviens plus… Mais… pourquoi suis-je là ?

— Je ne sais pas ! répondit Maria, debout, les mains sur les hanches. Tu nous as seulement dit que tu voulais parler à M. Hauteville. Nous t’avons accompagnée.

— Pourquoi ? demanda Isabella à Olivier.

Toujours assis sur le lit, il se mit à rire :

— Je l’ignore, madame ! Vous avez frappé à ma porte et quand j’ai ouvert, vous étiez couchée sur le plancher.

— Comme c’est étrange, dit-elle. Je ne me souviens de rien…

Elle se redressa et s’assit, balayant la pièce des yeux.

— Nous sommes à Loches… C’est ça…

Maria se mit à rire en approuvant.

— Tu nous as fait peur, tu sais !

— La mémoire me revient, dit Isabella en regardant béatement Olivier. C’est pour Gabriella… poursuivit-elle.

— Gabriella ? s’exclamèrent ensemble Maria et Flaminia, abasourdies.

— Je ne vous l’ai pas dit, mes amies, et je le regrette maintenant : Gabriella est vivante. Elle est venue me trouver à Chenonceaux.

— Que dis-tu ?

— Qui est Gabriella ? demanda Olivier, étonné.

— Une comédienne comme nous, que je croyais avoir tuée par accident. Je vous raconterai tout dans un instant, monsieur Hauteville.

Elle poursuivit à l’égard de ses deux amies :

— Gabriella est venue pour me mettre en garde. Elle a été soignée au château de monseigneur de Gonzague et a guéri… Il faut réunir la troupe, j’ai été folle de ne pas parler plus tôt. Le vice-podestat a découvert que le couteau de scène avait été truqué… Quelqu’un voulait que je tue Gabriella…

— Je ne comprends rien, dit Olivier, soudain sérieux.

— Je vais vous expliquer, monsieur Hauteville, c’est promis, lui sourit Isabella avec un long regard d’adoration qui surprit ses amies. Mais auparavant, laissez-moi vous répéter des paroles que Gabriella a surprises. Elle est restée quelques jours à Chenonceaux, ne sortant pas pour ne pas être reconnue, je vous dirai tout à l’heure pourquoi. Elle logeait dans une ferme éloignée où vivaient aussi quatre spadassins, reclus autant qu’elle.

Se souvenant de ce que Nicolas lui avait rapporté, Olivier devint brusquement très attentif.

— Quelle était cette ferme ?

— La Baiserie.

Un frisson glacial le parcourut.

— Continuez, madame, fit-il en maîtrisant le ton de sa voix.

— Un soir, une duchesse est venue en coche rencontrer les spadassins. Elle leur a annoncé qu’ils partaient pour Montauban enlever une femme.

— Quoi ! Quelle femme ? Son nom ! s’écria Olivier dans un râle, certain que ces hommes étaient ceux dont son ami lui avait parlé quelques jours plus tôt.

Il n’avait aucun doute : le manchot était Le Vert avec qui Cassandre s’était battue quand on avait attaqué sa maison, et il était allé à Montauban pour se venger !

— La duchesse a parlé de son frère, le duc de Mayenne, dit Isabella, décontenancée par l’attitude d’Olivier. Il s’agissait sans doute de Mme de Montpensier. Celle qu’elle voulait enlever s’appelait Cassandre de Mornay.

— Sang du Christ !

Il se leva brusquement, pâle comme un mort.

— Vous connaissez cette Cassandre ? s’inquiéta la comédienne.

— C’est la femme que j’aime, madame !

Sans attendre davantage, il saisit son manteau et partit comme un fou, sans s’expliquer ni saluer.

Il courut ainsi jusqu’au château, le cœur battant et l’esprit en désordre.

La sœur de Guise allait enlever Cassandre ! Celle qu’il aimait allait tomber entre les mains de Le Vert… Et tout ça s’était passé il y a douze jours ! C’était déjà trop tard !

Toujours courant, il ne put se retenir de sangloter.

C’est le visage plein de larmes qu’il arriva au donjon. Les gardes sur la barbacane, surpris de le voir en cet état, le laissèrent pourtant passer, puisqu’ils le connaissaient et qu’ils savaient qu’il travaillait pour le prévôt. Il courut au logis du gouverneur où on lui indiqua où était Nicolas. Celui-ci, dans une salle du premier étage, réglait les derniers problèmes de logement avec deux maréchaux des logis.

— Olivier ? Qu’as-tu ? s’inquiéta-t-il en voyant son ami dans cet état.

— Cassandre ! On va l’enlever ! C’est peut-être déjà fait !

Nicolas fit signe aux maréchaux de s’éloigner et prit son ami par le bras.

— Calme-toi : Que se passe-t-il ?

En mélangeant tout, dans un récit haché, Olivier raconta à peu près ce qu’Isabella avait dit. Malgré la confusion de l’histoire, Poulain comprit tout. Il avait désormais une explication à la présence de Le Vert et à la visite que lui avait faite la duchesse de Montpensier. Il devinait à quel point Cassandre pouvait être un otage puissant quand Navarre viendrait à la Cour.

— Je pars, Nicolas, je suis venu te le dire. Je vais à Montauban…

— Tu es fou ! Traverser la France en cette saison, en pleine guerre, tu n’as aucune chance !

— J’y vais, Nicolas ! Tu ne me feras pas changer d’avis. Elle a besoin de moi ! cria Olivier.

Nicolas resta un instant désemparé. Il devinait que son ami n’en démordrait pas. Pourtant, il ne pouvait le laisser partir ainsi… et s’il l’accompagnait ? Après tout, si Mme de Montpensier voulait nuire à Navarre, il lui serait plus facile d’agir en se lançant à sa poursuite.

Richelieu ne lui avait-il pas dit de faire au mieux pour le roi ?

— Je vais avec toi, Olivier, décida-t-il.

— Toi ? Mais tu ne peux pas !

— Je t’expliquerai plus tard. Moi aussi je dois empêcher Mme de Montpensier d’agir, laisse-moi seulement un couple d’heures. Je veux questionner Isabella, et ensuite j’aurai d’autres personnes à voir.

— Nous partirons aujourd’hui ?

— Oui, dans l’après-midi. Tu as raison, il n’y a pas une minute à perdre.

Au Cheval noir ils trouvèrent Isabella dans sa chambre avec Flavio, son mari et quelques autres Gelosi ; ceux qui avaient fui Mantoue. Isabella venait de leur révéler que Gabriella était vivante et de leur raconter sa visite.

À peine entré, et ignorant le regard surpris de Flavio, Nicolas se dirigea vers le lit d’Isabella.

— Madame, mon ami vient de me raconter ce que vous lui avez dit. Veuillez m’en refaire un récit très précis… Pouvez-vous nous laisser seuls un moment ? demanda-t-il aussi aux autres comédiens.

Francesco Andreini voulut protester mais Flavio le prit par le bras en lui murmurant quelques mots à l’oreille.

Seul avec Olivier et le prévôt, Isabella recommença son récit, mais cette fois d’un ton très froid. Poulain l’interrompit plusieurs fois pour lui demander des précisions, et elle répondit évasivement car, assura-t-elle, Gabriella ne lui avait pas donné de détails. Elle se souvenait pourtant que son amie lui avait dit que la duchesse rejoindrait d’abord son frère pour avoir des soldats.

— Tu entends, Olivier ? Cela signifie qu’ils n’ont pas beaucoup d’avance !

Il se tourna vers Isabella pour lui reprocher sévèrement :

— Vous auriez dû me parler de tout ça plus tôt, madame.

— Je n’avais aucune preuve, monsieur le Prévôt, et je ne suis qu’une comédienne, répliqua-t-elle avec froideur… Qui est cette Cassandre ? reprit-elle d’un ton sec.

— Je vous l’ai dit, madame, répondit Olivier, celle que j’aime et que je souhaite ardemment épouser.

— Si vous l’aimiez, vous seriez près d’elle ! lâcha-t-elle avec méchanceté.

— Je pars la rejoindre, madame. C’était pour me rapprocher d’elle que j’étais venu ici, se justifia-t-il, surpris.

Elle digéra la réponse, s’efforçant de cacher sa jalousie sous un masque inexpressif. Depuis la fin de son évanouissement, elle était dominée par une passion des plus violentes. Bien qu’elle mesurât l’égarement de son esprit, elle se jura d’empêcher Olivier de rejoindre cette femme. Pour cela, il fallait qu’elle en sache davantage…

— Pourquoi veut-on l’enlever ? s’enquit-elle.

— C’est la fille du surintendant du roi de Navarre, madame. M. de Mornay est le premier de ses ministres, répondit Nicolas.

À cet instant, on frappa et Flavio entra dans la chambre, les yeux fulminant de colère.

— Ludovic a fui ! aboya-t-il.

— Qui est Ludovic ? demanda Poulain.

— Ludovic Armani, un comédien de la troupe, lui répondit Olivier, il était avec nous tout à l’heure.

— Ludovic est un félon ! gronda Flavio. Je pars avec Francesco pour le rattraper.

— Attendez ! dit Poulain. Je ne sais pas ce que vous avez en tête, mais vous allez d’abord m’expliquer ce que vous voulez à ce Ludovic.

Francesco, qui venait d’entrer à son tour, résuma ce qui s’était passé à Mantoue, puis Isabella expliqua les raisons de la visite de Gabriella à Chenonceaux.

— Mais pourquoi ce Ludovic aurait-il monté une entreprise si tortueuse ? demanda Poulain, passablement incrédule après avoir écouté l’invraisemblable récit.

Olivier restait absent de la discussion, brûlant de vider les lieux.

— Je crois que Ludovic voulait nous contraindre à nous rendre à Paris, expliqua lentement Isabella. Je n’en ai pas la preuve, mais je pense qu’il était aux ordres de la reine.

— Mais dans quel dessein ?

— Que les Gelosi suivent la Cour, et que nous fassions une exceptionnelle représentation pour le roi de Navarre.

À ces derniers mots, Olivier devint attentif.

— La reine souhaitait que le roi de Navarre s’entretienne avec moi après cette représentation, que j’obtienne sa confiance, ajouta Isabella, d’un ton neutre.

— Tu ne m’en as jamais rien dit ! lui reprocha Francesco, en levant les sourcils.

— C’était inutile. Je n’aurais jamais rien fait que tu puisses me reprocher, mon ami, affirma-t-elle, avec un sourire sans joie. Je ne sais rien d’autre, mais je devine qu’il y a là derrière quelque obscure entreprise qui nous dépasse.

— J’en suis certain, madame, lui répondit Poulain, après un instant de réflexion. Je crains que beaucoup de gens ici en veuillent à monseigneur de Navarre.

Il se tourna vers Flavio.

— Il serait sage que vous quittiez la cour, au lieu de poursuivre ce Ludovic qui se fera prendre ailleurs un jour ou l’autre. Suivez mon conseil, rentrez à Paris.

— Je ferai ce que j’ai à faire, monsieur le Prévôt, répliqua sèchement Flavio.

Nicolas se rembrunit, puis haussa les épaules. Il ne se considérait déjà plus comme le prévôt de l’hôtel. Si les Gelosi s’entretuaient, cela ne le regardait plus. Désormais, seul comptait le roi de Navarre.

— Comme vous voulez. Viens, Olivier !

Ils sortirent. Si l’un d’eux s’était retourné, il aurait été effrayé par le regard d’Isabella.

— Allons dans ta chambre, tu apprêteras tes bagages, dit Nicolas quand ils furent dans la galerie qui desservait les chambres. J’irai préparer les miens et nous nous retrouverons à l’écurie où tu as tes chevaux.

— Que vas-tu faire ?

— J’ai des affaires à régler au donjon. Quand tu auras terminé, préviens Le Bègue de notre départ. Il continuera à faire son travail avec l’aide de mon lieutenant. Mais avant, j’ai à te parler…

Ils entrèrent dans la chambre d’Olivier. Nicolas ferma soigneusement la porte.

— J’ai une confession à te faire, mon ami. J’aurais dû te parler plus tôt, mais je repoussais toujours ce moment, pour ma sécurité comme pour la tienne…

Olivier ne comprenait pas où Nicolas Poulain voulait en venir, alors qu’ils auraient déjà dû être sur la route.

— … Quand je t’ai rencontré, quand Le Bègue est venu me demander de l’aide pour t’innocenter, j’étais sur le point de m’engager dans une dangereuse entreprise dont même mon épouse ne sait rien.

Un soupçon d’inquiétude traversa le visage d’Olivier.

— Je suis au service du grand prévôt et du roi, commença Nicolas, gauchement.

— Je sais, Nicolas, tu es aussi lieutenant du prévôt d’Île-de-France…

— C’est autre chose. Je suis… leur agent secret, avoua Poulain, mal à l’aise. Par fidélité envers le roi, je suis entré dans la Ligue parisienne, dans la Sainte Union…

C’est plus l’attitude embarrassée de son ami que ce qu’il confessait qui déconcerta Olivier. Nicolas était toujours incisif, autoritaire, sûr de lui. Ébahi, il ouvrit la bouche pour poser une question, puis se ravisa.

— C’est moi qui achète les armes des ligueurs. Pour le commissaire Louchart, pour M. de La Chapelle, pour le père Boucher, et même pour le duc de Guise, je suis des leurs…

— Toi ?

La confusion se fit dans l’esprit d’Olivier, puis il comprit que plusieurs des événements qu’il avait vécus avaient un tout autre sens que celui qu’il leur avait donné. Le silence s’installa entre les deux amis.

— Je suis désolé de ne pas t’en avoir parlé plus tôt, dit finalement Nicolas avec un sourire penaud.

La surprise fit alors place à la curiosité chez Olivier.

— Tu savais ce que préparait la Ligue, l’année dernière ? demanda-t-il sans qu’il y ait une ombre de reproche dans sa voix.

— Je suis en effet au plus près du conseil des seize, ce qui m’a permis de renseigner le roi sur ce qui se tramait contre lui.

— Tu es ici pour eux ?

— C’est le duc de Guise qui a demandé à la reine ma charge de prévôt de l’hôtel. Il voulait savoir ce que la reine préparait, et sans doute que je conduise l’enquête de telle sorte que sa famille reste hors de cause, si Navarre trouvait la mort à la Cour. En temps utile, je pense que la duchesse de Montpensier m’aurait donné ses ordres.

» Or, le roi craignait qu’un attentat se prépare contre son beau-frère durant ce voyage, aussi quand monsieur d’O et le grand prévôt de France ont su que je serais le prévôt de l’hôtel, ils m’ont ordonné de tout faire pour qu’il n’arrive rien à Henri de Bourbon.

— Mais Mme de Limeuil était aux ordres de la reine… pas des ligueurs…

— Sans doute parce que Catherine de Médicis veut aussi la disparition de monseigneur de Navarre. Maintenant que tu sais tout cela, es-tu certain que le meilleur moyen de prévenir le roi de Navarre soit d’aller à Montauban ? La Rochelle est bien plus près, et nous l’y trouverons plus facilement.

— Pour moi, Cassandre passe avant Navarre ! répliqua Olivier. C’est près d’elle que je veux être. Je dois la prévenir et, si c’est trop tard, la délivrer. Et puis, qu’apprendrions-nous à Navarre ? Crois-tu qu’il ne se méfie pas ? En revanche, si nous sauvons Cassandre, il n’y aura pas d’otage pour faire pression sur Mornay.

— Je m’incline, dit Nicolas. Tu devines, cependant, les dangers que nous aurons à affronter…

— Ils ne me font pas peur, et puis, avec toi, je ne risque rien ! plaisanta Olivier.

— J’aimerais, mon ami ! lâcha Nicolas avec un soupir. J’aimerais ! Je prierai ce soir pour nous, pour ma femme et pour mes enfants. Mais faisons comme convenu, nous nous retrouverons dans deux heures à l’écurie où tu as tes chevaux. Je vais voir Venetianelli qui doit être dans l’auberge, puis M. de Montpensier pour l’informer de mon départ. J’espère qu’il me défendra auprès de la reine. Je dois aussi préparer mes bagages et régler un dernier problème d’intendance pour le logement de M. de Montaigne.

— Il est ici ?

— Il vient d’arriver. Quand tu es venu me trouver, je venais d’apprendre que son logement était déjà occupé et je proposais qu’il s’installe à l’hostellerie de la Tonnellerie. La reine l’a fait venir, car les négociations piétinent et qu’il a la confiance de Navarre. Elle espère que le Béarnais l’écoutera plus facilement que M. de Rambouillet, son négociateur habituel.

— M. de Montaigne est venu chez moi au printemps.

— Tu le connais ? s’étonna Nicolas.

— Il m’a porté une lettre de Cassandre. Il arrivait de Nérac où il l’avait rencontrée. J’ai confiance en lui. Je vais aller le trouver pour lui dire ce que nous venons d’apprendre et je lui demanderai une lettre pour monsieur de Mornay, car nous aurons du mal à entrer dans Montauban avec nos passeports.

— C’est une bonne idée. Montaigne verra certainement Navarre avant nous et le préviendra aussi bien que si nous étions allés à La Rochelle.

— J’aimerais aussi dire au revoir à Mme de Limeuil, proposa Olivier.

— Cette fois c’est toi qui nous retardes ! dit Nicolas avec un sourire. Néanmoins, tu as raison, il est bon qu’elle connaisse notre départ. Ne lui donne pourtant pas trop de détails, je ne sais pas à quel point on peut lui faire confiance.

Venetianelli dînait dans la grande salle de l’auberge en compagnie d’une partie de la troupe des Gelosi. Flavio et Francesco n’y étaient pas. Nicolas Poulain lui fit signe qu’il voulait lui parler et le comédien le rejoignit dans la cour.

— Monsieur Venetianelli, lui dit Nicolas Poulain, je viens d’apprendre qu’il se trame autre chose contre le roi de Navarre. Je pars sur-le-champ, et je ne serai plus à la Cour dans les jours à venir. Je compte sur vous pour protéger le Béarnais, s’il vient.

— Où allez-vous ? Vous rentrez à Paris ?

— Non, nous allons à Montauban.

— Nous ? Avec qui ?

— Avec M. Hauteville.

— Seuls ?

— Seuls.

— C’est pure folie ! D’ici à Montauban, vous ne trouverez que peste et famine. Vous serez attaqués par des compagnies franches, par des brigands, par des loups, et même par des paysans affamés. Il y a le froid, la neige, les glaces… Vous n’arriverez jamais là-bas !

— Nous devons y aller, répondit sèchement Poulain.

— Comme vous voulez… dans ce cas, je vous accompagne.

— Vous ? Pourquoi viendriez-vous ?

— Si vous prenez tant de risques, c’est que vous avez de bonnes raisons. Après tout, j’ai aussi promis à M. de Richelieu de veiller sur Henri de Navarre ! répliqua le comédien.

— Vous risqueriez votre vie ?

— Je dois me racheter, dit-il simplement.

Poulain le regarda avec attention. Venetianelli se frottait les mains nerveusement, ce qui n’était pas dans ses habitudes.

— Je ne suis pas fier d’avoir tiré sur Mme de Limeuil, expliqua gauchement Il Magnifichino… Et puis, je m’ennuie ici, ajouta-t-il, avec un rire forcé.

Poulain ne savait que dire tant il ne s’attendait pas à ce discours.

— Je n’ai pas toujours été comédien, monsieur le Prévôt, poursuivit Venetianelli.

— Vous maniez bien la brette, en effet…

— Vous avez remarqué ? Je ne sais pas ce que vous voulez faire, mais ce doit être important pour le roi… J’aimerais rester au service de M. de Richelieu, et un exploit ne me serait pas inutile… Un exploit plus glorieux que celui de tirer la nuit sur une femme. Il pourrait aussi me reprocher d’être resté ici, alors que vous êtes parti.

Poulain devinait que c’était aussi l’attrait de l’aventure qui motivait le comédien. Mais une épée de plus serait bien utile dans un voyage si dangereux.

— Nous partons dans moins de deux heures. Rendez-vous avec arme et bagages à l’écurie dans la rue, dit-il.

— Je n’ai pas de cheval.

— Je vous en porterai un.

Olivier prépara rapidement tous ses bagages. Constatant que la sacoche de sa selle serait insuffisante pour le voyage, il se rendit chez un marchand où il en acheta deux autres. Il y rangea des couvertures et ses affaires puis il se rendit à l’hostellerie de la Tonnellerie, une auberge à la façade couverte de lierre située au bout de la Grande-Rue.

Il trouva Michel de Montaigne qui finissait de dîner dans la grande salle. Seul à sa table, il mangeait avec ses doigts un ragoût de lapin.

— Monsieur Hauteville ! s’exclama l’ancien maire de Bordeaux la bouche pleine. Êtes-vous avec la Cour ?

— Oui, monsieur, je tiens les registres des comptes de la prévôté de l’hôtel.

— Tenez-moi compagnie ! Comme vous le voyez je suis seul, je vais vous faire porter du vin !

— Merci, monsieur, mais je ne peux rester. J’ai appris par mon ami qui est le prévôt de l’hôtel…

— Monsieur Poulain ?

— Oui… que vous étiez là. Nous venons de découvrir une infâme entreprise qui se trame contre le roi de Navarre. Nous quittons la ville dans deux heures pour la déjouer.

Montaigne le dévisagea avec une évidente suspicion.

— Dites-m’en plus, demanda-t-il enfin.

— Mme de Montpensier est partie pour Montauban afin de saisir en otage mademoiselle de Mornay dont vous m’aviez porté une lettre. Nous devons rattraper la sœur du duc de Guise et l’empêcher de nuire.

Montaigne resta silencieux. Il prit avec les doigts un morceau de râble et commença à le dépecer soigneusement.

— Pourquoi Mme de Montpensier agirait-elle ainsi ? s’enquit-il enfin.

— Pour gouverner à sa guise M. de Mornay lors de l’entrevue.

Montaigne hocha du chef. Avec un tel otage, les Guise pourraient en effet peser dans les négociations à venir.

— Pourquoi êtes-vous venu me trouver ? demanda-t-il encore au bout d’un instant.

— Vous aurez certainement l’occasion de rencontrer Mgr de Navarre. Rapportez-lui ce que je viens de vous dire. Dites-lui aussi de se méfier des comédiens, des Gelosi. Qu’il ne reste jamais avec eux. Qu’il n’ait confiance en personne. Plusieurs partis ont prévu sa perte et ce projet de conférence n’est qu’un piège.

— Je le ferai, dit lentement Montaigne. Vous me paraissez bien informé… Vous partez donc avec M. Poulain ?

— Oui, monsieur.

— Seuls ?

— Oui, monsieur.

Montaigne secoua la tête négativement.

— Vous paraissez ignorer l’état du pays, mon garçon ! Vous n’arriverez jamais à Montauban.

— Je n’ai pas le choix, monsieur. Madame de Montpensier est partie il y a déjà deux semaines. Je viens juste d’apprendre qu’elle voulait enlever Cassandre.

— C’est sans doute trop tard.

— Elle voulait rejoindre son frère en Guyenne, cela lui aura fait faire un détour.

Montaigne grimaça. Il se méfiait malgré tout, même si ce garçon avait un accent de sincérité. Pourtant, aurait-il pu inventer une histoire si invraisemblable ?

— À Montauban, j’aurais peut-être du mal à entrer dans la ville. Me feriez-vous une lettre pour son gouverneur ?

— Je croyais que vous connaissiez M. de Mornay.

— Je l’ai rencontré dans des circonstances… difficiles.

— L’affaire des neuf cent mille livres ?

— Oui, monsieur.

— Vous voulez que je vous fasse confiance, mais vous taisez le plus important.

— Vous avez raison, monsieur… Voici l’histoire en quelques mots…

D’une seule traite, il raconta la fraude de Salvancy, la mort de son père, comment Cassandre s’était introduite chez lui, comment avec des gens du roi – qu’il ne nomma pas – il avait volé les quittances, et comment M. de Mornay les lui avait reprises. Sans mentionner le rôle de Poulain dans la Ligue, il parla du barbu manchot qui s’était introduit chez lui, et qui était maintenant avec Mme de Montpensier.

Ce ne pouvait être que la vérité, songea Montaigne quand il eut terminé, car personne – sauf peut-être un auteur de romans – n’aurait pu inventer une histoire aussi incroyable.

— Repassez dans deux heures, monsieur Hauteville, dit-il. J’aurai fait votre lettre.

Olivier repartit vers la rue aux Ours, une voie située entre l’enceinte et le château. À l’origine, c’était une rue réservée aux chanoines de la collégiale, aussi était-elle fermée par une porte fortifiée. Il savait que Mme Sardini logeait dans la maison de l’Argentier[65], et elle accepta de le recevoir immédiatement quand il eut expliqué au Suisse Hans que sa visite était très urgente.

Isabeau de Limeuil, toujours pâle et amaigrie, était assise sur une banquette, près de son lit, en compagnie de la dame d’atours qui s’occupait de l’habiller et de la pimplocher. Celle-ci, debout derrière elle, attachait des perles dans sa chevelure relevée en chignon. Isabeau était en noir, sans bijoux, avec un petit col de dentelle blanc comme seule parure. Pour la première fois, Olivier remarqua les fils blancs qui parsemaient sa chevelure. Il n’y avait plus rien en elle de l’ancienne amazone de l’escadron volant. Son époux lui avait écrit pour lui demander de rentrer à Paris et elle avait refusé. Elle voulait attendre la visite de Navarre pour enfin savoir, avec certitude, si son enfant était celui auquel elle pensait.

Olivier lui annonça qu’il partait avec Nicolas Poulain, qu’il voulait la saluer avant, et qu’il lui demandait un service. Il laissait à la Cour son commis et son valet, ainsi que son équipage. Pouvait-elle les aider durant le reste du voyage ? Ils n’auraient aucun protecteur en son absence.

Avant de répondre, elle l’interrogea pour connaître les raisons si subites de ce départ inattendu, surtout avec le prévôt de l’hôtel. Olivier ne voulait pas l’inquiéter. Ils avaient suffisamment souvent parlé de Cassandre pour savoir que Mme Sardini aimait bien la jeune fille. De surcroît, Nicolas lui avait demandé de ne rien dire.

— Nous avons surpris une entreprise que nous voulons déjouer, madame.

— Vous parlez par énigme. Où allez-vous ?

— Dans le Midi, madame.

Son visage s’assombrit.

— Si loin ? Avec la guerre ? J’espère que M. Poulain est accompagné d’une forte troupe.

— Seulement lui et moi, madame.

— Vous êtes déments ! Jusqu’où irez-vous ? s’exclama-t-elle en faisant signe à sa dame d’honneur de sortir.

— En Guyenne, madame.

Elle resta un moment à le scruter, cherchant des réponses sur son visage embarrassé. Que lui prenait-il de partir ainsi en Guyenne ?

— C’est votre idée, ou celle de votre ami ? demanda-t-elle enfin.

Il déglutit, se sentant piégé.

— C’est la mienne, madame. Nicolas a seulement la bonté de m’accompagner.

Elle blêmit un peu plus et son visage décharné laissa paraître son inquiétude, puis sa peur.

— C’est pour elle que vous partez ?

Olivier fut incapable de mentir.

— Oui, madame… Pour Cassandre.

Elle était en face de lui. Elle se leva et lui saisit les mains.

— Dites-moi la vérité ! Je vous en supplie !

Elle le serrait à lui faire mal. Il ne comprenait pas son émotion, et il en resta pantois. Qu’avait-elle ? Il bredouilla :

— Je viens d’apprendre qu’on veut l’enlever, madame…

— Quoi ?

Pétrifié de surprise, il vit le corps entier de Mme Sardini se raidir et son visage se contracter dans une affreuse laideur.

— Ses ravisseurs veulent en faire un otage, madame, lors de la venue de Navarre, expliqua-t-il.

Elle sentit la tête lui tourner et vacilla. Il parvint pourtant à la retenir, puis il l’aida à s’asseoir.

— Qu’avez-vous, madame ? Voulez-vous que j’appelle ?

— Non, ce ne sera rien… Ma blessure est parfois douloureuse.

Déjà, elle s’était ressaisie.

— Qui veut enlever mademoiselle de Mornay ? s’enquit-elle en maîtrisant sa voix.

— Nous ne sommes sûrs de rien, madame, quelqu’un a saisi une conversation… Ce serait Mme la Duchesse de Montpensier.

— La sœur de Guise ! Malédiction ! Si elle touche à un de ses cheveux, menaça-t-elle, les yeux fulminant de colère.

Après ce bref accès de rage, de nouveau elle parut perdre toute énergie.

— Je pourrais partir avec vous, proposa-t-elle, avec une expression désespérée, presque suppliante.

— Vous, madame ? Mais vous nous retarderiez…

Elle se força à se recomposer un visage impavide.

— Je suis stupide… Prenez Hans et Rudolf, alors.

Il secoua négativement la tête.

— Non, madame. Vous en aurez besoin. La Cour va entrer dans un territoire en guerre. Avec Nicolas, nous irons plus vite à deux. Il s’agit juste de prévenir mademoiselle de Mornay avant que Mme de Montpensier n’arrive…

Elle ne l’écoutait pas et elle murmura si bas qu’il ne put comprendre :

— Si près… et la perdre déjà…

— Que dites-vous ?

— Rien, monsieur. Soyez prudent, retrouvez-la… et vous aurez ma bénédiction. Maintenant, laissez-moi, je vous attendrai et je prendrai soin de vos gens. Votre commis aura toute l’aide possible de mon intendant.

Olivier repartit, l’esprit en plein désordre. Pourquoi Mme Sardini s’était-elle mise dans cet état inexplicable quand il lui avait parlé de Cassandre ?

Par privilège, la reine possédait le droit de joyeuse entrée dans la ville de Loches. Ce droit signifiait que les habitants devaient loger la Cour, participer aux dépenses, donner des cadeaux et offrir des réceptions. Ainsi un vin d’honneur devait être proposé aux fourriers qui réquisitionnaient les maisons et des gages devaient être versés aux huissiers d’armes, aux musiciens et au guet royal. Comme la joyeuse entrée était particulièrement ruineuse pour les habitants, les échevins cherchaient toujours à en contester les montants. C’est pourquoi Le Bègue en faisait une liste détaillée dans un mémoire qui serait ensuite retranscrit dans le registre des comptes.

Quand Olivier arriva, son commis travaillait avec d’autres employés d’écriture dans une petite salle mal éclairée, en bas du donjon, celle même où Philippe de Commynes avait été enfermé dans une cage de fer. Olivier lui demanda de le rejoindre dans le jardin et, s’étant mis à l’écart d’oreilles indiscrètes, il lui annonça son départ.

Le Bègue resta atterré, tant cette nouvelle était inattendue.

Olivier lui expliqua qu’il partait pour sauver Cassandre et lui remit cent écus qu’il avait préparés, la plus grande partie de l’argent qu’il possédait. Il ajouta qu’il pouvait engager un commis pour l’aider, que le lieutenant de Nicolas Poulain le confirmerait dans sa charge, et qu’il serait sous la protection de Mme Sardini. Il pourrait voyager avec elle et, en cas de besoin, se faire aider de son intendant.

Désemparé, le commis ne savait que dire. Très ému, Olivier l’accola, car Le Bègue était pour lui comme un père. Il ne voulut pourtant rien lui dire de plus sur son voyage, se doutant bien qu’on l’interrogerait. Il lui précisa seulement qu’il avait pris toutes ses précautions avant de quitter Paris. Sans nouvelles de lui, Le Bègue devrait se rendre à l’étude Fronsac, rue des Quatre-Fils, où on lui ferait part des volontés de son maître.

En effet, Olivier avait toujours pensé qu’il resterait près de M. de Mornay. Il avait donc laissé à l’étude notariale un acte donnant la jouissance de sa maison à son serviteur.

Pendant ce temps, Nicolas Poulain s’était rendu chez M. de Montpensier qui logeait dans l’une des plus remarquables maisons de la Grande-Rue dont la façade était ornée de niches abritant des statues. Le duc allait partir au château pour rencontrer la reine. Il reçut cependant le prévôt de l’hôtel quand celui-ci insista, en lui assurant qu’il n’en aurait que pour quelques minutes.

— Monsieur le Duc, commença Nicolas, je m’adresse humblement à vous sur le conseil de M. de Richelieu.

— Le grand prévôt ?

— Oui, monsieur le Duc. Avant de prendre ma charge, M. le Grand Prévôt m’a demandé d’agir au mieux des intérêts du roi.

Montpensier hocha la tête sans dire une parole.

— Je dois partir sur l’heure, abandonner ma charge, quitter la Cour, monsieur le Duc. Il s’agit d’une gravissime affaire mettant sans doute en jeu la vie et la personne du roi de Navarre…

— Peste ! Mon cousin…

— En effet, monsieur le Duc. C’est aussi pour cela que je m’adresse à vous. Je suis confus, mais je ne peux rien vous dire d’autre. Je vous demande seulement la grâce de défendre mon honneur auprès de la reine.

Montpensier fit quelques pas, à la fois hésitant et troublé par cette demande inattendue.

— Pourquoi ne pouvez-vous vous expliquer plus avant ? s’enquit-il en se passant la main gauche sur sa barbe comme pour la peigner.

— L’affaire terminée, je vous donne ma parole que je vous dirai tout.

Montpensier eut une grimace d’agacement avant de lâcher avec quelque condescendance :

— Vous conviendrez que, dans ces conditions, il m’est difficile de vous accorder ma confiance…

— Je le comprends, soupira Poulain après un instant d’hésitation. Je me fie donc à votre discrétion. Mme votre belle-mère a quitté la Cour le 12 octobre…

— Je le sais.

— Je viens d’apprendre qu’elle n’est pas partie pour Paris, mais qu’elle a rejoint son frère, le duc de Mayenne.

Un air incrédule se peignit sur le visage du duc.

— Je l’ignorais.

— Il doit lui donner un détachement de son armée. Elle a prévu d’aller ensuite à Montauban et, par ruse et trahison, d’enlever la fille de M. de Mornay. Elle aura ainsi un moyen de pression sur votre cousin, monseigneur de Navarre.

Le duc haïssait sa belle-mère. Qu’elle envisage de s’attaquer ainsi, par félonie, à un Bourbon, qui plus est le prochain roi, le hérissait.

— Rien ne doit arriver à mon cousin, monsieur le Prévôt, lâcha-t-il, les traits durs.

Poulain tomba à genoux.

— Sur ma vie, monseigneur, vous avez ma parole.

— Je dirai à la reine que c’est moi qui vous ai envoyé en mission. Avez-vous besoin d’autre chose ?

— Un laissez-passer me serait utile, monseigneur.

— Vous l’aurez, vous partez seul ?

— Non, monseigneur, avec deux amis.

— Accompagnez-moi !

Il se rendit dans sa chambre, au premier étage. En chemin, il demanda à un valet d’y envoyer son secrétaire.

Dans la chambre, le duc se dirigea vers un petit cabinet marqueté, ouvrit une porte avec une clef attachée à son cou et en sortit un sac de cuir.

— Voici cent écus pour vos frais.

On frappa. C’était le secrétaire.

— Pierre, remplissez un laissez-passer au nom de M. Poulain, prévôt de l’hôtel de la reine. Comment se nomment vos amis, monsieur le Prévôt ?

— Olivier Hauteville et Lorenzino Venetianelli.

Le secrétaire remplit le document et le tendit au duc qui le parapha, puis y apposa son cachet. Le serviteur ayant fait chauffer la cire sur un petit fourneau.

À l’écurie, Olivier et Lorenzino attendaient depuis un moment quand Poulain arriva avec un palefrenier qui menait deux chevaux supplémentaires. Le prévôt était casqué d’une bourguignotte et à sa taille pendait une lourde épée dalmate, une shiavone, qu’Olivier ne lui avait jamais vue. Il avait ses lourdes bottes ferrées et des gantelets de maille sur ses gants de cuir. Sous son manteau, il portait son corselet d’acier avec gorgerin. Un mousquet était attaché à sa selle.

— Il m’a fallu un peu plus de temps que prévu, s’excusa-t-il. J’apporte un peu d’équipement, ajouta-t-il en désignant l’un des chevaux que le valet avait laissés.

Il examina ses compagnons d’un œil critique.

— J’ai déjà une épée et un pistolet, dit Olivier.

— Et moi, j’ai une jaque de maille, fit Lorenzino, ainsi qu’une dague. Je n’ai pas pris mon épée en bois, sourit-il, mais j’ai le mousquet avec lequel j’ai tiré sur Mme Sardini.

Il l’avait posé à ses pieds.

Poulain détacha l’équipement porté par l’un de ses chevaux.

— Olivier, prends cette barbute et enfile ce bufletin cousu sur un corselet de fer. Voici une autre épée, plus solide. Et vous, Lorenzino, mettez ce plastron d’acier et coiffez ce bassinet. Il est un peu cabossé mais il vous protégera aussi bien qu’un neuf. Prenez aussi cette épée. J’ai aussi pour vous des arquebuses courtes.

— Comment as-tu eu tout cet équipement ? s’étonna Olivier.

— Je l’ai acheté, ainsi que du fourrage et des provisions avec les cent écus que m’a remis le Duc de Montpensier. Monsieur Venetianelli, vous monterez l’un de ces chevaux. L’autre est pour les bagages.

Tandis qu’ils prenaient la Grande-Rue en direction de la porte Poitevine dont on apercevait les mâchicoulis et les échauguettes, une vague de sentiments contradictoires envahissait Olivier ; un mélange d’excitation et d’angoisse. Sans savoir pourquoi, il lui revint la phrase avec laquelle Cassandre concluait ses lettres :

Mon cœur, si jamais vous m’avez fait cet honneur de m’aimer,

Il faut que vous me le montriez à cette heure.

Il allait le montrer !

La guerre des amoureuses
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