Jacques Brel

Les paroles de 142 chansons

A jeun

Paroles et Musique: Jacques Brel 1967 "Jacques Brel '67"

Parfaitement à jeun
Vous me voyez surpris
De n'pas trouver mon lit ici

Parfaitement à jeun
Je le vois qui recule
Je le vois qui bascule aussi

Guili guili guili

Viens-là mon petit lit
Si tu n'viens pas t'à moi
C'est pas moi qui irai t'à toi
Mais qui n'avance pas recule
Comme dit monsieur Dupneu
Un mec qui articule
Et qui est chef du contentieux

Parfaitement à jeun
Je reviens d'une belle fête
J'ai enterré Huguette ce matin

Parfaitement à jeun
J'ai fait semblant d'pleurer
Pour ne pas faire rater la fête

Z’étaient tous en noir
Les voisins les amis
Y avait qu'moi qui étais gris
Dans cette foire
Y avait beau-maman belle-papa
Z'avez pas vu Mirza?
Et puis monsieur Dupneu
Qui est chef du contentieux (x2)

Parfaitement à jeun
En enterrant ma femme
J'ai surtout enterré
La maîtresse d'André

Je n'l'ai su que c'matin
Et par un enfant d'chœur
Qui m' racontait qu' sa sœur ah ça sa sœur, ah! ça… (Disons qu’elle a profité de la vie…)
Haha… Enfin!
Il me reste deux solutions
Ou bien frapper André
Ou bien gnougnougnafier
La femme d'André
Sur son balcon
Ou bien rester chez moi
Feu-cocu mais joyeux
C'est ce que me conseille André
André, André Dupneu (x2)
Qu'est mon chef du contentieux

Parfaitement à jeun
Vous me voyez surpris
De ne pas trouver mon lit

Aldonza

Paroles: Jacques Brel. Musique: Mitch Leigh 1968

note: de la comédie musicale "L'homme de la Mancha "

Je suis née comme une chienne une nuit où il pleuvait
Je suis née et ma mère est partie en chantant
Et je ne sais rien d'elle que la haine que j'en ai
J'aurais dû venir au monde en mourant

Eh bien sûr, il y a mon père, on dit, on dit souvent
Que les filles gardent leur père au profond de leur cœur
Mais je n'ai pas su mon père, mon père était plusieurs
Car mon père était un régiment
Je ne peux même pas dire s'ils étaient andalous ou prussiens
Sont-ils morts vers le nord, sont-ils morts vers le sud?
Je n'en sais rien!

Une Dame, et comment veut-il que je sois une Dame?

J'ai grandi comme une chienne de carrefour en carrefour
J'ai grandi et trop tôt sur la paille des mules
De soldat en soldat, de crapule en crapule
J'ai connu les bienfaits de l'amour
Et je vis comme une bête, je fais ça comme on se mouche
Et je vis sans savoir ni pour qui ni pour quoi
Pour un sou je me lève, pour deux sous je me couche
Pour trois sous je fais n'importe quoi!
Si vous ne me croyez guère, pour trois sous venez voir le restant
De la plus folle des fiancées au plus crapuleux des brigands de la Terre

Mais chassez donc vos nuages et regardez-moi telle que je suis
Une Dame, une vraie Dame a une vertu, a une âme
Dieu de Dieu, de tous les pires salauds que j'ai connus
Vous qui parlez d'étoile, vous qui montrez le ciel
Vous êtes bien le plus infâme, le plus cruel
Frappez-moi, je préfère le fouet à vos chimères
Frappez-moi jusqu'au feu, jusqu'au sol, jusqu'à terre
Mais gardez votre tendresse, rendez-moi mon désespoir
Je suis née sur le fumier et j'y repars
Mais je vous en supplie, ne me parlez plus de Dulcinéa
Vous voyez bien que je ne suis rien, je ne suis qu'Aldonza la putain.

Amsterdam

Paroles et Musique: Jacques Brel 1964 "Olympia 64"

autres interprètes: Micelle Torr, Isabelle Boulay, Thierry Amiel (2003)

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui chantent
Les rêves qui les hantent
Au large d'Amsterdam
Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui dorment
Comme des oriflammes
Le long des berges mornes
Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui meurent
Pleins de bière et de drames
Aux premières lueurs
Mais dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui naissent
Dans la chaleur épaisse
Des langueurs océanes

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui mangent
Sur des nappes trop blanches
Des poissons ruisselants
Ils vous montrent des dents
A croquer la fortune
A décroisser la lune
A bouffer des haubans
Et ça sent la morue
Jusque dans le cœur des frites
Que leurs grosses mains invitent
A revenir en plus
Puis se lèvent en riant
Dans un bruit de tempête
Referment leur braguette
Et sortent en rotant

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui dansent
En se frottant la panse
Sur la panse des femmes
Et ils tournent et ils dansent
Comme des soleils crachés
Dans le son déchiré
D'un accordéon rance
Ils se tordent le cou
Pour mieux s'entendre rire
Jusqu'à ce que tout à coup
L'accordéon expire
Alors le geste grave
Alors le regard fier
Ils ramènent leur batave
Jusqu'en pleine lumière

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui boivent
Et qui boivent et reboivent
Et qui reboivent encore
Ils boivent à la santé
Des putains d'Amsterdam
De Hambourg ou d'ailleurs
Enfin ils boivent aux dames
Qui leur donnent leur joli corps
Qui leur donnent leur vertu
Pour une pièce en or
Et quand ils ont bien bu
Se plantent le nez au ciel
Se mouchent dans les étoiles
Et ils pissent comme je pleure
Sur les femmes infidèles
Dans le port d'Amsterdam
Dans le port d'Amsterdam.

Au printemps

Paroles et Musique: Jacques Brel 1958

Au printemps au printemps
Et mon cœur et ton cœur
Sont repeints au vin blanc
Au printemps au printemps
Les amants vont prier
Notre-Dame du bon temps
Au printemps
Pour une fleur un sourire un serment
Pour l'ombre d'un regard en riant

Toutes les filles
Vous donneront leurs baisers
Puis tous leurs espoirs
Vois tous ces cœurs
Comme des artichauts
Qui s'effeuillent en battant
Pour s'offrir aux badauds
Vois tous ces cœurs
Comme de gentils mégots
Qui s'enflamment en riant
Pour les filles du métro

Au printemps au printemps
Et mon cœur et ton cœur
Sont repeints au vin blanc
Au printemps au printemps
Les amants vont prier
Notre-Dame du bon temps
Au printemps
Pour une fleur un sourire un serment
Pour l'ombre d'un regard en riant

Tout Paris
Se changera en baisers
Parfois même en grand soir
Vois tout Paris
Se change en pâturage
Pour troupeaux d'amoureux
Aux bergères peu sages
Vois tout Paris
Joue la fête au village
Pour bénir au soleil
Ces nouveaux mariages

Au printemps au printemps
Et mon cœur et ton cœur
Sont repeints au vin blanc
Au printemps au printemps
Les amants vont prier
Notre-Dame du bon temps
Au printemps
Pour une fleur un sourire un serment
Pour l'ombre d'un regard en riant

Toute la Terre
Se changera en baisers
Qui parleront d'espoir
Vois ce miracle
Car c'est bien le dernier
Qui s'offre encore à nous
Sans avoir à l'appeler
Vois ce miracle
Qui devait arriver
C'est la première chance
La seule de l'année

Au printemps au printemps
Et mon cœur et ton cœur
Sont repeints au vin blanc
Au printemps au printemps
Les amants vont prier
Notre-Dame du bon temps
Au printemps

Au printemps
Au printemps

Au suivant

Paroles et Musique: Jacques Brel 1964

autres interprètes: -M- (2001)

Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagne
J'avais le rouge au front et le savon à la main
Au suivant, au suivant
J'avais juste vingt ans et nous étions cent vingt
A être le suivant de celui qu'on suivait
Au suivant, au suivant
J'avais juste vingt ans et je me déniaisais
Au bordel ambulant d'une armée en campagne
Au suivant, au suivant

Moi j'aurais bien aimé un peu plus de tendresse
Ou alors un sourire ou bien avoir le temps
Mais au suivant, au suivant
Ce n'fut pas Waterloo mais ce n'fut pas Arcole
Ce fut l'heure où l'on r'grette d'avoir manqué l'école
Au suivant, au suivant
Mais je jure que d'entendre cet adjudant d'mes fesses
C'est des coups à vous faire des armées d'impuissants
Au suivant, au suivant

Je jure sur la tête de ma première vérole
Que cette voix depuis je l'entends tout le temps
Au suivant, au suivant
Cette voix qui sentait l'ail et le mauvais alcool
C'est la voix des nations et c'est la voix du sang
Au suivant, au suivant
Et depuis chaque femme à l'heure de succomber
Entre mes bras trop maigres semble me murmurer:
"Au suivant, au suivant"

Tous les suivants du monde devraient s'donner la main
Voilà ce que la nuit je crie dans mon délire
Au suivant, au suivant
Et quand je n'délire pas, j'en arrive à me dire
Qu'il est plus humiliant d'être suivi que suivant
Au suivant, au suivant
Un jour je m'f'rai cul-de-jatte ou bonne sœur ou pendu
Enfin un d'ces machins où je n's'rai jamais plus
Le suivant, le suivant

Avec élégance

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, François Rauber 2003 "Brel infiniment"

note: inédit enregistré en 1977; note figurant sur la compilation de 2003 "chanson non aboutie que Jacques Brel et nous-mêmes désirions remanier, raison pour laquelle elles n’ont jamais été divulguées" (François Rauber, Gérard Jouannest)

Se sentir quelque peu Romain
Mais au temps de la décadence
Gratter sa mémoire à deux mains
Ne plus parler qu'à son silence
Et
Ne plus vouloir se faire aimer
Pour cause de trop peu d'importance
Etre désespéré
Mais avec élégance

Sentir la pente plus glissante
Qu'au temps où le corps était mince
Lire dans les yeux des ravissantes
Que cinquante ans, c'est la province
Et
Brûler sa jeunesse mourante
Mais faire celui qui s'en dispense
Etre désespéré
Mais avec élégance

Sortir pour traverser des bars
Où l'on est chaque fois le plus vieux
Y éclabousser de pourboires
Quelques barmans silencieux
Et
Grignoter des banalités
Avec des vieilles en puissance
Etre désespéré
Mais avec élégance

Savoir qu'on a toujours eu peur
Savoir son poids de lâcheté
Pouvoir se passer de bonheur
Savoir ne plus se pardonner
Et
N'avoir plus grand-chose à rêver
Mais écouter son cœur qui danse
Etre désespéré
Mais avec espérance

Bruxelles

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel amp; Gérard Jouannest 1962

C'était au temps où Bruxelles rêvait
C'était au temps du cinéma muet
C'était au temps où Bruxelles chantait
C'était au temps où Bruxelles bruxelait

Place de Broukère on voyait des vitrines
Avec des hommes des femmes en crinoline
Place de Broukère on voyait l'omnibus
Avec des femmes des messieurs en gibus
Et sur l'impériale
Le cœur dans les étoiles
Y avait mon grand-père
Y avait ma grand-mère
Il était militaire
Elle était fonctionnaire
Il pensait pas elle pensait rien
Et on voudrait qu'je sois malin

C'était au temps où Bruxelles chantait
C'était au temps du cinéma muet
C'était au temps où Bruxelles rêvait
C'était au temps où Bruxelles bruxelait

Sur les pavés de la place Sainte-Catherine
Dansaient les hommes les femmes en crinoline
Sur les pavés dansaient les omnibus
Avec des femmes des messieurs en gibus
Et sur l'impériale
Le cœur dans les étoiles
Y avait mon grand-père
Y avait ma grand-mère
Il avait su y faire
Elle l'avait laissé faire
Ils l'avaient donc fait tous les deux
Et on voudrait qu'je sois sérieux

C'était au temps où Bruxelles rêvait
C'était au temps du cinéma muet
C'était au temps où Bruxelles dansait
C'était au temps où Bruxelles bruxelait

Sous les lampions de la place Sainte-Justine
Chantaient les hommes les femmes en crinoline
Sous les lampions dansaient les omnibus
Avec des femmes des messieurs en gibus
Et sur l'impériale
Le cœur dans les étoiles
Y avait mon grand-père
Y avait ma grand-mère
Il attendait la guerre
Elle attendait mon père
Ils étaient gais comme le canal
Et on voudrait qu'j'aie le moral

C'était au temps où Bruxelles rêvait
C'était au temps du cinéma muet
C'était au temps où Bruxelles chantait
C'était au temps où Bruxelles bruxelait

C'est comme ça

Paroles et Musique: Jacques Brel 1955

Dans les campagnes y a les filles
Les filles qui vont chercher l'eau
A tire-larigot

Les filles font la file gentille
Et tout en parlant tout haut
Les filles font la file gentille
Et tout en parlant tout haut
Du feu et de l'eau

C'est comme ça depuis que le monde tourne
Y a rien à faire pour y changer
C'est comme ça depuis que le monde tourne
Et il vaut mieux ne pas y toucher

Près des filles y a les garçons
Les longs, les minces et les gras
Qui rigolent tout bas
Les noirs, les roses et les blonds
Qui parlent de leur papa
Les noirs, les roses et les blonds
Qui parlent de leur papa
Et des yeux doux d'Isa

Y a les garçons, y a les papas
Qui ont l'air graves et sévères
Et qui sentent la bière
Ils crient pour n'importe quoi
Et sortent le soir par derrière
Ils crient pour n'importe quoi
Et sortent le soir par derrière
Pour jouer au poker

C'est comme ça depuis que le monde tourne
Y a rien à faire pour y changer
C'est comme ça depuis que le monde tourne
Et il vaut mieux ne pas y toucher

Dans les cafés y a les copains
Et tous les verres qu'on boit à vide
Y a aussi les verres vides
Et les copains qu'on aime bien
Vous font rentrer à l'aube livide
Et les copains qu'on aime bien
Vous font rentrer à l'aube livide
Toutes les poches vides

Près des copains il y a la ville
La ville immense et inutile
Où je me fais de la bile
La ville avec ses plaisirs vils
Qui pue l'essence d'automobile
La ville avec ses plaisirs vils
Qui pue l'essence d'automobile
Ou la guerre civile

C'est comme ça depuis que le monde tourne
Y a rien à faire pour y changer
C'est comme ça depuis que le monde tourne
Et il vaut mieux ne pas y toucher

Près de la ville il y a la campagne
Où les filles brunes ou blondes
Dansent à la ronde
Et par la plaine par la montagne
Laissons-les fermer la ronde
Et par la plaine par la montagne
Laissons-les fermer la ronde
Des braves gens du monde

C'est comme ça depuis que le monde tourne
Y a rien à faire pour y changer
C'est comme ça depuis que le monde tourne
Et il vaut mieux ne pas y toucher
Et il vaut mieux ne pas y toucher
Et il vaut mieux ne pas y toucher

Casse-pompon

Paroles et Musique: Jacques Brel 1962

Mon ami est un type énorme
Il aime la trompette et le clairon
Tout en préférant le clairon
Qu'est une trompette en uniforme
Mon ami est une valeur sûre
Qui dit souvent, sans prétention
Qu'à la minceur des épluchures
On voit la grandeur des nations

Subséquemment, subséquemment
Subséquemment que j'comprends pas
Pourquoi souvent, ses compagnons
L'appellent
L'appellent
Caporal casse-pompon

Mon ami est un doux poète
Dans son jardin, quand vient l'été
Faut le voir planter ses mitraillettes
Ou bien creuser ses petites tranchées
Mon ami est homme plein d'humour
C’est lui, c’est lui qui a trouvé ce bon mot
Que je vous raconte à mon tour:
"Ich slaffen at si auuz wihr prellen zie"

Subséquemment, subséquemment
Subséquemment que j'comprends pas
Pourquoi souvent, ses compagnons
L'appellent
L'appellent
Caporal casse-pompon

Mon ami est un doux rêveur
Pour lui Paris, c'est une caserne
Et Berlin, un petit champ de fleurs
Qui va de Moscou à l'Auvergne
Son rêve: revoir Paris au printemps
Redéfiler à la tête de son groupe
En chantant comme tous les vingt-cinq ans:
"Baisse ta gaine Gretchen que je baise ta croupe (ein, zwei)"

Subséquemment, subséquemment
Subséquemment que nous ne comprenons
Comment nos amis les Franzosen
Ils osent, ils osent l'appeler
Caporal casse-pompon (ein, zwei)

Ces gens-là

Paroles et Musique: Jacques Brel 1966

autres interprètes: Ange (1977), Michel Delpech, Noir Désir (1998)

D’abord, d’abord, y a l’aîné
Lui qui est comme un melon
Lui qui a un gros nez
Lui qui sait plus son nom
Monsieur tellement qu'y boit
Tellement qu'il a bu
Qui fait rien de ses dix doigts
Mais lui qui n'en peut plus
Lui qui est complètement cuit
Et qui s'prend pour le roi
Qui se saoule toutes les nuits
Avec du mauvais vin
Mais qu'on retrouve matin
Dans l'église qui roupille
Raide comme une saillie
Blanc comme un cierge de Pâques
Et puis qui balbutie
Et qui a l'œil qui divague
Faut vous dire, Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne pense pas, Monsieur
On ne pense pas, on prie

Et puis, y a l'autre
Des carottes dans les cheveux
Qu'a jamais vu un peigne
Qu'est méchant comme une teigne
Même qu'il donnerait sa chemise
A des pauvres gens heureux
Qui a marié la Denise
Une fille de la ville
Enfin d'une autre ville
Et que c'est pas fini
Qui fait ses p'tites affaires
Avec son p'tit chapeau
Avec son p'tit manteau
Avec sa p'tite auto
Qu'aimerait bien avoir l'air
Mais qui a pas l'air du tout
Faut pas jouer les riches
Quand on n'a pas le sou
Faut vous dire, Monsieur
Que chez ces gens-là
On n'vit pas, Monsieur
On n'vit pas, on triche

Et puis, il y a les autres
La mère qui ne dit rien
Ou bien n'importe quoi
Et du soir au matin
Sous sa belle gueule d'apôtre
Et dans son cadre en bois
Y a la moustache du père
Qui est mort d'une glissade
Et qui r'garde son troupeau
Bouffer la soupe froide
Et ça fait des grands flchss
Et ça fait des grands flchss
Et puis y a la toute vieille
Qu'en finit pas d'vibrer
Et qu'on attend qu'elle crève
Vu qu'c'est elle qu'a l'oseille
Et qu'on n'écoute même pas
C'que ses pauvres mains racontent
Faut vous dire, Monsieur
Que chez ces gens-là
On n'cause pas, Monsieur
On n'cause pas, on compte

Et puis et puis
Et puis il y a Frida
Qui est belle comme un soleil
Et qui m'aime pareil
Que moi j'aime Frida
Même qu'on se dit souvent
Qu'on aura une maison
Avec des tas de fenêtres
Avec presque pas de murs
Et qu'on vivra dedans
Et qu'il fera bon y être
Et que si c'est pas sûr
C'est quand même peut-être
Parce que les autres veulent pas
Parce que les autres veulent pas
Les autres ils disent comme ça
Qu'elle est trop belle pour moi
Que je suis tout juste bon
A égorger les chats
J'ai jamais tué de chats
Ou alors y a longtemps
Ou bien j'ai oublié
Ou ils sentaient pas bon
Enfin ils ne veulent pas
Parfois quand on se voit
Semblant que c'est pas exprès
Avec ses yeux mouillants
Elle dit qu'elle partira
Elle dit qu'elle me suivra
Alors pour un instant
Pour un instant seulement
Alors moi je la crois, Monsieur
Pour un instant
Pour un instant seulement
Parce que chez ces gens-là
Monsieur, on ne s'en va pas
On ne s'en va pas, Monsieur
On ne s'en va pas
Mais il est tard, Monsieur
Il faut que je rentre chez moi.

Chanson sans paroles

Paroles et Musique: J. Brel/F Rauber 1962

J'aurais aimé ma belle
T'écrire une chanson
Sur cette mélodie
Rencontrée une nuit
J'aurais aimé ma belle
Rien qu'au point d'Alençon
T'écrire un long poème
T'écrire un long "je t'aime"

Je t'aurais dit "amour"
Je t'aurais dit "toujours"
Mais de mille façons
Mais par mille détours
Je t'aurais dit "partons"
Je t'aurais dit "brûlons
Brûlons de jour en jour
De saisons en saisons"

Mais le temps que s'allume
L'idée sur le papier
Le temps de prendre une plume
Le temps de la tailler
Mais le temps de me dire:
"Comment vais-je l'écrire?"
Et le temps est venu
Où tu ne m'aimais plus

{2x}

Clara

Paroles et Musique: Jacques Brel 1961

Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant
Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant

Carnaval à Rio
Tu peux toujours danser
Carnaval à Rio
Tu n'y peux rien changer
Je suis mort à Paris
Il y a longtemps déjà
Il y a longtemps d'ennui
Il y a longtemps de toi

Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant
Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant

Carnaval à Rio
Tu peux toujours chanter
Carnaval à Rio
Tu n'y peux rien changer
Je suis mort à Paris
Tombé au champ d'amour
Pour un prénom de fille
Qui m'avait dit toujours

Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant
Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant

Carnaval à Rio
Tu peux toujours tourner
Carnaval à Rio
Tu n'y peux rien changer
Je suis mort à Paris
De m'être trop trompé
De m'être trop meurtri
De m'être trop donné

Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant
Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant

Carnaval à Rio
Tu peux me bousculer
Carnaval à Rio
Tu n'y peux rien changer
Je suis mort à Paris
Fusillé par une fleur
Au poteau de son lit
De douze rires dans le cœur

Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant
Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant

Carnaval à Rio
Tu peux toujours crier
Carnaval à Rio
Tu n'y peux rien changer
Je suis mort à Paris
Il y a mille soirs
Il y a mille nuits
Il n'y a plus d'espoir

Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant
Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant

Carnaval à Rio
Tu peux bien me saouler
Carnaval à Rio
Tu n'y peux rien changer
Je suis mort à Paris
A Paris que j'enterre
Et depuis mille nuits
Dans le fond de mon verre

Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant
Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant

Carnaval à Rio
Tu peux carnavaler
Carnaval à Rio
Tu n'y peux rien changer
Je suis mort à Paris
Que la mort me console
La mort est par ici
La mort est espagnole

Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant
Je t'aimais tant, Clara
Je t'aimais tant

Comment tuer l'amant de sa femme…

Paroles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1968

note: Titre exact: "Comment tuer l'amant de sa femme quand on a été élevé comme moi dans la tradition"

Comment tuer l'amant de sa femme
Quand on a été comme moi élevé
Dans les traditions?
Comment tuer l'amant de sa femme
Quand on a été comme moi élevé
Dans la religion?
Il me faudrait du temps
Et du temps j'en ai pas.
Pour elle je travaille tout l'temps
La nuit je veille de nuit
Le jour je veille de jour
Le dimanche je fais des extras.
Et même si j'étais moins lâche
Je touve que ce serait dommage
De salir ma réputation.
Bien sûr je dors dans le garage.
Bien sûr il dort dans mon lit.
Bien sûr c'est moi qui fait l'ménage.
Mais qui n'a pas ses p'tits soucis?

Comment tuer l'amant de sa femme
Quand on a été comme moi élevé
Dans les traditions?
Il y a l'arsenic, ouais
C'est trop long.
Il y a le révolver
Mais c'est trop court.
Il y a l'amitié
C'est trop cher.
Il y a le mépris
C'est un péché.
Comment tuer l'amant d'sa femme
Quand on a reçu comme moi
La croix d'honneur
Chez les bonnes sœurs?
Comment tuer l'amant d'sa femme
Moi qui n'ose même pas
Le lui dire avec des fleurs?
Comme je n'ai pas l'courage
De l'insulter tout l'temps
Il dit que l'amour me rend lâche.
Comme il est en chômage
Il dit en me frappant
Que l'amour le rend imprévoyant.
Il croit que c'est amusant
Pour un homme qui a mon âge
Qui n'a plus de femme et onze enfants.
Bien sûr je leur fais la cuisine
Je bats les chiens et les tapis
Le soir je leur chante "Nuit de Chine".
Mais qui n'a pas ses p'tits soucis?

Pourquoi tuer l'amant d'sa femme
Puisque c'est à cause de moi
Qu'il est un peu vérolé?
Pourquoi tuer l'amant d'ma femme
Puisque c'est à cause de moi
Qu'il est pénicilliné?

De burgerij (Les Bourgeois)

Paroles: Jacques Brel, adap: Ernst van Altena. Musique: Jean Corti 1965 "J'arrive"

Dronken, dol en dwaas
Beet ik in mijn bier
Bij de dikke Siaam uit Monverland
Ik dronk een glas met Klaas
Ik dronk een glas met Peer
En sprong er aardig uit de band
Die klaas hij voelde zich een Dante
Die Peer wou Casanova zijn
En ik de superarrogante
Ik dacht dat ik mezelf kon zijn
En om twaalf uur als de burgertroep
Huisging uit hotel de Goudfazant
Dan scholden wij ze poep
En zongen vol vuur
pet in de hand

Burgerij, mannen van het jaar nul
Vette burgerklik
Vette vieze varkens
Burgerij tamme zwijnenspul
Al die burger is is een ouwe…

Dronken, dol en dwaas
Beet ik in mijn bier
Bij de dikke Siaam uit Monverland
Ik dronk een vat met Klaas
Ik dronk een fust met Peer
En sprong er heftig uit de band
Klaas Dante danste als mijn tante
En Casanova was te bang
Maar ik de superarrogante
Was zelfs voor mezelf niet bang

En om twaalf uur als de burgertroep
Huisging uit hotel de Goudfazant
Dan scholden wij ze poep
En zongen vol vuur
pet in de hand

Burgerij, mannen van het jaar nul
Vette burgerklik
Vette vieze varkens
Burgerij tamme zwijnenspul
Al die burger is is een ouwe…

Elk instinct dwaas
Zoek ik mijn vertier
's Avonds in hotel de Goudfazant
Met meester-facteur Klaas
En met notaris Peer bespreek ik daar de avondkrant

En Klaas citeert eens wat uit Dante
Of Peer haalt Casanova aan
En ik ik bleef de superarrogante
Ik haal nog steeds mijn eigen woorden aan

Maar gaan wij naar huis
Meneer de brigadier
Dan staat daar bij die Siaam uit Monverland
Een hele troep gespuis
Dronken van al het bier
Dat zingt dan van

Burgerij, mannen van het jaar nul
Vette burgerklik
Vette vieze varkens
Ja meneer de brigadier
Ja dat zijn ze
Burgerij tamme zwijnenspul
Al die burger is is een ouwe…

De nuttelozen van de nacht (Les paumés du petit matin)

Paroles: Jacques Brel, adapt: Ernst van Altena. Musique: François Rauber 1965 "J'arrive"

Ze ontwaken om een uur om vier
Ze ontbijten met een kleintje bier
Ze gaan uit omdat er thuis niets wacht
De nuttelozen van de nacht
Zij gedraagt zich arrogant omdat ze mooie borsten heeft
Hij is zeker en charmant omdat Papa hem centen geeft
Hun onmacht is hun hoogste macht
De nuttelozen van de nacht

Kom dans met mij
Vriendin, kom hier, vriendin, kom hier, kom Hier; nee, nee blijf!
Kom dans met mij, laat ons dansen lijf aan lijf

Ze braken zonder ziek te zijn
Ze braken zacht en zonder pijn
Ze nemen zich bedroefd de nacht
De nuttelozen van de nacht
Ze bespreken zonder end
De poezie die geen van hen kent
De romans die geen van hen schreef
De vrouw die bij geen van hen bleef
De grap waarom geen van hen om lacht
De nuttelozen van de nacht
Kom dans met mij
Vriendin, kom hier, vriendin, kom hier, kom hier; nee, nee blijf!
Kom dans met mij, laat ons dansen lijf aan lijf

In de liefde zijn ze zo berooid
't Was, 't was, ze was zo zacht
Ze was, ach, dat begrijp u nooit
De nuttelozen van de nacht
Ze nemen nog een laatste glas
Vertellen nog een laatste grap
En met een allerlaatste glas
De laatste dans
De laatste stap
Het laatste verdriet
De laatste klacht
De nuttelozen van de nacht

Kom, kom, kom huil met mij
Vriendin, kom hier, vriendin, kom hier, kom hier, nee blijf
Kom, kom huil met mij
Laat ons huilen lijf aan lijf
De nuttelozen van de nacht

Demain l'on se marie

Paroles et Musique: Jacques Brel 1958

Puisque demain l'on se marie
Apprenons la même chanson
Puisque demain s'ouvre la vie
Dis-moi ce que nous chanterons

Nous forcerons l'amour
A bercer notre vie
D'une chanson jolie
Qu'à deux nous chanterons
Nous forcerons l'amour
Si tu le veux, ma mie
A n'être de nos vies
Que l'humble forgeron

Puisque demain l'on se marie
Apprenons la même chanson
Puisque demain s'ouvre la vie
Dis-moi ce que nous y verrons

Nous forcerons nos yeux
A ne jamais rien voir
Que la chose jolie
Qui vit en chaque chose
Nous forcerons nos yeux
A n'être qu'un espoir
A deux nous offrirons
Comme on offre une rose

Puisque demain l'on se marie
Apprenons la même chanson
Puisque demain s'ouvre la vie
Dis-moi encore où nous irons

Nous forcerons les portes
Des pays d'orient
A s'ouvrir devant nous
Devant notre sourire
Nous forcerons, ma mie
Le sourire des gens
A n'être plus jamais
Une joie qui soupire

Puisque demain s'ouvre la vie
Ouvrons la porte à ces chansons
Puisque demain l'on se marie
Apprenons la même chanson

Dites, si c'était vrai

Paroles: Jacques Brel 1958

Dites, dites, si c'était vrai
S'il était né vraiment à Bethléem, dans une étable
Dites, si c'était vrai
Si les rois Mages étaient vraiment venus de loin, de fort loin
Pour lui porter l'or, la myrrhe, l'encens
Dites, si c'était vrai
Si c'était vrai tout ce qu'ils ont écrit Luc, Matthieu
Et les deux autres,
Dites, si c'était vrai
Si c'était vrai le coup des Noces de Cana
Et le coup de Lazare
Dites, si c'était vrai
Si c'était vrai ce qu'ils racontent les petits enfants
Le soir avant d'aller dormir
Vous savez bien, quand ils disent Notre Père, quand ils disent Notre Mère
Si c'était vrai tout cela
Je dirais oui
Oh, sûrement je dirais oui
Parce que c'est tellement beau tout cela
Quand on croit que c'est vrai.

Dors ma mie

Paroles et Musique: F. Rauber/J. Brel 1958

Dors ma mie
Dehors la nuit est noire
Dors ma mie bonsoir
Dors ma mie
C'est notre dernier soir
Dors ma mie bonsoir
Sur les fleurs qui ferment leurs paupières
Pleure la pluie légère
Et l'oiseau qui chantera l'aurore
Dors et rêve encor'
Ainsi demain déjà
Serai seul à nouveau
Et tu m'auras perdu
Rien qu'en me voulant trop
Tu m'auras gaspillé
A te vouloir bâtir
Un bonheur éternel
Ennuyeux à périr
Au lieu de te pencher
Vers moi tout simplement
Moi qui avais besoin
Si fort de ton printemps
Non les filles que l'on aime
Ne comprendront jamais
Qu'elles sont à chaque fois
Notre dernier muguet
Notre dernière chance
Notre dernier sursaut
Notre dernier départ notre dernier bateau
Dors ma mie
Dehors la nuit est noire
Dors ma mie bonsoir
Dors ma mie c'est notre dernier soir
Dors ma mie je pars

Fernand

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1965

Dire que Fernand est mort
Dire qu'il est mort Fernand
Dire que je suis seul derrière
Dire qu'il est seul devant
Lui dans sa dernière bière
Moi dans mon brouillard
Lui dans son corbillard
Moi dans mon désert
Devant y a qu'un cheval blanc
Derrière y a que moi qui pleure
Dire qu'a même pas de vent
Pour agiter mes fleurs
Moi si j'étais l'bon Dieu
Je crois qu'j'aurais des r'mords
Dire que maintenant il pleut
Dire que Fernand est mort

Dire qu'on traverse Paris
Dans le tout p'tit matin
Dire qu'on traverse Paris
Et qu'on dirait Berlin
Toi, toi, toi tu sais pas
Tu dors mais c'est triste à mourir
D'être obligé d'partir
Quand Paris dort encore
Moi je crève d'envie
De réveiller des gens
J't'inventerai une famille
Juste pour ton enterrement
Et puis si j'étais l'bon Dieu
Je crois qu'je serais pas fier
Je sais, on fait c'qu'on peut
Mais y a la manière

Tu sais, je reviendrai
Je reviendrai souvent
Dans ce putain de champ
Où tu dois t'reposer
L'été, j'te f'rai de l'ombre
On boira du silence
A la santé d'Constance
Qui s'en fout bien d'ton ombre
Et puis les adultes sont tellement cons
Qu'ils nous feront bien une guerre
Alors je viendrai pour de bon
Dormir dans ton cimetière
Et maintenant bon Dieu
Tu vas bien rigoler
Et maintenant bon Dieu
Et maintenant j'vais pleurer

Fils de…

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1967 "Jacques Brel '67"

Fils de bourgeois
Ou fils d'apôtres
Tous les enfants
Sont comme les vôtres
Fils de César
Ou fils de rien
Tous les enfants
Sont comme le tien
Le même sourire
Les mêmes larmes
Les mêmes alarmes
Les mêmes soupirs
Fils de César
Ou fils de rien
Tous les enfants
Sont comme le tien
Ce n'est qu'après
Longtemps après

Mais fils de sultan
Fils de fakir
Tous les enfants
Ont un empire
Sous voûtes d'or
Sous toit de chaumes
Tous les enfants
Ont un royaume
Un coin de vague
Une fleur qui tremble
Un oiseau mort
Qui leur ressemble
Fils de sultan
Fils de fakir
Tous les enfants
Ont un empire
Ce n'est qu'après
Longtemps après

Mais fils de ton fils
Ou fils d'étranger
Tous les enfants
Sont des sorciers
Fils de l'amour
Fils d'amourettes
Tous les enfants
Sont des poètes
Ils sont bergers
Ils sont rois mages
Font des nuages
Pour mieux voler
Mais fils de ton fils
Ou fils d'étranger
Tous les enfants
Sont des sorciers
Ce n'est qu'après
Longtemps après

Mais fils de bourgeois
Ou fils d'apôtres
Tous les enfants
Sont comme les vôtres
Fils de César
Ou fils de rien
Tous les enfants
Sont comme le tien
Le même sourire
Les mêmes larmes
Les mêmes alarmes
Les mêmes soupirs
Fils de César
Ou fils de rien
Tous les enfants
Sont comme le tien

Grand Jacques (C'est trop facile)

Paroles et Musique: Jacques Brel 1955

autres interprètes: Les Croquants (1999)

C'est trop facile d'entrer aux églises
De déverser toutes sa saleté
Face au curé qui dans la lumière grise
Ferme les yeux pour mieux nous pardonner

Tais-toi donc Grand Jacques
Que connais-tu du bon Dieu?
Un cantique une image
Tu n'en connais rien de mieux

C'est trop facile quand les guerres sont finies
D'aller gueuler que c'était la dernière
Amis bourgeois vous me faites envie
Vous ne voyez donc point vos cimetières

Tais-toi donc Grand Jacques
Laisse-les donc crier
Laisse-les pleurer de joie
Toi qui ne fus même pas soldat

C'est trop facile quand un amour se meurt
Qu'il craque en deux parce qu'on l'a trop plié
D'aller pleurer comme les hommes pleurent
Comme si l'amour durait l'éternité

Tais-toi donc Grand Jacques
Que connais-tu de l'amour?
Des yeux bleus des cheveux fous
Tu n'en connais rien du tout

Et dis-toi donc Grand Jacques {2x}
Dis-le-toi bien souvent
C’est trop facile
C’est trop facile
De faire semblant

Grand'Mère

Paroles et Musique: Jacques Brel 1966

Faut voir grand-mère
Grand-mère et sa poitrine
Grand-mère et ses usines
Et ses vingt secrétaires

Faut voir mère-grand
Diriger ses affaires
Elle vend des courants d'air
Déguisés en coups de vent

Faut voir grand-mère
Quand elle compte son magot
Ça fait des tas de zéros
Pointés comme son derrière

Mais pendant c'temps-là
Grand-père court après la bonne
En lui disant que l'argent
Ne fait pas le bonheur
Comment voulez-vous bonnes gens
Que nos bonnes bonnes
Et nos petits épargnants
Aient le sens des valeurs?

Faut voir grand-mère
C'est une tramontane
Qui fume le Havane
Et fait trembler la Terre

Faut voir grand-mère
Cerclée de généraux
Être culotte de peau
Et gagner leur guéguerre

Faut voir grand-mère
Dressée sous son chapeau
C'est Waterloo
Où s'rait pas venu Blücher

Mais pendant c'temps-là
Grand-père court après la bonne
En lui disant que l'armée
Elle bat l'beurre
Comment voulez-vous bonnes gens
Que nos bonnes bonnes
Et nos chers pioupious
Aient le sens des valeurs?

Faut voir grand-mère
S'assurer sur la mort
Un p'tit coup d'presbytère
Un p'tit coup de r'mords

Faut voir grand-mère
Et ses ligues de vertu
Ses anciens combattants
Ses anciens combattus

Faut voir grand-mère
Quand elle se croit pécheresse
Un grand verre de grand-messe
Et un doigt de couvent

Mais pendant c'temps-là
Grand-père court après la bonne
En lui disant que les curés
Sont farceurs
Comment voulez-vous bonnes gens
Que nos bonnes bonnes
Et nos petits incroyants
Aient le sens des valeurs?

Mais il faut voir grand-père
Dans les bistrots bavards
Où claquent les billards
Et les chopes de bière

Faut voir père-grand
Caresser les roseaux
Effeuiller les étangs
Et pleurer du Rimbaud

Faut voir grand-père
Dimanche finissant
Honteux et regrettant
D'avoir trompé grand-mère

Mais pendant c'temps-là
Grand-mère se tape la bonne
En lui disant que les hommes
Sont menteurs
Comment voulez-vous bonnes gens
Que nos bonnes bonnes
Et notre belle jeunesse
Aient le sens des valeurs?

Heureux

Paroles et Musique: Jacques Brel 1957

autres interprètes: Isabelle Aubret (1975)

Heureux qui chante pour l'enfant
Et qui sans jamais rien lui dire
Le guide au chemin triomphant
Heureux qui chante pour l'enfant
Heureux qui sanglote de joie
Pour s'être enfin donné d'amour
Ou pour un baiser que l'on boit
Heureux qui sanglote de joie

Heureux les amants séparés
Et qui ne savent pas encor'
Qu'ils vont demain se retrouver
Heureux les amants séparés
Heureux les amants épargnés
Et dont la force de vingt ans
Ne sert à rien qu'à bien s'aimer
Heureux les amants épargnés

Heureux les amants que nous sommes
Et qui demain loin l'un de l'autre
S'aimeront s'aimeront
Par-dessus les hommes

Il neige sur Liège

Paroles et Musique: Jacques Brel 1963

note: du film "Belgique vue du ciel"

Il neige il neige sur Liège
Et la neige sur Liège pour neiger met des gants
Il neige il neige sur Liège
Croissant noir de la Meuse sur le front d'un clown blanc
Il est brisé le cri
Des heures et des oiseaux
Des enfants à cerceaux
Et du noir et du gris
Il neige il neige sur Liège
Que le fleuve traverse sans bruit

Il neige il neige sur Liège
Et tant tourne la neige entre le ciel et Liège
Qu'on ne sait plus s'il neige s'il neige sur Liège
Ou si c'est Liège qui neige vers le ciel
Et la neige marie
Les amants débutants
Les amants promenant
Sur le carré blanchi
Il neige il neige sur Liège
Que le fleuve transporte sans bruit

Ce soir ce soir il neige sur mes rêves et sur Liège
Que le fleuve transperce sans bruit

Il nous faut regarder

Paroles et Musique: Jacques Brel 1954

autres interprètes: Barbara (1972)

Derrière la saleté
S'étalant devant nous
Derrière les yeux plissés
Et les visages mous
Au-delà de ces mains
Ouvertes ou fermées
Qui se tendent en vain
Ou qui sont poing levé
Plus loin que les frontières
Qui sont de barbelés
Plus loin que la misère
Il nous faut regarder

Il nous faut regarder
Ce qu'il y a de beau
Le ciel gris ou bleuté
Les filles au bord de l'eau
{x2}
L'ami qu'on sait fidèle
Le soleil de demain
Le vol d'une hirondelle
Le bateau qui revient

Par-delà le concert
Des sanglots et des pleurs
Et des cris de colère
Des hommes qui ont peur
Par-delà le vacarme
Des rues et des chantiers
Des sirènes d'alarme
Des jurons de charretier
Plus fort que les enfants
Qui racontent les guerres
Et plus fort que les grands
Qui nous les ont fait faire

Il nous faut écouter
L'oiseau au fond des bois
Le murmure de l'été
Le sang qui monte en soi
{x2}
Les berceuses des mères
Les prières des enfants
Et le bruit de la terre
Qui s'endort doucement

Il peut pleuvoir

Paroles: Jacques Brel. Musique: G. Powell 1955

{Refrain:}

Il peut pleuvoir
Sur les trottoirs
Des grands boulevards
Moi je m'en fiche
J'ai ma mie
Auprès de moi
Il peut pleuvoir
Sur les trottoirs
Des grands boulevards
Moi je m'en fiche
Car ma mie
C'est toi

Et au soleil là-haut
Qui nous tourne le dos
Dans son halo de nuages
Et au soleil là-haut
Qui nous tourne le dos
Moi je crie: "Bon voyage!"

{au Refrain}

Les flaques d'eau qui brillent
Sous les jambes des filles
Aux néons étincelants
Qui lancent dans la vie
Leur postillons de pluie
Je crie en rigolant:

{au Refrain}

Et aux gens qui s'en viennent
Et aux gens qui s'en vont
Jour et nuit tournez en rond
Et aux gens qui s'en viennent
Et aux gens qui s'en vont
Moi je crie à pleins poumons:

Y a plein d'espoir
Sur les trottoirs
Des grands boulevards
Et j'en suis riche
J'ai ma mie
Auprès de moi
Y a plein d'espoir
Sur les trottoirs
Des grands boulevards
Et j'en suis riche
Car ma mie
C'est toi
C'est toi!

Il pleut (Les carreaux)

Paroles: Jacques Brel. Musique: G. Powell 1955

Il pleut
C'est pas ma faute à moi
Les carreaux de l’usine
Sont toujours mal lavés
Il pleut
Les carreaux de l’usine
Y en beaucoup d'cassés

Les filles qui vont danser
Ne me regardent pas
Car elles s'en vont danser
Avec tous ceux-là
Qui savent leur payer
Pour pouvoir s'amuser
Des fleurs de papier
Ou de l'eau parfumée
Les filles qui vont danser
Ne me regardent pas
Car elles s'en vont danser
Avec tous ceux-là

Il pleut
C'est pas ma faute à moi
Les carreaux de l’usine
Sont toujours mal lavés
Les corridors crasseux
Sont les seuls que je vois
Les escaliers qui montent
Ils sont toujours pour moi
Mais quand je suis
Seul sous les toits
Avec le soleil
Avec les nuages
J'entends la rue pleurer
Je vois les cheminées
De la ville fumer
Doucement dans mon ciel à moi
La lune danse
Pour moi le soir
Elle danse danse
Elle danse danse
Et son haleine
Immense halo, me caresse
Le ciel est pour moi
Je m'y plonge le soir
Et j'y plonge ma peine

Il pleut
Et c'est ma faute à moi
Les carreaux de l’usine
Sont toujours mal lavés
Il pleut
Les carreaux de l’usine
Moi j'irai les casser

Il y a

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Lou Logist 1953

Il y a tant de brouillard dans les ports, au matin
Qu'il n'y a de filles dans le cœur des marins
Il y a tant de nuages qui voyagent là-haut
Qu'il n'y a d'oiseaux
Il y a tant de labours, il y a tant de semences
Qu'il n'y a de joie, d'espérance
Il y a tant de ruisseaux, il y a tant de rivières
Qu'il n'y a de cimetières

Mais il y a tant de bleu dans les yeux de ma mie
Il y a dans ses yeux tant de vie
Il y a dans ses cheveux un peu d'éternité
Sur sa lèvre tant de gaieté

Il y a tant de lumières dans les rues des cités
Qu'il n'y a d'enfants désolés
Il y a tant de chansons perdues dans le vent
Qu'il n'y a d'enfants
Il y a tant de vitraux, il y a tant de clochers
Qu'il n'y a de voix qui nous disent d'aimer
Il y a tant de canaux qui traversent la terre
Qu'il n'y a de rides au visage des mères

Mais il y a tant de bleu dans les yeux de ma mie
Il y a dans ses yeux tant de vie
Il y a dans ses cheveux un peu d'éternité
Sur sa lèvre tant, tant de gaieté.

Isabelle

Paroles et Musique: J. Brel/J. Brel-F. Rauber 1959

Quand Isabelle dort plus rien ne bouge
Quand Isabelle dort au berceau de sa joie
Sais-tu qu'elle vole la coquine
Les oasis du Sahara
Les poissons dorés de la Chine
Et les jardins de l'Alhambra
Quand Isabelle dort plus rien ne bouge
Quand Isabelle dort au berceau de sa joie
Elle vole les rêves et les jeux
D'une rose et d'un bouton d'or
Pour se les poser dans les yeux
Belle Isabelle quand elle dort

Quand Isabelle rit plus rien ne bouge
Quand Isabelle rit au berceau de sa joie
Sais-tu qu'elle vole la cruelle
Le rire des cascades sauvages
Qui remplacent les escarcelles
Des rois qui n'ont pas d'équipages
Quand Isabelle rit plus rien ne bouge
Quand Isabelle rit au berceau de sa joie
Elle vole les fenêtres de l'heure
Qui s'ouvrent sur le paradis
Pour se les poser dans le cœur
Belle Isabelle quand elle rit

Quand Isabelle chante plus rien ne bouge
Quand Isabelle chante au berceau de sa joie
Sais-tu qu'elle vole la dentelle
Tissée au cœur de rossignol
Et les baisers que les ombrelles
Empêchent de prendre leur vol
Quand Isabelle chante plus rien ne bouge
Quand Isabelle chante au berceau de sa joie
Elle vole le velours et la soie
Qu'offre la guitare à l'infante
Pour se les poser dans la voix
Belle Isabelle quand elle chante

J'aimais

Paroles et Musique: J. Brel/G. Jouannest/F. Rauber 1963

J'aimais les fées et les princesses
Qu'on me disait n'exister pas
J'aimais le feu et la tendresse
Tu vois je vous rêvais déjà

J'aimais les tours hautes et larges
Pour voir au large venir l'amour
J'aimais les tours de cœur de garde
Tu vois je vous guettais déjà

J'aimais le col ondoyant des vagues
Les saules nobles languissant vers moi
J'aimais la ligne tournante des algues
Tu vois je vous savais déjà

J'aimais courir jusqu'à tomber
J'aimais la nuit jusqu'au matin
Je n'aimais rien non j'ai adoré
Tu vois je vous aimais déjà

J'aimais l'été pour ses orages
Et pour la foudre sur le toit
J'aimais l'éclair sur ton visage
Tu vois je vous brûlais déjà

J'aimais la pluie noyant l'espace
Au long des brumes du pays plat
J'aimais la brume que le vent chasse
Tu vois je vous pleurais déjà

J'aimais la vigne et le houblon
Les villes du Nord les laides de nuit
Les fleuves profonds m'appelant au lit
Tu vois je vous oubliais déjà

J'arrive

Paroles et Musique: Jacques Brel 1968

autres interprètes: Juliette Gréco (1970)

De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Nos amitiés sont en partance
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
La mort potence nos dulcinées
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les autres fleurs font ce qu'elles peuvent
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les hommes pleurent, les femmes pleuvent

J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois traîner mes os
Jusqu'au soleil jusqu'à l'été
Jusqu’au printemps, jusqu’à demain
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois voir si le fleuve
Est encore fleuve, voir si le port
Est encore port, m'y voir encore
J'arrive, j'arrive
Mais pourquoi moi, pourquoi maintenant
Pourquoi déjà et où aller?
J'arrive bien sûr, j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver?

De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois plus solitaire
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois surnuméraire
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois prendre un amour
Comme on prend le train pour plus être seul
Pour être ailleurs pour être bien
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois remplir d'étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d'amour le cœur en cendres
J'arrive, j'arrive
C'est même pas toi qui es en avance
C'est déjà moi qui suis en r'tard
J'arrive, bien sûr j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver?

J'en appelle

Paroles et Musique: Jacques Brel 1957

J'en appelle aux maisons écrasées de lumière
J'en appelle aux amours que chantent les rivières
A l'éclatement bleu des matins de printemps
A la force jolie des filles qui ont vingt ans
A la fraîcheur certaine d'un vieux puits de désert
A l'étoile qu'attend le vieil homme qui se perd
Pour que monte de nous et plus fort qu'un désir
Le désir incroyable de se vouloir construire
En se désirant faible et plutôt qu'orgueilleux
En se désirant lâche plutôt que monstrueux

J'en appelle à ton rire que tu croques au soleil
J'en appelle à ton cri à nul autre pareil
Au silence joyeux qui parle doucement
A ces mots que l'on dit rien qu'en se regardant
A la pesante main de notre amour sincère
A nos vingt ans trouvés à tout ce qu'ils espèrent
Pour que monte de nous et plus fort qu'un désir
Le désir incroyable de se vouloir construire
En préférant plutôt que la gloire inutile
Et le bonheur profond et puis la joie tranquille

J'en appelle aux maisons écrasées de lumière
J'en appelle à ton cri à nul autre pareil

Jaurès

Paroles et Musique: Jacques Brel 1977

Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s'appelaient décembre
Quelle vie ont eu nos grand-parents
Entre l'absinthe et les grand-messes
Ils étaient vieux avant que d'être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laissent au visage un teint de cendres
Oui notre Monsieur, oui notre bon Maître

Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?

On ne peut pas dire qu'ils furent esclaves
De là à dire qu'ils ont vécu
Lorsque l'on part aussi vaincu
C'est dur de sortir de l'enclave
Et pourtant l'espoir fleurissait
Dans les rêves qui montaient aux cieux
Des quelques ceux qui refusaient
De ramper jusqu'à la vieillesse
Oui notre bon Maître, oui notre Monsieur

Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?

Si par malheur ils survivaient
C'était pour partir à la guerre
C'était pour finir à la guerre
Aux ordres de quelque sabreur
Qui exigeait du bout des lèvres
Qu'ils aillent ouvrir au champ d'horreur
Leurs vingt ans qui n'avaient pu naître
Et ils mouraient à pleine peur
Tout miséreux oui notre bon Maître
Couverts de prèles oui notre Monsieur
Demandez-vous belle jeunesse
Le temps de l'ombre d'un souvenir
Le temps de souffle d'un soupir

Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?

Je ne sais pas

Paroles et Musique: Jacques Brel 1958

autres interprètes: Isabelle Aubret (1975)

Je ne sais pas pourquoi la pluie
Quitte là-haut ses oripeaux
Que sont les lourds nuages gris
Pour se coucher sur nos coteaux
Je ne sais pas pourquoi le vent
S'amuse dans les matins clairs
A colporter les rires d'enfants
Carillons frêles de l'hiver
Je ne sais rien de tout cela
Mais je sais que je t'aime encore

Je ne sais pas pourquoi la route
Qui me pousse vers la cité
A l'odeur fade des déroutes
De peuplier en peuplier
Je ne sais pas pourquoi le voile
Du brouillard glacé qui m'escorte
Me fait penser aux cathédrales
Où l'on prie pour les amours mortes
Je ne sais rien de tout cela
Mais je sais que je t'aime encore

Je ne sais pas pourquoi la ville
M'ouvre ses remparts de faubourgs
Pour me laisser glisser fragile
Sous la pluie parmi ses amours
Je ne sais pas pourquoi ces gens
Pour mieux célébrer ma défaite
Pour mieux suivre l'enterrement
Ont le nez collé aux fenêtres
Je ne sais rien de tout cela
Mais je sais que je t'aime encore

Je ne sais pas pourquoi ces rues
S'ouvrent devant moi une à une
Vierges et froides, froides et nues
Rien que mes pas et pas de lune
Je ne sais pas pourquoi la nuit
Jouant de moi comme guitare
M'a forcé à venir ici
Pour pleurer devant cette gare
Je ne sais rien de tout cela
Mais je sais que je t'aime encore

Je ne sais pas à quelle heure part
Ce triste train pour Amsterdam
Qu'un couple doit prendre ce soir
Un couple dont tu es la femme
Et je ne sais pas pour quel port
Part d'Amsterdam ce grand navire
Qui brise mon cœur et mon corps
Notre amour et mon avenir
Je ne sais rien de tout cela
Mais je sais que je t'aime encore
Mais je sais que je t'aime encore

Je prendrai

1958

Je prendrai
Dans les yeux d'un ami
Ce qu'il y a de plus chaud,de plus beau
Et de plus tendre aussi
Qu'on ne voit que deux ou trois fois
Durant toute une vie
Et qui fait que cet ami est notre ami

Je prendrai
Un nuage de ma jeunesse
Qui passait rond et blanc
Par-dessus ma tête et souvent
Et qui aux jours de faiblesse
Ressemblait à ma mère
Et aux jours de colère à un lion
Un beau nuage douillet et rond et confortable

Je prendrai
Ce ruisseau clair et frêle d'avril
Qui disparaît aux premiers froids
Qui disparaît tout l'hiver
Et coule alors paraît-il sur la table des Noces de Cana

Je prendrai
Ma lampe, ma meilleure
Pas celle qui éclaire
Non, celle qui illumine
Et rend joli et appelle de loin

Je prendrai
Un lit, un grand, le mien
Et qui sait ce que c'est qu'un homme
Et son chagrin
Un grand lit d'être humain

Je prendrai tout cela
Et puis je bâtirai
Je bâtirai et j'appellerai les gens
Qui passeront dans la rue
Et je leur montrerai
Ma crèche de Noël

Je suis un soir d'été

Paroles et Musique: Jacques Brel 1968

Et la sous-préfecture
Fête la sous-préfète
Sous le lustre à facettes
Il pleut des orangeades
Et des champagnes tièdes
Et des propos glacés
Des femelles maussades
De fonctionnarisés
Je suis un soir d'été

Aux fenêtres ouvertes
Les dîneurs familiaux
Repoussent leurs assiettes
Et disent qu'il fait chaud
Les hommes lancent des rots
De chevaliers teutons
Les nappes tombent en miettes
Par-dessus les balcons
Je suis un soir d'été

Aux terrasses brouillées
Quelques buveurs humides
Parlent de haridelles
Et de vieilles perfides
C'est l'heure où les bretelles
Soutiennent le présent
Des passants répandus
Et des alcoolisants
Je suis un soir d'été

De lourdes amoureuses
Aux odeurs de cuisine
Promènent leur poitrine
Sur les flancs de la Meuse
Il leur manque un soldat
Pour que l'été ripaille
Et monte vaille que vaille
Jusqu'en haut de leurs bas
Je suis un soir d'été

Aux fontaines les vieux
Bardés de références
Rebroussent leur enfance
A petits pas pluvieux
Ils rient de toute une dent
Pour croquer le silence
Autour des filles qui dansent
A la mort d'un printemps
Je suis un soir d'été

La chaleur se vertèbre
Il fleuve des ivresses
L'été a ses grand-messes
Et la nuit les célèbre
La ville aux quatre vents
Clignote le remords
Inutile et passant
De n'être pas un port
Je suis un soir d'été

Je t'aime

Paroles et Musique: F. Bauber, J. Brel 1959

Pour la rosée qui tremble au calice des fleurs
De n'être pas aimée et ressemble à ton cœur
Je t'aime
Pour le doigt de la pluie au clavecin de l'étang
Jouant page de lune et ressemble à ton chant
Je t'aime
Pour l'aube qui balance sur le fil d'horizon
Lumineuse et fragile et ressemble à ton front
Je t'aime

Pour l'aurore légère qu'un oiseau fait frémir
En la battant de l'aile et ressemble à ton rire
Je t'aime
Pour le jour qui se lève et dentelle le bois
Au point de la lumière et ressemble à ta joie
Je t'aime
Pour le jour qui revient d'une nuit sans amour
Et ressemble déjà, ressemble à ton retour
Je t'aime
Pour la porte qui s'ouvre, pour le cri qui jaillit
Ensemble de deux cœurs et ressemble à ce cri
Je t’aime
Je t’aime
Je t’aime

Jef

Paroles et Musique: Jacques Brel 1964

Non, Jef, t'es pas tout seul
Mais arrête de pleurer
Comme ça devant tout l’monde
Parce qu'une demi-vieille
Parce qu'une fausse blonde
T'a relaissé tomber
Non, Jef, t'es pas tout seul
Mais tu sais qu’tu m’fais honte
A sangloter comme ça
Bêtement devant tout l’monde
Parce qu'une trois quarts putain
T'a claqué dans les mains
Non, Jef, t'es pas tout seul
Mais tu fais honte à voir
Les gens se paient not’ tête
Foutons l’camp de c’trottoir
Viens, Jef, viens, viens, viens!

{Refrain:}

Viens, il me reste trois sous
On va aller s’les boire
Chez la mère Françoise
Viens, Jef, viens
Viens, il me reste trois sous
Et si c'est pas assez
Ben il m’restera l'ardoise
Puis on ira manger
Des moules et puis des frites
Des frites et puis des moules
Et du vin de Moselle
Et si t'es encore triste
On ira voir les filles
Chez la madame Andrée
Paraît qu’y en a d’nouvelles
On r’chantera comme avant
On s’ra bien tous les deux
Comme quand on était jeunes
Comme quand c'était le temps
Que j’avais d’l’argent

Non, Jef, t'es pas tout seul
Mais arrête tes grimaces
Soulève tes cent kilos
Fais bouger ta carcasse
Je sais qu’t’as le cœur gros
Mais il faut le soulever, Jef
Non Jef t'es pas tout seul
Mais arrête de sangloter
Arrête de te répandre
Arrête de répéter
Qu’t’es bon à t’ outre à l’eau
Qu’t'es bon à te pendre
Non, Jef, t'es pas tout seul
Mais c'est plus un trottoir
Ça d’vient un cinéma
Où les gens viennent te voir
Viens, Jef, allez viens, viens!

{Refrain:}

Viens, il me reste ma guitare
Je l'allumerai pour toi
Et on s’ra espagnols
Jef, viens, viens
Comme quand on était mômes
Même que j'aimais pas ça
T'imiteras l’rossignol
Jef,
Puis on s’trouvera un banc
On parlera d’l’Amérique
Où c'est qu'on va aller, tu sais
Quand on aura du fric
Jef, viens
Et si t'es encore triste
Ou rien qu’si t’en as l’air
J’te raconterai comment
Tu d’viendras Rockefeller
On s’ra bien tous les deux
On r’chantera comme avant
Comme quand on était beaux
Jef,
Comme quand c'était l’temps
D'avant qu'on soit poivrots

Allez viens Jef, viens
Ouais! Ouais, Jef, ouais, viens!

Jojo

Paroles et Musique: Jacques Brel 1977

Jojo
Voici donc quelques rires
Quelques vins, quelques blondes
J'ai plaisir à te dire
Que la nuit sera longue
A devenir demain
Jojo
Moi je t'entends rugir
Quelques chansons marines
Où des Bretons devinent
Que Saint-Cast doit dormir
Tout au fond du brouillard

Six pieds sous terre
Jojo
Tu chantes encore
Six pieds sous terre
Tu n’es pas mort

Jojo
Ce soir comme chaque soir
Nous refaisons nos guerres
Tu reprends Saint-Nazaire
Je refais l'Olympia
Au fond du cimetière
Jojo
Nous parlons en silence
D'une jeunesse vieille
Nous savons tous les deux
Que le monde sommeille
Par manque d'imprudence

Six pieds sous terre
Jojo
Tu chantes encore
Six pieds sous terre
Tu n’es pas mort

Jojo
Tu me donnes en riant
Des nouvelles d'en bas
Je te dis: "Mort aux cons!"
Bien plus cons que toi
Mais qui sont mieux portants
Jojo
Tu sais le nom des fleurs
Tu vois que mes mains tremblent
Et je te sais qui pleure
Pour noyer de pudeur
Mes pauvres lieux communs

Six pieds sous terre
Jojo
Tu chantes encore
Six pieds sous terre
Tu n’es pas mort

Jojo.
Je te quitte au matin
Pour de vagues besognes
Parmi quelques ivrognes
Des amputés du cœur
Qui ont trop ouvert les mains
Jojo
Je ne rentre plus nulle part
Je m'habille de nos rêves
Orphelin jusqu'aux lèvres
Mais heureux de savoir
Que je te viens déjà

Six pieds sous terre
Jojo
Tu n'es pas mort
Six pieds sous terre
Jojo
Je t'aime encore

Knokke-le-Zoute tango

Paroles et Musique: Jacques Brel 1977 "Barclay"

note: Extrait de la comédie musicale "Vilebrequin".

Les soirs où je suis Argentin
Je m'offre quelques Argentines
Quitte à cueillir dans les vitrines
Des jolis quartiers d'Amsterdam
Des lianes qui auraient ce teint de femme
Qu'exportent vos cités latines
Ces soirs-là je les veux félines
Avec un rien de brillantine
Collée au "ceveu" de la langue
Elles seraient fraîches comme des mangues
Et compenseraient leur maladresse
À coups de poitrine et de fesses

Mais ce soir
Y a pas d'Argentines
Y a pas d'espoir
Y a pas d'doute
Non ce soir
Il pleut sur Knokke-le-Zoute
Ce soir comme tous les soirs
Je me rentre chez moi
Le cœur en déroute
Et la bite sous l'bras

Les soirs où je suis Espagnol
Petites fesses, grande bagnole
Elles passent toutes à la casserole
Quitte à pourchasser dans Hambourg
Des Carmencitas de faubourg
Qui nous reviennent de vérole
Je me les veux fraîches et joyeuses
Bonnes travailleuses sans parlotes
Mi-Andalouses, mi-anguleuses
De ces femelles qu'on gestapote
Parce qu'elles ne savent pas encore
Que Franco est tout à fait mort

Mais ce soir
Y a pas d'Espagnoles
Y a pas de casseroles
Y a pas d'doute
Non ce soir
Il pleut sur Knokke-le-Zoute
Ce soir comme tous les soirs
Je me rentre chez moi
Le cœur en déroute
Et la bite sous l'bras

Les soirs où je suis Caracas
Je Panama, je Partagas
Je suis l'plus beau
Je pars en chasse
Je glisse de palace en palace
Pour y dénicher le gros lot
Qui n'attend que mon coup de grâce
Je la veux folle comme un travelo
Découverte de vieux rideaux
Mais cependant t-évanescente
Elle m'attendrait depuis toujours
Cerclée de serpents et de plantes
Parmi les livres de Dutourd

Mais ce soir
Y a pas de Caracas
Y a pas de t-évanescentes
Y a pas d'doute
Mais ce soir
Il pleut sur Knokke-le-Zoute
Ce soir comme tous les soirs
Je me rentre chez moi
Le cœur en déroute
Et la bite sous l'bras

Demain oui
Peut être que…
Peut être que demain je serai Argentin… oui
Je m'offrirai des Argentines
Quitte à cueillir dans les vitrines
Des jolis quartiers d'Amsterdam
Des lianes qui auraient ce teint de femme
Qu'exportent vos cités latines
Demain je les voudrai félines
Avec ce rien de brillantine
Collée aux cheveux de la langue
Elles seront fraîches comme des mangues
Et compenseront leur maladresse
À coups de poitrine et de fesses

Demain je serai Espagnol
Petites fesses, grande bagnole
Elles passeront toutes à la casserole
Quitte à pourchasser dans Hambourg
Des Carmencitas de faubourg
Qui nous reviendront de vérole
Je les voudrai fraîches et joyeuses
Bonnes travailleuses, sans parlotte
Mi-Andalouses, mi-anguleuses
De ces femelles qu'on gestapote
Parce qu'elles ne savent pas encore
Que Franco est tout à fait mort

Les soirs depuis Caracas
Je Panama, je Partagas
Je suis l'plus beau
Je pars en chasse
Je glisse de palace en palace
Pour y dénicher le gros lot
Qui n'attend que mon coup de grâce
Je la veux folle comme un travelo
Découverte de vieux rideaux
Mais cependant t-évanescente
Elle m'attendrait depuis toujours
Cerclée de serpents et de plantes
Parmi les livres de Dutourd

L'âge idiot

Paroles: Jacques Brel 1966 "Jef"

L'âge idiot, c'est à vingt fleurs
Quand le ventre brûle de faim
Qu'on croit se laver le cœur
Rien qu'en se lavant les mains
Qu'on a les yeux plus grands qu'le ventre
Qu'on a les yeux plus grands qu'le cœur
Qu'on a le cœur encore trop tendre
Qu'on a les yeux encore pleins d'fleurs
Mais qu'on sent bon les champs de luzerne
L'odeur des tambours mal battus
Qu'on sent les clairons refroidis
Et les lits de petite vertu
Et qu'on s'endort toutes les nuits
Dans les casernes

L'âge idiot, c'est à trente fleurs
Quand le ventre prend naissance
Quand le ventre prend puissance
Qu'il vous grignote le cœur
Quand les yeux se font plus lourds
Quand les yeux marquent les heures
Eux qui savent qu'à trente fleurs
Commence le compte à rebours
Qu'on r'jette les vieux dans leur caverne
Qu'on offre à Dieu des bonnets d'âne
Mais que le soir on s'allume des feux
En frottant deux cœurs de femmes
Et qu'on regrette déjà un peu
Le temps des casernes

L'âge idiot c'est soixante fleurs
Quand le ventre se ballotte
Quand le ventre ventripote
Qu'il vous a bouffé le cœur
Quand les yeux n'ont plus de larmes
Quand les yeux tombent en neige
Quand les yeux perdent leurs pièges
Quand les yeux rendent les armes
Qu'on se ressent de ses amours
Mais qu'on se sent des patiences
Pour des vieilles sur le retour
Ou des trop jeunes en partance
Et qu'on se croit protégé
Par les casernes

L'âge d'or c'est quand on meurt
Qu'on se couche sous son ventre
Qu'on se cache sous son ventre
Les mains protégeant le cœur
Qu'on a les yeux enfin ouverts
Mais qu'on ne se regarde plus
Qu'on regarde la lumière
Et ses nuages pendus
L'âge d'or c'est après l'enfer
C'est après l'âge d'argent
On redevient petit enfant
Dedans le ventre de la terre
L'âge d'or c'est quand on dort
Dans sa dernière caserne

L'air de la bêtise

Paroles et Musique: Jacques Brel 1957

Extrait du célèbre opéra "La vie quotidienne"

Voici l’air fameux z-entre tous: L'air de la bêtise

Mère des gens sans inquiétude
Mère de ceux que l'on dit forts
Mère des saintes habitudes
Princesse des gens sans remords
Salut à toi, dame Bêtise
Toi dont le règne est méconnu
Salut à toi, Dame Bêtise
Mais dis-le moi, comment fais-tu
Pour avoir tant d'amants
Et tant de fiancés
Tant de représentants
Et tant de prisonniers
Pour tisser de tes mains
Tant de malentendus
Et faire croire aux crétins
Que nous sommes vaincus
Pour fleurir notre vie
De basses révérences
De mesquines envies
De noble intolérance
De mesquines envies
De noble intolérance
De mesquines envies
De noble intolérance

Mère de nos femmes fatales
Mère des mariages de raison
Mère des filles à succursales
Princesse pâle du vison
Salut à toi, Dame Bêtise
Toi dont le règne est méconnu
Salut à toi, Dame Bêtise
Mais dis moi, comment fais-tu
Pour que point l'on ne voie
Le sourire entendu
Qui fera de vous et moi
De très nobles cocus
Pour nous faire oublier
Que les putains, les vraies
Sont celles qui font payer
Pas avant, mais après
Pour qu'il puisse m'arriver
De croiser certains soirs
Ton regard familier
Au fond de mon miroir
Ton regard familier
Au fond de mon miroir
Ton regard familier
Au fond de mon miroir.

L'amour est mort

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest 2003 "Brel infiniment"

note: inédit enregistré en 1977; note figurant sur la compilation de 2003 "chanson non aboutie que Jacques Brel et nous-mêmes désirions remanier, raison pour laquelle elles n’ont jamais été divulguées" (François Rauber, Gérard Jouannest)

Ils n'ont plus rien à se maudire
Ils se perforent en silence
La haine est devenue leur science
Les cris sont devenus leurs rires
L'amour est mort, l'amour est vide
Il a rejoint les goélands
La grande maison est livide
Les portes claquent à tout moment

Ils ont oublié qu'il y a peu
Strasbourg traversé en riant
Leur avait semblé bien moins grand
Qu'une grande place de banlieue
Ils ont oublié les sourires
Qu'ils déposaient tout autour d'eux
Quand je te parlais d'amoureux
C'est ceux-là que j'aimais décrire

Vers midi s'ouvrent les soirées
Qu'ébrèchent quelques sonneries
C'est toujours la même bergerie
Mais les brebis sont enragées
Il rêve à d'anciennes maîtresses
Elle s'invente son prochain amant
Ils ne voient plus dans leurs enfants
Que les défauts que l'autre y laisse

Ils ont oublié le beau temps
Où le petit jour souriait
Quand il lui récitait Hamlet
Nu comme un ver et en allemand
Ils ont oublié qu'ils vivaient
A deux, ils brûlaient mille vies
Quand je disais "belle folie"
C'est de ces deux que je parlais

Le piano n'est plus qu'un meuble
La cuisine pleure quelques sandwichs
Et eux ressemblent à deux derviches
Qui toupient dans le même immeuble
Elle a oublié qu'elle chantait
Il a oublié qu'elle chantait
Ils assassinent leurs nuitées
En lisant des livres fermés

Ils ont oublié qu'autrefois
Ils naviguaient de fête en fête
Quitte à s'inventer à tue-tête
Des fêtes qui n'existaient pas
Ils ont oublié les vertus
De la famine et de la bise
Quand ils dormaient dans deux valises
Et, mais nous, ma belle
Comment vas-tu?
Comment vas-tu?

L'aventure

Paroles et Musique: Jacques Brel 1958

L'aventure commence à l'aurore
A l'aurore de chaque matin
L'aventure commence alors
Que la lumière nous lave les mains

L'aventure commence à l'aurore
Et l'aurore nous guide en chemin
L'aventure c'est le trésor
Que l'on découvre à chaque matin

Pour Martin c'est le fer sur l'enclume
Pour César le vin qui chantera
Pour Yvon c'est la mer qu'il écume
C'est le jour qui s'allume
C'est le blé que l'on bat

L'aventure commence à l'aurore
A l'aurore de chaque matin
L'aventure commence alors
Que la lumière nous lave les mains

Tout ce que l'on cherche à redécouvrir
Fleurit chaque jour au coin de nos vies
La grande aventure il faut la cueillir
Entre notre église et notre mairie
Entre la barrière du grand-père Machin
Et le bois joli de monsieur l'Baron
Et entre la vigne de notre voisin
Et le doux sourire de la Madelon
La Madelon

L'aventure commence à l'aurore
A l'aurore de chaque matin
L'aventure commence alors
Que la lumière nous lave les mains
L'aventure commence à l'aurore
Et l'aurore nous guide en chemin
L'aventure, c'est le trésor
Que l'on découvre à chaque matin

Pour Martin c'est le fer sur l'enclume
Pour César le vin qui chantera
Pour Yvon c'est la mer qu'il écume
C'est le jour qui s'allume
C'est le blé que l'on bat

L'aventure commence à l'aurore
A l'aurore de chaque matin
L'aventure commence alors
Que la lumière nous lave les mains

Tous ceux que l'on cherche à pouvoir aimer
Sont auprès de nous et à chaque instant
Dans le creux des rues, dans l'ombre des prés
Au bout du chemin, au milieu des champs
Debout dans le vent et semant le blé
Pliés vers le sol, saluant la terre
Assis près des vieux et tressant l'osier
Couchés au soleil, buvant la lumière
Dans la lumière

L'aventure commence à l'aurore
A l'aurore de chaque matin
L'aventure commence alors
Que la lumière nous lave les mains
L'aventure commence à l'aurore
Et l'aurore nous guide en chemin
L'aventure c'est le trésor
Que l'on découvre à chaque matin

Pour Martin c'est le fer sur l'enclume
Pour César le vin qui chantera
Pour Yvon c'est la mer qu'il écume
C'est le jour qui s'allume
C'est le blé que l'on bat

L'aventure commence à l'aurore
Et l'aurore nous guide en chemin
L'aventure c'est le trésor
Que l'on découvre à chaque matin
Matin

L'éclusier

Paroles et Musique: Jacques Brel 1968

Les mariniers
Me voient vieillir
Je vois vieillir
Les mariniers
On joue au jeu
Des imbéciles
Où l'immobile
Est le plus vieux
Dans mon métier
Même en été
Faut voyager
Les yeux fermés.

Ce n'est pas rien d'être éclusier

Les mariniers
Savent ma trogne
Ils me plaisantent
Et ils ont tort
Moitié sorcier
Moitié ivrogne
Je jette un sort
À tout c'qui chante
Dans mon métier
C'est en automne
Qu'on cueille les pommes
Et les noyés

Ce n'est pas rien d'être éclusier

Dans son panier
Un enfant louche
Pour voir la mouche
Qui est sur son nez
Maman ronronne
Le temps soupire
Le chou transpire
Le feu ronchonne
Dans mon métier
C'est en hiver
Qu'on pense au père
Qui s'est noyé

Ce n'est pas rien d'être éclusier

Vers le printemps
Les marinières
M'font des manières
De leur chaland
J'aimerais leur jeu
Sans cette guerre
Qui m'a un peu
Trop abimé
Dans mon métier
C'est au printemps
Qu'on prend le temps
De se noyer

L'enfance

Paroles et Musique: Jacques Brel 1973

note: Chanson du film "Le Far West".

L'enfance
Qui peut nous dire quand c’est fini
Qui peut nous dire quand ça commence
C'est rien avec de l'imprudence
C'est tout ce qui n'est pas écrit

L'enfance
Qui nous empêche de la vivre
De la revivre infiniment
De vivre à remonter le temps
De déchirer la fin du livre

L'enfance
Qui se dépose sur nos rides
Pour faire de nous de vieux enfants
Nous revoilà jeunes amants
Le cœur est plein, la tête est vide
L'enfance
L'enfance

L'enfance
C'est encore le droit de rêver
Et le droit de rêver encore
Mon père était un chercheur d'or
L'ennui c'est qu'il en a trouvé

L'enfance
Il est midi tous les quarts d'heure
Il est jeudi tous les matins
Les adultes sont déserteurs
Tous les bourgeois sont des Indiens

L'enfance
L'enfance

{+ couplet isolé:}

Si les parents savaient l'enfance
Si les moindres amants savaient
Si par chance ils savaient l'enfance
Il n'y aurait plus d'enfants jamais.

L'homme dans la cité

Paroles et Musique: Jacques Brel 1958

Pourvu que nous vienne un homme
Aux portes de la cité
Que l'amour soit son royaume
Et l'espoir son invité
Et qu'il soit pareil aux arbres
Que mon père avait plantés
Fiers et nobles comme soir d'été
Et que les rires d'enfants
Qui lui tintent dans la tête
L'éclaboussent de reflets de fête

Pourvu que nous vienne un homme
Aux portes de la cité
Que son regard soit un psaume
Fait de soleils éclatés
Qu'il ne s'agenouille pas
Devant tout l'or d'un seigneur
Mais parfois pour cueillir une fleur
Et qu'il chasse de la main
A jamais et pour toujours
Les solutions qui seraient sans amour

Pourvu que nous vienne un homme
Aux portes de la cité
Et qui ne soit pas un baume
Mais une force, une clarté
Et que sa colère soit juste
Jeune et belle comme l'orage
Qu'il ne soit jamais ni vieux ni sage
Et qu'il rechasse du temple
L'écrivain sans opinion
Marchand de riens
Marchand d'émotions

Pourvu que nous vienne un homme
Aux portes de la cité
Avant que les autres hommes
Qui vivent dans la cité
Humiliés, l'espoir meurtri
Et lourds de leur colère froide
Ne dressent au creux des nuits
De nouvelles barricades

L'ivrogne

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest, F. Rauber 1960

{Refrain:}

Ami, remplis mon verre
Encore un et je vas
Encore un et je vais
Non, je ne pleure pas
Je chante et je suis gai
Mais j'ai mal d'être moi
Ami, remplis mon verre
Ami, remplis mon verre

Buvons à ta santé
Toi qui sais si bien dire
Que tout peut s'arranger
Qu'elle va revenir
Tant pis si tu es menteur
Tavernier sans tendresse
Je serai saoul dans une heure
Je serai sans tristesse

Buvons à la santé
Des amis et des rires
Que je vais retrouver
Qui vont me revenir
Tant pis si ces seigneurs
Me laissent à terre
Je serai saoul dans une heure
Je serai sans colère

{au Refrain}

Buvons à ma santé
Que l'on boive avec moi
Que l'on vienne danser
Qu'on partage ma joie
Tant pis si les danseurs
Me laissent sous la lune
Je serai saoul dans une heure
Je serai sans rancune

Buvons aux jeunes filles
Qu'il me reste à aimer
Buvons déjà aux filles
Que je vais faire pleurer
Et tant pis pour les fleurs
Qu'elles me refuseront
Je serai saoul dans une heure
Je serai sans passion

{au Refrain}

Buvons à la putain
Qui m'a tordu le cœur
Buvons à plein chagrin
Buvons à pleines pleurs
Et tant pis pour les pleurs
Qui me pleuvent ce soir
Je serai saoul dans une heure
Je serai sans mémoire

Buvons nuit après nuit
Puisque je serai trop laid
Pour la moindre Sylvie
Pour le moindre regret
Buvons puisqu'il est l'heure
Buvons rien que pour boire
Je serai bien dans une heure
Je serai sans espoir

{Refrain:}

Ami, remplis mon verre
Encore un et je vas
Encore un et je vais
Non, je ne pleure pas
Je chante et je suis gai
Tout s'arrange déjà
Ami, remplis mon verre
Ami, remplis mon verre
Ami, remplis mon verre

L'Ostendaise

Paroles: Jacques Brel. Musique: F. Rauber 1968

Une Ostendaise
Pleure sur sa chaise
Le chat soupèse
Son poids d'amour
Dans le silence
Son chagrin danse
Et les vieux pensent
Chacun son tour
A la cuisine
Quelques voisines
Parlent de Chine
Et d'un retour
A Singapeur
Une Javanaise
Devient belle-sœur
De l'Ostendaise

Il y a deux sortes de temps
Y a le temps qui attend
Et le temps qui espère
Il y a deux sortes de gens
Il y a les vivants
Et ceux qui sont en mer

Notre Ostendaise
Que rien n'apaise
De chaise en chaise
Va sa blessure
Quelques commères
Quelques compères
Battent le fer
De sa brisure
Son capitaine
Sous sa bedaine
De bière pleine
Bat le tambour
Homme de voiles
Homme d'étoiles
Il prend l'escale
Pour un détour

Il y a deux sortes de temps
Il y a le temps qui attend
Et le temps qui espère
Il y a deux sortes de gens
Il y a les vivants
Et ceux qui sont en mer

Notre Ostendaise
Au temps des fraises
Devient maîtresse
D'un pharmacien
Son capitaine
Mort sous bedaine
Joue les baleines
Les sous-marins
Pourquoi ma douce
Moi le faux mousse
Que le temps pousse
T'écrire de loin
C'est que je t'aime
Et tant je t'aime
Qu'ai peur, ma reine
D'un pharmacien

Il y a deux sortes de temps
Il y a le temps qui attend
Et le temps qui espère
Il y a deux sortes de gens
Il y a les vivants
Et moi je suis en mer

La Bastille

Paroles et Musique: Jacques Brel 1955

Mon ami, qui crois que tout doit changer
Te crois-tu le droit de t'en aller tuer les bourgeois?
Si tu crois encore qu'il nous faut descendre
Dans le creux des rues pour monter au pouvoir
Si tu crois encore au rêve du grand soir
Et que nos ennemis, il faut aller les pendre

Dis-le-toi désormais
Même s'il est sincère
Aucun rêve jamais
Ne mérite une guerre
On a détruit la Bastille
Et ça n'a rien arrangé
On a détruit la Bastille
Quand il fallait nous aimer

Mon ami, qui crois que rien ne doit changer
Te crois-tu le droit de vivre et de penser en bourgeois
Si tu crois encore qu'il nous faut défendre
Un bonheur acquis au prix d'autres bonheurs
Si tu crois encore que c'est parce qu'ils ont peur
Que les gens te saluent plutôt que de te pendre

Dis-le-toi désormais
Même s'il est sincère
Aucun rêve jamais
Ne mérite une guerre
On a détruit la Bastille
Et ça n'a rien arrangé
On a détruit la Bastille
Quand il fallait nous aimer

Mon ami, je crois que tout peut s'arranger
Sans cris sans effroi même sans insulter les bourgeois
L'avenir dépend des révolutionnaires
Mais se moque bien des petits révoltés
L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre
Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner

Hâtons-nous d'espérer
Marchons aux lendemains
Tendons une main
Qui ne soit pas fermée
On a détruit la Bastille
Et ça n'a rien arrangé
On a détruit la Bastille
Ne pourrait-on pas s'aimer?

La bière

Paroles et Musique: Jacques Brel 1968

{Refrain:}

Ça sent la bière
De Londres à Berlin
Ça sent la bière
Dieu! Qu’on est bien
Ça sent la bière
De Londres à Berlin
Ça sent la bière
Donne-moi la main

C'est plein d'Uylenspiegel
Et de ses cousins et d'arrière-cousins
De Bruegel l'Ancien
C’est plein d’vent du nord
Qui mord comme un chien
Le port qui dort, le ventre plein

{au Refrain}

C'est plein de verres pleins
Qui vont à kermesse comme vont à messe
Vieilles au matin
C'est plein de jours morts
Et d'amours gelés
Chez nous y a qu'l'été
Que les filles aient un corps

{au Refrain}

C'est plein d’finissants
Qui soignent leurs souvenirs
En mouillant de rires
Leurs poiluchons blancs
C'est plein de débutants
Qui soignent leur vérole
En caracolant de "Prosit!" en "Skoll!"

{au Refrain}

C'est plein de "Godferdomme"
C'est plein d'Amsterdam
C'est plein de mains d'hommes
Aux croupes des femmes
C'est plein de mémères
Qui ont depuis toujours
Un sein pour la bière
Un sein pour l'amour

{au Refrain}

C'est plein d'horizons
A vous rendre fous
Mais l'alcool est blond
Le diable est à nous
Les gens sans Espagne
Ont besoin des deux
On fait des montagnes
Avec ce qu'on peut

Ça sent la bière
De Londres à Berlin
Ça sent la bière
Donne-moi la main

La bourrée du célibataire

Paroles et Musique: Jacques Brel 1957

La fille que j'aimera
Aura le cœur si sage
Qu'au creux de son rivage
Mon cœur s'arrêtera
La fille que j'aimera
Je lui veux la peau tendre
Pour qu'aux nuits de décembre
S'y réchauffent mes doigts
Et moi je l'aimerons
Et elle m'aimera
Et nos cœurs brûleront
Du même feu de joie
Entreront en chantant
Dans les murs de la vie
En offrant nos vingt ans
Pour qu'elle nous soit jolie
Non ce n'est pas toi
La fille que j'aimerons
Non ce n'est pas toi
La fille que j'aimera

La fille que j'aimera
Aura sa maison basse
Blanche et simple à la fois
Comme un état de grâce
La fille que j'aimera
Aura des soirs de veille
Où elle me parlera
Des enfants qui sommeillent
Et moi je l'aimerons
Et elle m'aimera
Et nous nous offrirons
Tout l'amour que l'on a
Pavoiserons tous deux
Notre vie de soleil
Avant que d'être vieux
Avant que d'être vieille
Non ce n'est pas toi
La fille que j'aimerons
Non ce n'est pas toi
La fille que j'aimera

La fille que j'aimera
Vieillira sans tristesse
Entre son feu de bois
Et ma grande tendresse
La fille que j'aimera
Sera comme bon vin
Qui se bonifiera
Un peu chaque matin
Et moi je l'aimerons
Et elle m'aimera
Et ferons des chansons
De nos anciennes joies
Et quitterons la Terre
Les yeux pleins l'un de l'autre
Pour fleurir tout l'enfer
Du bonheur qui est nôtre
Ah, qu'elle vienne à moi
La fille que j'aimerons!
Ah, qu'elle vienne à moi
La fille que j'aimera!

La cathédrale

Paroles et Musique: Jacques Brel 1977 "Brel infiniment"

note: Titre enregistré en 1977, publié à titre posthume.

Prenez une cathédrale
Et offrez-lui quelques mâts
Un beaupré, de vastes cales
Des haubans et hale-bas
Prenez une cathédrale
Haute en ciel et large au ventre
Une cathédrale à tendre
De clinfoc et de grand-voiles
Prenez une cathédrale
De Picardie ou de Flandre
Une cathédrale à vendre
Par des prêtres sans étoile
Cette cathédrale en pierre
Qui sera débondieurisée
Traînez-la à travers prés
Jusqu'où vient fleurir la mer
Hissez la toile en riant
Et filez sur l'Angleterre

L'Angleterre est douce à voir
Du haut d'une cathédrale
Même si le thé fait pleuvoir
Quelque ennui sur les escales
Les Cornouailles sont à prendre
Quand elles accouchent du jour
Et qu'on flotte entre le tendre
Entre le tendre et l'amour
Prenez une cathédrale
Et offrez-lui quelques mâts
Un beaupré, de vastes cales
Mais ne vous réveillez pas
Filez toutes voiles dehors
Et ho hisse, les matelots
A chasser les cachalots
Qui vous mèneront aux Açores
Puis Madère avec ses filles
Canarianes et l'océan
Qui vous poussera en riant
En riant jusqu'aux Antilles
Prenez une cathédrale
Hissez le petit pavois
Et faites chanter les voiles
Mais ne vous réveillez pas

Putain, les Antilles sont belles
Elles vous croquent sous la dent
On se coucherait bien sur elles
Mais repartez de l'avant
Car toutes cloches en branle-bas
Votre cathédrale se voile
Transpercera le canal
Le canal de Panama
Prenez une cathédrale
De Picardie ou d'Artois
Partez cueillir les étoiles
Mais ne vous réveillez pas

Et voici le Pacifique
Longue houle qui roule au vent
Et ronronne sa musique
Jusqu'aux îles droit devant
Et que l'on vous veuille absoudre
Si là-bas bien plus qu'ailleurs
Vous tentez de vous dissoudre
Entre les fleurs et les fleurs
Prenez une cathédrale
Hissez le petit pavois
Et faites chanter les voiles
Mais ne vous réveillez pas
Prenez une cathédrale
De Picardie ou d'Artois
Partez pêcher les étoiles
Mais ne vous réveillez pas
Cette cathédrale est en pierre
Traînez-la à travers bois
Jusqu'où vient fleurir la mer
Mais ne vous réveillez pas
Mais ne vous réveillez pas.

La chanson de Jacky

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1966

autres interprètes: Nicolas Peyrac, Les Croquants (2004), Florent Pagny (2007)

Même si un jour à Knokke-le-Zoute
Je deviens comme je le redoute
Chanteur pour femmes finissantes
Même si j'leur chante "Mi Corazon"
Avec la voix bandonéante
D'un Argentin de Carcassonne
Même si on m'appelle Antonio
Que je brûle mes derniers feux
En échange de quelques cadeaux
Madame, je fais ce que je peux
Même si j'me saoule à l'hydromel
Pour mieux parler d'virilité
A des mémères décorées
Comme des arbres de Noël
Je sais qu'dans ma soûlographie
Chaque nuit pour des éléphants roses
Je chanterai ma chanson morose
Celle du temps où j'm'appelais Jacky

{Refrain:}

Etre une heure, une heure seulement
Etre une heure, une heure quelquefois
Etre une heure, rien qu'une heure durant
Beau, beau, beau et con à la fois

Même si un jour à Macao
J'deviens gouverneur de tripot
Cerclé de femmes languissantes
Même si lassé d'être chanteur
J'y sois dev'nu maître chanteur
Et qu'ce soit les autres qui chantent
Même si on m'appelle le beau Serge
Que je vende des bateaux d'opium
Du whisky de Clermont-Ferrand
De vrais pédés, de fausses vierges
Que j'aie une banque à chaque doigt
Et un doigt dans chaque pays
Et que chaque pays soit à moi
Je sais quand même que chaque nuit
Tout seul au fond de ma fum'rie
Pour un public de vieux Chinois
Je r'chanterai ma chanson à moi
Celle du temps où j'm'appelais Jacky

{au Refrain}

Même si un jour au Paradis
J'devienne comme j'en serais surpris
Chanteur pour femmes à ailes blanches
Que je leur chante "Alléluia!"
En regrettant le temps d'en bas
Où c'est pas tous les jours dimanche
Même si on m'appelle Dieu le Père
Celui qui est dans l'annuaire
Entre "Dieulefit" et "Dieu vous garde"
Même si je m'laisse pousser la barbe
Même si toujours trop bonne pomme
Je m'crève le cœur et l'pur esprit
A vouloir consoler les hommes
Je sais quand même que chaque nuit
J'entendrai dans mon paradis
Les anges, les Saints et Lucifer
Me chanter la chanson d'naguère
Celle du temps où j'm'appelais Jacky.

{au Refrain}

La chanson de Van Horst

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest 1972 "Jef"

note: du film "Le Bar de la Fourche "

De Rotterdam à Santiago
Et d'Amsterdam à Varsovie
De Cracovie à San Diego
De drame en dame
Passe la vie
De peu à peu
De cœur en cœur
De peur en peur
De port en port
Le temps d'une fleur
Et l'on s'endort
Le temps d'un rêve
Et l'on est mort

De terre en terre
De place en place
De jeune vieille
En vieille grâce
De guerre en guerre
De guerre lasse
La mort nous veille
La mort nous glace

Mais de bière en bière
De foire en foire
De verre en verre
De boire en boire
Je mords encore
À pleines dents
Je suis un mort
Encore vivant

La chanson des vieux amants

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest 1967

autres interprètes: Juliette Gréco, Isabelle Aubret (1995), Luce Dufault (2000), Florent Pagny (2007)

Bien sûr, nous eûmes des orages
Vingt ans d'amour, c'est l'amour fol
Mille fois tu pris ton bagage
Mille fois je pris mon envol
Et chaque meuble se souvient
Dans cette chambre sans berceau
Des éclats des vieilles tempêtes
Plus rien ne ressemblait à rien
Tu avais perdu le goût de l'eau
Et moi celui de la conquête

Mais mon amour
Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour
De l'aube claire jusqu'à la fin du jour
Je t'aime encore, tu sais, je t'aime

Moi, je sais tous tes sortilèges
Tu sais tous mes envoûtements
Tu m'as gardé de pièges en pièges
Je t'ai perdue de temps en temps
Bien sûr tu pris quelques amants
Il fallait bien passer le temps
Il faut bien que le corps exulte
Finalement, finalement
Il nous fallut bien du talent
Pour être vieux sans être adultes

Oh, mon amour
Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour
De l'aube claire jusqu'à la fin du jour
Je t'aime encore, tu sais, je t'aime

Et plus le temps nous fait cortège
Et plus le temps nous fait tourment
Mais n'est-ce pas le pire piège
Que vivre en paix pour des amants
Bien sûr tu pleures un peu moins tôt
Je me déchire un peu plus tard
Nous protégeons moins nos mystères
On laisse moins faire le hasard
On se méfie du fil de l'eau
Mais c'est toujours la tendre guerre

Oh, mon amour…
Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour
De l'aube claire jusqu'à la fin du jour
Je t'aime encore, tu sais, je t'aime.

La colombe

Paroles et Musique: Jacques Brel 1959

autres interprètes: Pia Colombo

Pourquoi cette fanfare
Quand les soldats par quatre
Attendent les massacres
Sur le quai d'une gare
Pourquoi ce train ventru
Qui ronronne et soupire
Avant de nous conduire
Jusqu'au malentendu
Pourquoi les chants les cris
Des foules venues fleurir
Ceux qui ont le droit d'partir
Au nom de leurs conneries

Nous n'irons plus au bois, la colombe est blessée
Nous n'allons pas au bois, nous allons la tuer

Pourquoi l'heure que voilà
Où finit notre enfance
Où finit notre chance
Où notre train s'en va
Pourquoi ce lourd convoi
Chargé d'hommes en gris
Repeints en une nuit
Pour partir en soldats
Pourquoi ce train de pluie
Pourquoi ce train de guerre
Pourquoi ce cimetière
En marche vers la nuit

Nous n'irons plus au bois, la colombe est blessée
Nous n'allons pas au bois, nous allons la tuer

Pourquoi les monuments
Qu'offriront les défaites
Les phrases déjà faites
Qui suivront l'enterrement
Pourquoi l'enfant mort-né
Que sera la victoire
Pourquoi les jours de gloire
Que d'autres auront payés
Pourquoi ces coins de terre
Que l'on va peindre en gris
Puisque c'est au fusil
Qu'on éteint la lumière

Nous n'irons plus au bois, la colombe est blessée
Nous n'allons pas au bois, nous allons la tuer

Pourquoi ton cher visage
Dégrafé par les larmes
Qui me rendait les armes
Aux sources du voyage
Pourquoi ton corps qui sombre
Ton corps qui disparaît
Et n'est plus sur le quai
Qu'une fleur sur une tombe
Pourquoi ces prochains jours
Où je devrais penser
A ne plus m'habiller
Que d'une moitié d'amour

Nous n'irons plus au bois, la colombe est blessée
Nous n'allons pas au bois, nous allons la tuer

La dame patronnesse

Paroles et Musique: Jacques Brel 1959

note: Le couplet entre crochet n'est pas chanté par Jacques Brel.

Pour faire une bonne dame patronnesse
Il faut avoir l'œil vigilant
Car comme le prouvent les évènements
Quatre-vingt-neuf tue la noblesse
Car comme le prouvent les évènements
Quatre-vingt-neuf tue la noblesse

Et un point à l'envers et un point à l'endroit
Un point pour saint Josep,h un point pour saint Thomas

Pour faire une bonne dame patronnesse
Il faut organiser ses largesses
Car comme disait le duc d'Elbeuf:
"C't avec du vieux qu'on fait du neuf"
Car comme disait le duc d'Elbeuf:
"C't avec du vieux qu'on fait du neuf"

Et un point à l'envers et un point à l'endroit
Un point pour saint Joseph, un point pour saint Thomas

[Pour faire une bonne dame patronnesse
C'est qu'il faut faire très attention
A ne pas se laisser voler ses pauvresses
C'est qu'on serait sans situation
A ne pas se laisser voler ses pauvresses
C'est qu'on serait sans situation]

Et un point à l'envers et un point à l'endroit
Un point pour saint Joseph, un point pour saint Thomas

Pour faire une bonne dame patronnesse
Il faut être bonne mais sans faiblesse
Ainsi j'ai dû rayer de ma liste
Une pauvresse qui fréquentait un socialiste
Ainsi j'ai dû rayer de ma liste
Une pauvresse qui fréquentait… un rouge

Et un point à l'envers et un point à l'endroit
Un point pour saint Joseph, un point pour saint Thomas

Pour faire une bonne dame patronnesse, Mesdames
Tricotez tout en couleur caca d'oie
Ce qui permet le dimanche à la grand-messe
De reconnaître ses pauvres à soi
Ce qui permet le dimanche à la grand-messe
De reconnaître ses pauvres à soi

Et un point à l'envers et un point à l'endroit
Un point pour saint Joseph, un point pour saint Thomas

La Fanette

Paroles et Musique: Jacques Brel 1963

autres interprètes: Isabelle Aubret (1995), Yves Duteil, Florent Pagny (2007)

Nous étions deux amis et Fanette m'aimait
La plage était déserte et dormait sous juillet
Si elles s'en souviennent les vagues vous diront
Combien pour la Fanette j'ai chanté de chansons

Faut dire
Faut dire qu'elle était belle
Comme une perle d'eau
Faut dire qu'elle était belle
Et je ne suis pas beau
Faut dire
Faut dire qu'elle était brune
Tant la dune était blonde
Et tenant l'autre et l'une
Moi je tenais le monde
Faut dire
Faut dire que j'étais fou
De croire à tout cela
Je le croyais à nous
Je la croyais à moi
Faut dire
Qu'on ne nous apprend pas
A se méfier de tout

Nous étions deux amis et Fanette m'aimait
La plage était déserte et mentait sous juillet
Si elles s'en souviennent les vagues vous diront
Comment pour la Fanette s'arrêta la chanson

Faut dire
Faut dire qu'en sortant
D'une vague mourante
Je les vis s'en allant
Comme amant et amante
Faut dire
Faut dire qu'ils ont ri
Quand ils m'ont vu pleurer
Faut dire qu'ils ont chanté
Quand je les ai maudits
Faut dire
Que c'est bien ce jour-là
Qu'ils ont nagé si loin
Qu'ils ont nagé si bien
Qu'on ne les revit pas
Faut dire
Qu'on ne nous apprend pas
Mais parlons d'autre chose

Nous étions deux amis et Fanette l'aimait
La plage est déserte et pleure sous juillet
Et le soir quelquefois
Quand les vagues s'arrêtent
J'entends comme une voix
J'entends… c'est la Fanette

La foire

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Lou Logist 1953 "Le plat pays"

{Refrain:}

J'aime la foire où pour trois sous
L'on peut se faire tourner la tête
Sur les manèges aux chevaux roux
Au son d'une musique bête

Les lampions jettent au firmament
Alignés en nombres pairs
Comme des sourcils de géant
Leurs crachats de lumières

(x 2)
Les moulins tournent, tournent sans trêve
Emportant tout notre argent
Et nous donnant un peu de rêve
Pour que les hommes soient contents

{au Refrain}

Ça sent la graisse où dansent les frites
Ça sent les frites dans les papiers
Ça sent les beignets qu'on mange vite
Ça sent les hommes qui les ont mangés

(x2)
Partout je vois à petits pas
Des couples qui s'en vont danser
Mais moi sûrement je n'irai pas
Grand-mère m'a dit de me méfier

{au Refrain}

Et lorsque l'on n'a plus de sous
Pour se faire tourner la tête
Sur les manèges aux chevaux roux
Au son d'une musique bête

(x2)
On rentre chez soi lentement
Et tout en regardant les cieux
On se demande simplement
S'il n'existe rien de mieux

J'aimais la foire où pour trois sous
L'on pouvait s’faire tourner la tête
Sur les manèges aux chevaux roux
Au son d'une musique bête
La la la

La haine

Paroles et Musique: Jacques Brel 1955

Comme un marin je partirai
Pour aller rire chez les filles
Et si jamais tu en pleurais
Moi j'en aurais l'âme ravie

Comme un novice je partirai
Pour aller prier le bon Dieu
Et si jamais tu en souffrais
Moi je n'en prierais que mieux

Tu n'as commis d'autre péché
Que de distiller chaque jour
L'ennui et la banalité
Quand d'autres distillent l'amour

Et mille jours pour une nuit
Voilà ce que tu m'as donné
Tu as peint notre amour en gris
Terminé notre éternité

Comme un ivrogne je partirai
Pour aller gueuler ma chanson
Et si jamais tu l'entendais
J'en remercierais le démon

Comme un soldat je partirai
Mourir comme meurent les enfants
Et si jamais tu en mourais
J'en voudrais revenir vivant

Et toi tu pries et toi tu pleures
Au long des jours, au long des ans
C'est comme si avec des fleurs
On ressoudait deux continents

L'amour est mort, vive la haine
Et toi matériel déclassé
Va-t-en donc accrocher ta peine
Au musée des amours ratées

Comme un ivrogne je partirai
Pour aller gueuler ma chanson
Et si jamais tu l'entendais
J'en remercierais le démon

La lumière jaillira

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, François Rauber 1958

La lumière jaillira
Claire et blanche un matin
Brusquement devant moi
Quelque part en chemin

La lumière jaillira
Et la reconnaîtrai
Pour l'avoir tant de fois
Chaque jour espérée

La lumière jaillira
Et de la voir si belle
Je connaîtrai pourquoi
J'avais tant besoin d'elle

La lumière jaillira
Et nous nous marierons
Pour n'être qu'un combat
N'être qu'une chanson

La lumière jaillira
Et je l'inviterai
A venir sous mon toit
Pour y tout transformer

La lumière jaillira
Et déjà modifié
Lui avouerai du doigt
Les meubles du passé

La lumière jaillira
Et j'aurai un palais
Tout ne change-t-il pas
Au soleil de juillet?

La lumière jaillira
Et toute ma maison
Assise au feu de bois
Apprendra ses chansons

La lumière jaillira
Parsemant mes silences
De sourires de joie
Qui meurent et recommencent

La lumière jaillira
Qu'éternel voyageur
Mon cœur en vain chercha
Mais qui était en mon cœur

La lumière jaillira
Reculant l'horizon
La lumière jaillira
Et portera ton nom

La mort

Paroles et Musique: Jacques Brel 1959

La mort m'attend comme une vieille fille
Au rendez-vous de la faucille
Pour mieux cueillir le temps qui passe
La mort m'attend comme une princesse
A l'enterrement de ma jeunesse
Pour mieux pleurer le temps qui passe
La mort m'attend comme Carabosse
A l'incendie de nos noces
Pour mieux rire du temps qui passe

Mais qu'y a-t-il derrière la porte
Et qui m'attend déjà?
Ange ou démon qu'importe
Au devant de la porte il y a toi

La mort attend sous l'oreiller
Que j'oublie de me réveiller
Pour mieux glacer le temps qui passe
La mort attend que mes amis
Me viennent voir en pleine nuit
Pour mieux se dire que le temps passe
La mort m'attend dans tes mains claires
Qui devront fermer mes paupières
Pour mieux quitter le temps qui passe

Mais qu'y a-t-il derrière la porte
Et qui m'attend déjà?
Ange ou démon qu'importe
Au devant de la porte il y a toi

La mort m'attend aux dernières feuilles
De l'arbre qui f'ra mon cercueil
Pour mieux clouer le temps qui passe
La mort m'attend dans les lilas
Qu'un fossoyeur lancera sur moi
Pour mieux fleurir le temps qui passe
La mort m'attend dans un grand lit
Tendu aux toiles de l'oubli
Pour mieux fermer le temps qui passe

Mais qu'y a-t-il derrière la porte
Et qui m'attend déjà?
Ange ou démon qu'importe
Au devant de la porte il y a toi

La parlote

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest 1963

C'est elle qui remplit d'espoir
Les promenades, les salons d'thé
C'est elle qui raconte l'histoire
Quand elle ne l'a pas inventée
C'est la parlote, la parlote

C'est elle qui sort toutes les nuits
Et ne s'apaise qu'au petit jour
Pour s'éveiller après l'amour
Entre deux amants éblouis
La parlote, la parlote

C'est là qu'on dit qu'on a dit oui
C'est là qu'on dit qu'on a dit non
C'est le support de l'assurance
Et le premier apéritif de France
La parlote, la parlote
La parlote, la parlote

Marchant sur la pointe des lèvres
Moitié fakir et moitié vandale
D'un faussaire elle fait un orfèvre
D'un fifrelin elle fait un scandale
La parlote, la parlote

C'est elle qui attire la candeur
Dans les filets d'une promenade
Mais c'est par elle que l'amour en fleurs
Souvent se meurt dans les salades
La parlote, la parlote

Par elle j'ai changé le monde
J'ai même fait battre tambour
Pour charger une Pompadour
Pas même belle, pas même blonde
La parlote, la parlote
La parlote, la parlote

C'est au bistrot qu'elle rend ses sentences
Et nous rassure en nous assurant
Que ceux qu'on aime n'ont pas eu d'chance
Que ceux qu'on n'aime pas en ont tellement
La parlote, la parlote
La parlote, la parlote

Si c'est elle qui sèche les yeux
Si c'est elle qui sèche les pleurs
C'est elle qui dessèche les vieux
C'est elle qui dessèche les cœurs
Gna gna gna gna gna gna
Gna gna gna gna gna gna

C'est elle qui vraiment s'installe
Quand on n'a plus rien à se dire
C'est l'épitaphe, c'est la pierre tombale
Des amours qu'on a laissé mourir
La parlote, la parlote
La parlote, la parlote

La quête

Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d'une possible fièvre
Partir où personne ne part

Aimer jusqu'à la déchirure
Aimer, même trop, même mal
Tenter, sans force et sans armure
D'atteindre l'inaccessible étoile

Telle est ma quête
Suivre l'étoile
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
Se damner
Pour l'or d'un mot d'amour
Je ne sais si je serai ce héros
Mais mon coeur serait tranquille
Et les villes s'éclabousseraient de bleu
Parce qu'un malheureux

Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre à s'en écarteler
Pour atteindre l'inaccessible étoile

La statue

Paroles: Jacques Brel. Musique: François Rauber 1962 "Barclay"

J'aimerais tenir l'enfant d'Marie
Qui a fait graver sous ma statue:
"Il a vécu toute sa vie
Entre l'honneur et la vertu"
Moi qui ai trompé mes amis
De faux serment en faux serment
Moi qui ai trompé mes amis
Du jour de l'An au jour de l'An
Moi qui ai trompé mes maîtresses
De sentiment en sentiment
Moi qui ai trompé mes maîtresses
Du printemps jusques au printemps
Ah! C’t enfant d’Marie, je l’aimerais, là
Et j'aimerais que les enfants ne me regardent pas

J'aimerais tenir l'enfant de carême
Qui a fait graver sous ma statue:
"Les dieux rappellent ceux qu'ils aiment
Et c'était lui qu'ils aimaient l'plus"
Moi qui n'ai jamais prié Dieu
Que lorsque j'avais mal aux dents
Moi qui n'ai jamais prié Dieu
Que quand j'ai eu peur de Satan
Moi qui n'ai prié Satan
Que lorsque j'étais amoureux
Moi qui n'ai prié Satan
Que quand j'ai eu peur du bon Dieu
Ah! C’t enfant d’carême, je l’aimerais, là
Et j'aimerais que les enfants ne me regardent pas

J'aimerais tenir l'enfant d'salaud
Qui a fait graver sous ma statue:
"Il est mort comme un héros
Il est mort comme on ne meurt plus"
Moi qui suis parti faire la guerre
Parce que je m'ennuyais tellement
Moi qui suis parti faire la guerre
Pour voir si les femmes des Allemands
Moi qui suis mort à la guerre
Parce que les femmes des Allemands
Moi qui suis mort à la guerre
De n'avoir pu faire autrement
Ah! C’t enfant d’salaud, je l’aimerais, là
Et j'aimerais que mes enfants ne me regardent pas

La tendresse

Paroles et Musique: Jacques Brel 1959

Pour un peu de tendresse
Je donn'rais les diamants
Que le diable caresse
Dans mes coffres d'argent
Pourquoi crois-tu, la belle
Que les marins au port
Vident leurs escarcelles
Pour offrir des trésors
A de fausses princesses
Pour un peu de tendresse?

Pour un peu de tendresse
Je chang'rais de visage
Je changerais d'ivresse
Je chang'rais de langage
Pourquoi crois-tu, la belle
Qu'au sommet de leurs chants
Emp'reurs et ménestrels
Abandonnent souvent
Puissances et richesses
Pour un peu de tendresse?

Pour un peu de tendresse
Je t'offrirais le temps
Qu'il reste de jeunesse
A l'été finissant
Pourquoi crois-tu, la belle
Que monte ma chanson
Vers la claire dentelle
Qui danse sur ton front
Penché vers ma détresse
Pour un peu de tendresse?

La toison d'or

Paroles et Musique: Jacques Brel 1963

note: Complainte pour la pièce de Corneille "La toison d'or".

Et vous, conquistadors, navigateurs anciens
Hollandais téméraires et corsaires malouins
Cherchant des Amériques, vous ne cherchâtes rien
Que l'aventure de la Toison d'Or

Et vous, les philosophes, vous, sages d'Orient
Alchimistes pointus et sorciers d'à présent
En cherchant la sagesse, vous n'avez rien cherché
Que les secrets de la Toison d'Or

Et vous, les empereurs, roitelets ou serins
Vous, les vrais Charlemagne, vous les faux Charles Quint
En cherchant la puissance, vous ne cherchâtes rien
Que les reflets de la Toison d'Or

Et vous, preux chevaliers assoiffés de grandeur
Vous chasseurs de Saint-Graal, d'oriflammes, d'honneurs
Cherchant la victoire, vous ne cherchâtes rien
Que le panache de la Toison d'Or

Et vous tous, les poètes, les rêveurs mal debout
Discoureurs de l'amour pour des cieux andalous
En écoutant vos muses, n'avez rien chanté d'autre
Que le vieux rêve de la Toison d'Or

Et vous, gens d'aujourd'hui, d'aujourd'hui de demain
Vous, balayeurs d'idoles, de dieux, de malins
Cherchant la vérité, vous ne recherchez rien
Que la clarté de la Toison d'Or

La valse à mille temps

Paroles et Musique: Jacques Brel 1959

Au premier temps de la valse
Toute seule tu souris déjà
Au premier temps de la valse
Je suis seul, mais je t'aperçois
Et Paris qui bat la mesure
Paris qui mesure notre émoi
Et Paris qui bat la mesure
Me murmure murmure tout bas

{Refrain:}

Une valse à trois temps
Qui s'offre encore le temps
Qui s'offre encore le temps
De s'offrir des détours
Du côté de l'amour
Comme c'est charmant
Une valse à quatre temps
C'est beaucoup moins dansant
C'est beaucoup moins dansant
Mais tout aussi charmant
Qu'une valse à trois temps
Une valse à quatre temps
Une valse à vingt ans
C'est beaucoup plus troublant
C'est beaucoup plus troublant
Mais beaucoup plus charmant
Qu'une valse à trois temps
Une valse à vingt ans
Une valse à cent temps
Une valse à cent ans
Une valse ça s'entend
A chaque carrefour
Dans Paris que l'amour
Rafraîchit au printemps
Une valse à mille temps
Une valse à mille temps
Une valse a mis l'temps
De patienter vingt ans
Pour que tu aies vingt ans
Et pour que j'aie vingt ans
Une valse à mille temps
Une valse à mille temps
Une valse à mille temps
Offre seule aux amants
Trois cent trente-trois fois l'temps
De bâtir un roman

Au deuxième temps de la valse
On est deux, tu es dans mes bras
Au deuxième temps de la valse
Nous comptons tous les deux: une deux trois
Et Paris qui bat la mesure
Paris qui mesure notre émoi
Et Paris qui bat la mesure
Nous fredonne, fredonne déjà

{au Refrain}

Au troisième temps de la valse
Nous valsons enfin tous les trois
Au troisième temps de la valse
Il y a toi, y a l'amour et y a moi
Et Paris qui bat la mesure
Paris qui mesure notre émoi
Et Paris qui bat la mesure
Laisse enfin éclater sa joie.

{au Refrain}

Lalala la lalala

La ville s'endormait

Paroles et Musique: Jacques Brel 1977

La ville s'endormait
Et j'en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait
La ville s'endormait
Et j'en oublie le nom
Et la nuit peu à peu
Et le temps arrêté
Et mon cheval boueux
Et mon corps fatigué
Et la nuit bleu à bleu
Et l'eau d'une fontaine
Et quelques cris de haine
Versés par quelques vieux
Sur de plus vieilles qu'eux
Dont le corps s'ensommeille

La ville s'endormait
Et j'en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait
La ville s'endormait
Et j'en oublie le nom
Et mon cheval qui boit
Et moi qui le regarde
Et ma soif qui prend garde
Qu'elle ne se voit pas
Et la fontaine chante
Et la fatigue plante
Son couteau dans mes reins
Et je fais celui-là
Qui est son souverain
On m'attend quelque part
Comme on attend le roi
Mais on ne m'attend point
Je sais, depuis déjà
Que l'on meurt de hasard
En allongeant le pas

La ville s'endormait
Et j'en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait
La ville s'endormait
Et j'en oublie le nom
Il est vrai que parfois près du soir
Les oiseaux ressemblent à des vagues
Et les vagues aux oiseaux
Et les hommes aux rires
Et les rires aux sanglots
Il est vrai que souvent
La mer se désenchante
Je veux dire en cela
Qu'elle chante
D'autres chants
Que ceux que la mer chante
Dans les livres d'enfants
Mais les femmes toujours
Ne ressemblent qu'aux femmes
Et d'entre elles les connes
Ne ressemblent qu'aux connes
Et je ne suis pas bien sûr
Comme chante un certain
Qu'elles soient l'avenir de l'homme

La ville s'endormait
Et j'en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait
La ville s'endormait
Et j'en oublie le nom
Et vous êtes passée
Demoiselle inconnue
A deux doigts d'être nue
Sous le lin qui dansait

La, la, la

Paroles et Musique: Jacques Brel 1967

Quand je s’rai vieux, je s’rai insupportable
Sauf pour mon lit et mon maigre passé
Mon chien s’ra mort, ma barbe s’ra minable
Toutes mes morues m'auront laissé tomber
J'habiterai une quelconque Belgique
Qui m'insultera tout autant que maintenant
Quand je lui chant’rai: Vive la République!
Vive les Belgiens! Merde, pour les flamingants
La… la… la…
La… la… la…

Je serai fui comme un vieil hôpital
Par tous les ventres d’haute société
Je boirai donc seul, ma pension de cigale
Il faut bien être lorsque l'on a été
Je ne s’rai reçu qu’par les chats du quartier
A leur festin pour qu'ils ne soient pas treize
Mais j'y chanterai sur une simple chaise
J'y chanterai après le rat crevé
Messieurs, dans le lit de la Marquise
C'était moi, les quatre-vingts chasseurs
La… la… la…

Quand viendra l'heure imbécile et fatale
Où il paraît que quelqu'un nous appelle
J'insulterai le flic sacerdotal
Penché vers moi comme un larbin du ciel
Et j’mourirai, cerné de rigolos
En me disant qu'il était chouette, Voltaire
Et qu’si y en a des, qui ont une plume au chapeau
Y en a des, qui ont une plume dans le derrière
La… la… la…
La… la… la…

Quand je s’rai vieux, je s’rai insupportable
Sauf pour mon lit et mon maigre passé
Mon chien s’ra mort, ma barbe s’ra minable
Toutes mes morues m'auront laissé tomber

Le bon Dieu

Paroles et Musique: Jacques Brel 1977

note: Extrait de la comédie musicale "Vilebrequin".

Toi
Toi, si t’étais l’bon Dieu
Tu f’rais valser les vieux
Aux étoiles
Toi
Toi, si t’étais l’bon Dieu
Tu allumerais des bals
Pour les gueux

Toi
Toi, si t’étais l’bon Dieu
Tu n’s’rais pas économe
De ciel bleu
Mais
Tu n'es pas l'bon Dieu
Toi, tu es beaucoup mieux
Tu es un homme

Tu es un homme
Tu es un homme

Le cheval

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1967

autres interprètes: Les Croquants (1999)

J'étais vraiment, j'étais bien plus heureux
Bien plus heureux avant, quand j'étais ch’val
Que je traînais, Madame, votre landau
Jolie Madame, dans les rues de Bordeaux
Mais tu as voulu que je sois ton amant
Tu as même voulu que je quitte ma jument
Je n'étais qu'un cheval oui, oui, mais tu en as profité
Par amour pour toi, je me suis déjumenté.
Et depuis toutes les nuits
Dans ton lit de satin blanc
Je regrette mon écurie
Mon écurie et ma jument

J'étais vraiment, vraiment bien plus heureux
Bien plus heureux avant, quand j'étais ch’val
Que tu t’foutais, Madame, la gueule par terre
Jolie Madame, quand tu forçais le cerf
Mais tu as voulu qu’j'apprenne les bonnes manières
Tu as voulu qu’je marche sur les pattes de derrière
Je n'étais qu'un ch’val oui, oui, mais tu m'as couillonné, hein
Par amour pour toi je me suis derrièrisé
Et depuis, toutes les nuits
Quand nous dansons le tango
Je regrette mon écurie
Mon écurie et mon galop

J'étais vraiment, vraiment bien plus heureux
Bien plus heureux avant, quand j'étais ch’val
Que je te promenais, Madame, sur mon dos
Jolie Madame, en forêt d’Fontainebleau
Mais tu as voulu que je sois ton banquier
Tu as même voulu qu’je me mette à chanter
Je n'étais qu'un ch’val oui, oui mais tu en as abusé
Par amour pour toi, je me suis variété
Et depuis toutes les nuits
Quand je chante "Ne me quitte pas"
Je regrette mon écurie
Et mes silences d'autrefois

Et puis et puis, tu es partie radicale
Avec un zèbre, un zèbre mal rayé
Le jour, Madame, où je t'ai refusé
D'apprendre à monter à cheval
Mais tu m'avais pris ma jument
Mon silence, mes sabots
Mon écurie, mon galop
Tu ne m'as laissé que mes dents
Et voilà pourquoi je cours, je cours
Je cours le monde en hennissant
Me voyant refuser l'amour
Par les femmes et par les juments

J'étais vraiment, vraiment bien plus heureux
Bien plus heureux avant quand j'étais ch’val
Que je promenais Madame, votre landau
Quand j'étais ch’val et quand tu étais chameau!

Le colonel

Paroles: Jacques Brel. Musique: G. Wagenheim 1958

Colonel, faut-il
Puisque se lève le jour
Faire battre tous les tambours
Réveiller tous les pandoures?
Colonel, faut-il
Faire sonner tous les clairons
Rassembler les escadrons?
Colonel, colonel, nous attendons

Le colonel s'ennuie.
Il effeuille une fleur
Et rêve à son amie
Qui lui a pris son cœur.
Son amie est si douce et belle
Dans sa robe au soleil
Que chaque jour passé près d'elle
Se meuble de merveilles.

Colonel, faut-il
Puisque voilà l'ennemi
Faire tirer notre artillerie
Disposer notre infanterie?
Colonel, faut-il
Charger tous comme des fous
Ou partir à pas de loup?
Colonel, colonel, dites-le nous

Le colonel s'ennuie.
Il effeuille une fleur
Et rêve à son amie
Qui lui a pris son cœur.
Ses baisers doux comme velours
Tendrement, ont conduit
A l'état-major de l'amour
Le colonel ravi

Colonel, faut-il,
Puisque vous êtes blessé
Faut-il donc nous occuper
De vous trouver un abbé?
Colonel, faut-il
Puisqu'est mort l'apothicaire
Chercher le vétérinaire?
Colonel, colonel, que faut-il faire?

Le colonel s'ennuie.
Il effeuille une fleur
Et rêve à son amie
Qui lui a pris son cœur.
Il la voit et lui tend les bras
Il la voit et l'appelle
Et c'est en lui parlant tout bas
Qu'il entre dans le ciel

Ce colonel qui meurt
Et qui meurt de chagrin
Blessé d'une fille dans le cœur
Ce colonel loin de sa belle
C'est mon cœur loin du tien
C'est mon cœur loin du tien

Le dernier repas

Paroles et Musique: Jacques Brel 1964

A mon dernier repas
Je veux voir mes frères
Et mes chiens et mes chats
Et le bord de la mer
A mon dernier repas
Je veux voir mes voisins
Et puis quelques Chinois
En guise de cousins
Et je veux qu'on y boive
En plus du vin de messe
De ce vin si joli
Qu'on buvait en Arbois
Je veux qu'on y dévore
Après quelques soutanes
Une poule faisane
Venue du Périgord
Puis je veux qu'on m'emmène
En haut de ma colline
Voir les arbres dormir
En refermant leurs bras
Et puis, je veux encore
Lancer des pierres au ciel
En criant: "Dieu est mort!"
Une dernière fois

A mon dernier repas
Je veux voir mon âne
Mes poules et mes oies
Mes vaches et mes femmes
A mon dernier repas
Je veux voir ces drôlesses
Dont je fus maître et roi
Ou qui furent mes maîtresses
Quand j'aurai dans la panse
De quoi noyer la Terre
Je briserai mon verre
Pour faire le silence
Et chanterai à tue-tête
A la mort qui s'avance
Les paillardes romances
Qui font peur aux nonnettes
Puis je veux qu'on m'emmène
En haut de ma colline
Voir le soir qui chemine
Lentement vers la plaine
Et là, debout encore
J'insulterai les bourgeois
Sans crainte et sans remords
Une dernière fois

Après mon dernier repas {x2}
Je veux que l'on s'en aille
Qu'on finisse ripaille
Ailleurs que sous mon toit
Après mon dernier repas
Je veux que l'on m'installe
Assis seul comme un roi
Accueillant ses vestales
Dans ma pipe, je brûlerai
Mes souvenirs d'enfance
Mes rêves inachevés
Mes restes d'espérance
Et je ne garderai
Pour habiller mon âme
Que l'idée d'un rosier
Et qu'un prénom de femme
Puis je regarderai
Le haut de ma colline
Qui danse, qui se devine
Qui finit par sombrer
Et dans l'odeur des fleurs
Qui bientôt s'éteindra
Je sais que j'aurai peur
Une dernière fois.

Le diable (Ça va)

Paroles et Musique: Jacques Brel 1953

Un jour,
Un jour le diable vint sur Terre
Un jour le diable vint sur Terre
Pour surveiller ses intérêts
Il a tout vu le diable, il a tout entendu
Et après avoir tout vu
Et après avoir tout entendu
Il est retourné chez lui, là-bas.
Et là-bas, on avait fait un grand banquet
A la fin du banquet, il s'est levé le diable
Il a prononcé un discours:

Ça va
Il y a toujours un peu partout
Des feux illuminant la Terre
Ça va
Les hommes s'amusent comme des fous
Au dangereux jeu de la guerre
Ça va
Les trains déraillent avec fracas
Parce que des gars pleins d'idéal
Mettent des bombes sur les voies
Ça fait des morts originales
Ça fait des morts sans confession
Des confessions sans rémission
Ça va

Rien ne se vend mais tout s'achète
L'honneur et même la sainteté
Ça va
Les États se muent en cachette
En anonymes sociétés
Ça va
Les grands s'arrachent les dollars
Venus du pays des enfants
L'Europe répète l'Avare
Dans un décor de mil neuf cent
Ça fait des morts d'inanition
Et l'inanition des nations
Ça va

Les hommes, ils en ont tant vu
Que leurs yeux sont devenus gris
Ça va
Et l'on ne chante même plus
Dans toutes les rues de Paris
Ça va
On traite les braves de fous
Et les poètes de nigauds
Mais dans les journaux de partout
Tous les salauds ont leur photo
Ça fait mal aux honnêtes gens
Et rire les malhonnêtes gens
Ça va, ça va, ça va, ça va!

Le fou du roi

Paroles et Musique: Jacques Brel 1954

Il était un fou du roi
Qui vivait l'âme sereine
En un château d'autrefois
Pour l'amour d'une reine

{Refrain:}

Et vivent les bossus
Ma mère
Et vivent les pendus
Et vivent les bossus
Ma mère
Et vivent les pendus

Il y eut une grande chasse
Où les nobles deux par deux
Tous les dix mètres s'embrassent
Dans les chemins qu'on dit creux

{au Refrain}

Lorsque le fou vit la reine
Courtisée par un beau comte
Il s'en fut le cœur en peine
Dans un bois pleurer de honte

{au Refrain}

Lorsque trois jours furent passés
Il revint vers le château
Et alla tout raconter
Dans sa tour au roi là-haut

{au Refrain}

Devant tout ce qu'on lui raconte
Tout un jour, le roi a ri
Il fit décorer le comte
Et c'est le fou qu'on pendit

{au Refrain}

Le gaz

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1967

Tu habites rue de la Madone
Une maison qui se déhanche
Une maison qui se tire-bouchonne
Et qui pleure à grosses planches
L'escalier colimaçonne
C'est pas grand, non
Mais y a d'la place

Tu habites rue de la Madone
Et moi je viens pour le gaz
Tu as un boudoir plein de bouddhas
Les bougies dansent dans leurs bougeoirs
Ça sent bon, c'est sans histoire
Ça ruisselle de taffetas
C'est rempli de photos d'toi
Qui sommeillent devant la glace
Tu as un boudoir plein d'bouddhas
Et moi et moi et moi
Je viens pour le gaz

Tu as un vrai divan de roi
Un vrai divan de diva
Du porto qu'tu rapportas
De la Porte des Lilas
T'as un p'tit chien et un grand chat
Un phono qui joue du jazz
Tu as un vrai divan de roi
Et moi et moi et moi
Je viens pour le gaz

Tu as des seins comme des soleils
Comme des fruits, comme des r'posoirs
Tu as des seins comme des miroirs
Comme des fruits, comme du miel
Tu les recouvres, tout devient noir
Tu les découvres et je deviens Pégase
Tu as des seins comme des trottoirs
Et moi et moi et moi
Je viens pour le gaz

Et puis chez toi y a l'plombier
Et y l'bedeau et y a l'facteur
Le docteur qui fait le café
Le notaire qui sert les liqueurs
Y a la moitié d'un artilleur
Y a un poète de Carpentras
Il y a quelques flics
Et puis la main de ma sœur
Et tout ça est là pour le gaz

Allez, allez-y donc tous, rue de la Madone
C'est pas grand, non
Mais y a d'la place
Allez, allez-y donc tous, rue de la Madone
Et dites bien que c'est pour le gaz

Le lion

Paroles et Musique: Jacques Brel 1977

Ça fait cinq jours
Ça fait cinq nuits
Qu'au-delà du fleuve qui bouillonne
Appelle, appelle la lionne
Ça fait cinq jours
Ça fait cinq nuits
Qu'en-deçà du fleuve qui bouillonne
Répond le lion à la lionne

Vas-y pas, Gaston
Même si elle te raconte
Que sa mère est gentille
Vas-y pas, Gaston
Même si elle ose te dire
Qu'elle t'aime pour la vie
Même si elle te supplie
De l'amener à la ville
Elle sera ta Manon
Tu s'ras son Des Grieux
Vous serez deux imbéciles

Ça fait dix jours
Ça fait dix nuits
Qu'au-delà du fleuve qui bouillonne
Appelle, appelle la lionne
Ça fait dix jours
Ça fait dix nuits
Qu'en-deçà du fleuve qui bouillonne
Répond le lion à la lionne

Vas-y pas, Gaston
Arrête de remuer la queue
Il faut qu'elle s'impatiente
Fais celui qui a le temps
Celui qui est débordé
Mets-la en liste d'attente
Vas-y pas, Gaston
Un lion doit être vache
Dis-lui qu't'es en plein rush
Souviens-toi d'Paulo
Qui nous disait toujours:
"Too much, c'est too much"

Ça fait vingt jours
Ça fait vingt nuits
Qu'au-delà du fleuve qui bouillonne
Appelle, appelle la lionne
Ça fait vingt jours
Ça fait vingt nuits
Qu'en-deçà du fleuve qui bouillonne
Répond le lion à la lionne

Vas-y pas, Gaston
Même si elle te signale
Qu'il y en a un autre en vue
Un qui est jeune, qui est beau
Qui danse comme un dieu
Qui a de la tenue
Un qui a de la crinière
Qui est très intelligent
Et qui va faire fortune
Un qui est généreux
Un qui que, quand elle veut
Lui offrira la lune

Ça fait une heure et vingt minutes
Qu'au-delà du fleuve qui bouillonne
Appelle, appelle la lionne
Ça fait une heure et vingt minutes
Que dans le fleuve qui bouillonne
Un lion est mort pour une lionne

{Parlé}
Jacques! Jacques!
Euh oui, oui
Jacques!
C'est… c'est moi qu'on appelle?
Jacques! Jacques!
Oui, oui, je suis là, oui
Jacques! Jacques…

Le moribond

Paroles et Musique: Jacques Brel 1961

autres interprètes: Les Croquants (2004), Beirut (2007)

Adieu l'Émile je t'aimais bien
Adieu l'Émile je t'aimais bien, tu sais
On a chanté les mêmes vins
On a chanté les mêmes filles
On a chanté les mêmes chagrins
Adieu l'Émile je vais mourir
C'est dur de mourir au printemps, tu sais
Mais j'pars aux fleurs la paix dans l'âme
Car vu qu't'es bon comme du pain blanc
Je sais qu'tu prendras soin d'ma femme
J'veux qu'on rie
J'veux qu'on danse
J'veux qu'on s'amuse comme des fous
J'veux qu'on rie
J'veux qu'on danse
Quand c'est qu'on m'mettra dans l'trou

Adieu Curé je t'aimais bien
Adieu Curé je t'aimais bien, tu sais
On n'était pas du même bord
On n'était pas du même chemin
Mais on cherchait le même port
Adieu Curé je vais mourir
C'est dur de mourir au printemps, tu sais
Mais j'pars aux fleurs la paix dans l'âme
Car vu que t'étais son confident
Je sais qu'tu prendras soin d'ma femme
J'veux qu'on rie
J'veux qu'on danse
J'veux qu'on s'amuse comme des fous
J'veux qu'on rie
J'veux qu'on danse
Quand c'est qu'on m'mettra dans l'trou

Adieu l'Antoine je t'aimais pas bien
Adieu l'Antoine je t'aimais pas bien, tu sais
J'en crève de crever aujourd'hui
Alors que toi tu es bien vivant
Et même plus solide que l'ennui
Adieu l'Antoine je vais mourir
C'est dur de mourir au printemps, tu sais
Mais j'pars aux fleurs la paix dans l'âme
Car vu que tu étais son amant
Je sais qu'tu prendras soin d'ma femme
J'veux qu'on rie
J'veux qu'on danse
J'veux qu'on s'amuse comme des fous
J'veux qu'on rie
J'veux qu'on danse
Quand c'est qu'on m'mettra dans l'trou

Adieu ma femme je t'aimais bien
Adieu ma femme je t'aimais bien, tu sais
Mais je prends l'train pour le bon Dieu
Je prends le train qui est avant l'tien
Mais on prend tous le train qu'on peut
Adieu ma femme, je vais mourir
C'est dur de mourir au printemps, tu sais
Mais j'pars aux fleurs les yeux fermés, ma femme
Car vu qu'j'les ai fermés souvent
Je sais qu'tu prendras soin d'mon âme
J'veux qu'on rie
J'veux qu'on danse
J'veux qu'on s'amuse comme des fous
J'veux qu'on rie
J'veux qu'on danse
Quand c'est qu'on m'mettra dans l'trou

Le plat pays

Paroles et Musique: Jacques Brel 1962

autres interprètes: Isabelle Aubret (1975), Pierre Bachelet

Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague
Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues
Et de vagues rochers que les marées dépassent
Et qui ont à jamais le cœur à marée basse
Avec infiniment de brumes à venir
Avec le vent de l'est écoutez-le tenir
Le plat pays qui est le mien

Avec des cathédrales pour uniques montagnes
Et de noirs clochers comme mâts de cocagne
Où des diables en pierre décrochent les nuages
Avec le fil des jours pour unique voyage
Et des chemins de pluie pour unique bonsoir
Avec le vent d'ouest écoutez-le vouloir
Le plat pays qui est le mien

Avec un ciel si bas qu'un canal s'est perdu
Avec un ciel si bas qu'il fait l'humilité
Avec un ciel si gris qu'un canal s'est pendu
Avec un ciel si gris qu'il faut lui pardonner
Avec le vent du nord qui vient s'écarteler
Avec le vent du nord écoutez-le craquer
Le plat pays qui est le mien

Avec de l'Italie qui descendrait l'Escaut
Avec Frida la Blonde quand elle devient Margot
Quand les fils de novembre nous reviennent en mai
Quand la plaine est fumante et tremble sous juillet
Quand le vent est au rire, quand le vent est au blé
Quand le vent est au sud, écoutez-le chanter
Le plat pays qui est le mien.

Le prochain amour

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest 1961

autres interprètes: Isabelle Aubret (1975)

On a beau faire, on a beau dire
Qu'un homme averti en vaut deux
On a beau faire, on a beau dire
Ça fait du bien d'être amoureux

Je sais, je sais que ce prochain amour
Sera pour moi la prochaine défaite
Je sais déjà à l'entrée de la fête
La feuille morte que sera le petit jour
Je sais, je sais, sans savoir ton prénom
Que je serai ta prochaine capture
Je sais déjà que c'est par leur murmure
Que les étangs mettent les fleuves en prison

Mais on a beau faire, on a beau dire
Qu'un homme averti en vaut deux
On a beau faire, on a beau dire
Ça fait du bien d'être amoureux

Je sais, je sais que ce prochain amour
Ne vivra pas jusqu'au prochain été
Je sais déjà que le temps des baisers
Pour deux chemins ne dure qu'un carrefour
Je sais, je sais que ce prochain amour
Sera pour moi la prochaine des guerres
Je sais déjà cette affreuse prière
Qu'il faut pleurer quand l'autre est le vainqueur

Mais on a beau faire, on a beau dire
Qu'un homme averti en vaut deux
On a beau faire, on a beau dire
Ça fait du bien d'être amoureux

Je sais, je sais que ce prochain amour
Sera pour nous de vivre un nouveau règne
Dont nous croirons tous deux porter les chaînes
Dont nous croirons que l'autre a le velours
Je sais, je sais que ma tendre faiblesse
Fera de nous des navires ennemis
Mais mon cœur sait des navires ennemis
Partant ensemble pour pêcher la tendresse

Car on a beau faire, on a beau dire
Qu'un homme averti en vaut deux
On a beau dire
Ça fait du bien d'être amoureux

Le tango funèbre

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1964

Ah! Je les vois déjà
Me couvrant de baisers
Et s'arrachant mes mains
Et demandant tout bas:
"Est-ce que la mort s'en vient?
Est-ce que la mort s'en va?
Est-ce qu'il est encore chaud?
Est-ce qu'il est déjà froid?"
Ils ouvrent mes armoires
Ils tâtent mes faïences
Ils fouillent mes tiroirs
Se régalant d'avance
De mes lettres d'amour
Enrubannées par deux
Qu'ils liront près du feu
En riant aux éclats
Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah!

Ah! Je les vois déjà
Compassés et frileux
Suivant comme des artistes
Mon costume de bois
Ils se poussent du cœur
Pour être le plus triste
Ils se poussent du bras
Pour être le premier
Z'ont amené des vieilles
Qui ne me connaissaient plus
Z'ont amené des enfants
Qui ne me connaissaient pas
Pensent au prix des fleurs
Et trouvent indécent
De ne pas mourir au printemps
Quand on aime le lilas
Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah!

Ah! Je les vois déjà
Tous mes chers faux amis
Souriant sous le poids
Du devoir accompli
Ah! Je te vois déjà
Trop triste, trop à l'aise
Protégeant sous le drap
Tes larmes lyonnaises
Tu ne sais même pas
Sortant de mon cimetière
Que tu entres en ton enfer
Quand s'accroche à ton bras
Le bras de ton quelconque
Le bras de ton dernier
Qui te fera pleurer
Bien autrement que moi
Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah!

Ah! Je me vois déjà
M'installant à jamais
Bien au triste, bien au froid
Dans mon champ d'osselets
Ah! Je me vois déjà
Je me vois tout au bout
De ce voyage-là
D'où l'on revient de tout
Je vois déjà tout ça
Et l'on a le brave culot
D'oser me demander
De n'plus boire que de l'eau
De n'plus trousser les filles
De mettre d'l'argent d'côté
D'aimer l'filet d'maquereau
Et d'crier: "Vive le roi!"
Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah!

Les amants de coeur

Paroles et Musique: Jacques Brel 1964

Ils s'aiment, s'aiment en riant
Ils s'aiment, s'aiment pour toujours
Ils s'aiment tout au long du jour
Ils s'aiment, s'aiment, s'aiment tant
Qu'on dirait des anges d'amour
Des anges fous se protégeant
Quand se retrouvent en courant
Les amants
Les amants de cœur
Les amants

Ils s'aiment, s'aiment à la folie
S'effeuillant à l'ombre des feux
Se découvrant comme deux fruits
Puis se trouvant n'être plus deux
Se dénouant comme velours
Se reprenant au petit jour
Et s'endormant les plus heureux
Les amants
Les amants de cœur
Les amants

Ils s'aiment, s'aiment en tremblant
Le cœur mouillé, le cœur battant
Chaque seconde est une peur
Qui croque le cœur entre ses dents
Ils savent trop de rendez-vous
Où ne vinrent que des facteurs
Pour n'avoir pas peur du loup
Les amants
Les amants de cœur
Les amants

Ils s'aiment, s'aiment en pleurant
Chaque jour un peu moins amants
Quand ils ont bu tout leur mystère
Deviennent comme sœur et frère
Brûlent leurs ailes d'inquiétude
Redeviennent deux habitudes
Alors changent de partenaire
Les amants
Les amants de cœur
Les amants

Qui s'aiment, s'aiment en riant
Qui s'aiment, s'aiment pour toujours
Qui s'aiment tout au long du jour
Qui s'aiment, s'aiment, s'aiment tant
Qu'on dirait des anges d'amour
Des anges fous se protégeant
Quand ils se retrouvent en courant
Les amants
Les amants de cœur
Les amants

Les bergers

Paroles et Musique: Jacques Brel 1964

Parfois ils nous arrivent avec leurs grands chapeaux
Et leurs manteaux de laine que suivent leurs troupeaux
Les bergers
Ils montent du printemps quand s'allongent les jours
Ou brûlés par l'été descendent vers les bourgs
Les bergers
Quand leurs bêtes s'arrêtent pour nous boire de l'eau
Se mettent à danser à l'ombre d'un pipeau
Les bergers

Entre eux l'en est de vieux, entre eux l'en est de sages
Qui appellent au puits tous les vieux du village
Les bergers
Ceux-là ont des histoires à nous faire telles peurs
Que pour trois nuits au moins nous rêvons des frayeurs
Des bergers
Ils ont les mêmes rides et les mêmes compagnes
Et les mêmes senteurs que leurs vieilles montagnes
Les bergers

Entre eux l'en est de jeunes, entre eux l'en est de beaux
Qui appellent les filles à faire le gros dos
Les bergers
Ceux-là ont des sourires qu'on dirait une fleur
Et des éclats de rire à faire jaillir de l'eau
Les bergers
Ceux-là ont des regards à vous brûler la peau
A vous défiancer, à vous clouer le cœur
Les bergers

Mais tous ils nous bousculent, qu'on soit filles ou garçons
Les garçons dans leurs rêves, les filles dans leurs frissons
Les bergers
Alors nous partageons le vin et le fromage
Et nous croyons une heure faire partie du voyage
Des bergers
C'est un peu comme Noël, Noël et ses trésors
Qui s'arrêteraient chez nous aux équinoxes d'or
Les bergers

Après ça ils s'en vont avec leurs grands chapeaux
Et leurs manteaux de laine que suivent leurs troupeaux
Les bergers
Ils montent du printemps quand s'allongent les jours
Ou brûlés par l'été descendent vers les bourgs
Les bergers
Quand leurs bêtes ont fini de nous boire notre eau
Se remettent en route à l'ombre d'un pipeau
Les bergers, les bergers, les bergers

Les biches

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1962

Elles sont notre premier ennemi
Quand elles s'échappent en riant
Des pâturages de l'ennui
Les biches
Avec des cils comme des cheveux
Des cheveux en accroche-faon
Et seulement le bout des yeux
Qui triche
Si bien que le chasseur s'arrête
Et que je sais des ouragans
Qu'elles ont changés en poètes
Les biches
Et qu'on les chasse de notre esprit
Ou qu'elles nous chassent en rougissant
Elles sont notre premier ennemi
Les biches de quinze ans

Elles sont notre plus bel ennemi
Quand elles ont l'éclat de la fleur
Et déjà la saveur du fruit
Les biches
Qui passent toute vertu dehors
Alors que c'est de tout leur cœur
Alors que c'est de tout leur corps
Qu'elles trichent
Lorsqu'elles grignotent le mari
Ou lorsqu'elles croquent le diamant
Sur l'asphalte bleu de Paris
Les biches
Qu'on les chasse à coups de rubis
Ou qu'elles nous chassent au sentiment
Elles sont notre plus bel ennemi
Les biches de vingt ans

Elles sont notre pire ennemi
Lorsqu'elles savent leur pouvoir
Mais qu'elles savent leur sursis
Les biches
Quand un chasseur est une chance
Quand leur beauté se lève tard
Quand c'est avec toute leur science
Qu'elles trichent
Trompant l'ennui plus que le cerf
Et l'amant avec l'autre amant
Et l'autre amant avec le cerf
Qui biche
Mais qu'on les chasse à la folie
Ou qu'elles nous chassent du bout des gants
Elles sont notre pire ennemi
Les biches d'après vingt ans

Elles sont notre dernier ennemi
Quand leurs seins tombent de sommeil
Pour avoir veillé trop de nuits
Les biches
Quand elles ont le pas résigné
Des pèlerins qui s'en reviennent
Quand c'est avec tout leur passé
Qu'elles trichent
Afin de mieux nous retenir
Nous qui ne servons à ce temps
Qu'à les empêcher de vieillir
Les biches
Mais qu'on les chasse de notre vie
Ou qu'elles nous chassent parce qu'il est temps
Elles restent notre dernier ennemi
Les biches de trop longtemps

Les bigotes

Paroles et Musique: Jacques Brel 1963

Elles vieillissent à petits pas
De petits chiens en petits chats
Les bigotes
Elles vieillissent d'autant plus vite
Qu'elles confondent l'amour et l'eau bénite
Comme toutes les bigotes

Ah! Si j’étais diable, en les voyant parfois
Je crois que je me ferais châtrer
Si j'étais Dieu en les voyant prier
Je crois que je perdrais la foi
Par les bigotes

Elles processionnent à petits pas
De bénitier en bénitier
Les bigotes
Et patati et patata
Mes oreilles commencent à siffler
Les bigotes

Vêtues de noir comme Monsieur le curé
Qui est trop bon avec les créatures
Elles s'embigotent les yeux baissés
Comme si Dieu dormait sous leurs chaussures
De bigotes

Le samedi soir après l'turbin
On voit l'ouvrier parisien
Mais pas d'bigotes
Car c'est au fond de leur maison
Qu'elles se préservent des garçons
Les bigotes

Qui préfèrent se ratatiner
De vêpres en vêpres de messe en messe
Toutes fières d'avoir pu conserver
Le diamant qui dort entre leurs f…
De bigotes

Puis elles meurent à petits pas
A petit feu, en petit tas
Les bigotes
Qui cimetièrent à petits pas
Au petit jour, d'un petit froid
De bigotes

Et dans le ciel qui n'existe pas
Les anges font vite un paradis pour elles
Une auréole et deux bouts d'ailes
Et elles s'envolent… à petits pas
De bigotes

Les blés

Paroles et Musique: Jacques Brel 1956

Donne-moi la main
Le soleil a paru
Il nous faut prendre le chemin
Le temps des moissons est venu
Le blé nous a trop attendus
Et nous attendons trop de pain
Ta main sur mon bras
Pleine de douceur
Bien gentiment demandera
De vouloir épargner les fleurs
Ma faucille les évitera
Pour éviter que tu ne pleures

Les blés sont pour la faucille
Les soleils pour l'horizon
Les garçons sont pour les filles
Et les filles pour les garçons
Les blés sont pour la faucille
Les soleils pour l'horizon
Les garçons sont pour les filles
Et les filles pour les garçons

Donne-moi tes yeux
Le soleil est chaud
Et dans ton regard lumineux
Il a fait jaillir des jets d'eau
Qui mieux qu'un geste
Mieux qu'un mot
Rafraîchiront ton amoureux
Penchée vers le sol
Tu gerbes le blé
Et si parfois ton jupon vole
Pardonne-moi de regarder
Les trésors que vient dévoiler
Pour mon plaisir le vent frivole

Les blés sont pour la faucille
Les soleils pour l'horizon
Les garçons sont pour les filles
Et les filles pour les garçons
Les blés sont pour la faucille
Les soleils pour l'horizon
Les garçons sont pour les filles
Et les filles pour les garçons

Donne-moi ton cœur
Le soleil fatigué
S'en est allé
Chanter ailleurs
La chanson des blés moissonnés
Venu est le temps de s'aimer
Il nous faut glaner le bonheur
Ecrasés d'amour, éblouis de joie
Je saluerai la fin du jour
En te serrant tout contre moi
Et tu combleras mon émoi
En me disant que pour toujours

Les blés sont pour la faucille
Les soleils pour l'horizon
Les garçons sont pour les filles
Et les filles pour les garçons
Les blés sont pour la faucille
Les soleils pour l'horizon
Les garçons sont pour les filles
Et les filles pour les garçons

Les bonbons (version 1964)

Paroles et Musique: Jacques Brel 1964

J’vous ai apporté des bonbons
Parce que les fleurs, c'est périssable
Puis les bonbons, c'est tellement bon
Bien que les fleurs soient plus présentables
Surtout, quand elles sont en boutons
Mais, j’vous ai apporté des bonbons

J'espère qu'on pourra se promener
Que madame vot’ mère ne dira rien
On ira voir passer les trains
A huit heures, moi, je vous ramènerai
Quel beau dimanche pour la saison!
J’vous ai apporté des bonbons

Si vous saviez c’que je suis fier
De vous voir pendue à mon bras
Les gens me regardent de travers
Y en a même qui rient derrière moi
Le monde est plein de polissons
J’vous ai apporté des bonbons

Oh oui! Germaine, est moins bien qu’vous
Oh oui! Germaine, elle est moins belle
C'est vrai qu’Germaine a des ch’veux roux
C'est vrai qu’Germaine, elle est cruelle
Ça, vous avez mille fois raison
J’vous ai apporté des bonbons

Et nous voilà sur la Grand-Place
Sur le kiosque, on joue Mozart
Mais dites-moi qu’c'est par hasard
Qu'il y a là votre ami Léon
Si vous voulez qu’je cède la place
J'avais apporté des bonbons

Mais bonjour! Mademoiselle Germaine
J'vous ai apporté des bonbons
Parce que les fleurs, c'est périssable
Puis les bonbons c'est tellement bon
Bien que les fleurs soient plus présentables
Surtout quand elles sont en boutons.
Allez! J'vous ai apporté des bonbons

Les bonbons (version 1967)

Paroles et Musique: Jacques Brel 1967

Je viens rechercher mes bonbons
Vois-tu, Germaine, j'ai eu trop mal
Quand tu m'as fait cette réflexion
Au sujet de mes cheveux longs
C'est la rupture bête et brutale

Je viens rechercher mes bonbons
Maintenant je suis un autre garçon
J'habite à l'Hôtel Georges Vé
J'ai perdu l'accent bruxellois
D'ailleurs plus personne n’a c’t accent-là
Sauf Brel à la télévision

Je viens rechercher mes bonbons
Quand père m'agace, moi j'lui fais: "Zop!"
Je traite ma mère de névropathe
Faut dire que père est vachement bath
Alors que mère est un peu snob
Mais enfin tout ça, hein, c'est l'conflit des générations

Je viens rechercher mes bonbons
Et tous les samedis soir que j'peux
Germaine, j'écoute pousser mes ch'veux
Je fais "glou glou", je fais "miam miam"
J'défile criant: "Paix au Vietnam!"
Parce que enfin, enfin, j'ai mes opinions

Je viens rechercher mes bonbons
Oh! Mais c’est ça, votre jeune frère?
Mademoiselle Germaine, c'est celui qui est flamingant?

J'vous ai apporté des bonbons
Parce que les fleurs c'est périssable
Puis les bonbons c'est tellement bon
Bien que les fleurs soient plus présentables
Surtout quand elles sont en boutons

J'vous ai apporté des bonbons…

Les bourgeois

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jean Corti 1962

autres interprètes: Serge Reggiani, Florent Pagny (2008)

Le cœur bien au chaud
Les yeux dans la bière
Chez la grosse Adrienne de Montalant
Avec l'ami Jojo
Et avec l'ami Pierre
On allait boire nos vingt ans
Jojo se prenait pour Voltaire
Et Pierre pour Casanova
Et moi, moi qui étais le plus fier
Moi, moi, je me prenais pour moi
Et quand vers minuit passaient les notaires
Qui sortaient de l'hôtel des "Trois Faisans"
On leur montrait notre cul et nos bonnes manières
En leur chantant:

Les bourgeois, c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux, plus ça devient bête
Les bourgeois, c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux, plus ça devient…

Le cœur bien au chaud
Les yeux dans la bière
Chez la grosse Adrienne de Montalant
Avec l'ami Jojo
Et avec l'ami Pierre
On allait brûler nos vingt ans
Voltaire dansait comme un vicaire
Et Casanova n'osait pas
Et moi, moi qui restais le plus fier
Moi j'étais presque aussi saoul que moi
Et quand vers minuit passaient les notaires
Qui sortaient de l'hôtel des "Trois Faisans"
On leur montrait notre cul et nos bonnes manières
En leur chantant:

Les bourgeois, c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux, plus ça devient bête
Les bourgeois, c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux, plus ça devient…

Le cœur au repos
Les yeux bien sur Terre
Au bar de l'hôtel des "Trois Faisans"
Avec maître Jojo
Et avec maître Pierre
Entre notaires on passe le temps
Jojo parle de Voltaire
Et Pierre de Casanova
Et moi, moi qui suis resté l'plus fier
Moi, moi je parle encore de moi
Et c'est en sortant vers minuit, Monsieur le Commissaire
Que tous les soirs, de chez la Montalant
De jeunes peigne-culs nous montrent leur derrière
En nous chantant:

Les bourgeois, c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux, plus ça devient bête
Les bourgeois, c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux, plus ça devient…

Les coeurs tendres

Paroles et Musique: Jacques Brel 1967

note: Chanson du film "Un idiot à Paris".

Y en a qui ont le cœur si large
Qu'on y entre sans frapper
Y en a qui ont le cœur si large
Qu'on n'en voit que la moitié

Y en a qui ont le cœur si frêle
Qu'on le briserait du doigt
Y en a qui ont le cœur trop frêle
Pour vivre comme toi et moi

Z'ont plein de fleurs dans les yeux
Les yeux à fleur de peur
De peur de manquer l'heure
Qui conduit à Paris

Y en a qui ont le cœur si tendre
Qu'y reposent les mésanges
Y en a qui ont le cœur trop tendre
Moitié hommes et moitié anges

Y en a qui ont le cœur si vaste
Qu'ils sont toujours en voyage
Y en a qui ont le cœur trop vaste
Pour se priver de mirages

Z'ont plein de fleurs dans les yeux
Les yeux à fleur de peur
De peur de manquer l'heure
Qui conduit à Paris

Y en a qui ont le cœur dehors
Et ne peuvent que l'offrir
Le cœur tellement dehors
Qu'ils sont tous à s'en servir

Celui-là a le cœur dehors
Et si frêle et si tendre
Que maudits soient les arbres morts
Qui ne pourraient point l'entendre

A plein de fleurs dans les yeux
Les yeux à fleur de peur
De peur de manquer l'heure
Qui conduit à Paris

Les désespérés

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1966

Se tiennent par la main
Et marchent en silence
Dans ces villes éteintes
Que le crachin balance
Ne sonnent que leurs pas
Pas à pas fredonnés
Ils marchent en silence
Les désespérés

Ils ont brûlé leurs ailes
Ils ont perdu leurs branches
Tellement naufragés
Que la mort paraît blanche
Ils reviennent d'amour
Ils se sont réveillés
Ils marchent en silence
Les désespérés

Et je sais leur chemin
Pour l'avoir cheminé
Déjà plus de cent fois
Cent fois plus qu'à moitié
Moins vieux ou plus meurtris
Ils vont le terminer
Ils marchent en silence
Les désespérés

Lente sous le pont
L'eau est douce et profonde
Voici la bonne hôtesse
Voici la fin du monde
Ils pleurent leurs prénoms
Comme de jeunes mariés
Et fondent en silence
Les désespérés

Que se lève celui
Qui leur lance la pierre
Ils ne sait de l'amour
Que le verbe "s'aimer"
Sur le pont n'est plus rien
Qu'une brume légère
Ça s'oublie en silence
Ceux qui ont espéré

Les F…

Paroles: Jacques Brel. Musique: Joe Donato 1977

Les Flamingants, chanson comique!

Messieurs les Flamingants, j'ai deux mots à vous rire
Il y a trop longtemps que vous me faites frire
A vous souffler dans l’cul, pour dev’nir autobus
Vous voilà acrobates mais vraiment rien de plus
Nazis durant les guerres et catholiques, entre elles
Vous oscillez sans cesse du fusil au missel
Vos regards sont lointains, votre humour est exsangue
Bien qu'il y ait des rues à Gand qui pissent dans les deux langues
Tu vois, quand j’pense à vous, j'aime que rien ne se perde
Messieurs les Flamingants, je vous emmerde

Vous salissez la Flandre, mais la Flandre vous juge
Voyez la mer du Nord, elle s'est enfuie de Bruges
Cessez de me gonfler mes vieilles roubignoles
Avec votre art flamand italo-espagnol
Vous êtes tellement, tellement beaucoup trop lourds
Que quand les soirs d'orage, des Chinois cultivés
Me demandent d'où je suis, je réponds fatigué
Et les larmes aux dents: "Ik ben van Luxembourg"
Et si, aux jeunes femmes, on ose un chant flamand
Elles s'envolent en rêvant aux oiseaux roses et blancs

Et je vous interdis d'espérer que jamais
A Londres, sous la pluie, on puisse vous croire anglais
Et je vous interdis, à New York ou Milan
D'éructer, messeigneurs, autrement qu'en flamand
Vous n'aurez pas l'air con, vraiment pas con du tout
Et moi, je m'interdis de dire que je m'en fous
Et je vous interdis d'obliger nos enfants
Qui ne vous ont rien fait, à aboyer flamand
Et si mes frères se taisent et bien tant pis pour elles
Je chante, persiste et signe, je m'appelle: Jacques Brel

Les fenêtres

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1963

Les fenêtres nous guettent
Quand notre cœur s'arrête
En croisant Louisette
Pour qui brûlent nos chairs
Les fenêtres rigolent
Quand elles voient la frivole
Qui offre sa corole
A un clerc de notaire
Les fenêtres sanglotent
Quand à l'aube falote
Un enterrement cahote
Jusqu'au vieux cimetière
Mais les fenêtres froncent
Leurs corniches de bronze
Quand elles voient les ronces
Envahir leur lumière

Les fenêtres murmurent
Quand tombent en chevelure
Les pluies de la froidure
Qui mouillent les adieux
Les fenêtres chantonnent
Quand se lève à l'automne
Le vent qui abandonne
Les rues aux amoureux
Les fenêtres se taisent
Quand l'hiver les apaise
Et que la neige épaisse
Vient leur fermer les yeux
Mais les fenêtres jacassent
Quand une femme passe
Qui habite l'impasse
Où passent les messieurs

La fenêtre est un œuf
Quand elle est œil-de-bœuf
Qui attend comme un veuf
Au coin d'un escalier
La fenêtre bataille
Quand elle est soupirail
D'où le soldat mitraille
Avant de succomber
Les fenêtres musardent
Quand elles sont mansardes
Et abritent les hardes
D'un poète oublié
Mais les fenêtres gentilles
Se recouvrent de grilles
Si par malheur on crie:
"Vive la liberté"

Les fenêtres surveillent
L'enfant qui s'émerveille
Dans un cercle de vieilles
A faire ses premiers pas
Les fenêtres sourient
Quand quinze ans trop jolis
Et quinze ans trop grandis
S'offrent un premier repas
Les fenêtres menacent
Les fenêtres grimacent
Quand parfois j'ai l'audace
D'appeler un chat un chat
Les fenêtres me suivent
Me suivent et me poursuivent
Jusqu'à c'que peur s'ensuive
Tout au fond de mes draps

Les fenêtres souvent {x3}
Traitent impunément
De voyous des enfants
Qui cherchent qui aimer
Les fenêtres souvent
Soupçonnent ces manants
Qui dorment sur les bancs
Et parlent l'étranger
Les fenêtres souvent
Se ferment en riant
Se ferment en criant
Quand on y va chanter
Ah, je n'ose pas penser
Qu'elles servent à voiler
Plus qu'à laisser entrer
La lumière de l'été

Non je préfère penser
Qu'une fenêtre fermée
Ça ne sert qu'à aider
Les amants à s'aimer

{2x}

Les filles et les chiens

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1963

Les filles
C'est beau comme un jeu
C'est beau comme un feu
C'est beaucoup trop peu
Les filles
C'est beau comme un fruit
C'est beau comme la nuit
C'est beaucoup d'ennuis
Les filles
C'est beau comme un r'nard
C'est beau comme un r'tard
C'est beaucoup trop tard
Les filles
C'est beau tant qu'ça peut
C'est beau comme l'adieu
Et c'est beaucoup mieux
Mais les chiens
C'est beau comme des chiens
Et ça reste là
A nous voir pleurer
Les chiens
Ça ne nous dit rien
C'est peut-être pour ça
Qu'on croit les aimer

Les filles
Ça vous pend au nez
Ça vous prend au thé
Ça vous prend les dés
Les filles
Ça vous pend au cou
Ça vous pend au clou
Ça dépend de vous
Les filles
Ça vous pend au cœur
Ça se pend aux fleurs
Ça dépend des heures
Les filles
Ça dépend de tout
Ça dépend surtout
Ça dépend des sous
Mais les chiens
Ça n'dépend de rien
Et ça reste là
A nous voir pleurer
Les chiens
Ça ne nous dit rien
C'est peut-être pour ça
Qu'on croit les aimer

Les filles
Ça joue au cerceau
Ça joue du cerveau
Ça se joue tango
Les filles
Ça joue l'amadou
Ça joue contre joue
Ça se joue de vous
Les filles
Ça joue à jouer
Ça joue à aimer
Ça joue pour gagner
Les filles
Qu'elles jouent les p'tites femmes
Qu'elles jouent les grandes dames
Ça se joue en drames
Mais les chiens
Ça ne joue à rien
Parce que ça n'sait pas
Comment faut tricher
Les chiens
Ça ne joue à rien
C'est peut-être pour ça
Qu'on croit les aimer

Les filles
Ça donne à rêver
Ça donne à penser
Ça vous donne congé
Les filles
Ça se donne pourtant
Ça se donne un temps
C'est donnant donnant
Les filles
Ça donne de l'amour
A chacun son tour
Ça donne sur la cour
Les filles
Ça vous donne son corps
Ça se donne si fort
Que ça donne des r'mords
Mais les chiens
Ça ne vous donne rien
Parce que ça n'sait pas
Faire semblant d'donner
Les chiens
Ça ne vous donne rien
C'est peut-être pour ça
Qu'on doit les aimer

Et c'est pourtant pour les filles
Qu'au moindre matin
Qu'au moindre chagrin
On renie ses chiens

Les flamandes

Paroles et Musique: Jacques Brel 1959

Les Flamandes dansent sans rien dire
Sans rien dire aux dimanches sonnants
Les Flamandes dansent sans rien dire
Les Flamandes ça n'est pas causant
Si elles dansent, c'est parce qu'elles ont vingt ans
Et qu'à vingt ans il faut se fiancer
Se fiancer pour pouvoir se marier
Et se marier pour avoir des enfants
C'est ce que leur ont dit leurs parents
Le bedeau et même son Eminence
L'Archiprêtre qui prêche au couvent
Et c'est pour ça et c'est pour ça qu'elles dansent
Les Flamandes
Les Flamandes
Les Fla – Les Fla – Les Flamandes

Les Flamandes dansent sans frémir
Sans frémir aux dimanches sonnants
Les Flamandes dansent sans frémir
Les Flamandes ça n'est pas frémissant
Si elles dansent, c'est parce qu'elles ont trente ans
Et qu'à trente ans il est bon de montrer
Que tout va bien, que poussent les enfants
Et le houblon et le blé dans le pré
Elles font la fierté de leurs parents
Et du bedeau et de son Eminence
L'Archiprêtre qui prêche au couvent
Et c'est pour ça et c'est pour ça qu'elles dansent
Les Flamandes
Les Flamandes
Les Fla – Les Fla – Les Flamandes

Les Flamandes dansent sans sourire
Sans sourire aux dimanches sonnants
Les Flamandes dansent sans sourire
Les Flamandes ça n'est pas souriant
Si elles dansent, c'est qu'elles ont septante ans
Qu'à septante ans il est bon de montrer
Que tout va bien, que poussent les p'tits-enfants
Et le houblon et le blé dans le pré
Toutes vêtues de noir comme leurs parents
Comme le bedeau et comme son Eminence
L'Archiprêtre qui radote au couvent
Elles héritent et c'est pour ça qu'elles dansent
Les Flamandes
Les Flamandes
Les Fla – Les Fla – Les Flamandes

Les Flamandes dansent sans mollir
Sans mollir aux dimanches sonnants
Les Flamandes dansent sans mollir
Les Flamandes ça n'est pas mollissant
Si elles dansent, c'est parce qu'elles ont "chent" ans
Et qu'à "chent" ans il est bon de montrer
Que tout va bien, qu'on a toujours bon pied
Et bon houblon et bon blé dans le pré
Elles s'en vont retrouver leurs parents
Et le bedeau et même Son Eminence
L'Archiprêtre qui radote au couvent
Et c'est pour ça qu'une dernière fois elles dansent
Les Flamandes
Les Flamandes
Les Fla – Les Fla -Les Flamandes.

Les jardins du casino

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1964

Les musiciens sortent leurs moustaches
Et leurs violons et leur saxo
Et la polka se met en marche
Dans les jardins du casino
Où glandouillent en papotant
De vieilles vieilles qui ont la gratouille
Et de moins vieilles qui ont la chatouille
Et des messieurs qui ont le temps
Passent aussi, indifférents
Quelques jeunes gens faméliques
Qui sont encore confondant
L'érotisme et la gymnastique
Tout ça dresse une muraille de Chine
Entre le pauvre ami Pierrot
Et sa fugace Colombine
Dans les jardins du casino

Les musiciens frétillent des moustaches
Et du violon et du saxo
Quand la polka guide la démarche
De la beauté du casino
Quelques couples protubérants
Dansent comme des escalopes
Avec des langueurs d'héliotrope
Devant les faiseuses de cancans
Un colonel encivilé
Présente à de fausses duchesses
Compliments et civilités
Et baise-mains, et ronds de fesses
Tout ça n'arrange pas, on le devine
Les affaires du pauvre Pierrot
Cherchant fugace Colombine
Dans les jardins du casino

Et puis, le soir tombe par taches
Les musiciens rangent leur saxo
Et leurs violons et leurs moustaches
Dans les jardins du casino
Les jeunes filles rentrent aux tanières
Sans ce jeune homme ou sans ce veuf
Qui devait leur offrir la litière
Où elles auraient pondu leur œuf
Les vieux messieurs rentrent au bercail
Retrouver le souvenir jauni
De leur madame Bovary
Qu'ils entretiennent, vaille que vaille
Il ne demeure que l'opaline
De l'âme du pauvre Pierrot
Pleurant fugace Colombine
Dans les jardins du casino
Du casino

Les Marquises

Paroles et Musique: Jacques Brel 1977

Ils parlent de la mort comme tu parles d'un fruit
Ils regardent la mer comme tu regardes un puits
Les femmes sont lascives au soleil redouté
Et s'il n'y a pas d'hiver, cela n'est pas l'été
La pluie est traversière, elle bat de grain en grain
Quelques vieux chevaux blancs qui fredonnent Gauguin
Et par manque de brise, le temps s'immobilise
Aux Marquises

Du soir, montent des feux et des points de silence
Qui vont s'élargissant, et la lune s'avance
Et la mer se déchire, infiniment brisée
Par des rochers qui prirent des prénoms affolés
Et puis, plus loin, des chiens, des chants de repentance
Et quelques pas de deux et quelques pas de danse
Et la nuit est soumise et l'alizé se brise
Aux Marquises

Le rire est dans le cœur, le mot dans le regard
Le cœur est voyageur, l'avenir est au hasard
Et passent des cocotiers qui écrivent des chants d'amour
Que les sœurs d'alentour ignorent d'ignorer
Les pirogues s'en vont, les pirogues s'en viennent
Et mes souvenirs deviennent ce que les vieux en font
Veux-tu que je te dise: gémir n'est pas de mise
Aux Marquises

Les moutons

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest 1967 "Les Marquises"

Désolé, bergère
J'aime pas les moutons
Qu'ils soient pure laine
Ou en chapeau melon
Qu'ils broutent leur colline
Qu'ils broutent le béton
Menés par quelques chiens
Et par quelques bâtons
Désolé, bergère
J'aime pas les moutons

Désolé, bergère
J'aime pas les agneaux
Qui arrondissent le dos
De troupeau en troupeau
De troupeau en étable
Et d'étable en bureau
J'aime encore mieux les loups
J'aime mieux les moineaux
Désolé, bergère
J'aime pas les agneaux

Désolé, bergère
J'aime pas les brebis
Ça arrive tout tordu
Et ça dit déjà "oui"
Ça se retrouve tondu
Et ça vous redit "oui"
Ça se balance en boucherie
Et ça re-redit "oui"
Désolé, bergère
J'aime pas les brebis

Désolé, bergère
J'aime pas les troupeaux
Qui ne voient pas plus loin
Que le bout de leur coteau
Qui avancent en reculant
Qui se noient dans un verre d'eau… bénite
Et dès que le vent se lève
Montrent le bas de leur dos
Désolé, bergère
J'aime pas les troupeaux

Désolé, bergère
J'aime pas les bergers
Désolé, bergère
J'aime pas les bergers
Il pleut, il pleut, bergère
Prends garde à te garder
Prends garde à te garder, bergère
Un jour tu vas bêler
Désolé, bergère
J'aime pas les bergers

Désolé bergère
J'aime pas les moutons
Qu'ils soient pure laine
Ou en chapeau melon
Qu'ils broutent leur colline
Qu'ils broutent le béton
Menés par quelques chiens
Et par quelques bâtons
Désolé bergère
J'aime pas les moutons

Bêêêêê

Les paumés du petit matin

Paroles: Jacques Brel. Musique: François Rauber 1962

Ils s'éveillent à l'heure du berger
Pour se lever à l'heure du thé
Et sortir à l'heure de plus rien
Les paumés du petit matin
Elles, elles ont l'arrogance
Des filles qui ont de la poitrine
Eux, ils ont cette assurance
Des hommes dont on devine
Que le papa a eu d'la chance
Les paumés du petit matin

Venez danser
Copain, copain, copain, copain
Copain, copain, copain
Venez danser
Et ça danse les yeux dans les seins

Ils se blanchissent leurs nuits
Au lavoir des mélancolies
Qui lave sans salir les mains
Les paumés du petit matin
Ils se racontent à minuit
Les poèmes qu'ils n'ont pas lus
Les romans qu'ils n'ont pas écrits
Les amours qu'ils n'ont pas vécues
Les vérités qui n'servent à rien
Les paumés du petit matin

Venez danser
Copain, copain, copain, copain
Copain, copain, copain
Venez danser
Et ça danse les yeux dans les seins

L'amour leur déchire le foie. Ah…
Ah! C'était… c'était si bien
C'était… Ah ah ah vous ne comprendriez pas
Les paumés du petit matin
Ils prennent le dernier whisky
Ils prennent le dernier bon mot
Ils reprennent le dernier whisky
Ils prennent le dernier tango
Ils prennent le dernier chagrin
Les paumés du petit matin

Venez pleurer
Copain, copain, copain, allez!
Allez! Venez, venez
Allez! Venez pleurer
Et ça pleure les yeux dans les seins

Les paumés du petit matin

Les pieds dans le ruisseau

Paroles et Musique: Jacques Brel 1955

{Refrain:}

Les pieds dans le ruisseau
Moi je regarde couler la vie
Les pieds dans le ruisseau
Moi je regarde sans dire un mot

Les gentils poissons
Me content leur vie
En faisant des ronds
Sur l'onde jolie
Et moi je réponds
En gravant dans l'eau
Des mots, jolis mots
Mots de ma façon

{au Refrain}

Au fil du courant
S'efface une lettre
Lettre d'un amant
Disparu peut-être
Ah! Que je voudrais
Trouver près de moi
Une fille dont j'pourrais
Caresser les doigts

{au Refrain}

Et quand le crapaud
Berce au crépuscule
Parmi les roseaux
Dame libellule
Penchant mon visage
Au-dessus de l'eau
Je vois mon image
Moi, je vois… moi, je vois l’idiot

Les prénoms de Paris

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1962

Le soleil qui se lève
Et caresse les toits
Et c'est Paris le jour
La Seine qui se promène
Et me guide du doigt
Et c'est Paris toujours
Et mon cœur qui s'arrête
Sur ton cœur qui sourit
Et c'est Paris bonjour
Et ta main dans ma main
Qui me dit déjà oui
Et c'est Paris l'amour
Le premier rendez-vous
A l'île Saint-Louis
C'est Paris qui commence
Et le premier baiser
Volé aux Tuileries
Et c'est Paris la chance
Et le premier baiser
Reçu sous un portail
Et c'est Paris romance
Et deux têtes qui tournent
En regardant Versailles
Et c'est Paris la France

Des jours que l'on oublie
Qui oublient de nous voir
Et c'est Paris l'espoir
Des heures où nos regards
Ne sont qu'un seul regard
Et c'est Paris miroir
Rien que des nuits encore
Qui séparent nos chansons
Et c'est Paris bonsoir
Et ce jour-là enfin
Où tu ne dis plus non
Et c'est Paris ce soir
Une chambre un peu triste
Où s'arrête la ronde
Et c'est Paris nous deux
Un regard qui reçoit
La tendresse du monde
Et c'est Paris tes yeux
Ce serment que je pleure
Plutôt que ne le dis
C'est Paris si tu veux
Et savoir que demain
Sera comme aujourd'hui
C'est Paris merveilleux

Mais la fin du voyage
La fin de la chanson
Et c'est Paris tout gris
Dernier jour, dernière heure
Première larme aussi
Et c'est Paris la pluie
Ces jardins remontés
Qui n'ont plus leur parure
Et c'est Paris l'ennui
La gare où s'accomplit
La dernière déchirure
Et c'est Paris fini
Loin des yeux loin du cœur
Chassé du paradis
Et c'est Paris chagrin
Mais une lettre de toi
Une lettre qui dit oui
Et c'est Paris demain
Des villes et des villages
Les roues tremblent de chance
C'est Paris en chemin
Et toi qui m'attends là
Et tout qui recommence
Et c'est Paris je reviens.

Les remparts de Varsovie

Paroles et Musique: Jacques Brel 1977

note: Extrait de la comédie musicale "Vilebrequin".

Madame promène son cul sur les remparts de Varsovie
Madame promène son cœur sur les ringards de sa folie
Madame promène son ombre sur les grand-places de l'Italie
Je trouve que Madame vit sa vie

Madame promène à l'aube les preuves de ses insomnies
Madame promène à ch'val ses états d'âmes et ses lubies
Madame promène un con qui assure que madame est jolie
Je trouve que Madame est servie

Tandis que moi tous les soirs
Je suis vestiaire à l'Alcazar

Madame promène l'été jusque dans le Midi d'la France
Madame promène ses seins jusque dans le midi d'la chance
Madame promène son spleen tout au long du lac de Constance
Je trouve Madame de circonstance

Madame promène son chien, un boudin noir nommé Byzance
Madame traîne son enfance et change selon les circonstances
Madame promène partout son accent russe avec aisance
C'est vrai qu'Madame est de Valence

Tandis que moi tous les soirs
Je suis barman à l'Alcazar

Madame promène son ch'veu qui a la senteur des nuits de Chine
Madame promène son r'gard sur tous les vieux qui ont des usines
Madame promène son rire comme d'autres promènent leur vaseline
Je trouve que Madame est coquine

Madame promène ses cuites de verre en verre, de fine en fine
Madame promène les gènes de vingt mille officiers d'marine
Madame raconte partout qu'on m'appelle "tata Jacqueline"
Je trouve Madame mauvaise copine

Tandis que moi tous les soirs
J'suis chanteuse légère à l'Alcazar

Madame promène ses mains dans les différents corps d'armée
Madame promène mes sous chez des d'mi-sel de bas quartiers
Madame promène carrosse qu'elle voudrait bien me voir tirer
Je trouve que Madame est gonflée

Madame promène banco qu'elle veut bien me laisser régler
Madame promène bijoux qu'elle veut bien me faire facturer
Madame promène ma Rolls que poursuivent quelques huissiers
Je trouve que Madame est pressée

Tandis que moi tous les soirs
Je fais la plonge à l'Alcazar

Madame promène son cul sur les remparts de Varsovie
Madame promène son cœur sur les ringards de sa folie
Madame promène son ombre sur les grand-places de l'Italie
Je trouve que Madame vit sa vie

Madame promène à l'aube les preuves de ses insomnies
Madame promène à ch'val ses états d'âmes et ses lubies
Madame promène un con qui assure que Madame est jolie
Je trouve que Madame est servie

Tandis que moi tous les soirs
Je suis vestiaire à l'Alcazar

Madame promène l'été jusque dans le Midi d'la France
Madame promène ses seins jusque dans le midi d'la chance
Madame promène son spleen tout au long du lac de Constance
Je trouve Madame de circonstance

Madame promène son chien, un boudin noir nommé Byzance
Madame traîne son enfance et change selon les circonstances
Madame promène partout son accent russe avec aisance
C'est vrai que Madame est de Valence

Madame promène l'été jusque dans le Midi d'la France
Madame promène ses seins jusque dans le Midi d'la chance
Madame promène son spleen tout au long du lac de Constance

Les singes

Paroles et Musique: Jacques Brel 1961

Avant eux, avant les culs pelés
La fleur, l'oiseau et nous étions en liberté
Mais ils sont arrivés, et la fleur est en pot
Et l'oiseau est en cage et nous en numéro
Car ils ont inventé prisons et condamnés
Et casiers judiciaires et trous dans la serrure
Et les langues coupées des premières censures
Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisés
Les singes, les singes, les singes de mon quartier
Les singes, les singes, les singes de mon quartier

Avant eux il n'y avait pas d'problème
Quand poussaient les bananes même pendant le Carême
Mais ils sont arrivés bardés d'intolérances
Pour chasser en apôtres d'autres intolérances
Car ils ont inventé la chasse aux Albigeois
La chasse aux infidèles et la chasse à ceux-là
La chasse aux singes sages qui n'aiment pas chasser
Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisés
Les singes, les singes, les singes de mon quartier
Les singes, les singes, les singes de mon quartier

Avant eux l'homme était un prince
La femme une princesse, l'amour une province
Mais ils sont arrivés, le prince est un mendiant
La province se meurt, la princesse se vend
Car ils ont inventé l'amour qui est un péché
L'amour qui est une affaire, le marché aux pucelles
Le droit de courte-cuisse et les mères maquerelles
Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisés
Les singes, les singes, les singes de mon quartier
Les singes, les singes, les singes de mon quartier

Avant eux il y avait paix sur Terre
Quand pour dix éléphants il n'y avait qu'un militaire
Mais ils sont arrivés et c'est à coups de bâtons
Que la raison d'État a chassé la raison
Car ils ont inventé le fer à empaler
Et la chambre à gaz et la chaise électrique
Et la bombe au napalm et la bombe atomique
Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisés
Les singes, les singes, les singes de mon quartier
Les singes de mon quartier

Les timides

Paroles et Musique: Jacques Brel 1964

autres interprètes: Juliette (1998)

Les timides
Ça s'tortille
Ça s'entortille
Ça sautille
Ça s'met en vrille
Ça s'recroqueville
Ça rêve d'être un lapin
Peu importe
D'où ils sortent
Mais feuilles mortes
Quand le vent les porte
Devant nos portes
On dirait qu'ils portent
Une valise dans chaque main

Les timides
Suivent l'ombre
L'ombre sombre
De leur ombre
Seule la pénombre
Sait le nombre
De leurs pudeurs de Levantin
Ils se plissent
Ils pâlissent
Ils jaunissent
Ils rosissent
Ils rougissent
S'écrevissent
Une valise dans chaque main

Mais les timides
Un soir d'audace
Devant leur glace
Rêvant d'espace
Mettent leur cuirasse
Et alors place!
Allons, Paris
Tiens-toi bien!
Et vive la gare
Saint-Lazare
Mais on s’égare
On s’effare
On s’ désempare
Et on repart
Une valise dans chaque main

Les timides
Quand ils chavirent
Pour une Elvire
Ont des soupirs
Ont des désirs
Qu'ils désirent dire
Mais ils n'osent pas bien
Et leur maîtresse
Plus prêtresse
En ivresse
Qu'en tendresse
Un soir les laisse
Du bout des fesses
Une valise dans chaque main

Les timides
Alors vieillissent
Alors finissent
Se rapetissent
Et quand ils glissent
Dans les abysses
Je veux dire
Quand ils meurent
N'osent rien dire
Rien maudire
N'osent frémir
N'osent sourire
Juste un soupir
Et ils meurent
Une valise sur le cœur

Les toros

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest, Jean Corti 1963

Les toros s'ennuient le dimanche
Quand il s'agit de courir pour nous
Un peu de sable, du soleil et des planches
Un peu de sang pour faire un peu de boue
Mais c'est l'heure où les épiciers se prennent pour Don Juan
C'est l'heure où les Anglaises se prennent pour Montherlant
Ah!
Qui nous dira à quoi ça pense
Un toro qui tourne et danse
Et s'aperçoit soudain qu'il est tout nu?
Ah!
Qui nous dira à quoi ça rêve
Un toro dont l'œil se lève
Et qui découvre les cornes des cocus?

Les toros s'ennuient le dimanche
Quand il s'agit de souffrir pour nous
Mais voici les picadors et la foule se venge
Voici les toreros, la foule est à genoux
Et c'est l'heure où les épiciers se prennent pour Garcia Lorca
C'est l'heure où les Anglaises se prennent pour la Carmencita

Les toros s'ennuient le dimanche
Quand il s'agit de mourir pour nous
Mais l'épée va plonger et la foule se penche
Mais l'épée a plongé et la foule est debout
C'est l'instant de triomphe où les épiciers se prennent pour Néron
C'est l'instant de triomphe où les Anglaises se prennent pour Wellington
Ah!
Est-ce qu'en tombant à terre
Les toros rêvent d'un enfer
Où brûleraient hommes et toreros défunts?
Ah!
Ou bien à l'heure du trépas
Ne nous pardonneraient-ils pas
En pensant à Carthage, Waterloo et Verdun?
Verdun!

Les vieux

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest, Jean Corti 1963

autres interprètes: Isabelle Aubret (1975), Richard Anthony

Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux
Même riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un cœur pour deux
Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d'antan
Que l'on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps
Est-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d'hier
Et d'avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières?
Et s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit: je vous attends?

Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos sont fermés
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter
Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit
Et s'ils sortent encore bras dessus, bras dessous, tout habillés de raide
C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide
Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend

Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps
Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer
Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin
Traverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin
Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit: je t'attends
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend.

Litanies pour un retour

Paroles: Jacques Brel. Musique: François Rauber 1958

Mon cœur ma mie mon âme
Mon ciel mon feu ma flamme
Mon puits ma source mon val
Mon miel mon baume mon Graal
Mon blé mon or ma terre
Mon soc mon roc ma pierre
Ma nuit ma soif ma faim
Mon jour mon aube mon pain

Ma voile ma vague mon guide ma voix
Mon sang ma force ma fièvre mon moi
Mon chant mon rire mon vin ma joie
Mon aube mon cri ma vie ma foi

Mon cœur ma mie mon âme
Mon ciel mon feu ma flamme
Mon corps ma chair mon bien
Voilà que tu reviens

Madeleine

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jean Corti, Gérard Jouannest 1962

autres interprètes: Pierre Bachelet (2003)

Ce soir j'attends Madeleine
J'ai apporté du lilas
J'en apporte toutes les s'maines
Madeleine elle aime bien ça
Ce soir j'attends Madeleine
On prendra le tram trente-trois
Pour manger des frites chez Eugène
Madeleine elle aime tant ça
Madeleine c'est mon Noël
C'est mon Amérique à moi
Même qu'elle est trop bien pour moi
Comme dit son cousin Joël
Mais ce soir j'attends Madeleine
On ira au cinéma
Je lui dirai des "je t'aime"
Madeleine elle aime tant ça

Elle est tellement jolie
Elle est tellement tout ça
Elle est toute ma vie
Madeleine que j'attends là

Ce soir j'attends Madeleine
Mais il pleut sur mes lilas
Il pleut comme toutes les s'maines
Et Madeleine n'arrive pas
Ce soir j'attends Madeleine
C'est trop tard pour l'tram trente-trois
Trop tard pour les frites d'Eugène
Madeleine n'arrive pas
Madeleine c'est mon horizon
C'est mon Amérique à moi
Même qu'elle est trop bien pour moi
Comme dit son cousin Gaston
Mais ce soir j'attends Madeleine
Il me reste le cinéma
J’pourrai lui dire des "je t'aime"
Madeleine elle aime tant ça

Elle est tellement jolie
Elle est tellement tout ça
Elle est toute ma vie
Madeleine qui n'arrive pas

Ce soir j'attendais Madeleine
Mais j'ai jeté mes lilas
J'les ai j'tés comme toutes les s'maines
Madeleine ne viendra pas
Ce soir j'attendais Madeleine
C'est fichu pour l'cinéma
Je reste avec mes "je t'aime"
Madeleine ne viendra pas
Madeleine c'est mon espoir
C'est mon Amérique à moi
Mais sûr qu'elle est trop bien pour moi
Comme dit son cousin Gaspard
Ce soir j'attendais Madeleine
Tiens le dernier tram s'en va
On doit fermer chez Eugène
Madeleine ne viendra pas

Elle est, elle est pourtant tellement jolie
Elle est pourtant tellement tout ça
Elle est pourtant toute ma vie
Madeleine qui n’viendra pas

Mais demain j'attendrai Madeleine
Je rapporterai du lilas
J'en rapporterai toute la s'maine
Madeleine elle aimera ça
Demain j'attendrai Madeleine
On prendra le tram trente-trois
Pour manger des frites chez Eugène
Madeleine elle aimera ça
Madeleine c'est mon espoir
C'est mon Amérique à moi
Tant pis si elle est trop bien pour moi
Comme dit son cousin Gaspard
Demain j'attendrai Madeleine
On ira au cinéma
Je lui dirai des "je t'aime"
Et Madeleine, elle aimera ça

Mai 40

Paroles et Musique: Jacques Brel 2003 "Brel infiniment"

note: Titre enregistré en 1977 publié à titre posthume.

{Refrain:}

On jouait un air comme celui-ci
Lorsque la guerre s'est réveillée
On jouait un air comme celui-ci
Lorsque la guerre est arrivée

Moi de mes onze ans d'altitude
Je découvrais éberlué
Des soldatesques fatiguées
Qui ramenaient ma belgitude
Les hommes devenaient des hommes
Les gares avalaient des soldats
Qui faisaient ceux qui n’s'en vont pas
Et les femmes
Les femmes s'accrochaient à leurs hommes

{au Refrain}

Et voilà que le printemps flambe
Les canons passaient en chantant
Et puis les voilà revenant
Déjà la gueule entre les jambes
Comme repassaient en pleurant
Nos grands frères devenus vieillards
Nos pères devenus brouillard
Et les femmes
Les femmes s'accrochaient aux enfants

{au Refrain}

Je découvris le réfugié
C'est un paysan qui se nomade
C'est un banlieusard qui s'évade
D'une ville ouverte qui est fermée
Je découvris le refusé
C'est un armé que l'on désarme
Et qui doit faire chemin à pied
Et les femmes
Les femmes s'accrochaient à leurs larmes

{au Refrain}

D'un ciel plus bleu qu'à l'habitude
Ce mai 40 a salué
Quelques allemands disciplinés
Qui écrasaient ma belgitude
L'honneur avait perdu patience
Et chaque bourg connut la crainte
Et chaque ville fut éteinte
Et les femmes
Les femmes s'accrochèrent au silence

Marieke

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1962

Ay Marieke Marieke je t'aimais tant
Entre les tours de Bruges et Gand
Ay Marieke Marieke il y a longtemps
Entre les tours de Bruges et Gand

Zonder liefde warme liefde
Waait de wind de stomme wind
Zonder liefde warme liefde
Weent de zee de grijze zee
Zonder liefde warme liefde
Lijdt het licht het donk're licht
En schuurt het zand over mijn land
Mijn platte land mijn Vlaanderland

Ay Marieke Marieke le ciel flamand
Couleur des tours de Bruges et Gand
Ay Marieke Marieke le ciel flamand
Pleure avec moi de Bruges à Gand

Zonder liefde warme liefde
Waait de wind c'est fini
Zonder liefde warme liefde
Weent de zee déjà fini
Zonder liefde warme liefde
Lijdt het licht tout est fini
En schuurt het zand over mijn land
Mijn platte land mijn Vlaanderland
Ay Marieke Marieke le ciel flamand
Pesait-il trop de Bruges à Gand
Ay Marieke Marieke sur tes vingt ans
Que j'aimais tant de Bruges à Gand

Zonder liefde warme liefde
Lacht de duivel de zwarte duivel
Zonder liefde warme liefde
Brandt mijn hart mijn oude hart
Zonder liefde warme liefde
Sterft de zomer de droeve zomer
En schuurt het zand over mijn land
Mijn platte land mijn Vlaanderland

Ay Marieke Marieke revienne le temps
Revienne le temps de Bruges et Gand
Ay Marieke Marieke revienne le temps
Où tu m'aimais de Bruges à Gand

Ay Marieke Marieke le soir souvent
Entre les tours de Bruges et Gand
Ay Marieke Marieke tous les étangs
M'ouvrent leurs bras de Bruges à Gand
De Bruges à Gand de Bruges à Gand

Mathilde

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1964

autres interprètes: Claude Nougaro (1974), Gérard Berliner, Florent Pagny (2008)

Ma mère, voici le temps venu
D'aller prier pour mon salut
Mathilde est revenue
Bougnat, tu peux garder ton vin
Ce soir je boirai mon chagrin
Mathilde est revenue
Toi la servante, toi la Maria
Vaudrait p't-être mieux changer nos draps
Mathilde est revenue
Mes amis, ne me laissez pas, non
Ce soir je repars au combat
Maudite Mathilde, puisque te v'là

Mon cœur, mon cœur ne t'emballe pas
Fais comme si tu ne savais pas
Que la Mathilde est revenue
Mon cœur, arrête de répéter
Qu'elle est plus belle qu'avant l'été
La Mathilde qui est revenue
Mon cœur, arrête de bringuebaler
Souviens-toi qu'elle t'a déchiré
La Mathilde qui est revenue
Mes amis, ne me laissez pas, non
Dites-moi, dites-moi qu'il ne faut pas
Maudite Mathilde puisque te v'là

Et vous mes mains, restez tranquilles
C'est un chien qui nous revient de la ville
Mathilde est revenue
Et vous mes mains, ne frappez pas
Tout ça ne vous regarde pas
Mathilde est revenue
Et vous mes mains, ne tremblez plus
Souvenez-vous quand j'vous pleurais d'ssus
Mathilde est revenue
Vous mes mains, ne vous ouvrez pas
Vous mes bras, ne vous tendez pas
Sacrée Mathilde puisque te v'là

Ma mère, arrête tes prières
Ton Jacques retourne en enfer
Mathilde m'est revenue
Bougnat, apporte-nous du vin
Celui des noces et des festins
Mathilde m'est revenue
Toi la servante, toi la Maria
Va tendre mon grand lit de draps
Mathilde m'est revenue
Amis, ne comptez plus sur moi
Je crache au ciel encore une fois
Ma belle Mathilde puisque te v'là, te v'là!

Mon enfance

Paroles et Musique: Jacques Brel 1967

Mon enfance passa
De grisailles en silences
De fausses révérences
En manque de batailles
L'hiver j'étais au ventre
De la grande maison
Qui avait jeté l'ancre
Au nord parmi les joncs
L'été à moitié nu
Mais tout à fait modeste
Je devenais indien
Pourtant déjà certain
Que mes oncles repus
M'avaient volé le Far West

Mon enfance passa
Les femmes aux cuisines
Où je rêvais de Chine
Vieillissaient en repas
Les hommes au fromage
S'enveloppaient de tabac
Flamands taiseux et sages
Et ne me savaient pas
Moi qui toutes les nuits
Agenouillé pour rien
Arpégeais mon chagrin
Au pied du trop grand lit
Je voulais prendre un train
Que je n'ai jamais pris

Mon enfance passa
De servante en servante
Je m'étonnais déjà
Qu'elles ne fussent point plantes
Je m'étonnais encore
De ces ronds de famille
Flânant de mort en mort
Et que le deuil habille
Je m'étonnais surtout
D'être de ce troupeau
Qui m'apprenait à pleurer
Que je connaissais trop
J'avais L'œil du berger
Mais le cœur de l'agneau

Mon enfance éclata
Ce fut l'adolescence
Et le mur du silence
Un matin se brisa
Ce fut la première fleur
Et la première fille
La première gentille
Et la première peur
Je volais je le jure
Je jure que je volais
Mon cœur ouvrait les bras
Je n'étais plus barbare

Et la guerre arriva

Et nous voilà ce soir.

Mon père disait

Paroles et Musique: Jacques Brel 1967

Mon père disait:
"C'est l'vent du nord
Qui fait craquer les digues
A Scheveningen
A Scheveningen, petit
Tellement fort
Qu'on ne sait plus qui navigue
La mer du Nord
Ou bien les digues
C'est le vent du nord
Qui transperce les yeux
Des hommes du nord
Jeunes ou vieux
Pour faire chanter
Des carillons de bleus
Venus du nord
Au fond de leurs yeux"

Mon père disait:
"C'est le vent du nord
Qui fait tourner la Terre
Autour de Bruges
Autour de Bruges, petit
C'est le vent du nord
Qu'a raboté la terre
Autour des tours
Des tours de Bruges
Et qui fait qu'nos filles
Ont l'regard tranquille
Des vieilles villes
Des vieilles villes
Qui fait qu'nos belles
Ont le cheveu fragile
De nos dentelles
De nos dentelles"

Mon père disait:
"C'est le vent du nord
Qu'a fait craquer la terre
Entre Zeebruges
Entre Zeebruges, petit
C'est le vent du Nord
Qu'a fait craquer la terre
Entre Zeebruges et l'Angleterre
Et Londres n'est plus
Comme avant le déluge
Le point de Bruges
Narguant la mer
Londres n'est plus
Que le faubourg de Bruges
Perdu en mer
Perdu en mer"

Mais mon père disait:
"C'est le vent du nord
Qui portera en terre
Mon corps sans âme
Et sans colère
C'est le vent du nord
Qui portera en terre
Mon corps sans âme
Face à la mer
C'est le vent du nord
Qui me fera capitaine
D'un brise-lames
Ou d'une baleine
C'est le vent du nord
Qui me fera capitaine
D'un brise-larmes
Pour ceux que j'aime"

Ne me quitte pas

Paroles et Musique: Jacques Brel 1959

autres interprètes: Simone Langlois (1959), Nina Simone (1964), Isabelle Aubret (1975), Hugues Auffray, Johnny Hallyday (1984), Pierre Bachelet (2003), Florent Pagny (2008)

Ne me quitte pas
Il faut oublier
Tout peut s'oublier
Qui s'enfuit déjà
Oublier le temps
Des malentendus
Et le temps perdu
A savoir comment
Oublier ces heures
Qui tuaient parfois
A coups de pourquoi
Le cœur du bonheur
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

Moi je t'offrirai
Des perles de pluie
Venues de pays
Où il ne pleut pas
Je creuserai la terre
Jusqu'après ma mort
Pour couvrir ton corps
D'or et de lumière
Je ferai un domaine
Où l'amour sera roi
Où l'amour sera loi
Où tu seras reine
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

Ne me quitte pas
Je t'inventerai
Des mots insensés
Que tu comprendras
Je te parlerai
De ces amants-là
Qui ont vu deux fois
Leurs cœurs s'embraser
Je te raconterai
L'histoire de ce roi
Mort de n'avoir pas
Pu te rencontrer
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

On a vu souvent
Rejaillir le feu
De l'ancien volcan
Qu'on croyait trop vieux
Il est paraît-il
Des terres brûlées
Donnant plus de blé
Qu'un meilleur avril
Et quand vient le soir
Pour qu'un ciel flamboie
Le rouge et le noir
Ne s'épousent-ils pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

Ne me quitte pas
Je n'vais plus pleurer
Je n'vais plus parler
Je me cacherai là
A te regarder
Danser et sourire
Et à t'écouter
Chanter et puis rire
Laisse-moi devenir
L'ombre de ton ombre
L'ombre de ta main
L'ombre de ton chien
Mais
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas.

On n'oublie rien

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest 1960

autres interprètes: Isabelle Aubret (1975)

On n'oublie rien de rien
On n'oublie rien du tout
On n'oublie rien de rien
On s'habitue c'est tout

Ni ces départs, ni ces navires
Ni ces voyages qui nous chavirent
De paysages en paysages
Et de visages en visages
Ni tous ces ports, ni tous ces bars
Ni tous ces attrape-cafard
Où l'on attend le matin gris
Au cinéma de son whisky
Ni tout cela, ni rien au monde
Ne sait pas nous faire oublier
Ne peut pas nous faire oublier
Qu'aussi vrai que la Terre est ronde.

On n'oublie rien de rien
On n'oublie rien du tout
On n'oublie rien de rien
On s'habitue c'est tout

Ni ces jamais ni ces toujours
Ni ces "je t'aime" ni ces amours
Que l'on poursuit à travers cœurs
De gris en gris de pleurs en pleurs
Ni ces bras blancs d'une seule nuit
Collier de femme pour notre ennui
Que l'on dénoue au petit jour
Par des promesses de retour
Ni tout cela ni rien au monde
Ne sait pas nous faire oublier
Ne peut pas nous faire oublier
Qu'aussi vrai que la Terre est ronde

On n'oublie rien de rien
On n'oublie rien du tout
On n'oublie rien de rien
On s'habitue c'est tout

Ni même ce temps où j'aurais fait
Mille chansons de mes regrets
Ni même ce temps où mes souvenirs
Prendront mes rides pour un sourire
Ni ce grand lit où mes remords
Ont rendez-vous avec la mort
Ni ce grand lit que je souhaite
A certains jours comme une fête
Ni tout cela ni rien au monde
Ne sait pas nous faire oublier
Ne peut pas nous faire oublier
Qu'aussi vrai que la Terre est ronde

On n'oublie rien de rien
On n'oublie rien du tout
On n'oublie rien de rien
On s'habitue c'est tout

Orly

Paroles et Musique: Jacques Brel 1977

autres interprètes: Pierre Bachelet (2003), Coup d'Marron (2007), Florent Pagny (2008)

Ils sont plus de deux mille
Et je ne vois qu'eux deux
La pluie les a soudés,
Semble-t-il, l'un à l'autre
Ils sont plus de deux mille
Et je ne vois qu'eux deux
Et je les sais qui parlent
Il doit lui dire «Je t'aime!»
Elle doit lui dire «Je t'aime!»
Je crois qu'ils sont en train
De ne rien se promettre
Ces deux-là sont trop maigres
Pour être malhonnêtes

Ils sont plus de deux mille
Et je ne vois qu'eux deux
Et brusquement, il pleure
Il pleure à gros bouillons
Tout entourés qu'ils sont
D'adipeux en sueur
Et de bouffeurs d'espoir
Qui les montrent du nez
Mais ces deux déchirés
Superbes de chagrin
Abandonnent aux chiens
L'exploit de les juger

La vie ne fait pas de cadeau
Et nom de Dieu c’est triste
Orly, le dimanche,
Avec ou sans Bécaud!

Et maintenant, ils pleurent
Je veux dire tous les deux
Tout à l'heure c'était lui
Lorsque je disais "il"
Tout encastrés qu'ils sont
Ils n'entendent plus rien
Que les sanglots de l'autre
Et puis
Et puis infiniment
Comme deux corps qui prient
Infiniment, lentement,
Ces deux corps se séparent
Et en se séparant
Ces deux corps se déchirent
Et je vous jure qu'ils crient
Et puis, ils se reprennent
Redeviennent un seul
Redeviennent le feu
Et puis, se redéchirent
Se tiennent par les yeux
Et puis, en reculant
Comme la mer se retire,
Il consomme l'adieu
Il bave quelques mots
Agite une vague main
Et brusquement, il fuit
Fuit sans se retourner
Et puis, il disparaît
Bouffé par l'escalier

La vie ne fait pas de cadeau
Et nom de Dieu c'est triste
Orly, le dimanche,
Avec ou sans Bécaud!

Et puis, il disparaît
Bouffé par l'escalier
Et elle, elle reste là
Cœur en croix, bouche ouverte
Sans un cri, sans un mot
Elle connaît sa mort
Elle vient de la croiser
Voilà qu'elle se retourne
Et se retourne encore
Ses bras vont jusqu'à terre
Ça y est! Elle a mille ans
La porte est refermée
La voilà sans lumière
Elle tourne sur elle-même
Et déjà elle sait
Qu'elle tournera toujours
Elle a perdu des hommes
Mais là, elle perd l'amour
L'amour le lui a dit
Revoilà l'inutile
Elle vivra de projets
Qui ne feront qu'attendre
La revoilà fragile
Avant que d'être à vendre

Je suis là, je la suis
Je n'ose rien pour elle
Que la foule grignote
Comme un quelconque fruit

Pardons

Paroles et Musique: Jacques Brel 1956

note: le deuxième couplet était rarement chanté par Jacques Brel

Pardon pour cette fille
Que l'on a fait pleurer
Pardon pour ce regard
Que l'on quitte en riant
Pardon pour ce visage
Qu'une larme a changé
Pardon pour ces maisons
Où quelqu'un nous attend
Et puis pour tous ces mots
Que l'on dit mots d'amour
Et que nous employons
En guise de monnaie
Et pour tous les serments
Qui meurent au petit jour
Pardon pour les jamais
Pardon pour les toujours

Pardon de ne plus voir
Les choses comme elles sont
Pardon d'avoir voulu
Oublier nos vingt ans
Pardon d'avoir laissé
S'oublier nos leçons
Pardon de renoncer
A nos renoncements
Et puis de se terrer
Au milieu de sa vie
Et puis de préférer
Le salaire de Judas
Pardon pour l'amitié
Pardon pour les amis

Pardon pour les hameaux
Qui ne chantent jamais
Pardon pour les villages
Que l'on a oubliés
Pardon pour les cités
Où nul ne se connaît
Pardon pour les pays
Faits de sous-officiers
Pardon d'être de ceux
Qui se foutent de tout
Et de ne pas avoir
Chaque jour essayé
Et puis pardon encore
Et puis pardon surtout
De ne jamais savoir
Qui doit nous pardonner

Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient?

Paroles et Musique: Jacques Brel 1963

note: Complainte du film "Un roi sans divertissement", d'après le livre éponyme de Jean Giono.

Pourtant les hôtesses sont douces
Aux auberges bordées de neige
Pourtant patientent les épouses
Que les enfants ont prises au piège
Pourtant les auberges sont douces
Où le vin fait tourner manège
Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient?

Pourtant les villes sont paisibles
Où tremblent cloches et clochers
Mais le diable dort-il sous la bible
Mais les rois savent-ils prier
Pourtant les villes sont paisibles
De blanc matin en blanc coucher
Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient?

Pourtant il nous reste à rêver
Pourtant il nous reste à savoir
Et tous ces loups qu'il faut tuer
Tous ces printemps qu'il reste à boire
Désespérance ou désespoir
Il nous reste à être étonnés
Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient?

Pourtant il nous reste à tricher
Être le pique et jouer cœur
Être la peur et rejouer
Être le diable et jouer fleur
Pourtant il reste à patienter
Bon an mal an on ne vit qu'une heure
Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient?

Prière païenne

Paroles et Musique: Jacques Brel 1956

N'est-il pas vrai Marie que c'est prier pour vous
Que de lui dire «Je t'aime» en tombant à genoux?
N'est-il pas vrai Marie que c'est prier pour vous
Que pleurer de bonheur en riant comme un fou
Que couvrir de tendresse nos païennes amours
C'est fleurir de prières chaque nuit, chaque jour?

N'est-il pas vrai Marie que c'est chanter pour vous
Que semer nos chemins, de simple poésie?
N'est-il pas vrai Marie que c'est chanter pour vous
Que voir en chaque chose, une chose jolie
Que chanter pour l'enfant qui bientôt nous viendra
C'est chanter pour l'Enfant qui repose en vos bras?

N'est-il pas vrai Marie?
N'est-il pas vrai Marie?

Qu'avons-nous fait bonnes gens?

Paroles et Musique: Jacques Brel 1955

Qu'avons-nous fait bonnes gens, dites-moi,
De la bonté du monde?
On l'aurait cachée au fond d'un bois
Que ça ne m'étonnerait guère
On l'aurait enfouie dix pieds sous terre
Que ça ne m'étonnerait pas
Et c'est dommage de ne plus voir
A chaque soir, chaque matin
Sur les routes, sur les trottoirs
Une foule de petits Saint-Martin

Qu'avons-nous fait bonnes gens, dites-moi,
De tout l'amour du monde?
On l'aurait vendu pour je ne sais quoi
Que ça ne m'étonnerait guère
On l'aurait vendu pour faire la guerre
Que ça ne m'étonnerait pas
Mais c'est dommage de ne plus voir
Les amoureux qui ont vingt ans
Se conter mille et une histoires
Ne brûlent plus les feux de la Saint-Jean

Mais nous retrouverons, bonnes gens, croyez-moi,
Toutes ces joies profondes
On les retrouverait au fond de soi
Que ça ne m'étonnerait guère
On les retrouverait sous la poussière
Que ça ne m'étonnerait pas
Et c'est tant mieux
On pourra voir
Enfin d'autres que les fous
Chanter l'amour, chanter l'espoir
Et les chanter avec des mots à vous
Qu'attendons-nous bonnes gens, dites-moi,
Pour retrouver ces choses
Qu'attendons-nous bonnes gens?
Dites-le-moi

Quand maman reviendra

Paroles et Musique: J. Brel/F. Rauber 1963

Quand ma maman reviendra
C'est mon papa qui sera content
Quand elle reviendra maman
Qui c'est qui sera content c'est moi
Elle reviendra comme chaque fois
A cheval sur un chagrin d'amour
Et pour mieux fêter son retour
Toute la sainte famille sera là
Et elle me rechantera les chansons
Les chansons que j'aimais tellement
On a tellement besoin de chansons
Quand il paraît qu'on a vingt ans

Quand mon frère il reviendra
C'est mon papa qui sera content
Quand il reviendra le Fernand
Qui c'est qui sera content c'est moi
Il reviendra de sa prison
Toujours à cheval sur ses principes
Il reviendra et toute l'équipe
L'accueillera sur le perron
Et il me racontera les histoires
Les histoires que j'aimais tellement
On a tellement besoin d'histoires
Quand il paraît qu'on a vingt ans

Quand ma sœur elle reviendra
C'est mon papa qui sera content
Quand reviendra la fille de maman
Qui c'est qui sera content c'est moi
Elle reviendra de Paris
Sur le cheval d'un prince charmant
Elle reviendra et toute la famille
L'accueillera en pleurant
Et elle me redonnera son sourire
Son sourire que j'aimais tellement
On a tellement besoin de sourires
Quand il paraît qu'on a vingt ans

Quand mon papa reviendra
C'est mon papa qui sera content
Quand il reviendra en gueulant
Qui c'est qui sera content c'est moi
Il reviendra du bistrot du coin
A cheval sur une idée noire
Il reviendra que quand il sera noir
Que quand il en aura besoin
Et il me redonnera des soucis
Des soucis que j'aime pas tellement
Mais il paraît qu'il faut des soucis
Quand il paraît qu'on a vingt ans

Si ma maman revenait
Qu'est-ce qu'il serait content papa
Si ma maman revenait
Qui c'est qui serait content c'est moi

Quand on n'a que l'amour

Paroles et Musique: Jacques Brel 1956

autres interprètes: Dalida (1957), Isabelle Aubret (1975), Guesch Patti, Star Academy (2001), Céline Dion, Thierry Amiel (2003), Pierre Bachelet amp; Patricia Grillo (2003), Anaëlle (2006)

Quand on n'a que l'amour
A s'offrir en partage
Au jour du grand voyage
Qu'est notre grand amour

Quand on n'a que l'amour
Mon amour toi et moi
Pour qu'éclatent de joie
Chaque heure et chaque jour

Quand on n'a que l'amour
Pour vivre nos promesses
Sans nulle autre richesse
Que d'y croire toujours

Quand on n'a que l'amour
Pour meubler de merveilles
Et couvrir de soleil
La laideur des faubourgs

Quand on n'a que l'amour
Pour unique raison
Pour unique chanson
Et unique secours

Quand on n'a que l'amour
Pour habiller matin
Pauvres et malandrins
De manteaux de velours

Quand on n'a que l'amour
A offrir en prière
Pour les maux de la terre
En simple troubadour

Quand on n'a que l'amour
A offrir à ceux-là
Dont l'unique combat
Est de chercher le jour

Quand on n'a que l'amour
Pour tracer un chemin
Et forcer le destin
A chaque carrefour

Quand on n'a que l'amour
Pour parler aux canons
Et rien qu'une chanson
Pour convaincre un tambour

Alors sans avoir rien
Que la force d'aimer
Nous aurons dans nos mains,
Amis le monde entier

Regarde bien, petit

Paroles et Musique: Jacques Brel 1968

Regarde bien, petit,
Regarde bien
Sur la plaine là-bas
À hauteur des roseaux
Entre ciel et moulin
Y a un homme qui vient
Que je ne connais pas
Regarde bien, petit,
Regarde bien

Est-ce un lointain voisin
Un voyageur perdu
Un revenant de guerre
Un montreur de dentelles?
Est-ce un abbé porteur
De ces fausses nouvelles
Qui aident à vieillir?
Est-ce mon frère qui vient
Me dire qu'il est temps
D'un peu moins nous haïr?
Ou n'est-ce que le vent
Qui gonfle un peu le sable
Et forme des mirages
Pour nous passer le temps?

Regarde bien, petit,
Regarde bien
Sur la plaine là-bas
À hauteur des roseaux
Entre ciel et moulin
Y a un homme qui vient
Que je ne connais pas
Regarde bien, petit,
Regarde bien

Ce n'est pas un voisin
Son cheval est trop fier
Pour être de ce coin
Pour revenir de guerre,
Ce n'est pas un abbé
Son cheval est trop pauvre
Pour être paroissien,
Ce n'est pas un marchand
Son cheval est trop clair
Son habit est trop blanc
Et aucun voyageur
N'a plus passé le pont
Depuis la mort du père
Ni ne sait nos prénoms

Regarde bien, petit,
Regarde bien
Sur la plaine là-bas
À hauteur des roseaux
Entre ciel et moulin
Y a un homme qui vient
Que je ne connais pas
Regarde bien, petit,
Regarde bien

Non, ce n'est pas mon frère
Son cheval aurait bu
Non, ce n'est pas mon frère
Il ne l'oserait plus
Il n'est plus rien ici
Qui puisse le servir
Non, ce n'est pas mon frère
Mon frère a pu mourir
Cette ombre de midi
Aurait plus de tourments
S'il s'agissait de lui

Allons, c'est bien le vent
Qui gonfle un peu le sable
Pour nous passer le temps

Regarde bien, petit,
Regarde bien
Sur la plaine là-bas
À hauteur des roseaux
Entre ciel et moulin
Y a un homme qui part
Que nous ne saurons pas
Regarde bien, petit,
Regarde bien

Il faut sécher tes larmes
Y a un homme qui part
Que nous ne saurons pas
Tu peux ranger les armes

Rosa

Paroles et Musique: Jacques Brel 1962

Rosa rosa rosam
Rosae rosae rosa
Rosae rosae rosas
Rosarum rosis rosis

C'est le plus vieux tango du monde
Celui que les têtes blondes
Ânonnent comme une ronde
En apprenant leur latin
C'est le tango du collège
Qui prend les rêves au piège
Et dont il est sacrilège
De ne pas sortir malin
C'est le tango des bons pères
Qui surveillent l'œil sévère
Les Jules et les Prosper
Qui seront la France de demain

Rosa rosa rosam
Rosae rosae rosa
Rosae rosae rosas
Rosarum rosis rosis

C'est le tango des forts en thème
Boutonneux jusqu'à l'extrême
Et qui recouvrent de laine
Leur cœur qui est déjà froid
C'est le tango des forts en rien
Qui déclinent de chagrin
Et qui seront pharmaciens
Parce que papa ne l'était pas
C'est le temps où j'étais dernier
Car ce tango rosa rosae
J'inclinais à lui préférer
Déjà ma cousine Rosa

Rosa rosa rosam
Rosae rosae rosa
Rosae rosae rosas
Rosarum rosis rosis

C'est le tango des promenades
Deux par seul sous les arcades
Cerclés de corbeaux et d'alcades
Qui nous protégeaient des pourquoi
C'est le tango de la pluie sur la cour
Le miroir d'une flaque sans amour
Qui m'a fait comprendre un beau jour
Qu' je n' serais pas Vasco de Gama
Mais c'est l' tango du temps béni
Où pour un baiser trop petit
Dans la clairière d'un jeudi
A rosi cousine Rosa

Rosa rosa rosam
Rosae rosae rosa
Rosae rosae rosas
Rosarum rosis rosis

C'est le tango du temps des zéros
J'en avais tant des minces des gros
Qu' j'en faisais des tunnels pour Charlot
Des auréoles pour saint François
C'est le tango des récompenses
Qui allaient à ceux qui ont la chance
D'apprendre dès leur enfance
Tout ce qui ne leur servira pas
Mais c'est le tango que l'on regrette
Une fois que le temps s'achète
Et que l'on s'aperçoit tout bête
Qu'il y a des épines aux Rosa

Rosa rosa rosam
Rosae rosae rosa
Rosae rosae rosas
Rosarum rosis rosis

S'il te faut

Paroles et Musique: Jacques Brel 1955

Tu n'as rien compris

S'il te faut des trains pour fuir vers l'aventure
Et de blancs navires qui puissent t'emmener
Chercher le soleil à mettre dans tes yeux
Chercher des chansons que tu puisses chanter
Alors…

S'il te faut l'aurore pour croire au lendemain
Et des lendemains pour pouvoir espérer
Retrouver l'espoir qui t'a glissé des mains
Retrouver la main que ta main a quittée
Alors…

S'il te faut des mots prononcés par des vieux
Pour te justifier tous tes renoncements
Si la poésie pour toi n'est plus qu'un jeu
Si toute ta vie n'est qu'un vieillissement
Alors…

S'il te faut l'ennui pour te sembler profond
Et le bruit des villes pour saouler tes remords
Et puis, des faiblesses pour te paraître bon
Et puis, des colères pour te paraître fort
Alors…

Alors, tu n'as rien compris

Saint Pierre

Paroles et Musique: Jacques Brel 1956

Il y a longtemps de cela
Au fond du ciel, le bon saint Pierre
Comme un collégien se troubla
Pour une étoile au cœur de pierre
Sitôt conquise, elle s'envole
En embrasant de son regard
Le cœur, la barbe et l'auréole
Du bon saint Pierre au désespoir
Qui criait et pleurait
Dans les rues du paradis
Qui criait et pleurait
Tout en se moquant de lui

Effeuillons l'aile d'un ange
Pour voir si elle pense à moi
Effeuillons l'aile d'un ange
Pour voir si elle m'aimera

Saint Pierre alors partit chercher
A cheval sur un beau nuage
Vainement dans la Voie Lactée
Sa jeune étoile au cœur volage
Au paradis, lorsqu'il revint
Devant la porte, il est resté
N'osant montrer tout son chagrin
A ses copains auréolés
Qui criaient et pleuraient
Dans les rues du paradis
Qui criaient et pleuraient
Tout en se moquant de lui

Effeuillons l'aile d'un ange
Pour voir si elle pense à toi
Effeuillons l'aile d'un ange
Pour voir si elle t'aimera

Mais le bon Dieu lui vint en aide
Car les barbus sont syndiqués
Il changea l'étoile en planète
Et fit de saint Pierre un portier
Et de ces anges déplumés
Par les amours du bon saint Pierre
Afin de tout récupérer
Il fit les démons de l'enfer
Ceux qui crient, ceux qui pleurent
A l'heure où naissent les nuits
Ceux qui crient, ceux qui pleurent
Dans un coin de votre esprit

Effeuillons l'aile d'un ange
Pour voir si elle pense à moi
Effeuillons l'aile d'un ange
Pour voir si elle m'aimera

Sans exigences

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, François Rauber 2003 "Brel infiniment"

note: inédit enregistré en 1977; note figurant sur la compilation de 2003 "chanson non aboutie que Jacques Brel et nous-mêmes désirions remanier, raison pour laquelle elles n’ont jamais été divulguées" (François Rauber, Gérard Jouannest)

Je n'étais plus que son amant
Je vivais bien de temps en temps
Mais peu à peu, de moins en moins
Je blasphémais ma dernière chance
Au fil de son indifférence
J'en voulais faire mon seul témoin
Mais j'ai dû manquer d'impudence
Car, me voyant sans exigences,
Elle me croyait sans besoins

Je protégeais ses moindres pas
Je passais mais ne pesais pas
Je me trouvais bien de la chance
A vivre à deux ma solitude
Puis, je devins son habitude
Je devins celui qui revient
Lorsqu'elle revenait de partance
Et me voyant sans exigences
Elle me croyait sans besoins

L'eau chaude n'a jamais mordu
Mais on ne peut que s'y baigner
Et elle ne peut de plus en plus
Que refroidir et reprocher
Qu'on ne soit pas assez soleil
L'eau chaude à l'eau chaude est pareille
Elle confond faiblesse et patience
Et me voyant sans exigences
Elle me voulait sans merveilles

De mal à seul, j'eus mal à deux
J'en suis venu à prier Dieu
Mais on sait bien qu'Il est trop vieux
Et qu'Il n'est plus maître de rien
Il eût fallu que j'arrogance
Alors que, tremblant d'indulgence,
Mon cœur n'osât lever la main
Et me voyant sans exigences
Elle me croyait sans besoins

Elle est partie comme s'en vont
Ces oiseaux-là dont on découvre
Après avoir aimé leurs bonds
Que le jour où leurs ailes s'ouvrent
Ils s'ennuyaient entre nos mains
Elle est partie comme en vacances
Depuis, le ciel est un peu lourd
Et je me meurs d'indifférence
Et elle croit s' couvrir d'amour

Seul

Paroles et Musique: Jacques Brel 1959

autres interprètes: Isabelle Aubret (1975)

On est deux mon amour
Et l'amour chante et rit
Mais à la mort du jour
Dans les draps de l'ennui
On se retrouve seul

On est dix à défendre
Les vivants par des morts
Mais cloués par leurs cendres
Au poteau du remords
On se retrouve seul

On est cent qui dansons
Au bal des bons copains
Mais au dernier lampion
Mais au premier chagrin
On se retrouve seul

On est mille contre mille
A se croire les plus forts
Mais à l'heure imbécile
Où ça fait deux mille morts
On se retrouve seul

On est million à rire
Du million qui est en face
Mais deux millions de rires
N'empêchent que dans la glace
On se retrouve seul

On est mille à s'asseoir
Au sommet de la fortune
Mais dans la peur de voir
Tout fondre sous la lune
On se retrouve seul

On est cent que la gloire
Invite sans raison
Mais quand meurt le hasard
Quand finit la chanson
On se retrouve seul

On est dix à coucher
Dans le lit de la puissance
Mais devant ces armées
Qui s'enterrent en silence
On se retrouve seul

On est deux à vieillir
Contre le temps qui cogne
Mais lorsqu'on voit venir
En riant la charogne
On se retrouve seul.

Sur la place

Paroles et Musique: Jacques Brel 1955

autres interprètes: Simone Langlois, Barbara

Sur la place chauffée au soleil
Une fille s'est mise à danser
Elle tourne toujours, pareille
Aux danseuses d'antiquités,
Sur la ville il fait trop chaud
Hommes et femmes sont assoupis
Et regardent par le carreau
Cette fille qui danse à midi

Ainsi certains jours, paraît
Une flamme à nos yeux
A l'église où j'allais
On l'appelait le bon Dieu
L'amoureux l'appelle l'amour
Le mendiant la charité
Le soleil l'appelle le jour
Et le brave homme la bonté

Sur la place vibrante d'air chaud
Où pas même ne paraît un chien
Ondulante comme un roseau
La fille bondit, s'en va, s'en vient
Ni guitare ni tambourin
Pour accompagner sa danse
Elle frappe dans ses mains
Pour se donner la cadence

Ainsi certains jours, paraît
Une flamme à nos yeux
A l'église où j'allais
On l'appelait le bon Dieu
L'amoureux l'appelle l'amour
Le mendiant la charité
Le soleil l'appelle le jour
Et le brave homme la bonté

Sur la place où tout est tranquille
Une fille s'est mise à chanter
Et son chant plane sur la ville
Hymne d'amour et de bonté
Mais sur la ville il fait trop chaud
Et, pour ne point entendre son chant,
Les hommes ferment les carreaux
Comme une porte entre morts et vivants

Ainsi certains jours, paraît
Une flamme en nos cœurs
Mais nous ne voulons jamais
Laisser luire sa lueur
Nous nous bouchons les oreilles
Et nous nous voilons les yeux
Nous n'aimons point les réveils
De notre cœur déjà vieux

Sur la place, un chien hurle encore
Car la fille s'en est allée
Et comme le chien hurlant la mort
Pleurent les hommes leur destinée

Titine

Paroles et Musique: Jacques Brel, G. Jouannest, J. Corti 1964

J'ai retrouvé Titine
Titine, oh ma Titine
J'ai retrouvé Titine
Que je ne trouvais pas
Je l'ai r’trouvée par hasard
Qui vendait du buvard
Derrière une vitrine
De la gare St-Lazare
Je lui ai dit: Titine
Titine, oh ma Titine
Je lui ai dit: Titine
Pourquoi m'avoir quitté?
Tu es partie comme ça
Sans un geste, sans un mot
Voir un film de Charlot
Au ciné d' l'Olympia
Et y a trente ans déjà
Que nous t' cherchions partout
Mon Hispano et moi
En criant comme des fous
Je cherche après Titine
Titine, oh ma Titine
Je cherche après Titine

Mais j'ai r’trouvé Titine
Titine, oh ma Titine
J'ai retrouvé Titine
Que je ne trouvais pas
J' l'avais cherchée partout
Au Gabon, au Tonkin
J' l'avais cherchée en vain
Au Chili, au Pérou
Et j' lui ai dit: Titine
Titine, oh ma Titine
Et j' lui ai dit: Titine
Je t'en supplie, reviens!
Tu as changé, j' sais bien
T'es un peu moins tentante
Puis tu marches comme Chaplin
Puis t’es devenue parlante
Mais enfin, c'est mieux que rien
Quand on vit depuis trente ans
Tout seul avec un chien
Et avec douze enfants
Qui cherchent après Titine
Titine, oh ma Titine
Qui cherchent après Titine

Mais j'ai r’trouvé Titine
Titine oh ma Titine
J'ai retrouvé Titine
Que je ne trouvais pas
J'aimerais qu' vous la voyiez
Titine, elle est en or
Bien plus que Valentine
Bien plus qu'Eléonore
Mais hier, quand j' lui ai dit
Titine oh ma Titine
Quand j' lui ai dit: Titine
Est-ce que tu m'aimes encore?
Elle est r’partie, comme ça
Sans un geste, sans un mot
Voir un film de Charlot
Au ciné d' l'Olympia
Alors voilà pourquoi
Nous la r’cherchons partout
Mon Hispano et moi
En criant comme des fous
Je cherche après Titine
Titine oh ma Titine
Je cherche après Titine

Mais je r’trouverai Titine
Titine oh ma Titine
Je retrouverai Titine
Et tout ça s'arrangera

Un enfant

Paroles: J.Brel. Musique: J.Brel, G.Jouannest 1968 "Vezoul"

autres interprètes: Petula Clark (1968) Céline Dion (1983) Garou (1999)

Un enfant,
Ça vous décroche un rêve
Ça le porte à ses lèvres
Et ça part en chantant
Un enfant,
Avec un peu de chance
Ça entend le silence
Et ça pleure des diamants
Et ça rit à n'en savoir que faire
Et ça pleure en nous voyant pleurer
Ça s'endort de l'or sous les paupières
Et ça dort pour mieux nous faire rêver

Un enfant,
Ça écoute le merle
Qui dépose ses perles
Sur la portée du vent
Un enfant,
C'est le dernier poète
D'un monde qui s'entête
A vouloir devenir grand
Et ça demande si les nuages ont des ailes
Et ça s'inquiète d'une neige tombée
Et ça s’endort, de l’or sous les paupières
Et ça se doute qu'il n'y a plus de fées

Mais un enfant
Et nous fuyons l'enfance
Un enfant
Et nous voilà passants
Un enfant
Et nous voilà patience
Un enfant
Et nous voilà passés

Une île

Paroles et Musique: Jacques Brel 1962

Une île
Une île au large de l'espoir
Où les hommes n'auraient pas peur
Et douce et calme comme ton miroir
Une île
Claire comme un matin de Pâques
Offrant l'océane langueur
D'une sirène à chaque vague
Oh, viens
Viens mon amour
Là-bas ne seraient point ces fous
Qui nous disent d'être sages
Ou que vingt ans est le bel âge
Voici venu le temps de vivre
Voici venu le temps d'aimer

Une île
Une île au large de l'amour
Posée sur l'autel de la mer
Satin couché sur le velours
Une île
Chaude comme la tendresse
Espérante comme un désert
Qu'un nuage de pluie caresse
Oh, viens
Viens mon amour
Là-bas ne seraient point ces fous
Qui nous cachent les longues plages
Viens mon amour
Fuyons l'orage
Voici venu le temps de vivre
Voici venu le temps d'aimer

Une île
Et qu'il nous reste à bâtir
Mais qui donc pourrait retenir
Les rêves que l'on rêve à deux
Une île
Voici qu'une île est en partance
Et qui sommeillait en nos yeux
Depuis les portes de l'enfance
Oh, viens
Viens mon amour
Car c'est là-bas que tout commence
Je crois à la dernière chance
Et tu es celle que je veux
Voici venu le temps de vivre
Voici venu le temps d'aimer
Une île

Vesoul

Paroles et Musique: Jacques Brel 1968 "Barclay"

autres interprètes: Jean Guidoni, Florent Pagny (2008)

note: Accompagné par l'accordéoniste Marcel Azzola.

T'as voulu voir Vierzon
Et on a vu Vierzon
T'as voulu voir Vesoul
Et on a vu Vesoul
T'as voulu voir Honfleur
Et on a vu Honfleur
T'as voulu voir Hambourg
Et on a vu Hambourg
J'ai voulu voir Anvers
On a revu Hambourg
J'ai voulu voir ta sœur
Et on a vu ta mère,
Comme toujours

T'as plus aimé Vierzon
On a quitté Vierzon
T'as plus aimé Vesoul
On a quitté Vesoul
T'as plus aimé Honfleur
On a quitté Honfleur
T'as plus aimé Hambourg
On a quitté Hambourg
T'as voulu voir Anvers
On a vu qu’ ses faubourgs
T'as plus aimé ta mère
On a quitté ta sœur,
Comme toujours

Mais je te le dis
Je n'irai pas plus loin
Mais je te préviens
J'irai pas à Paris
D'ailleurs, j'ai horreur
De tous les flonflons
De la valse musette
Et de l'accordéon

T'as voulu voir Paris
Et on a vu Paris
T'as voulu voir Dutronc
Et on a vu Dutronc
J'ai voulu voir ta sœur
J'ai vu l’ Mont Valérien
T'as voulu voir Hortense
Elle était dans l’ Cantal
Je voulais voir Byzance
Et on a vu Pigalle
A la gare St-Lazare
J'ai vu les fleurs du mal,
Par hasard

T'as plus aimé Paris
On a quitté Paris
T'as plus aimé Dutronc
On a quitté Dutronc
Maintenant j’ confonds ta sœur
Et le Mont Valérien
De c’ que je sais d'Hortense
J'irai plus dans l’ Cantal
Et tant pis pour Byzance
Puisque que j'ai vu Pigalle
Et la gare St-Lazare
C'est cher et ça fait mal,
Au hasard

Mais je te le redis
Chauffe Marcel, chauffe!
Je n'irai pas plus loin
Mais je te préviens
Zaï, zaï, zaï!
Le voyage est fini
D'ailleurs, j'ai horreur
De tous les flonflons
De la valse musette
Et de l'accordéon
Chauffe!

T'as voulu voir Vierzon
Et on a vu Vierzon
T'as voulu voir Vesoul
Et on a vu Vesoul
T'as voulu voir Honfleur
Et on a vu Honfleur
T'as voulu voir Hambourg
Et on a vu Hambourg
J'ai voulu voir Anvers
On a revu Hambourg
J'ai voulu voir ta sœur
Et on a vu ta mère,
Comme toujours

T'as plus aimé Vierzon
On a quitté Vierzon
Chauffe, chauffe, chauffe!
T'as plus aimé Vesoul
On a quitté Vesoul
T'as plus aimé Honfleur
On a quitté Honfleur
T'as plus aimé Hambourg
On a quitté Hambourg
T'as voulu voir Anvers
On a vu qu’ ses faubourgs
T'as plus aimé ta mère
On a quitté ta sœur,
Comme toujours
Chauffez les gars!

Mais je te le re redis
Je n'irai pas plus loin
Mais je te préviens
J'irai pas à Paris
D'ailleurs, j'ai horreur
De tous les flonflons
De la valse musette
Et de l'accordéon

T'as voulu voir Paris
Et on a vu Paris
T'as voulu voir Dutronc
Et on a vu Dutronc
J'ai voulu voir ta sœur
J'ai vu l’ Mont Valérien
T'as voulu voir Hortense
Elle était dans l’ Cantal
Je voulais voir Byzance
Et on a vu Pigalle
A la gare St-Lazare
J'ai vu les fleurs du mal,
Par hasard

Vieille

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel

autres interprètes: Jacques Brel

C'est pour pouvoir enfin botter les fesses
A ces vieillards qui nous ont dit
Que nos vingt ans, que notre jeunesse
Étaient le plus beau temps de la vie
C'est pour pouvoir enfin botter le cœur
A ceux qui nous volent nos nuits
Ces maladroits qui n'ont que leur ardeur
Croulants qui n'ont que leur ennui

C'est pour cela, jeunes gens,
Qu'au fond de moi s'éveille
Le désir charmant
De devenir vieille

C'est pour pouvoir un jour enfin leur dire
A celles qui me jugent avec fureur
"Pauvres grognasses" c'est pour pouvoir vous dire
"Je vous pardonne votre laideur"
C'est pour pouvoir leur dire à ces matrones
Qui mille fois m'ont condamnée
"Comment voulez-vous que l'on vous pardonne
Vous qui n'avez même pas péché?"

C'est pour cela, jeunes gens,
Qu'au fond de moi s'éveille
Le désir charmant
De devenir vieille

C'est pour pouvoir, au jardin de mon cœur,
Ne soigner que mes souvenirs
Vienne le temps où femme peut s'attendrir
Et ne plus jalouser les fleurs
C'est pour pouvoir enfin chanter l'amour
Sur la cithare de la tendresse
Et pour qu'enfin on me fasse la cour
Pour d'autres causes que mes fesses

C'est pour cela, jeunes gens,
Qu'au fond de moi s'éveille
Le désir charmant
De devenir vieille

C'est pour pouvoir un jour oser lui dire
Que je n'ai bu qu'à sa santé
Que quand j'ai ri c'était de le voir rire
Que j'étais seule quand j'ai pleuré
C'est pour pouvoir enfin oser lui dire
Un soir, en filant de la laine
Qu'en le trompant mais ça, oserai-je le dire,
Je me suis bien trompée moi-même

C'est pour cela, jeunes gens,
Qu'au fond de moi s'éveille
Le désir charmant
De devenir vieille

Vieillir

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest 1977

note: de la comédie musicale "Vilebrequin"

Mourir en rougissant
Suivant la guerre qu'il fait
Du fait des Allemands
A cause des Anglais

Mourir baiseur intègre
Entre les seins d'une grosse
Contre les os d'une maigre
Dans un cul de basse-fosse

Mourir de frissonner
Mourir de se dissoudre
De se racrapoter
Mourir de se découdre

Ou terminer sa course
La nuit de ses cent ans
Vieillard tonitruant
Soulevé pas quelques femmes
Cloué à la Grande Ourse
Cracher sa dernière dent
En chantant "Amsterdam"

Mourir, cela n'est rien
Mourir, la belle affaire!
Mais vieillir… Oh! vieillir

Mourir, mourir de rire
C'est possiblement vrai
D'ailleurs la preuve en est
Qu'ils n'osent plus trop rire

Mourir de faire le pitre
Pour dérider l' désert
Mourir face au cancer
Par arrêt de l'arbitre

Mourir sous le manteau
Tellement anonyme
Tellement incognito
Que meurt un synonyme

Ou terminer sa course
La nuit de ses cent ans
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes
Cloué à la Grande Ourse
Cracher sa dernière dent
En chantant "Amsterdam"

Mourir, cela n'est rien
Mourir, la belle affaire!
Mais vieillir… Oh! vieillir

Mourir couvert d'honneur
Et ruisselant d'argent
Asphyxié sous les fleurs
Mourir en monument

Mourir au bout d'une blonde
Là où rien ne se passe
Où le temps nous dépasse
Où le lit tombe en tombe

Mourir insignifiant
Au fond d'une tisane
Entre un médicament
Et un fruit qui se fane

Ou terminer sa course
La nuit de ses mille ans
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes
Cloué à la Grande Ourse
Cracher sa dernière dent
En chantant "Amsterdam"

Mourir, cela n'est rien
Mourir, la belle affaire!
Mais vieillir… Oh! vieillir

Vivre debout

Paroles et Musique: Jacques Brel 1961

Voilà que l'on se cache
Quand se lève le vent
De peur qu'il ne nous pousse
Vers des combats trop rudes
Voilà que l'on se cache
Dans chaque amour naissant
Qui nous dit après l'autre
Je suis la certitude
Voilà que l'on se cache
Que notre ombre un instant
Pour mieux fuir l'inquiétude
Soit l'ombre d'un enfant
L'ombre des habitudes
Qu'on a plantées en nous
Quand nous avions vingt ans

Serait-il impossible de vivre debout

Voilà qu'on s'agenouille
D'être à moitié tombé
Sous l'incroyable poids
De nos croix illusoires
Voilà qu'on s'agenouille
Et déjà retombé
Pour avoir été grand
L'espace d'un miroir
Voilà qu'on s'agenouille
Alors que notre espoir
Se réduit à prier
Alors qu'il est trop tard
Qu'on ne peut plus gagner
A tous ces rendez-vous
Que nous avons manqués

Serait-il impossible de vivre debout

Voilà que l'on se couche
Pour la moindre amourette
Pour la moindre fleurette
A qui l'on dit toujours
Voilà que l'on se couche
Pour mieux perdre la tête
Pour mieux brûler l'ennui
A des reflets d'amour
Voilà que l'on se couche
De l'envie qui s'arrête
De prolonger le jour
Pour mieux faire notre cour
A la mort qui s'apprête
Pour être jusqu'au bout
Notre propre défaite

Serait-il impossible de vivre debout

Voici

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, François Rauber 1958

Voici
Qu'un ciel penche ses nuages
Sur ces chemins d'Italie
Pour amoureux sans bagages
Voici

Des coteaux en ribambelles
Pour enrubanner nos vies
De vins clairs de fleurs nouvelles
Voici

Des cloches sonnant la fête
Des fêtes pour que l'on rie
Des rires que rien n'arrête
Voici

Des amours en robe blanche
Moitié fleur et moitié fruit
Que nous jalousent les anges
Voici

Des échos qui font la chaîne
Pur porter à l'infini
Nos "toujours" et nos "je t'aime"
Voici

Des promesse de Saint-Jean
De Saint-Jean qui durent la vie
Des vies qu'épargne le temps
Voici

Certains sourires de nos pères
Que l'on recherche la nuit
Pour mieux calmer sa colère
Voici

Qu'au carrefour des amitiés
La douleur s'évanouit
Broyée par nos mains serrées
Voici

Qu'en nos faubourgs délavés
Des prêtres en litanies
Sont devenus ouvriers
Voici

Des mains ridées de courage
Qui caressent l'établi
D'où jaillit la belle ouvrage
Voici

Ces fleurs poussant en pagaille
Entre nous et l'ennemi
Pour empêcher la bataille
Voici

Voir

Paroles et Musique: Jacques Brel 1958

autres interprètes: Isabelle Aubret (1975)

Voir la rivière gelée
Vouloir être un printemps
Voir la terre brûlée
Et semer en chantant
Voir que l'on a vingt ans
Vouloir les consumer
Voir passer un croquant
Et tenter de l'aimer
Voir une barricade
Et la vouloir défendre
Voir périr l'embuscade
Et puis ne pas se rendre
Voir le gris des faubourgs
Vouloir être Renoir
Voir l'ennemi de toujours
Et fermer sa mémoire

Voir que l'on va vieillir
Et vouloir commencer
Voir un amour fleurir
Et s'y vouloir brûler
Voir la peur inutile
La laisser aux crapauds
Voir que l'on est fragile
Et chanter à nouveau
Voilà ce que je vois
Voilà ce que je veux
Depuis que je te vois
Depuis que je te veux

Voir un ami pleurer

Paroles et Musique: F. Rauber, Jacques Brel 1977

autres interprètes: Juliette Greco (1977), Pierre Bachelet (2003)

note: de la comédie musicale "Vilebrequin"

Bien sûr, il y a les guerres d'Irlande
Et les peuplades sans musique
Bien sûr, tout ce manque de tendre
Et il n'y a plus d'Amérique
Bien sûr, l'argent n'a pas d'odeur
Mais pas d'odeur vous monte au nez
Bien sûr, on marche sur les fleurs
Mais, mais voir un ami pleurer!

Bien sûr, il y a nos défaites
Et puis la mort qui est tout au bout
Nos corps inclinent déjà la tête
Étonnés d'être encore debout
Bien sûr, les femmes infidèles
Et les oiseaux assassinés
Bien sûr, nos cœurs perdent leurs ailes
Mais, mais voir un ami pleurer!

Bien sûr, ces villes épuisées
Par ces enfants de cinquante ans
Notre impuissance à les aider
Et nos amours qui ont mal aux dents
Bien sûr, le temps qui va trop vite
Ces métro remplis de noyés
La vérité qui nous évite
Mais, mais voir un ami pleurer!

Bien sûr, nos miroirs sont intègres
Ni le courage d'être juif
Ni l'élégance d'être nègre
On se croit mèche, on n'est que suif
Et tous ces hommes qui sont nos frères
Tellement qu'on n'est plus étonné
Que, par amour, ils nous lacèrent
Mais, mais voir un ami pleurer!

Zangra

Paroles et Musique: Jacques Brel 1962

note: inspiré du personnage de Drogo dans "Le désert des Tartares", roman de Dino Buzzati

Je m'appelle Zangra et je suis lieutenant
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D'où l'ennemi viendra qui me fera héros
En attendant ce jour, je m'ennuie quelquefois
Alors, je vais au bourg voir les filles en troupeaux
Mais elles rêvent d'amour et moi de mes chevaux

Je m'appelle Zangra et déjà capitaine
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D'où l'ennemi viendra qui me fera héros
En attendant ce jour, je m'ennuie quelquefois
Alors, je vais au bourg voir la jeune Consuelo
Mais elle parle d'amour et moi de mes chevaux

Je m'appelle Zangra, maintenant commandant
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D'où l'ennemi viendra qui me fera héros
En attendant ce jour, je m'ennuie quelquefois
Alors, je vais au bourg, boire avec Don Pedro
Il boit à mes amours et moi à ses chevaux

Je m'appelle Zangra, je suis vieux colonel
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D'où l'ennemi viendra qui me fera héros
En attendant ce jour, je m'ennuie quelquefois
Alors, je vais au bourg, voir la veuve de Pedro
Je parle enfin d'amour mais elle de mes chevaux

Je m'appelle Zangra, hier trop vieux général
J'ai quitté Belonzio qui domine la plaine
Et l'ennemi est là, je ne serai pas héros