Georges Brassens

Les paroles de 201 chansons

A l'ombre des maris

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972 "Mourir pour des idées"

Les dragons de vertu n'en prennent pas ombrage
Si j'avais eu l'honneur de commander à bord
A bord du Titanic quand il a fait naufrage
J'aurais crié: "Les femmes adultères d'abord!"

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

Car, pour combler les vœux, calmer la fièvre ardente
Du pauvre solitaire et qui n'est pas de bois
Nulle n'est comparable à l'épouse inconstante.
Femmes de chefs de gare, c'est vous la fleur des bois.

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

Quant à vous, messeigneurs, aimez à votre guise
En ce qui me concerne, ayant un jour compris
Qu'une femme adultère est plus qu'une autre exquise
Je cherche mon bonheur à l'ombre des maris.

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

A l'ombre des maris mais, cela va sans dire
Pas n'importe lesquels, je les trie, les choisis.
Si madame Dupont, d'aventure, m'attire
Il faut que, par surcroît, Dupont me plaise aussi!

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

Il convient que le bougre ait une bonne poire
Sinon, me ravisant, je détale à grands pas
Car je suis difficile et me refuse à boire
Dans le verre d'un monsieur qui ne me revient pas.

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

Ils sont loin mes débuts où, manquant de pratique
Sur des femmes de flics je mis mon dévolu.
Je n'étais pas encore ouvert à l'esthétique.
Cette faute de goût, je ne la commets plus.

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

Oui, je suis tatillon, pointilleux, mais j'estime
Que le mari doit être un gentleman complet
Car on finit tous deux par devenir intimes
A force, à force de se passer le relais

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

Mais si l'on tombe, hélas, sur des maris infâmes
Certains sont si courtois, si bons, si chaleureux
Que même après avoir cessé d'aimer leur femme
On fait encore semblant uniquement pour eux.

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

C'est mon cas ces temps-ci, je suis triste, malade
Quand je dois faire honneur à certaine pécore.
Mais, son mari et moi, c'est Oreste et Pylade
Et, pour garder l'ami, je la cajole encore.

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

Non contente de me déplaire, elle me trompe
Et les jours où, furieux, voulant tout mettre à bas
Je crie: "La coupe est pleine, il est temps que je rompe!"
Le mari me supplie: "Non ne me quittez pas!"

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

Et je reste, et, tous deux, ensemble on se flagorne.
Moi, je lui dis: "C'est vous mon cocu préféré."
Il me réplique alors: "Entre toutes mes cornes
Celles que je vous dois, mon cher, me sont sacrées."

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière…

Et je reste et, parfois, lorsque cette pimbèche
S'attarde en compagnie de son nouvel amant
Que la nurse est sortie, le mari à la pêche
C'est moi, pauvre de moi, qui garde les enfants.

Ne jetez pas la pierre à la femme adultère.

A l'ombre du coeur de ma mie

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1958

A l'ombre du cœur de ma mie
Un oiseau s'était endormi
Un jour qu'elle faisait semblant
D'être la Belle au bois dormant

Et moi, me mettant à genoux
Bonnes fées, sauvegardez-nous
Sur ce cœur j'ai voulu poser
Une manière de baiser

Alors cet oiseau de malheur
Se mit à crier "Au voleur!"
"Au voleur et à l'assassin!"
Comme si j'en voulais à son sein

Aux appels de cet étourneau
Grand branle-bas dans Landerneau
Tout le monde et son père accourt
Aussitôt lui porter secours

Tant de rumeurs, de grondements
Ont fait peur aux enchantements
Et la belle désabusée
Ferma son cœur à mon baiser

Et c'est depuis ce temps, ma sœur
Que je suis devenu chasseur
Que mon arbalète à la main
Je cours les bois et les chemins

A la Goutte d'Or

Paroles: Aristide Bruant. Musique: Aristide Bruant 1890

autres interprètes: Buffalo (1898), Charlus (1903), François Béranger (1970), Mistigri (1973), Marc Ogeret (1978), Jean-Luc Jauny (1979), Georges Brassens, François Hadji-Lazaro (1993)

note: Ce sont les paroles originales, le texte n'est pas tout à fait le même selon les chanteurs.

En ce temps-là dans chaque famille
On blanchissait de mère en fille
Maintenant on blanchit encor
A la Goutt' d'Or

Elle était encor' demoiselle,
Grand-Maman, la belle Isabelle
Quand elle épousa l'grand Nestor,
A la Goutt' d'Or

Et maman Pauline était sage
Le jour qu'elle se mit en ménage
Avec papa le p'tit Victor
A la Goutt' d'Or

A cette époque-là toutes les fillettes
Les goss'lines, les gigolettes
S'mariaient avec leur trésor
A la Goutt' d'Or

A's s'contentaient l'jour de leur noce
D'un' petit' toilett' pas féroce
Et d'un' jeannette en similor
A la Goutt' d'Or

Leur fallait pas un mari pâle
Mais un garçon d'lavoir… un mâle…
Bien râblé… même un peu butor
A la Goutt' d'Or

Aujourd'hui faut à ces d'moiselles
Des machins avec des dentelles
Et des vrais bijoux en vrai or
A la Goutt' d'Or

Leur faut des jeunes hommes en casquettes
Des rouquins qu'ont des rouflaquettes
Collés sur un' tête d'hareng saur
A la Goutt' d'Or

Et v'là pourquoi toutes les fillettes
Les goss'lines, les gigolettes
S'marient pus avec leur trésor
A la Goutt' d'Or

A la Varenne

Paroles: Marc Hély. Musique: J.Jekyll 1930

autres interprètes: Perchicot (1930), Georges Brassens (1980)

Les bourgeois rupins
Ceux qu'ont les moyens
S'en vont l'été s'faire plumer à Deauville
Quand on n'a pas l'sou
On va n'importe où
Où ça coûte pas des prix fous
Car à mon avis,
C'est pas pour bibi
Les endroits où l'on fait des chichis

Moi, j'ai mon golf et mon bateau,
Ma plage et mon casino
A la Varenne
Moi, je n'vais pas avec les gros
A Dinard à Saint-Malo
Faire des fredaines
Moi, dans un bar à gigolos,
Payer vingt balles un sirop,
Ça m'frait d'la peine
Moi, j'préfère un p'tit caboulot
Où qu'on boit du picolo
Au bord de l'eau

On n'a pas d'négros
Comme à Monaco
Qui font du jazz à mille francs la séance
Au son d'un phono
Ou d'un vieux piano
C'est quat' sous pour un tango
Et comme on peut pas
Se payer tout ça
Y a des boîtes à deux ronds la java

Moi, j'ai mon golf et mon bateau,
Ma plage et mon casino
A la Varenne
Moi, j'y connais des dactylos
Qui sont plus chouettes en maillot
Qu'bien des mondaines
Moi, dans un bar à gigolos,
Payer vingt balles un sirop,
Ça m'frait d'la peine
Moi, j'préfère un p'tit caboulot
Où qu'on boit du picolo
Au bord de l'eau

A Mireille

Paroles: Paul Fort. Musique: Georges Brassens

Ne tremblez pas, mais je dois le dire elle fut assassinée au couteau par
un fichu mauvais garçon, dans sa chambre, là-bas derrière le Panthéon,
rue Descartes, où mourut Paul Verlaine.

O! oui, je l'ai bien aimée ma petite "Petit Verglas" à moi si bonne
et si douce et si triste. Pourquoi sa tristesse? Je ne l'avais pas
deviné, je ne pouvais pas le deviner.

Non, je l'ai su après tu me l'avais caché que ton père était mort sur
l'échafaud, Petit Verglas! J'aurais bien dû le comprendre à tes sourires.

J'aurais dû le deviner à tes petits yeux, battus de sang, à ton bleu
regard indéfinissable, papillotant et plein de retenue.

Et moi qui avais toujours l'air de te dire " Mademoiselle, voulez-vous
partager ma statue? " Ah! J'aurais dû comprendre à tes sourires, tes
yeux bleus battus et plein de retenue.

Et je t'appelais comme ça, le Petit Verglas, que c'est bête un poète!
O! petite chair transie! Moi, je l'ai su après que ton père était mort ainsi…

Pardonne-moi, Petit Verglas. Volez, les anges!

A mon frère revenant d'Italie

Paroles: Alfred de Musset. Musique: Georges Brassens

Ainsi, mon cher, tu t'en reviens
Du pays dont je me souviens
Comme d'un rêve
De ces beaux lieux où l'oranger
Naquit pour nous dédommager
Du péché d'Eve.

Tu l'as vu, ce fantôme altier
Qui jadis eut le monde entier
Sous son empire.
César dans sa pourpre est tombé
Dans un petit manteau d'abbé
Sa veuve expire.

Tu t'es bercé sur ce flot pur
Où Naples enchâsse dans l'azur
Sa mosaïque,
Oreiller des lazzaroni
Où sont nés le macaroni
Et la musique.

Qu'il soit rusé, simple ou moqueur
N'est-ce pas qu'il nous laisse au cœur
Un charme étrange,
Ce peuple ami de la gaieté
Qui donnerait gloire et beauté
Pour une orange?

Ischia! c'est là qu'on a des yeux
C'est là qu'un corsage amoureux
Serre la hanche.
Sur un bas rouge bien tiré
Brille, sous le jupon doré
La mule blanche.

Pauvre Ischia! Bien des gens n'ont vu
Tes jeunes filles que pieds nus
Dans la poussière.
On les endimanche à prix d'or
Mais ton pur soleil brille encor
Sur leur misère.

Quoi qu'il en soit, il est certain
Que l'on ne parle pas latin
Dans les Abruzzes
Et que jamais un postillon
N'y sera l'enfant d'Apollon
Ni des neuf Muses.

Toits superbes! froids monuments!
Linceul d'or sur des ossements!
Ci-gît Venise.
Là mon pauvre cœur est resté.
S'il doit m'en être rapporté
Dieu le conduise!

Mais de quoi vais-je ici parler?
Que ferait l'homme désolé
Quand toi, cher frère
Ces lieux où j'ai failli mourir
Tu t'en viens de les parcourir
Pour te distraire?

Frère, ne t'en va plus si loin.
D'un peu d'aide j'ai grand besoin
Quoi qu'il m'advienne.
Je ne sais où va mon chemin
Mais je marche mieux quand ta main
Serre la mienne.

Au bois de mon coeur

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

Au bois d'Clamart y a des petit's fleurs
Y a des petit's fleurs
Y a des copains au, au bois d'mon cœur
Au, au bois d'mon cœur

Au fond de ma cour j'suis renommé
J'suis renommé
Pour avoir le cœur mal famé
Le cœur mal famé

Au bois d'Vincenn's y a des petit's fleurs
Y a des petit's fleurs
Y a des copains au, au bois d'mon cœur
Au, au bois d'mon cœur

Quand y a plus d'vin dans mon tonneau
Dans mon tonneau
Ils n'ont pas peur de boir' mon eau
De boire mon eau

Au bois d'Meudon y a des petit's fleurs
Y a des petit's fleurs
Y a des copains au, au bois d'mon cœur
Au, au bois d'mon cœur

Ils m'accompagn'nt à la mairie
A la mairie
Chaque fois que je me marie
Que je me marie

Au bois d'Saint-Cloud y a des petit's fleurs
Y a des petit's fleurs
Y a des copains au, au bois d'mon cœur
Au, au bois d'mon cœur

Chaqu' fois qu'je meurs fidèlement
Fidèlement
Ils suivent mon enterrement
Mon enterrement

…des petites fleurs…
Au, au bois d'mon cœur…

Auprès de mon arbre

Paroles et Musique: Georges Brassens 1955

J'ai plaqué mon chêne
Comme un saligaud
Mon copain le chêne
Mon alter ego
On était du même bois
Un peu rustique un peu brut
Dont on fait n'importe quoi
Sauf naturell'ment les flûtes
J'ai maint'nant des frênes
Des arbres de Judée
Tous de bonne graine
De haute futaie
Mais toi, tu manques à l'appel
Ma vieille branche de campagne
Mon seul arbre de Noël
Mon mât de cocagne

{Refrain}

Auprès de mon arbre
Je vivais heureux
J'aurais jamais dû
M'éloigner de mon arbre
Auprès de mon arbre
Je vivais heureux
J'aurais jamais dû
Le quitter des yeux

Je suis un pauvre type
J'aurai plus de joie
J'ai jeté ma pipe
Ma vieille pipe en bois
Qu'avait fumé sans s'fâcher
Sans jamais m'brûler la lippe
L'tabac d'la vache enragée
Dans sa bonne vieille tête de pipe
J'ai des pipes d'écume
Ornées de fleurons
De ces pipes qu'on fume
En levant le front
Mais j'retrouv'rai plus ma foi
Dans mon cœur ni sur ma lippe
Le goût d'ma vieille pipe en bois
Sacré nom d'une pipe

{Au refrain}

Le surnom d'infâme
Me va comme un gant
D'avecques ma femme
J'ai foutu le camp
Parce que depuis tant d'années
C'était pas une sinécure
De lui voir tout l'temps le nez
Au milieu de la figure
Je bats la campagne
Pour dénicher la
Nouvelle compagne
Valant celle-là
Qui, bien sûr, laissait beaucoup
Trop de pierres dans les lentilles
Mais se pendait à mon cou
Quand j'perdais mes billes

{Au refrain}

J'avais une mansarde
Pour tout logement
Avec des lézardes
Sur le firmament
Je l'savais par cœur depuis
Et pour un baiser la course
J'emmenais mes belles de nuits
Faire un tour sur la Grande Ourse
J'habite plus d'mansarde
Il peut désormais
Tomber des hallebardes
Je m'en bats l'œil mais
Mais si quelqu'un monte aux cieux
Moins que moi j'y paie des prunes
Y a cent sept ans – qui dit mieux?
Qu'j'ai pas vu la lune

{Au refrain}

Avoir un bon copain

Paroles: Jean Boyer. Musique: Werner-Richard Heymann 1930

Titre original: "Ein Freund, ein guter Freund"

autres interprètes: Georges Guétary (1955), André Dassary (1971), Georgette Plana (1973), Christian Borel (1979), Georges Brassens (1980), Francis Lemarque (1989)

note: du film "Le chemin du Paradis"

C'est le printemps
On a vingt ans
Le cœur et le moteur
Battent gaiement
Droit devant nous
Sans savoir où
Nous filons comme des fous
Car aujourd'hui
Tout nous sourit
Dans une auto
On est bien entre amis
Aussi chantons
Sur tous les tons
Notre plaisir d'être garçon!

{Refrain:}

Avoir un bon copain
Voilà c'qui y a d'meilleur au monde
Oui, car, un bon copain
C'est plus fidèle qu'une blonde
Unis main dans la main
A chaque seconde
On rit de ses chagrins
Quand on possède un bon copain

Les aveux
Des amoureux
Avouons-le maintenant
C'est vieux jeu
C'est plus charmant
Qu'des longs serments
Qui n'sont que des boniments
Loin des baisers
Pour se griser
Sur une route
Il suffit de gazer
Le grand amour
Ça dure un jour
L'amitié dure toujours.

{Refrain}

… On rit de ses chagrins
Quand on possède un bon copain

Ballade à la lune

Paroles: Alfred de Musset. Musique: Georges Brassens

C'était, dans la nuit brune,
Sur un clocher jauni,
La lune,
Comme un point sur un "i".

Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil?

Es-tu l'œil du ciel borgne?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard?

Est-ce un ver qui te ronge
Quand ton disque noirci
S'allonge
En croissant rétréci?

Es-tu, je t'en soupçonne,
Le vieux cadran de fer
Qui sonne
L'heure aux damnés d'enfer?

Sur ton front qui voyage,
Ce soir ont-ils compté
Quel âge
A leur éternité?

Qui t'avait éborgnée
L'autre nuit? T'étais-tu
Cognée
Contre un arbre pointu?

Car tu vins, pâle et morne,
Coller sur mes carreaux
Ta corne,
A travers les barreaux.

Lune, en notre mémoire,
De tes belles amours
L'histoire
T'embellira toujours.

Et toujours rajeunie,
Tu seras du passant
Bénie,
Pleine lune ou croissant.

Et qu'il vente ou qu'il neige,
Moi-même, chaque soir,
Que fais-je,
Venant ici m'asseoir?

Je viens voir à la brune,
Sur le clocher jauni
La lune
Comme un point sur un "i".

Je viens voir à la brune,
Sur le clocher jauni,
La lune,
Comme un point sur un "i".

Ballade des dames du temps jadis

Paroles: D'après François Villon

Dites moy ou, n'en quel pays
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, né Thaïs
Qui fut sa cousine germaine,
Echo parlant quand bruyt on maine
Dessus rivière ou sus estan
Qui beaulté ot trop plus qu'humaine.
Mais ou sont les neiges d'antan?
Qui beaulté ot trop plus qu'humaine.
Mais ou sont les neiges d'antan?

Ou est très sage Hélloïs,
Pour qui chastré fut et puis moyne
Pierre Esbaillart a Saint Denis?
Pour son amour ot ceste essoyne.
Semblablement, ou est royne
Qui commanda que buridan
Fut geté en ung sac en Saine?
Mais ou sont les neiges d'antan?
Fut geté en ung sac en Saine?
Mais ou sont les neiges d'antan?

La royne blanche comme lis
Qui chantoit a voix de seraine,
Berte au grand pié, Bietris, Alis
Haremburgis qui tient le Maine,
Et Jehanne la bonne Lorraine
Qu'Englois brûlèrent a Rouen;
Où sont ils, ou Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d'antan?
Où sont ils ou Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d'antan?

Prince, n'enquérez de sepmaine
Ou elles sont, ne de cest an,
Qu'a ce refrain ne vous remaine:
Mais ou sont les neiges d'antan?
Qu'a ce refrain en vous remaine;
Mais ou sont les neiges d'antan?

Bécassine

Paroles et Musique: Georges Brassens 1969

Un champ de blé prenait racine
Sous la coiffe de Bécassine,
Ceux qui cherchaient la toison d'or
Ailleurs avaient bigrement tort.
Tous les seigneurs du voisinage,
Les gros bonnets, grands personnages,
Rêvaient de joindre à leur blason
Une boucle de sa toison.
Un champ de blé prenait racine
Sous la coiffe de Bécassine.

C'est une espèce de robin,
N'ayant pas l'ombre d'un lopin,
Qu'elle laissa pendre, vainqueur,
Au bout de ses accroche-cœurs.
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Des blés d'or en toute saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas.

Au fond des yeux de Bécassine
Deux pervenches prenaient racine,
Si belles que Sémiramis
Ne s'en est jamais bien remis'.
Et les grands noms à majuscules,
Les Cupidons à particules
Auraient cédé tous leurs acquêts
En échange de ce bouquet.
Au fond des yeux de Bécassine
Deux pervenches prenaient racine.

C'est une espèce de gredin,
N'ayant pas l'ombre d'un jardin,
Un soupirant de rien du tout
Qui lui fit faire les yeux doux.
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Des fleurs bleu's en toute saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas.

A sa bouche, deux belles guignes,
Deux cerises tout à fait dignes,
Tout à fait dignes du panier
De madame de Sévigné.
Les hobereaux, les gentillâtres,
Tombés tous fous d'elle, idolâtres,
Auraient bien mis leur bourse à plat
Pour s'offrir ces deux guignes-là,
Tout à fait dignes du panier
De madame de Sévigné.

C'est une espèce d'étranger,
N'ayant pas l'ombre d'un verger,
Qui fit s'ouvrir, qui étrenna
Ses joli's lèvres incarnat.
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Du temps des ceris's en tout' saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas.

C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Du temps des ceris's en tout' saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas.

Belleville-Ménilmontant

Paroles et Musique: Aristide Bruant 1885

autres interprètes: Yvette Guilbert (1893), Charlus (1903), Stello (1931), Germaine Montéro (1954), Anny Gould, Patachou, Marc Ogeret, Monique Morelli, Mistigri, Georges Brassens (1980)

note: Mise en page et ponctuation d'origine

Papa c'était un lapin
Qui s'app'lait J.-B. Chopin
Et qu'avait son domicile,
A Bell'ville;
L' soir, avec sa p'tit famille,
I' s' baladait, en chantant,
Des hauteurs de la Courtille,
A Ménilmontant.

I' buvait si peu qu'un soir
On l'a r'trouvé su'l' trottoir,
Il' tait crevé bien tranquille,
A Bell'ville;
On l'a mis dans d' la terr' glaise,
Pour un prix exorbitant,
Tout en haut du Pèr'- Lachaise,
A énilmontant.

Depuis c'est moi qu'est l' souteneur
Naturel à ma p'tit' sœur,
Qu'est l'ami' d' la p'tit' Cécile,
A Bell'ville;
Qu'est sout'nu' par son grand frère,
Qui s'appelle Eloi Constant,
Qui n'a jamais connu son père
A Ménilmontant.

Ma sœur est avec Eloi,
Dont la sœur est avec moi,
L'soir, su'l' boul'vard, ej' la r'file,
A Bell'ville;
Comm' ça j' gagn' pas mal de braise,
Mon beau-frère en gagne autant,
Pisqu'i r'fil' ma sœur Thérèse,
A Ménilmontant.

L' Dimanche, au lieu d'travailler,
J'mont' les môm' au poulailler,
Voir jouer l'drame ou l'vaud'ville,
A Belle'ville;
Le soir, on fait ses épates,
On étal' son culbutant
Minc' des g'noux et larg' des pattes,
A Ménilmontant.

C'est comm' ça qu' c'est l' vrai moyen
D'dev'nir un bon citoyen:
On grandit, sans s' fair' de bile,
A Bell'ville;
On cri':
Viv' l'Indépendance!
On a l' cœur bath et content,
Et l'on nag', dans l'abondance,
A Ménilmontant.

Bonhomme

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1958

Malgré la bise qui mord
La pauvre vieille de somme
Va ramasser du bois mort
Pour chauffer Bonhomme
Bonhomme qui va mourir
De mort naturelle

Mélancolique, elle va
A travers la forêt blême
Où jadis elle rêva
De celui qu'elle aime
Qu'elle aime et qui va mourir
De mort naturelle

Rien n'arrêtera le cours
De la vieille qui moissonne
Le bois mort de ses doigts gourds
Ni rien ni personne
Car Bonhomme va mourir
De mort naturelle

Non, rien ne l'arrêtera
Ni cette voix de malheur
Qui dit: " Quand tu rentreras
Chez toi, tout à l'heure
Bonhomm' sera déjà mort
De mort naturelle "

Ni cette autre et sombre voix
Montant du plus profond d'elle
Lui rappeler que, parfois
Il fut infidèle
Car Bonhomme, il va mourir
De mort naturelle

Boulevard du temps qui passe

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

A peine sortis du berceau
Nous sommes allés faire un saut
Au boulevard du temps qui passe
En scandant notre "Ça ira"
Contre les vieux, les mous, les gras
Confinés dans leurs idées basses.

On nous a vus, c'était hier
Qui descendions, jeunes et fiers
Dans une folle sarabande
En allumant des feux de joie
En alarmant les gros bourgeois
En piétinant leurs plates-bandes.

Jurant de tout remettre à neuf
De refaire quatre-vingt-neuf
De reprendre un peu la Bastille
Nous avons embrassé, goulus
Leurs femmes qu'ils ne touchaient plus
Nous avons fécondé leurs filles.

Dans la mare de leurs canards
Nous avons lancé, goguenards
Force pavés, quelle tempête
Nous n'avons rien laissé debout
Flanquant leurs credos, leurs tabous
Et leurs dieux, cul par-dessus tête.

Quand sonna le cessez-le-feu
L'un de nous perdait ses cheveux
Et l'autre avait les tempes grises.

Nous avons constaté soudain
Que l'été de la Saint-Martin
N'est pas loin du temps des cerises.

Alors, ralentissant le pas
On fit la route à la papa
Car, braillant contre les ancêtres
La troupe fraîche des cadets
Au carrefour nous attendait
Pour nous envoyer à Bicêtre.

Tous ces gâteux, ces avachis
Ces pauvres sépulcres blanchis
Chancelant dans leur carapace
On les a vus, c'était hier
Qui descendaient jeunes et fiers
Le boulevard du temps qui passe.

Brave Margot

Paroles et Musique: Georges Brassens 1952

Margoton la jeune bergère
Trouvant dans l'herbe un petit chat
Qui venait de perdre sa mère
L'adopta
Elle entrouvre sa collerette
Et le couche contre son sein
C'était tout c'quelle avait pauvrette
Comme coussin
Le chat la prenant pour sa mère
Se mit à têter tout de go
Emue, Margot le laissa faire
Brave Margot
Un croquant passant à la ronde
Trouvant le tableau peu commun
S'en alla le dire à tout l'monde
Et le lendemain

Quand Margot dégrafait son corsage
Pour donner la gougoutte à son chat
Tous les gars, tous les gars du village
Etaient là, la la la la la la
Etaient là, la la la la la
Et Margot qu'était simple et très sage
Présumait qu'c'était pour voir son chat
Qu'tous les gars, tous les gars du village
Etaient là, la la la la la la
Etaient là, la la la la la

L'maître d'école et ses potaches
Le maire, le bedeau, le bougnat
Négligeaient carrément leur tâche
Pour voir ça
Le facteur d'ordinaire si preste
Pour voir ça, n'distribuait plus
Les lettres que personne au reste
N'aurait lues
Pour voir ça, Dieu le leur pardonne
Les enfants de cœur au milieu
Du Saint Sacrifice abandonnent
Le saint lieu
Les gendarmes, même mes gendarmes
Qui sont par nature si ballots
Se laissaient toucher par les charmes
Du joli tableau

Quand Margot dégrafait son corsage
Pour donner la gougoutte à son chat
Tous les gars, tous les gars du village
Etaient là, la la la la la la
Etaient là, la la la la la
Et Margot qu'était simple et très sage
Présumait qu'c'était pour voir son chat
Qu'tous les gars, tous les gars du village
Etaient là, la la la la la la
Etaient là, la la la la la

Mais les autres femmes de la commune
Privées d'leurs époux, d'leurs galants
Accumulèrent la rancune
Patiemment
Puis un jour ivres de colère
Elles s'armèrent de bâtons
Et farouches elles immolèrent
Le chaton
La bergère après bien des larmes
Pour s'consoler prit un mari
Et ne dévoila plus ses charmes
Que pour lui
Le temps passa sur les mémoires
On oublia l'évènement
Seuls des vieux racontent encore
A leurs p'tits enfants

Quand Margot dégrafait son corsage
Pour donner la gougoutte à son chat
Tous les gars, tous les gars du village
Etaient là, la la la la la la
Etaient là, la la la la la
Et Margot qu'était simple et très sage
Présumait qu'c'était pour voir son chat
Qu'tous les gars, tous les gars du village
Etaient là, la la la la la la
Etaient là, la la la la la

C'était un peu leste

Paroles: Georges Brassens

Et quand elle eut fini de coudre le linceul
Et de faire la sieste,
La veuve a décidé de ne pas rester seule
C'était un peu leste.

Et quand elle eut fini de couver ce dessein
Elle mit sa veste,
Et vint frapper chez moi, son plus proche voisin,
C'était un peu leste.

Et quand elle eut fini la dernière bouchée
D'un repas modeste,
Ell' dit: "Il se fait tard, c'est l'heur' de se coucher",
C'était un peu leste.

Et quand elle eut fini de bassiner le lit,
Alea jacta est(e),
Dans ses bras accueillants, j'étais enseveli,
C'était un peu leste.

Et quand elle eut fini d' me presser sur son cœur,
De leurs voix célestes
Les anges d'alentour soupiraient tous en chœur,
C'était un peu leste.

Et quand elle eut fini d' reprendre ses esprits,
Elle manifeste
La fâcheuse intention de m'avoir pour mari,
C'était un peu leste.

Et quand elle eut fini de tenir ces propos,
Tonnerre de Brest(e)!
Je la flanquai dehors avec ses oripeaux,
C'était un peu leste.

Et quand elle eut fini de dévaler l' perron
Et dit: "J' te déteste",
Elle se pendit au cou d'un troisième larron,
C'était un peu leste.

Et quand elle fut sortie de mon champ visuel,
Parfumés d'un zeste,
Je bus cinq à six coups, l'antidote usuel,
C'était un peu leste.

Et quand j'eus bien cuvé mon vin, je me suis dit,
Regrettant mon geste,
Que j'avais peut-être pas été des plus gentils,
C'était un peu leste.

Et quand ell' m'entendit fair' mon mea culpa,
La petite peste,
Me fit alors savoir qu'ell' ne m'en voulait pas,
C'était un peu leste.

Et quand à l'avenir ell' tomb'ra veuve encor,
Son penchant funeste,
Qu'elle vienne frapper chez moi dès la levée du corps
Sans d'mander son reste!

Carcassonne

Paroles: Gustave Nadaud

"Je me fais vieux, j'ai soixante ans,
J'ai travaillé toute ma vie
Sans avoir, durant tout ce temps,
Pu satisfaire mon envie.
Je vois bien qu'il n'est ici-bas
De bonheur complet pour personne.
Mon vœu ne s'accomplira pas:
Je n'ai jamais vu Carcassonne!"

"On voit la ville de la-haut,
Derrière les montagnes bleues;
Mais, pour y parvenir, il faut,
Il faut faire cinq grandes lieues,
En faire autant pour revenir!
Ah! si la vendange était bonne!
Le raisin ne veut pas jaunir
Je ne verrai pas Carcassonne!"

"On dit qu'on y voit tous les jours,
Ni plus ni moins que les dimanches,
Des gens s'en aller sur le cours,
En habits neufs, en robes blanches.
On dit qu'on y voit des châteaux
Grands comme ceux de Babylone,
Un évêque et deux généraux!
Je ne connais pas Carcassonne!"

"Le vicaire a cent fois raison:
C'est des imprudents que nous sommes.
Il disait dans son oraison
Que l'ambition perd les hommes.
Si je pouvais trouver pourtant
Deux jours sur la fin de l'automne…
Mon Dieu! que je mourrais content
Après avoir vu Carcassonne!"

"Mon Dieu! mon Dieu! pardonnez-moi
Si ma prière vous offense;
On voit toujours plus haut que soi,
En vieillesse comme en enfance.
Ma femme, avec mon fils Aignan,
A voyagé jusqu'à Narbonne;
Mon filleul a vu Perpignan,
Et je n'ai pas vu Carcassonne!"

Ainsi chantait, près de Limoux,
Un paysan courbé par l'âge.
Je lui dis: "Ami, levez-vous;
Nous allons faire le voyage."
Nous partîmes le lendemain;
Mais (que le bon Dieu lui pardonne!)
Il mourut à moitié chemin:
Il n'a jamais vu Carcassonne!

Celui qui a mal tourné

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

Il y avait des temps et des temps
Qu'je n'm'étais pas servi d'mes dents
Qu'je n'mettais pas d'vin dans mon eau
Ni de charbon dans mon fourneau
Tous les croqu'-morts, silencieux
Me dévoraient déjà des yeux
Ma dernière heure allait sonner
C'est alors que j'ai mal tourné

N'y allant pas par quatre chemins
J'estourbis en un tournemain
En un coup de bûche excessif
Un noctambule en or massif
Les chats fourrés, quand ils l'ont su
M'ont posé la patte dessus
Pour m'envoyer à la Santé
Me refaire une honnêteté

Machin, Chose, Un tel, Une telle
Tous ceux du commun des mortels
Furent d'avis que j'aurais dû
En bonn' justice être pendu
A la lanterne et sur-le-champ
Y s'voyaient déjà partageant
Ma corde, en tout bien tout honneur
En guise de porte-bonheur

Au bout d'un siècle, on m'a jeté
A la porte de la Santé
Comme je suis sentimental
Je retourne au quartier natal
Baissant le nez, rasant les murs
Mal à l'aise sur mes fémurs
M'attendant à voir les humains
Se détourner de mon chemin

Y'en a un qui m'a dit: " Salut!
Te revoir, on n'y comptait plus"
Y'en a un qui m'a demandé
Des nouvelles de ma santé
Lors, j'ai vu qu'il restait encor
Du monde et du beau mond' sur terre
Et j'ai pleuré, le cul par terre
Toutes les larmes de mon corps

Chanson pour l'Auvergnat

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1954

Elle est à toi cette chanson
Toi l'Auvergnat qui sans façon
M'as donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid
Toi qui m'as donné du feu quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
M'avaient fermé la porte au nez
Ce n'était rien qu'un feu de bois
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manièr' d'un feu de joie

Toi l'Auvergnat quand tu mourras
Quand le croqu'mort t'emportera
Qu'il te conduise à travers ciel
Au père éternel

Elle est à toi cette chanson
Toi l'hôtesse qui sans façon
M'as donné quatre bouts de pain
Quand dans ma vie il faisait faim
Toi qui m'ouvris ta huche quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
S'amusaient à me voir jeûner
Ce n'était rien qu'un peu de pain
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manièr' d'un grand festin

Toi l'hôtesse quand tu mourras
Quand le croqu'mort t'emportera
Qu'il te conduise à travers ciel
Au père éternel

Elle est à toi cette chanson
Toi l'étranger qui sans façon
D'un air malheureux m'as souri
Lorsque les gendarmes m'ont pris
Toi qui n'as pas applaudi quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
Riaient de me voir emmener
Ce n'était rien qu'un peu de miel
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manièr' d'un grand soleil

Toi l'étranger quand tu mourras
Quand le croqu'mort t'emportera
Qu'il te conduise à travers ciel
Au père éternel

Chansonnette à celle qui reste pucelle

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

Jadis la mineure
Perdait son honneur
Au moindre faux pas
Ces mœurs n'ont plus cours de
Nos jours c'est la gourde
Qui ne le fait pas.

Toute ton école,
Petite, rigole
Qu'encore à seize ans
Tu sois vierge et sage,
Fidèle à l'usage
Caduc à présent.

Malgré les exemples
De gosses, plus ample
Informé que toi,
Et qu'on dépucelle
Avec leur crécelle
Au bout de leurs doigts.

Chacun te brocarde
De ce que tu gardes
Ta fleur d'oranger,
Pour la bonne cause,
Et chacune glose
Sur tes préjugés.

Et tu sers de cible
Mais reste insensible
Aux propos moqueurs,
Aux traits à la gomme.
Comporte-toi comme
Te le dit ton cœur.

Quoi que l'on raconte,
Y a pas plus de honte
A se refuser,
Ni plus de mérite
D'ailleurs, ma petite,
Qu'à se faire baiser.

Facultatifs
Certes, si te presse
La soif de caresses,
Cours, saute avec les
Vénus de Panurge.
Va, mais si rien n'urge,
Faut pas t'emballer.

Mais si tu succombes,
Sache surtout qu'on peut
Être passée par
Onze mille verges,
Et demeurer vierge,
Paradoxe à part.

Charlotte ou Sarah

Paroles: Pierre Louki. Musique: Georges Brassens

N'ayant pas connu l'amour depuis plus de vingt ans
J'avais, disons, le cœur en veilleuse.
Pourtant j'ai du sex-appeal et je suis bien portant,
Mais pas de Juliette pour autant.
Et voilà que dans ma vie tombent en même temps
Deux créatures ensorceleuses.
Mais deux à la fois c'est beaucoup pour un débutant,
Pardonnez si je suis hésitant.

Je n'sais pas
Si je dois baiser Charlotte
Ou embras-
Ser Sarah.
Charlotte a
De délicieuses culottes,
Sarah a de beaux bras.
Je n'sais pas
Si Charlotte sans culotte
Est mieux qu'Sa-
Rah sans bras.
Si c'est la
Culotte qui me pilote
Voyez mon embarras.
Je n' peux pas dire que je n'aime pas Sarah à cause des culottes qu'elle n'a pas.
Mais j' peux pas soutenir de même que Charlotte ne me plaît pas à cause des bras de Sarah.

Dans mon cas
Comment faire saperlotte?
Si je choi-
Sis Sarah,
Dans ses bras
La culotte de Charlotte
Pour sûr me manquera.
Plus je rêve de cueillir ces fruits d'amour charmants
Et plus j'appréhende la cueillette.
Me faudra-t-il les honorer simultanément
Et comment m'en sortir autrement?
Si je peux offrir mon cœur à chacune en donnant
Un ventricule et une oreillette,
Il est d'autres attributs que je ne puis vraiment
Détailler inconsidérément.

Je n'sais pas
Si je dois chasser Charlotte
Ou rembar-
Rer Sarah.
Que fera
La culotte de Charlotte
Si Sarah baisse les bras?
Et si Sa-
Rah veut porter la culotte,
Qu'est-c' que Char-
Lotte dira?
Car si Char-
Lotte a beaucoup de culottes,
Sarah n'a que deux bras.
Bien sûr Charlotte m'asticote, pour un cœur tant et tant de culottes, tentation!
Oui mais Sarah est polyglotte, une polyglotte sans culotte c'est bien pour la conversation.

Me faudra-
T-il me donner à Charlotte
Et Sarah
A la fois?
Gare à moi,
Si deux souris me pelotent,
Je suis fait comme un rat.
Je n' sais pas
Si je dois baiser Charlotte
Ou embras-
Ser Sarah.
Charlotte a
De délicieuses culottes,
Sarah a de beaux bras.

Colombine

Paroles: Paul Verlaine. Musique: Georges Brassens

Léandre le sot,
Pierrot qui d'un saut
De puce
Franchit le buisson,
Cassandre sous son
Capuce,

Arlequin aussi,
Cet aigrefin si
Fantasque,
Aux costumes fous,
Les yeux luisant sous
Son masque,

Do, mi, sol, mi, fa,
Tout ce monde va,
Rit, chante
Et danse devant
Une frêle enfant
Méchante

Dont les yeux pervers
Comme les yeux verts
Des chattes
Gardent ses appas
Et disent:
"A bas Les pattes!"

L'implacable enfant,
Preste et relevant
Ses jupes,
La rose au chapeau,
Conduit son troupeau
De dupes!

Comme hier

Musique: Georges Brassens

Hé! donn' moi ta bouche, hé! ma jolie fraise!
L'aube a mis des frais's plein notre horizon
Garde tes dindons, moi mes porcs, Thérèse
Ne r'pousse pas du pied mes p'tits cochons

Va, comme hier! comme hier! comme hier!
Si tu ne m'aimes point, c'est moi qui t'aim'rons
L'un tient le couteau, l'autre la cuiller
La vie, c'est toujours les mêmes chansons

Pour sauter l'gros sourceau de pierre en pierre
Comme tous les jours mes bras t'enlèv'ront
Nos dindes, nos truies nous suivront légères
Ne r'pousse pas du pied mes p'tits cochons

Va, comme hier! comme hier! comme hier!
Si tu ne m'aimes point, c'est moi qui t'aim'rons
La vie, c'est toujours amour et misère
La vie, c'est toujours les mêmes chansons

J'ai tant de respect pour ton cœur, Thérèse
Et pour tes dindons, quand nous nous aimons
Quand nous nous fâchons, hé! ma jolie fraise
Ne r'pousse pas du pied mes p'tits cochons

Va, comme hier! comme hier! comme hier!
Si tu ne m'aimes point, c'est moi qui t'aim'rons
L'un tient le couteau, l'autre la cuiller
La vie, c'est toujours la même chansons

Comme une soeur

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1958

Comme une sœur, tête coupée, tête coupée
Ell' ressemblait à sa poupée, à sa poupée,
Dans la rivière, elle est venue
Tremper un peu son pied menu, son pied menu.

Par une ruse à ma façon, à ma façon,
Je fais semblant d'être un poisson, d'être un poisson.
Je me déguise en cachalot
Et je me couche au fond de l'eau, au fond de l'eau.

J'ai le bonheur, grâce à ce biais, grâce à ce biais,
De lui croquer un bout de pied, un bout de pied.
Jamais requin n'a, j'en réponds,
Jamais rien goûté d'aussi bon, rien d'aussi bon.

Ell' m'a puni de ce culot, de ce culot,
En me tenant le bec dans l'eau, le bec dans l'eau.
Et j'ai dû, pour l'apitoyer,
Faire mine de me noyer, de me noyer.

Convaincu' de m'avoir occis, m'avoir occis,
La voilà qui se radoucit, se radoucit,
Et qui m'embrasse et qui me mord
Pour me ressusciter des morts, citer des morts.

Si c'est le sort qu'il faut subir, qu'il faut subir,
A l'heure du dernier soupir, dernier soupir,
Si, des noyés, tel est le lot,
Je retourne me fiche à l'eau, me fiche à l'eau.

Chez ses parents, le lendemain, le lendemain,
J'ai couru demander sa main, d'mander sa main,
Mais comme je n'avais rien dans
La mienne, on m'a crié: "Va-t'en!", crié: "Va-t'en!"

On l'a livrée aux appétits, aux appétits
D'une espèce de mercanti, de mercanti,
Un vrai maroufle, un gros sac d'or,
Plus vieux qu'Hérode et que Nestor, et que Nestor.

Et depuis leurs noces j'attends, noces j'attends,
Le cœur sur des charbons ardents, charbons ardents,
Que la Faucheuse vienne cou-
– per l'herbe aux pieds de ce grigou, de ce grigou.

Quand ell' sera veuve éploré', veuve éploré',
Après l'avoir bien enterré, bien enterré,
J'ai l'espérance qu'elle viendra
Faire sa niche entre mes bras, entre mes bras.

Concurrence déloyale

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

Il y a péril en la demeure,
Depuis que les femmes de bonnes mœurs,
Ces trouble-fête,
Jalouses de Manon Lescaut,
Viennent débiter leurs gigots
A la sauvette.

Ell's ôt'nt le bonhomm' de dessus
La brave horizontal' déçue,
Ell's prenn'nt sa place.
De la bouche au pauvre tapin
Ell's retir'nt le morceau de pain,
C'est dégueulasse.

En vérité, je vous le dis,
Il y en a plus qu'en Normandie
Il y a de pommes.
Sainte-Mad'lein', protégez-nous,
Le métier de femme ne nou-
rrit plus son homme.

Y a ces gamines de malheur,
Ces goss's qui, tout en suçant leur
Pouc' de fillette,
Se livrent au détournement
De majeur et, vénalement,
Trouss'nt leur layette.

Y a ces rombièr's de qualité,
Ces punais's de salon de thé
Qui se prosternent,
Qui, pour redorer leur blason,
Viennent accrocher leur vison
A la lanterne.

Y a ces p'tit's bourgeoises faux culs
Qui, d'accord avec leur cocu,
Clerc de notaire,
Au prix de gros vendent leur corps,
Leurs charmes qui fleurent encor
La pomm' de terre.

Lors, délaissant la fill' de joie,
Le client peut faire son choix
Tout à sa guise,
Et se payer beaucoup moins cher
Des collégienn's, des ménagèr's,
Et des marquises.

Ajoutez à ça qu'aujourd'hui
La manie de l'acte gratuit
Se développe,
Que des créatur's se font cul-
buter à l'œil et sans calcul.
Ah! les salopes!

Ell's ôt'nt le bonhomm' de dessus
La brave horizontal' déçue,
Ell' prenn'nt sa place.
De la bouche au pauvre tapin
Ell's retir'nt le morceau de pain,
C'est dégueulasse.

Corne d'Aurochs

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1955

Il avait nom corne d'Aurochs, au gué, au gué
Tout l'mond' peut pas s'app'ler Durand, au gué, au gué

En le regardant avec un œil de poète
On aurait pu croire à son frontal de prophète
Qu'il avait les grand's eaux de Versailles dans la tête
Corne d'Aurochs

Mais que le bon dieu lui pardonne, au gué, au gué
C'étaient celles du robinet, au gué, au gué

On aurait pu croire en l'voyant penché sur l'onde
Qu'il se plongeait dans des méditations profondes
Sur l'aspect fugitif des choses de se monde
Corne d'Aurochs

C'étaient hélas pour s'assurer, au gué, au gué
Qu' le vent n'l'avait pas décoiffé, au gué, au gué

Il proclamait à son de trompe à tous les carrefours
"Il n'y a qu'les imbéciles qui sachent bien faire l'amour
La virtuosité c'est une affaire de balourds!"
Corne d'Aurochs

Il potassait à la chandelle, au gué, au gué
Des traités de maintien sexuel, au gué, au gué
Et sur les femm's nues des musées, au gué, au gué
Faisait l'brouillon de ses baisers, au gué, au gué

Et bientôt petit à petit, au gué, au gué
On a tout su, tout su de lui, au gué, au gué

On a su qu'il était enfant de la Patrie
Qu'il était incapable de risquer sa vie
Pour cueillir un myosotis à une fille
Corne d'Aurochs

Qu'il avait un p'tit cousin, au gué, au gué
Haut placé chez les argousins, au gué, au gué
Et que les jours de pénurie, au gué, au gué
Il prenait ses repas chez lui, au gué, au gué

C'est même en revenant d'chez cet antipathique
Qu'il tomba victime d'une indigestion critique
Et refusa l'secours de la thérapeutique
Corne d'Aurochs

Parce que c'était un All'mand, au gué, au gué
Qu'on devait le médicament, au gué, au gué

Il rendit comme il put son âme machinale
Et sa vie n'ayant pas été originale
L'Etat lui fit des funérailles nationales
Corne d'Aurochs

Alors sa veuve en gémissant, au gué, au gué
Coucha avec son remplaçant, au gué, au gué

Cupidon s'en fout

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

Pour changer en amour notre amourette
Il s'en serait pas fallu de beaucoup
Mais, ce jour-là, Vénus était distraite
Il est des jours où Cupidon s'en fout

Des jours où il joue les mouches du coche
Où elles sont émoussées dans le bout
Les flèches courtoises qu'il nous décoche
Il est des jours où Cupidon s'en fout

Se consacrant à d'autres imbéciles
Il n'eu pas l'heur de s'occuper de nous
Avec son arc et tous ses ustensiles
Il est des jours où Cupidon s'en fout

On a tenté sans lui d'ouvrir la fête
Sur l'herbe tendre, on s'est roulés, mais vous
Avez perdu la vertu, pas la tête
Il est des jours où Cupidon s'en fout

Si vous m'avez donné toute licence
Le cœur, hélas, n'était pas dans le coup
Le feu sacré brillait par son absence
Il est des jours où Cupidon s'en fout

On effeuilla vingt fois la marguerite
Elle tomba vingt fois sur "pas du tout"
Et notre pauvre idylle a fait faillite
Il est des jours où Cupidon s'en fout

Quand vous irez au bois conter fleurette
Jeunes galants, le ciel soit avec vous
Je n'eus pas cette chance et le regrette
Il est des jours où Cupidon s'en fout

Dans l'eau de la claire fontaine

Dans l'eau de la claire fontaine
Elle se baignait toute nue
Une saute de vent soudaine
Jeta ses habits dans les nues

En détresse, elle me fit signe
Pour la vêtir, d'aller chercher
Des monceaux de feuilles de vigne
Fleurs de lis ou fleurs d'oranger

Avec des pétales de roses
Un bout de corsage lui fis
La belle n'était pas bien grosse
Une seule rose a suffi

Avec le pampre de la vigne
Un bout de cotillon lui fis
Mais la belle était si petite
Qu'une seule feuille a suffi

Elle me tendit ses bras, ses lèvres
Comme pour me remercier
Je les pris avec tant de fièvre
Qu'ell' fut toute déshabillée

Le jeu dut plaire à l'ingénue
Car, à la fontaine souvent
Ell' s'alla baigner toute nue
En priant Dieu qu'il fit du vent
Qu'il fit du vent…

Discours des fleurs

Paroles: Georges Brassens. Musique: Eric Zimmermann 1957

Sachant bien que même si
Je suis amoureux transi,
Jamais ma main ne les cueille
De bon cœur les fleurs m'accueillent.
Et m'esquivant des salons,
Où l'on déblatère, où l'on
Tient des propos byzantins,
J'vais faire un tour au jardin.

Car je préfère, ma foi,
En voyant ce que parfois,
Ceux des hommes peuvent faire,
Les discours des primevères.
Des bourdes, des inepties,
Les fleurs en disent aussi,
Mais jamais personne en meurt
Et ça plaît à mon humeur.

Le premier Mai c'est pas gai,
Je trime a dit le muguet,
Dix fois plus que d'habitude,
Regrettable servitude.
Muguet, sois pas chicaneur,
Car tu donnes du bonheur,
Pas cher à tout un chacun.
Brin d' muguet, tu es quelqu'un.

Mon nom savant me désol',
Appelez-moi tournesol,
Ronchonnait l'héliotrope,
Ou je deviens misanthrope.
Tournesol c'est entendu,
Mais en échange veux-tu
Nous donner un gros paquet
De graines de perroquet?

L'églantine en rougissant
Dit: ça me tourne les sangs,
Que gratte-cul l'on me nomme,
Cré nom d'un petit bonhomme!
Eglantine on te promet
De ne plus le faire, mais
Toi tu ne piqueras plus.
Adjugé, marché conclu.

Les "je t'aime un peu beaucoup",
Ne sont guère de mon goût,
Les serments d'amour m'irritent,
Se plaignait la marguerite.
Car c'est là mon infortune,
Aussitôt que débute une
Affaire sentimentale,
J'y laisse tous mes pétal's.

Un myosotis clamait:
Non je n'oublierai jamais,
Quand je vivrais cent ans d'âge,
Mille ans et même davantage.
Plein de souvenance allons,
Cent ans c'est long, c'est bien long,
Même vingt et même dix,
Pour un seul myosotis.

Mais minuit sonnait déjà,
Lors en pensant que mes chats,
Privés de leur mou peuchère,
Devaient dire: "il exagère".
Et saluant mes amies
Les fleurs je leur ai promis
Que je reviendrais bientôt.
Et vivent les végétaux.

Car je préfère ma foi,
En voyant ce que parfois,
Ceux des hommes peuvent faire,
Les discours des primevères.
Des bourdesdes inepties,
Les fleurs en disent aussi,
Mais jamais personne en meurt,
Et ça plaît à mon humeur.

Don Juan

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

Gloire à qui freine à mort, de peur d'ecrabouiller
Le hérisson perdu, le crapaud fourvoyé
Et gloire à don Juan, d'avoir un jour souri
A celle à qui les autres n'attachaient aucun prix
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Gloire au flic qui barrait le passage aux autos
Pour laisser traverser les chats de Léautaud
Et gloire à don Juan d'avoir pris rendez-vous
Avec la délaissée, que l'amour désavoue
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Gloire au premier venu qui passe et qui se tait
Quand la canaille crie haro sur le baudet
Et gloire à don Juan pour ses galants discours
A celle à qui les autres faisaient jamais la cour
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Et gloire à ce curé sauvant son ennemi
Lors du massacre de la Saint-Barthélémy
Et gloire à don Juan qui couvrit de baisers
La fille que les autres refusaient d'embrasser
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Et gloire à ce soldat qui jeta son fusil
Plutôt que d'achever l'otage à sa merci
Et gloire à don Juan d'avoir osé trousser
Celle dont le jupon restait toujours baissé
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Gloire à la bonne sœur qui, par temps pas très chaud
Dégela dans sa main le pénis du manchot
Et gloire à don Juan qui fit reluire un soir
Ce cul déshérité ne sachant que s'asseoir
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Gloire à qui n'ayant pas d'idéal sacro-saint
Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins
Et gloire à don Juan qui rendit femme celle
Qui, sans lui, quelle horreur, serait morte pucelle
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Elégie à un rat de cave

Paroles et Musique: Georges Brassens 1979

Personne n'aurait cru ce cave
Prophétisant que par malheur
Mon pauvre petit rat de cave
Tu débarquerais avant l'heure
Tu n'étais pas du genre qui vire
De bord et tous on le savait
Du genre à quitter le navire
Et tu es la premièr' qui l'aies fait

Maintenant m'amie qu'on te séquestre
Au sein des cieux
Que je m'déguise en chanteur d'orchestre
Pour tes beaux yeux
En partant m'amie je te l'assure
Tu as fichu le noir au fond de nous
Quoiqu'on n'ait pas mis de crêpe sur
Nos putains de binious
On n'm'a jamais vu, faut que tu l'notes
C'est une primeur
Faire un bœuf avec des croque-notes
C'est en ton honneur
Sache aussi qu'en écoutant Bechet
Foll' gamberge, on voit la nuit tombée
Ton fantôme qui sautille en cachette
Rue du Vieux Colombier
Ton fantôme qui sautille en cachette
Rue du Vieux Colombier

Sans aucun "au revoir mes frères"
Mais on n't'en veut pas pour autant
Mine de rien tu est allée faire
Ton trou dans les neiges d'antan
Désormais, c'est pas des salades
Parmi Flora, Jeanne, Thaïs
J'inclus ton nom à la ballade
Des belles dam's du temps jadis

Maintenant m'amie qu'ta place est faite
Chez les gentils
Qu'tu as r'trouvé pour l'éternelle fête
Papa Zutty
Chauff' la place à tous les vieux potaches
Machin, Chose, et Luter et Longnon
Et ce gras du bide de Moustache
Tes fidèl's compagnons
S'il est brave, pourquoi que Dieu le père
Là-haut ferait
Quelque différence entre Saint-Pierre
Et Saint-Germain-des-Prés
De tout cœur on espère que dans ce
Paradis miséricordieux
Brill'nt pour toi des lendemains qui dansent
Où y a pas de bon Dieu
Brill'nt pour toi des lendemains qui dansent
Où y a pas de bon Dieu

Embrasse-les tous

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1960

Tu n'es pas de cell's qui meur'nt où ell's s'attachent,
Tu frottes ta joue à toutes les moustaches,
Faut s' lever de bon matin pour voir un ingénu
Qui n' t'ait pas connu',
Entré' libre à n'importe qui dans ta ronde,
Cœur d'artichaut, tu donne' un' feuille à tout l' monde,
Jamais, de mémoire d'homm', moulin n'avait été
Autant fréquenté.

De Pierre à Paul, en passant par Jule' et Félicien,
Embrasse-les tous, {2x}
Dieu reconnaîtra le sien!
Passe-les tous par tes armes,
Passe-les tous par tes charmes,
Jusqu'à c' que l'un d'eux, les bras en croix,
Tourne de l'œil dans tes bras,
Des grands aux p'tits en allant jusqu'aux Lilliputiens,
Embrasse-les tous, {2x}
Dieu reconnaîtra le sien
Jusqu'à ce qu'amour s'ensuive,
Qu'à son cœur une plai' vive,
Le plus touché d'entre nous
Demande grâce à genoux.

En attendant le baiser qui fera mouche,
Le baiser qu'on garde pour la bonne bouche,
En attendant de trouver, parmi tous ces galants,
Le vrai merle blanc,
En attendant qu' le p'tit bonheur ne t'apporte
Celui derrière qui tu condamneras ta porte
En marquant dessus "Fermé jusqu'à la fin des jours
Pour cause d'amour "…

De Pierre à Paul, en passant par Jule' et Félicien,
Embrasse-les tous, {2x}
Dieu reconnaîtra le sien!
Passe-les tous par tes armes,
Passe-les tous par tes charmes,
Jusqu'à c'que l'un d'eux, les bras en croix,
Tourne de l'œil dans tes bras,
Des grands aux p'tits en allant jusqu'aux Lilliputiens,
Embrasse-les tous, {2x}
Dieu reconnaîtra le sien!

Alors toutes tes fredaines,
Guilledous et prétentaines,
Tes écarts, tes grands écarts,
Te seront pardonnés, car
Les fill's quand ça dit "je t'aime",
C'est comme un second baptême,
Ça leur donne un cœur tout neuf,
Comme au sortir de son œuf.

Fernande

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

Une manie de vieux garçon
Moi j'ai pris l'habitude
D'agrémenter ma solitude
Aux accents de cette chanson

{Refrain:}

Quand je pense à Fernande
Je bande, je bande
Quand j'pense à Félicie
Je bande aussi
Quand j'pense à Léonor
Mon dieu je bande encore
Mais quand j'pense à Lulu
Là je ne bande plus
La bandaison papa
Ça n'se commande pas.

C'est cette mâle ritournelle
Cette antienne virile
Qui retentit dans la guérite
De la vaillante sentinelle.

{au Refrain}

Afin de tromper son cafard
De voir la vie moins terne
Tout en veillant sur sa lanterne
Chante ainsi le gardien de phare

{au Refrain}

Après la prière du soir
Comme il est un peu triste
Chante ainsi le séminariste
A genoux sur son reposoir.

{au Refrain}

A l'Etoile où j'étais venu
Pour ranimer la flamme
J'entendis ému jusqu'aux larmes
La voix du soldat inconnu.

{au Refrain}

Et je vais mettre un point final
A ce chant salutaire
En suggérant au solitaire
D'en faire un hymme national.

{au Refrain}

Gastibelza (l'homme à la carabine)

Paroles: Victor Hugo. Musique: Georges Brassens 1954

autres interprètes: Renaud Séchan (1996)

note: Poème de 1837 («Guitare» pièce XXII du recueil «Les rayons et les ombres») légèrement transformé par Georges Brassens.

Gastibelza, l'homme à la carabine
.. Chantait ainsi:
"Quelqu'un a-t-il connu doña Sabine?
.. Quelqu'un d'ici?
Chantez, dansez, villageois! La nuit gagne
.. Le mont Falù…
Le vent qui vient à travers la montagne
.. Me rendra fou."

"Quelqu'un de vous a-t-il connu Sabine
.. Ma señora?
Sa mère était la vieille maugrabine
.. D'Antequera
Qui chaque nuit criait dans la Tour Magne
.. Comme un hibou…
Le vent qui vient à travers la montagne
.. Me rendra fou."

"Vraiment, la reine eût, près d'elle, été laide
.. Quand, vers le soir
Elle passait sur le pont de Tolède
.. En corset noir.
Un chapelet du temps de Charlemagne
.. Ornait son cou…
Le vent qui vient à travers la montagne
.. Me rendra fou."

Le roi disait, en la voyant si belle
.. A son neveu:
"Pour un baiser, pour un sourire d'elle
.. Pour un cheveu
Infant don Ruy, je donnerais l'Espagne
.. Et le Pérou!
Le vent qui vient à travers la montagne
.. Me rendra fou."

"Je ne sais pas si j'aimais cette dame
.. Mais je sais bien
Que, pour avoir un regard de son âme
Moi, pauvre chien
J'aurais gaîment passé dix ans au bagne
.. Sous les verrous…
Le vent qui vient à travers la montagne
.. Me rendra fou."

"Quand je voyais cette enfant, moi le pâtre
.. De ce canton
Je croyais voir la belle Cléopâtre
.. Qui, nous dit-on
Menait César, empereur d'Allemagne
.. Par le licou…
Le vent qui vient à travers la montagne
.. Me rendra fou."

"Dansez, chantez, villageois, la nuit tombe
.. Sabine, un jour
A tout vendu, sa beauté de colombe
.. Tout son amour
Pour l'anneau d'or du comte de Saldagne
.. Pour un bijou…
Le vent qui vient à travers la montagne
.. M'a rendu fou."

Germaine Tourangelle

Paroles: Paul Fort. Musique: Georges Brassens

Cette gerbe est pour vous Manon des jours heureux,
Pour vous cette autre, eh! oui, Jeanne des soirs troublants.

Plus souple vers l'azur et déchiré des Sylphes,
Voilà tout un bouquet de roses pour Thérèse.

Où donc est-il son fin petit nez qui renifle?
Au paradis? eh! non, cendre au Père-Lachaise.

Plus haut, cet arbre d'eau qui rechute pleureur,

En saule d'Orphélie, est pour vous, Amélie.

Et pour vous ma douceur, ma douleur, ma folie!
Germaine Tourangelle, ô vous la plus jolie.

Le fluide arc-en-ciel s'égrenant sur mon cœur.

Grand-père

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

Grand-pèr' suivait en chantant
La route qui mène à cent ans
La mort lui fit, au coin d'un bois
L'coup du pèr' François
L'avait donné de son vivant
Tant de bonheur à ses enfants
Qu'on fit, pour lui en savoir gré
Tout pour l'enterrer
Et l'on courut à toutes jam-
Bes quérir une bière, mais
Comme on était légers d'argent
Le marchand nous reçut à bras fermés

" Chez l'épicier, pas d'argent, pas d'épices
Chez la belle Suzon, pas d'argent, pas de cuisse
Les morts de basse condition
C'est pas de ma juridiction "

Or, j'avais hérité d'grand-père
Un' pair' de bott's pointues
S'il y a des coups d'pied que'que part qui s'perdent
Çui-là toucha son but

C'est depuis ce temps-là que le bon apôtre,
Ah! c'est pas joli…
Ah! c'est pas poli…
A un' fess' qui dit merde à l'autre

Bon papa
Ne t'en fais pas
Nous en viendrons
A bout de tous ces empêcheurs d'enterrer en rond

Le mieux à faire et le plus court
Pour qu'l'enterr'ment suivît son cours
Fut de borner nos prétentions
A un' bièr' d'occasion
Contre un pot de miel on acquit
Les quatre planches d'un mort qui
Rêvait d'offrir quelques douceurs
A une âme sœur
Et l'on courut à toutes jam-
Bes quérir un corbillard, mais
Comme on était légers d'argent
Le marchand nous reçut à bras fermés

" Chez l'épicier, pas d'argent, pas d'épices
Chez la belle Suzon, pas d'argent, pas de cuisse
Les morts de basse condition
C'est pas de ma juridiction "

Ma bott' partit, mais je m'refuse
De dir' vers quel endroit
Ça rendrait les dames confuses
Et je n'en ai pas le droit

C'est depuis ce temps-là que le bon apôtre
Ah! c'est pas joli…
Ah! c'est pas poli…
A un' fess' qui dit merde à l'autre

Bon papa
Ne t'en fais pas
Nous en viendrons
A bout de tous ces empêcheurs d'enterrer en rond

Le mieux à faire et le plus court
Pour qu'l'enterr'ment suivît son cours
Fut de porter sur notre dos
L'funèbre fardeau.
S'il eût pu revivre un instant
Grand-père aurait été content
D'aller à sa dernièr' demeur'
Comme un empereur
Et l'on courut à toutes jam-
Bes quérir un goupillon, mais
Comme on était légers d'argent
Le vicaire nous reçut à bras fermés

" Chez l'épicier, pas d'argent, pas d'épices
Chez la belle Suzon, pas d'argent, pas de cuisse
Les morts de basse condition
C'est pas de ma bénédiction "

Avant même que le vicaire
Ait pu lâcher un cri
J'lui bottai l'cul au nom du Pèr'
Du Fils et du Saint-Esprit

C'est depuis ce temps-là que le bon apôtre
Ah! c'est pas joli…
Ah! c'est pas poli…
A un' fess' qui dit merde à l'autre

Bon papa
Ne t'en fais pas
Nous en viendrons
A bout de tous ces empêcheurs d'enterrer en rond

Hécatombe

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1955

Au marché de Briv'-la-Gaillarde
A propos de bottes d'oignons
Quelques douzaines de gaillardes
Se crêpaient un jour le chignon
A pied, à cheval, en voiture
Les gendarmes mal inspirés
Vinrent pour tenter l'aventure
D'interrompre l'échauffourée

Or, sous tous les cieux sans vergogne
C'est un usag' bien établi
Dès qu'il s'agit d'rosser les cognes
Tout le monde se réconcilie
Ces furies perdant tout' mesure
Se ruèrent sur les guignols
Et donnèrent je vous l'assure
Un spectacle assez croquignol

En voyant ces braves pandores
Etre à deux doigts de succomber
Moi, j'bichais car je les adore
Sous la forme de macchabées
De la mansarde où je réside
J'exitais les farouches bras
Des mégères gendarmicides
En criant: "Hip, hip, hip, hourra!"

Frénétiqu' l'un' d'elles attache
Le vieux maréchal des logis
Et lui fait crier: "Mort aux vaches,
Mort aux lois, vive l'anarchie!"
Une autre fourre avec rudesse
Le crâne d'un de ses lourdauds
Entre ses gigantesques fesses
Qu'elle serre comme un étau

La plus grasse de ses femelles
Ouvrant son corsage dilaté
Matraque à grand coup de mamelles
Ceux qui passent à sa portée
Ils tombent, tombent, tombent, tombent
Et s'lon les avis compétents
Il paraît que cette hécatombe
Fut la plus bell' de tous les temps

Jugeant enfin que leurs victimes
Avaient eu leur content de gnons
Ces furies comme outrage ultime
En retournant à leurs oignons
Ces furies à peine si j'ose
Le dire tellement c'est bas
Leur auraient mêm' coupé les choses
Par bonheur ils n'en avait pas
Leur auraient mêm' coupé les choses
Par bonheur ils n'en avait pas

Heureux qui comme Ulysse

Paroles et Musique: Georges Brassens 1969

note: du film "Heureux qui comme Ulysse"

Heureux qui comme Ulysse
A fait un beau voyage
Heureux qui comme Ulysse
A vu cent paysages
Et puis a retrouvé après
Maintes traversées
Le pays des vertes allées

Par un petit matin d'été
Quand le soleil vous chante au cœur
Qu'elle est belle la liberté
La liberté

Quand on est mieux ici qu'ailleurs
Quand un ami fait le bonheur
Qu'elle est belle la liberté
La liberté

Avec le soleil et le vent
Avec la pluie et le beau temps
On vivait bien contents
Mon cheval, ma Provence et moi
Mon cheval, ma Provence et moi

Heureux qui comme Ulysse
A fait un beau voyage
Heureux qui comme Ulysse
A vu cent paysages
Et puis a retrouvé après
Maintes traversées
Le pays des vertes allées

Par un joli matin d'été
Quand le soleil vous chante au cœur
Qu'elle est belle la liberté
La liberté

Quand c'en est fini des malheurs
Quand un ami sèche vos pleurs
Qu'elle est belle la liberté
La liberté

Battus de soleil et de vent
Perdus au milieu des étangs
On vivra bien contents
Mon cheval, ma Camargue et moi
Mon cheval, ma Camargue et moi

Histoire de faussaires

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

Se découpant sur champ d'azur
La ferme était fausse bien sûr,
Et le chaume servant de toit
Synthétique comme il se doit.

Au bout d'une allée de faux buis,
On apercevait un faux puits
Du fond duquel la vérité
N'avait jamais dû remonter.

Et la maîtresse de céans
Dans un habit, ma foi, seyant
De fermière de comédie
A ma rencontre descendit,
Et mon petit bouquet, soudain,
Parut terne dans ce jardin
Près des massifs de fausses fleurs
Offrant les plus vives couleurs.

Ayant foulé le faux gazon,
Je la suivis dans la maison
Où brillait sans se consumer
Un genre de feu sans fumée.

Face au faux buffet Henri deux,
Alignés sur les rayons de
La bibliothèque en faux bois,
Faux bouquins achetés au poids.

Faux Aubusson, fausses armures,
Faux tableaux de maîtres au mur,
Fausses perles et faux bijoux
Faux grains de beauté sur les joues,
Faux ongles au bout des menottes,
Piano jouant des fausses notes
Avec des touches ne devant
Pas leur ivoire aux éléphants.

Aux lueurs des fausses chandelles
Enlevant ses fausses dentelles,
Elle a dit, mais ce n'était pas
Sûr, tu es mon premier faux pas.

Fausse vierge, fausse pudeur,
Fausse fièvre, simulateurs,
Ces anges artificiels
Venus d'un faux septième ciel.

La seule chose un peu sincère
Dans cette histoire de faussaire
Et contre laquelle il ne faut
Peut-être pas s'inscrire en faux,
C'est mon penchant pour elle et mon
Gros point du côté du poumon
Quand amoureuse elle tomba
D'un vrai marquis de Carabas.

En l'occurrence Cupidon
Se conduisit en faux-jeton,
En véritable faux témoin,
Et Vénus aussi, néanmoins
Ce serait sans doute mentir
Par omission de ne pas dire
Que je leur dois quand même une heure
Authentique de vrai bonheur.

Honte à qui peut chanter

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

{Refrain:}

Honte à cet effronté qui peut chanter pendant
Que Rome brûle, ell' brûl' tout l' temps…
Honte à qui malgré tout fredonne des chansons
A Gavroche, à Mimi Pinson.

En mil neuf cent trent'-sept que faisiez-vous mon cher?
J'avais la fleur de l'âge et la tête légère,
Et l'Espagne flambait dans un grand feu grégeois.
Je chantais, et j'étais pas le seul: "Y a d' la joie".

Et dans l'année quarante mon cher que faisiez-vous?
Les Teutons forçaient la frontière, et comme un fou,
Et comm' tout un chacun, vers le sud, je fonçais,
En chantant: "Tout ça, ça fait d'excellents Français".

{Refrain}

A l'heure de Pétain, à l'heure de Laval,
Que faisiez-vous mon cher en plein dans la rafale?
Je chantais, et les autres ne s'en privaient pas:
"Bel ami", "Seul ce soir", "J'ai pleuré sur tes pas ".

Mon cher, un peu plus tard, que faisait votre glotte
Quand en Asie ça tombait comme à Gravelotte?
Je chantais, il me semble, ainsi que tout un tas
De gens: "Le déserteur", "Les croix", "Quand un soldat".

{Refrain}

Que faisiez-vous mon cher au temps de l'Algérie,
Quand Brel était vivant qu'il habitait Paris?
Je chantais, quoique désolé par ces combats:
"La valse à mille temps" et "Ne me quitte pas".

Le feu de la ville éternelle est éternel.
Si Dieu veut l'incendie, il veut les ritournelles.
A qui fera-t-on croir' que le bon populo,
Quand il chante quand même, est un parfait salaud?

{Refrain}

Il existe encore des bergères

Paroles: J.Tranchant. Musique: Georges Brassens

Il existe encor des bergères
Qui promènent leurs blancs moutons
Elles ont la taille légère
Et un vieux bâton.

Malgré le règne des machines
Dans certains villages cachés
Un vieil ânon courbe l'échine
En grimpant les sentiers perchés.
Et dans les prés sur l'herbe verte
Le voyageur fait tout à coup
La plus heureuse découverte:
Une bergèr' aux yeux très doux.

Il existe encor des bergères
Qui surveillent leurs blancs moutons
Elles ont la taille légère
Et un vieux bâton.

Celle que je vis aux semailles
Avait robe court' et corset
Coiffée d'un grand chapeau de paille
Elle était faite., Dieu le sait
Surveillant le troupeau qui bêle
Un barré gris fort inquiétant
M'empêchait d'approcher la belle
En découvrant toutes ses dents.

Il existe encor des bergères
Qui surveillent leurs blancs moutons
Elles ont la taille légère
Et un vieux bâton.

Mais je devins ami quand même
De la bergèr' et de son chien
D'la bergèr' en disant: "Je t'aime"
Du chien en ne lui disant rien.
Il suivait, l'oreille en bataille,
Le croc blanc, les moutons frisés
Dévorant le chapeau de paille
Victime de nos doux baisers.

Il existe encor des bergères
Il existe encor des moutons
Et des aventures légères
Dans tous les cantons.

Il n'y a pas d'amour heureux

Paroles: Louis Aragon. Musique: Georges Brassens 1965

autres interprètes: Michèle Arnaud, Françoise Hardy, 8 femmes (2001)

note: Danielle Darrieux interprète cette chanson dans le film " 8 femmes", de François Ozon.

Rien n'est jamais acquis à l'homme. Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur. Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce

Il n'y a pas d'amour heureux

Sa vie elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de ce lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désarmés incertains
Dites ces mots ma vie et retenez vos larmes

Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent

Il n'y a pas d'amour heureux

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare

Il n'y a pas d'amour heureux

Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs

Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour à tous deux

Il suffit de passer le pont

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1953

Il suffit de passer le pont
C'est tout de suite l'aventure
Laisse-moi tenir ton jupon
J't'emmèn' visiter la nature
L'herbe est douce à Pâques fleuries
Jetons mes sabots, tes galoches
Et, légers comme des cabris
Courons après les sons de cloches
Ding din don! les matines sonnent
En l'honneur de notre bonheur
Ding din dong! faut l'dire à personne
J'ai graissé la patte au sonneur

Laisse-moi tenir ton jupon
Courons, guilleret, guillerette
Il suffit de passer le pont
Et c'est le royaum' des fleurettes
Entre tout's les bell's que voici
Je devin' cell' que tu préfères
C'est pas l'coqu'licot, Dieu merci
Ni l'coucou, mais la primevère
J'en vois un' blottie sous les feuilles
Elle est en velours comm' tes joues
Fais le guet pendant qu'je la cueille
" Je n'ai jamais aimé que vous "

Il suffit de trois petits bonds
C'est tout de suit' la tarantelle
Laisse-moi tenir ton jupon
J'saurai ménager tes dentelles
J'ai graissé la patte au berger
Pour lui fair' jouer une aubade
Lors, ma mie, sans croire au danger
Faisons mille et une gambades
Ton pied frappe et frappe la mousse
Si l'chardon s'y pique dedans
Ne pleure pas, ma mie qui souffre
Je te l'enlève avec les dents

On n'a plus rien à se cacher
On peut s'aimer comm' bon nous semble
Et tant mieux si c'est un péché
Nous irons en enfer ensemble
Il suffit de passer le pont
Laisse-moi tenir ton jupon

J'ai rendez-vous avec vous

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1952

Monseigneur l'astre solaire
Comm' je n'l'admir' pas beaucoup
M'enlèv' son feu, oui mais, d'son feu, moi j'm'en fous
J'ai rendez-vous avec vous
La lumièr' que je préfère
C'est cell' de vos yeux jaloux
Tout le restant m'indiffère
J'ai rendez-vous avec vous!

Monsieur mon propriétaire
Comm' je lui dévaste tout
M'chass' de son toit, oui mais, d'son toit, moi j'm'en fous
J'ai rendez-vous avec vous
La demeur' que je préfère
C'est votre robe à froufrous
Tout le restant m'indiffère
J'ai rendez-vous avec vous!

Madame ma gargotière
Comm' je lui dois trop de sous
M'chass' de sa tabl', oui mais, d'sa tabl', moi j'm'en fous
J'ai rendez-vous avec vous
Le menu que je préfère
C'est la chair de votre cou
Tout le restant m'indiffère
J'ai rendez-vous avec vous!

Sa Majesté financière
Comm' je n'fais rien à son goût
Garde son or, or, de son or, moi j'm'en fous
J'ai rendez-vous avec vous
La fortun' que je préfère
C'est votre cœur d'amadou
Tout le restant m'indiffère
J'ai rendez-vous avec vous!

Je bivouaque au pays de Cocagne

Paroles: Georges Brassens

Une rue sans joie où les sbires
Tout seuls ne s'aventurent pas,
Un coupe-gorge et même pire,
La venelle où traînaient mes pas!
Mais j'avais mangé du poète,
Je marchais un peu sur la tête,
Et cett' rue je l'ai traversée
Comm' l'avenue des Champs-Élysées.

{Refrain:}

Je bivouaque au
Pays de Co –
cagne depuis
Que j'ai bouté
La vérité
Au fond du puits.

Beauté du diable et qui n'inspire
Pas l'envie d'aller en sabbat,
Epouvantail et même pire,
La fille m'offrant ses appas!
Mais j'avais mangé du poète,
Je marchais un peu sur la tête,
Et j'ai changé cette petite
En une Vénus Aphrodite.

{Refrain}

Quatre anges déchus qui soupirent
Si peu qu'on ne les entend pas,
Jamais étreinte ne fut pire,
Jamais amour vola si bas!
Mais j'avais mangé du poète,
Je marchais un peu sur la tête,
Et quittant doucement la terre
Je fus à bon port à Cythère.

{Refrain}

Je me suis fait tout petit

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1955

Je n'avais jamais ôté mon chapeau
Devant personne
Maintenant je rampe et je fait le beau
Quand ell' me sonne
J'étais chien méchant, ell' me fait manger
Dans sa menotte
J'avais des dents d'loup, je les ai changées
Pour des quenottes

Je m'suis fait tout p'tit devant un' poupée
Qui ferm' les yeux quand on la couche
Je m'suis fait tout p'tit devant un' poupée
Qui fait Maman quand on la touche

J'était dur à cuire, ell' m'a converti
La fine bouche
Et je suis tombé tout chaud, tout rôti
Contre sa bouche
Qui a des dents de lait quand elle sourit
Quand elle chante
Et des dents de loup quand elle est furie
Qu'elle est méchante

Je m'suis fait tout p'tit devant un' poupée
Qui ferm' les yeux quand on la couche
Je m'suis fait tout p'tit devant un' poupée
Qui fait Maman quand on la touche

Je subis sa loi, je file tout doux
Sous son empire
Bien qu'ell' soit jalouse au-delà de tout
Et même pire
Un' jolie pervenche qui m'avait paru
Plus jolie qu'elle
Un' jolie pervenche un jour en mourut
A coup d'ombrelle

Je m'suis fait tout p'tit devant un' poupée
Qui ferm' les yeux quand on la couche
Je m'suis fait tout p'tit devant un' poupée
Qui fait Maman quand on la touche

Tous les somnambules, tous les mages m'ont
Dit sans malice
Qu'en ses bras en croix, je subirais mon
Dernier supplice
Il en est de pir's il en est d'meilleures
Mais à tout prendre
Qu'on se pende ici, qu'on se pende ailleurs
S'il faut se pendre

Je m'suis fait tout p'tit devant un' poupée
Qui ferm' les yeux quand on la couche
Je m'suis fait tout p'tit devant un' poupée
Qui fait Maman quand on la touche

Je rejoindrai ma belle

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1961

A l'heure du berger
Au mépris du danger
J'prendrai la passerelle
Pour rejoindre ma belle
A l'heure du berger
Au mépris du danger
Et nul n'y pourra rien changer

Tombant du haut des nues
La bourrasque est venue
Souffler dessus la passerelle
Tombant du haut des nues
La bourrasque est venue
Des passerell's, il y en a plus

Si les vents ont cru bon
De me couper les ponts
J'prendrai la balancelle
Pour rejoindre ma belle
Si les vents ont cru bon
De me couper les ponts
J'embarquerai dans l'entrepont

Tombant du haut des nues
Les marins sont venus
Lever l'ancre à la balancelle
Tombant du haut des nues
Les marins sont venus
Des balancell's, il y en a plus

Si les forbans des eaux
Ont volé mes vaisseaux
Y me pouss'ra des ailes
Pour rejoindre ma belle
Si les forbans des eaux
Ont volé mes vaisseaux
J'prendrai le chemin des oiseaux

Les chasseurs à l'affût
Te tireront dessus
Adieu la plume! adieu les ailes!
Les chasseurs à l'affût
Te tireront dessus
De tes amours, y en aura plus

Si c'est mon triste lot
De faire un trou dans l'eau
Racontez à la belle
Que je suis mort fidèle
Et qu'ell' daigne à son tour
Attendre quelques jours
Pour filer de nouvell's amours

Je suis un voyou

Paroles et Musique: Georges Brassens 1954

autres interprètes: Renaud

Ci-gît au fond de mon cœur une histoire ancienne
Un fantôme, un souvenir d'une que j'aimais
Le temps, à grands coups de faux, peut faire des siennes
Mon bel amour dure encore, et c'est à jamais

J'ai perdu la tramontane
En trouvant Margot
Princesse vêtue de laine
Déesse en sabots
Si les fleurs, le long des routes
S'mettaient à marcher
C'est à la Margot, sans doute
Qu'ell's feraient songer
J'lui ai dit: "De la Madone
Tu es le portrait!"
Le Bon Dieu me le pardonne
C'était un peu vrai

Qu'il me pardonne ou non
D'ailleurs, je m'en fous
J'ai déjà mon âme en peine
Je suis un voyou

La mignonne allait aux vêpres
Se mettre à genoux
Alors j'ai mordu ses lèvres
Pour savoir leur goût
Ell' m'a dit, d'un ton sévère
"Qu'est-ce que tu fais là?"
Mais elle m'a laissé faire
Les fill's, c'est comm' ça
J'lui ai dit: " Par la Madone
Reste auprès de moi! "
Le Bon Dieu me le pardonne
Mais chacun pour soi

Qu'il me pardonne ou non
D'ailleurs, je m'en fous
J'ai déjà mon âme en peine
Je suis un voyou

C'était une fille sage
A " bouch', que veux-tu?"
J'ai croqué dans son corsage
Les fruits défendus
Ell' m'a dit d'un ton sévère
" Qu'est-ce que tu fais là? "
Mais elle m'a laissé faire
Les fill's, c'est comm' ça
Puis, j'ai déchiré sa robe
Sans l'avoir voulu
Le Bon Dieu me le pardonne
Je n'y tenais plus!

Qu'il me pardonne ou non
D'ailleurs, je m'en fous
J'ai déjà mon âme en peine
Je suis un voyou

J'ai perdu la tramontane
En perdant Margot
Qui épousa, contre son âme
Un triste bigot
Elle doit avoir à l'heure
A l'heure qu'il est
Deux ou trois marmots qui pleurent
Pour avoir leur lait
Et, moi, j'ai tété leur mère
Longtemps avant eux
Le Bon Dieu me le pardonne
J'étais amoureux!

Qu'il me pardonne ou non
D'ailleurs, je m'en fous
J'ai déjà mon âme en peine
Je suis un voyou

Jean rentre au village

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

Jean rentre au village
Son père chercher,
Le cherche trois heures,
Où s'est-il caché?

Mais un brave cœur lui dit:
Ton papa, pauvre petit,
Il est en hospice,
Le bon Dieu n'est pas gentil.

Jean va-t-en hospice
Son père chercher.
Le cherche trois heures,
Où s'est-il caché?

Mais un brave cœur lui dit
Ton papa pauvre petit
L'est déjà-t-en morgue,
Le bon Dieu n'est pas gentil.

Jean s'en va-t-en morgue
Son père chercher,
Le cherche trois heures,
Où s'est-il caché?

Mais un brave cœur lui dit
Ton papa, pauvre petit,
L'est déjà-t-en bière,
Le bon Dieu n'est pas gentil.

Jean s'en va-t-en bière
Son père chercher,
Le cherche trois heures,
Où s'est-il caché?

Mais un brave cœur lui dit
Ton papa, pauvre petit,
L'est déjà-t-en route,
Le bon Dieu n'est pas gentil.

Jean s'en va-t-en route
Son père chercher,
Le cherche trois heures,
Où s'est-il caché?

Mais un brave cœur lui dit
Ton papa, pauvre petit,
L'est déjà-t-en terre,
Le bon Dieu n'est pas gentil.

Jean s'en va-t-en terre
Son père chercher,
Le cherche trois heures,
Où s'est-il caché?

Mais un brave cœur lui dit
Ton papa, pauvre petit,
L'est déjà-t-en cendres,
Le bon Dieu n'est pas gentil.

Jeanne

Paroles et Musique: Georges Brassens 1962

Chez Jeanne, la Jeanne
Son auberge est ouverte aux gens sans feu ni lieu
On pourrait l'appeler l'auberge de Bon Dieu
S'il n'en existait déjà une
La dernière où l'on peut entrer
Sans frapper, sans montrer patte blanche

Chez Jeanne, la Jeanne
On est n'importe qui, on vient n'importe quand
Et, comme par miracle, par enchantement
On fait partie de la famille
Dans son cœur, en s'poussant un peu
Reste encore une petite place

La Jeanne, la Jeanne
Elle est pauvre et sa table est souvent mal servie
Mais le peu qu'on y trouve assouvit pour la vie
Par la façon qu'elle le donne
Son pain ressemble à du gâteau
Et son eau à du vin comme deux gouttes d'eau

La Jeanne, la Jeanne
On la paie quand on peut des prix mirobolants
Un baiser sur son front ou sur ses cheveux blancs
Un semblant d'accord de guitare
L'adresse d'un chat échaudé
Ou d'un chien tout crotté comm' pourboire

La Jeanne, la Jeanne
Dans ses ros's et ses choux n'a pas trouvé d'enfant
Qu'on aime et qu'on défend contre les quatre vents
Et qu'on accroche à son corsage
Et qu'on arrose avec son lait
D'autres qu'elle en seraient tout's chagrines

Mais Jeanne, la Jeanne
Ne s'en soucie pas plus que de colin-tampon
Etre mère de trois poulpiquets, à quoi bon
Quand elle est mère universelle
Quand tous les enfants de la terre
De la mer et du ciel sont à elle

Jeanne Martin

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

La petite presqu'île
Où jadis, bien tranquille,
Moi je suis né natif,
Soit dit sans couillonnade
Avait le nom d'un ad-
jectif démonstratif.

Moi, personnellement
Que je meur' si je mens
Ça m'était bien égal;
J'étais pas chatouillé,
J'étais pas humilié
Dans mon honneur local.

Mais voyant d' l'infamie
Dans cette homonymie,
Des bougres s'en sont plaints
Tellement que bientôt
On a changé l'ortho-
graph' du nom du pat'lin.

Et j'eus ma première tristesse d'Olympio,
Déférence gardée envers le père Hugo.

Si faire se peut
Attendez un peu,
Messieurs les édiles,
Que l'on soit passé
Pour débaptiser
Nos petites villes.

La chère vieille rue
Où mon père avait cru
On ne peut plus propice
D'aller construire sa
Petite maison s'a-
ppelait rue de l'Hospice.

Se mettre en quête d'un
Nom d' rue plus opportun
Ne se concevait pas.
On n' pouvait trouver mieux
Vu qu'un asile de vieux
Florissait dans le bas.

Les anciens combattants,
Tous comme un seul, sortant
De leurs vieux trous d'obus,
Firent tant qu'à la fin
La rue d' l'Hospic' devint
La rue Henri Barbusse.

Et j'eus ma deuxième tristesse d'Olympio,
Déférence gardée envers le père Hugo.

Si faire se peut
Attendez un peu,
Héros incongrus,
Que l'on soit passé
Pour débaptiser
Nos petites rues.

Moi, la première à qui
Mon cœur fut tout acquis
S'app'lait Jeanne Martin,
Patronyme qui fait
Pas tellement d'effet
Dans le bottin mondain.

Mais moi j'aimais comme un
Fou ce nom si commun,
N'en déplaise aux minus.
D'ailleurs, de parti pris,
Celle que je chéris,
S'appell' toujours Vénus.

Hélas un béotien
A la place du sien
Lui proposa son blase
Fameux dans l'épicerie
Et cette renchérie
Refusa pas, hélas!

Et j'eus ma troisième tristesse d'Olympio,
Déférence gardée envers le père Hugo.

Si faire se peut
Attendez un peu
Cinq minutes, non?
Gentes fiancées,
Que l'on soit passé
Pour changer de nom.

Jehan l'advenu

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

Puis il revint comme il était parti:
Bon pied, bon œil, personne d'averti.
Aux dents, toujours la vive marguerite,
Aux yeux, toujours la flamme qui crépite.

Mit sur ta lèvre, Aline, un long baiser
Mit sur la table un peu d'or étranger
Chanta, chanta deux chansons de marine
S'alla dormir dans la chambre enfantine.

Puis il revint comme il était parti:
Bon pied, bon œil, personne d'averti.
Aux dents, toujours la vive marguerite,
Aux yeux, toujours la flamme qui crépite.

Rêva tout haut d'écume et de cavale,
S'entortilla dans d'étranges rafales.
Puis au réveil, quand l'aube se devine,
Chanta, chanta deux chansons de marine.

Puis il revint comme il était parti:
Bon pied, bon œil, personne d'averti.
Aux dents, toujours la vive marguerite,
Aux yeux, toujours la flamme qui crépite.

Fit au pays son adieu saugrenu
Et s'en alla comme il était venu.
Fit au pays son adieu saugrenu
Et s'en alla comme il était venu.

L'amandier

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

J'avais l'plus bel amandier
Du quartier
Et, pour la bouche gourmande
Des filles du monde entier
J'faisais pousser des amandes
Le beau, le joli métier!

Un écureuil en jupon
Dans un bond
Vint me dir': " Je suis gourmande
Et mes lèvres sentent bon
Et, si tu m'donn's une amande
J'te donne un baiser fripon!"

" Grimpe aussi haut que tu veux
Que tu peux
Et tu croqu's, et tu picores
Puis tu grignot's, et puis tu
Redescends plus vite encore
Me donner le baiser dû! "

Quand la belle eut tout rongé
Tout mangé
" Je te paierai, me dit-elle
A pleine bouche quand les
Nigauds seront pourvus d'ailes
Et que tu sauras voler! "

" Mont' m'embrasser si tu veux
Si tu peux
Mais dis-toi que, si tu tombes
J'n'aurais pas la larme à l'œil
Dis-toi que, si tu succombes
Je n'porterai pas le deuil! "

Les avait, bien entendu
Toutes mordues
Tout's grignotées, mes amandes
Ma récolte était perdue
Mais sa jolie bouch' gourmande
En baisers m'a tout rendu!

Et la fête dura tant
Qu'le beau temps
Mais vint l'automne, et la foudre
Et la pluie, et les autans
Ont change mon arbre en poudre
Et mon amour en mêm' temps!

L'ancêtre

Paroles et Musique: Georges Brassens 1969

Notre voisin l'ancêtre était un fier galant
Qui n'emmerdait personne avec sa barbe blanche,
Et quand le bruit courut qu' ses jours étaient comptés,
On s'en fut à l'hospice afin de l'assister.

On avait apporté les guitar's avec nous
Car, devant la musique, il tombait à genoux,
Excepté toutefois les marches militaires
Qu'il écoutait en se tapant le cul par terre. {2x}

Émules de Django, disciples de Crolla,
Toute la fine fleur des cordes était là
Pour offrir à l'ancêtre, en signe d'affection,
En guis' de viatique, une ultime audition. {2x}

Hélas! les carabins ne les ont pas reçus,
Les guitar's sont resté's à la porte cochère,
Et le dernier concert de l'ancêtre déçu
Ce fut un pot-pourri de cantiques, peuchère!

Quand nous serons ancêtres,
Du côté de Bicêtre,
Pas de musique d'orgue, oh! non,
Pas de chants liturgiques
Pour qui aval' sa chique,
Mais des guitar's, cré nom de nom! {2x}

On avait apporté quelques litres aussi,
Car le bonhomme avait la fièvre de Bercy
Et les soirs de nouba, parol' de tavernier,
A rouler sous la table il était le dernier. {2x}

Saumur, Entre-deux-mers, Beaujolais, Marsala,
Toute la fine fleur de la vigne était là
Pour offrir à l'ancêtre, en signe d'affection,
En guis' de viatique, une ultime libation. {2x}

Hélas! les carabins ne les ont pas reçus,
Les litres sont restés à la porte cochère,
Et l' coup de l'étrier de l'ancêtre déçu
Ce fut un grand verre d'eau bénite, peuchère!

Quand nous serons ancêtres,
Du côté de Bicêtre,
Ne nous faites pas boire, oh! non,
De ces eaux minéral's, bénites ou lustrales,
Mais du bon vin, cré nom de nom! {2x}

On avait emmené les belles du quartier,
Car l'ancêtre courait la gueuse volontiers.
De sa main toujours leste et digne cependant
Il troussait les jupons par n'importe quel temps. {2x}

Depuis Manon Lescaut jusques à Dalila
Toute la fine fleur du beau sexe était là
Pour offrir à l'ancêtre, en signe d'affection,
En guis' de viatique, une ultime érection. {2x}

Hélas! les carabins ne les ont pas reçu's,
Les belles sont restées à la porte cochère,
Et le dernier froufrou de l'ancêtre déçu
Ce fut celui d'une robe de sœur, peuchère!

Quand nous serons ancêtres,
Du côté de Bicêtre,
Pas d'enfants de Marie, oh! non,
Remplacez-nous les nonnes
Par des belles mignonnes
Et qui fument, cré nom de nom! {2x}

L'antéchrist

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

Je ne suis pas du tout l'Antéchrist de service,
J'ai même pour Jésus et pour son sacrifice
Un brin d'admiration, soit dit sans ironie.
Car ce n'est sûrement pas une sinécure,
Non, que de se laisser cracher à la figure
Par la canaille et la racaille réunies.

Bien sûr, il est normal que la foule révère
Ce héros qui jadis partit pour aller faire
L'alpiniste avant l'heure en haut du Golgotha,
En portant sur l'épaule une croix accablante,
En méprisant l'insulte et le remonte-pente,
Et sans aucun bravo qui le réconfortât!

Bien sûr, autour du front, la couronne d'épines,
L'éponge trempée dans Dieu sait quelle bibine,
Et les clous enfoncés dans les pieds et les mains,
C'est très inconfortable et ça vous tarabuste,
Même si l'on est brave et si l'on est robuste,
Et si le paradis est au bout du chemin.

Bien sûr, mais il devait défendre son prestige,
Car il était le fils du ciel, l'enfant prodige,
Il était le Messie et ne l'ignorait pas.
Entre son père et lui, c'était l'accord tacite:
Tu montes sur la croix et je te ressuscite!
On meurt de confiance avec un tel papa.

Il a donné sa vie sans doute mais son zèle
Avait une portée quasi universelle
Qui rendait le supplice un peu moins douloureux.
Il savait que, dans chaque église, il serait tête
D'affiche et qu'il aurait son portrait en vedette,
Entouré des élus, des saints, des bienheureux.

En se sacrifiant, il sauvait tous les hommes.
Du moins le croyait-il! Au point où nous en sommes,
On peut considérer qu'il s'est fichu dedans.
Le jeu, si j'ose dire, en valait la chandelle.
Bon nombre de chrétiens et même d'infidèles,
Pour un but aussi noble, en feraient tout autant.

Cela dit je ne suis pas l'Antéchrist de service.

L'arc-en-ciel d'un quart d'heure

Paroles: Georges Brassens

Cet arc-en-ciel qui nous étonne,
Quand il se lève après la pluie,
S'il insiste, il fait monotone
Et l'on se détourne de lui.
L'adage a raison: la meilleure
Chose en traînant se dévalue.
L'arc-en-ciel qui dure un quart d'heure
Personne ne l'admire plus.
L'arc-en-ciel qui dure un quart d'heure
Est superflu.

Celui que l'aura populaire
Avait mis au gouvernail quand
Il fallait sauver la galère
En détresse dans l'ouragan,
Passé péril en la demeure,
Ne fut même pas réélu.
L'arc-en-ciel qui dure un quart d'heure
Personne ne l'admire plus.
L'arc-en-ciel qui dure un quart d'heure
Est superflu.

Cette adorable créature
Me répétait: "je t'aime tant
Qu'à ta mort, sur ta sépulture,
Je me brûle vive à l'instant!"
A mon décès, l'ordonnateur(e)
Des pompes funèbres lui plut.
L'arc-en-ciel qui dure un quart d'heure
Personne ne l'admire plus.
L'arc-en-ciel qui dure un quart d'heure
Est superflu.

Ce cabotin naguère illustre,
Et que la foule applaudissait
A tout rompre durant trois lustres,
Nul à présent ne sait qui c'est;
Aucune lueur ne demeure
De son étoile révolue.
L'arc-en-ciel qui dure un quart d'heure
Personne ne l'admire plus.
L'arc-en-ciel qui dure un quart d'heure
Est superflu.

L'assassinat

Paroles et Musique: Georges Brassens 1962

C'est pas seulement à Paris
Que le crime fleurit
Nous, au village, aussi, l'on a
De beaux assassinats

Il avait la tête chenue
Et le cœur ingénu
Il eut un retour de printemps
Pour une de vingt ans

Mais la chair fraîch', la tendre chair
Mon vieux, ça coûte cher
Au bout de cinq à six baisers
Son or fut épuisé

Quand sa menotte elle a tendue
Triste, il a répondu
Qu'il était pauvre comme Job
Elle a remis sa rob'

Elle alla quérir son coquin
Qu'avait l'appât du gain
Sont revenus chez le grigou
Faire un bien mauvais coup

Et pendant qu'il le lui tenait
Elle l'assassinait
On dit que, quand il expira
La langue ell' lui montra

Mirent tout sens dessus dessous
Trouvèrent pas un sou
Mais des lettres de créanciers
Mais des saisies d'huissiers

Alors, prise d'un vrai remords
Elle eut chagrin du mort
Et, sur lui, tombant à genoux,
Ell' dit: " Pardonne-nous! "

Quand les gendarm's sont arrivés
En pleurs ils l'ont trouvée
C'est une larme au fond des yeux
Qui lui valut les cieux

Et le matin qu'on la pendit
Ell' fut en paradis
Certains dévots, depuis ce temps
Sont un peu mécontents

C'est pas seulement à Paris
Que le crime fleurit
Nous, au village, aussi, l'on a
De beaux assassinats

L'enterrement de Paul Fort

Paroles: Georges Brassens

Tous les oiseaux étaient dehors
Et toutes les plantes aussi.
Le petit cheval n'est pas mort
Dans le mauvais temps, Dieu merci.
Le bon soleil criait si fort:
Il fait beau, qu'on était ravis.
Moi, l'enterrement de Paul Fort,
Fut le plus beau jour de ma vie.

On comptait bien quelques pécores,
Quelques dindes à Montlhéry,
Quelques méchants, que sais-je encore:
Des moches, des mauvais esprits,
Mais qu'importe? Après tout; les morts
Sont à tout le monde. Tant pis,
Moi, l'enterrement de Paul Fort,
Fut le plus beau jours de ma vie.

Le curé allait un peu fort
De Requiem à mon avis.
Longuement penché sur le corps,
Il tirait l'âme à son profit,
Comme s'il fallait un passeport
Aux poètes pour le paradis.
S'il fallait à Dieu du renfort
Pour reconnaître ses amis.

Tous derrière en gardes du corps
Et lui devant, on a suivi.
Le petit cheval n'est pas mort
Comme un chien je le certifie.
Tous les oiseaux étaient dehors
Et toutes les plantes aussi.
Moi, l'enterrement de Paul Fort,
Fut le plus beau jour de ma vie.

L'enterrement de Verlaine

Paroles: Georges Brassens

Le revois-tu mon âme, ce Boul' Mich' d'autrefois
Et dont le plus beau jour fut un jour de beau froid:
Dieu: s'ouvrit-il jamais une voie aussi pure
Au convoi d'un grand mort suivi de miniatures?

Tous les grognards – petits – de Verlaine étaient là,
Toussotant, Frissonnant, Glissant sur le verglas,
Mais qui suivaient ce mort et la désespérance,
Morte enfin, du Premier Rossignol de la France.

Ou plutôt du second (François de Montcorbier,
Voici belle lurette en fut le vrai premier)
N'importe! Lélian, je vous suivrai toujours!
Premier? Second? vous seul. En ce plus froid des jours.

N'importe! Je suivrai toujours, l'âme enivrée
Ah! Folle d'une espérance désespérée
Montesquiou-Fezensac et Bibi-la-Purée
Vos deux gardes du corps, – entre tous moi dernier.

L'épave

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

J'en appelle à Bacchus! A Bacchus j'en appelle!
Le tavernier du coin vient d'me la bailler belle.
De son établiss'ment j'étais l'meilleur pilier.
Quand j'eus bu tous mes sous, il me mit à la porte
En disant: " Les poivrots, le diable les emporte! "
Ça n'fait rien, il y a des bistrots bien singuliers…

Un certain va-nu-pieds qui passe et me trouve ivre
Mort, croyant tout de bon que j'ai cessé de vivre
(Vous auriez fait pareil), s'en prit à mes souliers.
Pauvre homme! vu l'état piteux de mes godasses,
Je dout' qu'il trouve avec son chemin de Damas-se.
Ça n'fait rien, il y a des passants bien singuliers…

Un étudiant miteux s'en prit à ma liquette
Qui, à la faveur d'la nuit lui avait paru coquette,
Mais en plein jour ses yeux ont dû se dessiller.
Je l'plains de tout mon cœur, pauvre enfant, s'il l'a mise,
Vu que, d'un homme heureux, c'était loin d'êtr' la ch'mise.
Ça n'fait rien, y a des étudiants bien singuliers…

La femm' d'un ouvrier s'en prit à ma culotte.
" Pas ça, madam', pas ça, mille et un coups de bottes
Ont tant usé le fond que, si vous essayiez
D'la mettre à votr' mari, bientôt, je vous en fiche
Mon billet, il aurait du verglas sur les miches. "
Ça n'fait rien, il y a des ménages bien singuliers…

Et j'étais là, tout nu, sur le bord du trottoir-e
Exhibant, malgré moi, mes humbles génitoires.
Une petit' vertu rentrant de travailler,
Elle qui, chaque soir, en voyait un' douzaine,
Courut dire aux agents: " J'ai vu que'qu' chos' d'obscène! "
Ça n'fait rien, il y a des tapins bien singuliers…

Le r'présentant d'la loi vint, d'un pas débonnaire.
Sitôt qu'il m'aperçut il s'écria: " Tonnerre!
On est en plein hiver et si vous vous geliez! "
Et de peur que j'n'attrape une fluxion d'poitrine,
Le bougre, il me couvrit avec sa pèlerine.
Ça n'fait rien, il y a des flics bien singuliers…

Et depuis ce jour-là, moi, le fier, le bravache,
Moi, dont le cri de guerr' fut toujours " Mort aux vaches! "
Plus une seule fois je n'ai pu le brailler.
J'essaye bien encor, mais ma langue honteuse
Retombe lourdement dans ma bouche pâteuse.
Ça n'fait rien, nous vivons un temps bien singulier…

L'inestimable sceau

Paroles: Georges Brassens

M'amie, en ce temps-là, chaque année au mois d'août,
Se campait sur la grève, et ça m'était très doux
D'ainsi la voir en place.
Dans cette position, pour se désennuyer,
Sans jamais une erreur, ell' comptait les noyés
En suçant de la glace.

Ses aimables rondeurs avaient fait à la fin
Un joli petit trou parmi le sable fin,
Une niche idéale.
Quand je voulais partir, elle entrait en courroux,
En disant: "C'est trop tôt, j'ai pas fini mon trou;
C'est pas le trou des Halles."

Près d'elle, un jour, passa superbe un ange blond,
Un bellâtre, un belître au torse d'Apollon,
Une espèce d'athlète.
Comme mue d'un ressort, dressée sur son séant,
Elle partit avec cet homme de néant,
Costaud de la Villette.

La volage, en volant vers ce nouveau bonheur,
Me fit un pied de nez doublé d'un bras d'honneur,
Adorable pimbêche!
J'hésite à simuler ce geste: il est trop bas.
On vous l'a souvent fait, d'ailleurs je ne peux pas
La guitare m'empêche!

J'eus beau la supplier: "De grâce, ma Nini,
Rassieds-toi, rassieds-toi: ton trou n'est pas fini."
D'une voix sans réplique,
"Je m'en fous" cria-t-elle "Et puisqu'il te plaît tant,
C'est l'instant ou jamais de t'enfouir dedans:
T'as bien fait " La Supplique "!"

Et je retournai voir, morfondu de chagrin,
La trace laissée par la chute de ses reins,
Par ses parties dodues.
J'ai cherché, recherché, fébrile jusqu'au soir,
L'endroit où elle avait coutume de s'asseoir,
Ce fut peine perdue.

La vague indifférente hélas avait roulé,
Avait fait plage rase, avait annihilé
L'empreinte de ses sphères.
Si j'avais retrouvé l'inestimable sceau,
Je l'aurais emporté, grain par grain, seau par seau,
Mais m'eût-on laissé faire?

L'orage

Paroles et Musique: Georges Brassens 1960

Parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps
Le beau temps me dégoute et m'fait grincer les dents
Le bel azur me met en rage
Car le plus grand amour qui m'fut donné sur terr'
Je l'dois au mauvais temps, je l'dois à Jupiter
Il me tomba d'un ciel d'orage

Par un soir de novembre, à cheval sur les toits
Un vrai tonnerr' de Brest, avec des cris d'putois
Allumait ses feux d'artifice
Bondissant de sa couche en costume de nuit
Ma voisine affolée vint cogner à mon huis
En réclamant mes bons offices

" Je suis seule et j'ai peur, ouvrez-moi, par pitié
Mon époux vient d'partir faire son dur métier
Pauvre malheureux mercenaire
Contraint d'coucher dehors quand il fait mauvais temps
Pour la bonne raison qu'il est représentant
D'un' maison de paratonnerres "

En bénissant le nom de Benjamin Franklin
Je l'ai mise en lieu sûr entre mes bras câlins
Et puis l'amour a fait le reste
Toi qui sèmes des paratonnerr's à foison
Que n'en as-tu planté sur ta propre maison
Erreur on ne peut plus funeste

Quand Jupiter alla se faire entendre ailleurs
La belle, ayant enfin conjuré sa frayeur
Et recouvré tout son courage
Rentra dans ses foyers fair' sécher son mari
En m'donnant rendez-vous les jours d'intempérie
Rendez-vous au prochain orage

A partir de ce jour j'n'ai plus baissé les yeux
J'ai consacré mon temps à contempler les cieux
A regarder passer les nues
A guetter les stratus, à lorgner les nimbus
A faire les yeux doux aux moindres cumulus
Mais elle n'est pas revenue

Son bonhomm' de mari avait tant fait d'affair's
Tant vendu ce soir-là de petits bouts de fer
Qu'il était dev'nu millionnaire
Et l'avait emmenée vers des cieux toujours bleus
Des pays imbécil's où jamais il ne pleut
Où l'on ne sait rien du tonnerre

Dieu fass' que ma complainte aille, tambour battant
Lui parler de la pluie, lui parler du gros temps
Auxquels on a t'nu tête ensemble
Lui conter qu'un certain coup de foudre assassin
Dans le mill' de mon cœur a laissé le dessin
D'un' petit' fleur qui lui ressemble

L'orphelin

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

Sauf dans le cas fréquent, hélas!
Où ce sont de vrais dégueulasses,
On ne devrait perdre jamais
Ses père et mère, bien sûr, mais
A moins d'être un petit malin
Qui meurt avant d'être orphelin,
Ou un infortuné bâtard,
Ça nous pend au nez tôt ou tard.

Quand se drapant dans un linceul
Ses parents le laissent tout seul,
Le petit orphelin, ma foi,
Est bien à plaindre. Toutefois,
Sans aller jusqu'à décréter
Qu'il devient un enfant gâté,
Disons que dans son affliction
Il trouve des compensations.

D'abord au dessert aussitôt
La meilleure part du gâteau,
Et puis plus d'école, pardi
La semaine aux quatre-jeudis.
On le traite comme un pacha,
A sa place on fouette le chat,
Et le trouvant très chic en deuil,
Les filles lui font des clins d'œil.

Il serait par trop saugrenu
D'énumérer par le menu
Les faveurs et les passe-droits
Qu'en l'occurrence on lui octroie.
Tirant même un tel bénéfice
En perdant leurs parents, des fils
Dénaturés regrettent de
N'en avoir à perdre que deux.

Hier j'ai dit à un animal
De flic qui me voulait du mal:
Je suis orphelin, savez-vous?
Il me répondit: je m'en fous.
J'aurais eu quarante ans de moins
Je suis sûr que par les témoins
La brute aurait été mouchée.
Mais ces lâches n'ont pas bougé.

Aussi mon enfant si tu dois
Etre orphelin, dépêche-toi.
Tant qu'à perdre tes chers parents,
Petit, n'attends pas d'être grand:
L'orphelin d'âge canonique
Personne ne le plaint: bernique!
Et pour tout le monde il demeure
Orphelin de la onzième heure.

Celui qui a fait cette chanson
A voulu dire à sa façon,
Que la perte des vieux est par-
Fois perte sèche, blague à part.
Avec l'âge c'est bien normal,
Les plaies du cœur guérissent mal.
Souventes fois même, salut!
Elles ne se referment plus.

La ballade des cimetières

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1961

J'ai des tombeaux en abondance
Des sépultur's à discrétion
Dans tout cim'tièr' d'quelque importance
J'ai ma petite concession
De l'humble tertre au mausolée
Avec toujours quelqu'un dedans
J'ai des p'tit's boss's plein les allées
Et je suis triste, cependant…

Car je n'en ai pas, et ça m'agace
Et ça défrise mon blason
Au cimetièr' du Montparnasse
A quatre pas de ma maison

J'en possède au Père-Lachaise
A Bagneux, à Thiais, à Pantin
Et jusque, ne vous en déplaise
Au fond du cimetièr' marin
A la vill' comme à la campagne
Partout où l'on peut faire un trou
J'ai mêm' des tombeaux en Espagne
Qu'on me jalouse peu ou prou…

Mais j'n'en ai pas la moindre trace
Le plus humble petit soupçon
Au cimetièr' du Montparnasse
A quatre pas de ma maison

Le jour des morts, je cours, je vole
Je vais infatigablement
De nécropole en nécropole
De pierr' tombale en monument
On m'entrevoit sous un' couronne
D'immortelles à Champerret
Un peu plus tard, c'est à Charonne
Qu'on m'aperçoit sous un cyprès…

Mais, seul, un fourbe aura l'audace
De dir': "J'l'ai vu à l'horizon
Du cimetièr' du Montparnasse
A quatre pas de sa maison"

Devant l'château d'ma grand-tante
La marquise de Carabas
Ma saint' famille languit d'attente
"Mourra-t-ell', mourra-t-elle pas?"
L'un veut son or, l'autre veut ses meubles
Qui ses bijoux, qui ses bib'lots
Qui ses forêts, qui ses immeubles
Qui ses tapis, qui ses tableaux…

Moi je n'implore qu'une grâce
C'est qu'ell' pass' la morte-saison
Au cimetièr' du Montparnasse
A quatre pas de ma maison

Ainsi chantait, la mort dans l'âme
Un jeune homm' de bonne tenue
En train de ranimer la flamme
Du soldat qui lui était connu
Or, il advint qu'le ciel eut marr' de
L'entendre parler d'ses caveaux
Et Dieu fit signe à la camarde
De l'expédier rue Froidevaux…

Mais les croqu'-morts, qui étaient de Chartres
Funeste erreur de livraison
Menèr'nt sa dépouille à Montmartre
De l'autr' côté de sa maison

La ballade des gens qui sont nés quelque part

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

C'est vrai qu'ils sont plaisants tous ces petits villages
Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités
Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages
Ils n'ont qu'un seul point faible et c'est être habités
Et c'est être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts
La race des chauvins, des porteurs de cocardes
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Maudits soient ces enfants de leur mère patrie
Empalés une fois pour toutes sur leur clocher
Qui vous montrent leurs tours leurs musées leur mairie
Vous font voir du pays natal jusqu'à loucher
Qu'ils sortent de Paris ou de Rome ou de Sète
Ou du diable vauvert ou bien de Zanzibar
Ou même de Montcuq il s'en flattent mazette
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Le sable dans lequel douillettes leurs autruches
Enfouissent la tête on trouve pas plus fin
Quand à l'air qu'ils emploient pour gonfler leurs baudruches
Leurs bulles de savon c'est du souffle divin
Et petit à petit les voilà qui se montent
Le cou jusqu'à penser que le crottin fait par
Leurs chevaux même en bois rend jaloux tout le monde
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

C'est pas un lieu commun celui de leur connaissance
Ils plaignent de tout cœur les petits malchanceux
Les petits maladroits qui n'eurent pas la présence
La présence d'esprit de voir le jour chez eux
Quand sonne le tocsin sur leur bonheur précaire
Contre les étrangers tous plus ou moins barbares
Ils sortent de leur trou pour mourir à la guerre
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Mon dieu qu'il ferait bon sur la terre des hommes
Si on y rencontrait cette race incongrue
Cette race importune et qui partout foisonne
La race des gens du terroir des gens du cru
Que la vie serait belle en toutes circonstances
Si vous n'aviez tiré du néant tous ces jobards
Preuve peut-être bien de votre inexistence
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

La cane de Jeanne

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1953

La cane
De Jeanne
Est morte au gui l'an neuf
L'avait fait la veille
Merveille
Un œuf

La cane
De Jeanne
Est morte d'avoir fait
Du moins on le présume
Un rhume
Mauvais

La cane
De Jeanne
Est morte sur son œuf
Et dans son beau costume
De plumes
Tout neuf

La cane
De Jeanne
Ne laissant pas de veuf
C'est nous autres qui eûmes
Les plumes
Et l'œuf

Tous, toutes
Sans doute
Garderons longtemps le
Souvenir de la cane
De Jeanne
Morbleu

La chanson du hérisson

Paroles et Musique: Philippe Chatel 1979 " Emilie Jolie"

autres interprètes: Emilie Jolie (1979), Philippe Chatel

{Refrain:}

Oh, qu'est-ce qu'y pique, ce hérisson!
Oh, qu'elle est triste sa chanson!
Oh, qu'est-ce qu'y pique, ce hérisson!
Oh, qu'elle est triste sa chanson!

C'est un hérisson qui piquait, qui piquait
Et qui voulait qu'on l'caresse, resse, resse
On l'caressait pas, pas, pas, pas, pas
Non pas parce qu'il piquait pas, mais mais parce qu'il piquait

{au Refrain}

Le hérisson:
Quelle est la fée dans ce livre
Qui me donn'ra l'envie d'vivre?
Quelle est la petite fille aux yeux bleus
Qui va m'rendre heureux?

Emilie:

Moi, je ne vois que moi
Il n'y a que moi
Dans ce livre là
La la la…

Le conteur:
Emilie est allée caresser le hérisson!

Emilie:

Elle n'est plus triste, cette chanson
J'ai caressé le hérisson

Chœurs:

Il n'est plus triste, le hérisson
Elle a caressé la chanson!

Le conteur:

Mais non, le hérisson!

Chœurs:

Mais non, le hérisson!

La chasse aux papillons

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1955

Un bon petit diable à la fleur de l'âge
La jambe légère et l'œil polisson
Et la bouche pleine de joyeux ramages
Allait à la chasse aux papillons

Comme il atteignait l'orée du village
Filant sa quenouille, il vit Cendrillon
Il lui dit: "Bonjour, que Dieu te ménage
J't'emmène à la chasse aux papillons"

Cendrillon ravie de quitter sa cage
Met sa robe neuve et ses botillons
Et bras d'ssus bras d'ssous vers les frais bocages
Ils vont à la chasse aux papillons

Il ne savait pas que sous les ombrages
Se cachait l'amour et son aiguillon
Et qu'il transperçait les cœurs de leur âge
Les cœurs des chasseurs de papillons

Quand il se fit tendre, elle lui dit: "J'présage
Qu'c'est pas dans les plis de mon cotillon
Ni dans l'échancrure de mon corsage
Qu'on va à la chasse aux papillons"

Sur sa bouche en feu qui criait: "Sois sage!"
Il posa sa bouche en guise de bâillon
Et c'fut l'plus charmant des remue-ménage
Qu'on ait vu d'mémoir' de papillon

Un volcan dans l'âme, ils r'vinrent au village
En se promettant d'aller des millions
Des milliards de fois, et mêm' davantage
Ensemble à la chasse aux papillons

Mais tant qu'ils s'aim'ront, tant que les nuages
Porteurs de chagrins, les épargneront
Il f'ra bon voler dans les frais bocages
Ils f'ront pas la chasse aux papillons

La complainte des filles de joie

Paroles et Musique: Georges Brassens 1962

autres interprètes: Barbara, Juliette (2001), Agnès Bihl

Bien que ces vaches de bourgeois {x2}
Les appell'nt des filles de joie {x2}
C'est pas tous les jours qu'ell's rigolent
Parole, parole
C'est pas tous les jours qu'elles rigolent

Car, même avec des pieds de grues {x2}
Fair' les cents pas le long des rues {x2}
C'est fatigant pour les guibolles
Parole, parole
C'est fatigant pour les guibolles

Non seulement ell's ont des cors {x2}
Des œils-de-perdrix, mais encor {x2}
C'est fou ce qu'ell's usent de grolles
Parole, parole
C'est fou ce qu'ell's usent de grolles

Y a des clients, y a des salauds {x2}
Qui se trempent jamais dans l'eau {x2}
Faut pourtant qu'elles les cajolent
Parole, parole
Faut pourtant qu'elles les cajolent

Qu'ell's leur fassent la courte échelle {x2}
Pour monter au septième ciel {x2}
Les sous, croyez pas qu'ell's les volent
Parole, parole
Les sous, croyez pas qu'ell's les volent

Ell's sont méprisées du public {x2}
Ell's sont bousculées par les flics {x2}
Et menacées de la vérole
Parole, parole
Et menacées de la vérole

Bien qu'tout' la vie ell's fass'nt l'amour {x2}
Qu'ell's se marient vingt fois par jour {x2}
La noce est jamais pour leur fiole
Parole, parole
La noce est jamais pour leur fiole

Fils de pécore et de minus {x2}
Ris par de la pauvre Vénus {x2}
La pauvre vieille casserole
Parole, parole
La pauvre vieille casserole

Il s'en fallait de peu, mon cher {x2}
Que cett' putain ne fût ta mère {x2}
Cette putain dont tu rigoles
Parole, parole
Cette putain dont tu rigoles

La femme d'Hector

Paroles et Musique: Georges Brassens 1958

autres interprètes: Barbara (1972), Les Croquants (1999)

En notre tour de Babel
Laquelle est la plus belle,
La plus aimable parmi
Les femmes de nos amis?
Laquelle est notre vraie nounou
La p'tite sœur des pauvres de nous
Dans le guignon toujours présente
Quelle est cette fée bienfaisante?

{Refrain}

C'est pas la femme de Bertrand
Pas la femme de Gontrand
Pas la femme de Pamphile
C'est pas la femme de Firmin
Pas la femme de Germain
Ni celle de Benjamin
C'est pas la femme d'Honoré
Ni celle de Désiré
Ni celle de Théophile
Encore moins la femme de Nestor
Non, c'est la femme d'Hector.

Comme nous dansons devant
Le buffet bien souvent
On a toujours peu ou prou
Les bas criblés de trous
Qui raccommode ces malheurs
De fils de toutes les couleurs
Qui brode, divine cousette,
Des arcs-en-ciel à nos chaussettes?

{Au refrain}

Quand on nous prend la main sac-
– ré bon dieu dans un sac
Et qu'on nous envoie planter
Des choux à la santé
Quelle est celle qui, prenant modèle
Sur les vertus des chiens fidèles
Reste à l'arrêt devant la porte
En attendant qu'on en ressorte?

{Au refrain}

Et quand l'un d'entre nous meurt
Qu'on nous met en demeure
De débarrasser l'hôtel
De ses restes mortels
Quelle est celle qui r'mue tout Paris
Pour qu'on lui fasse, au plus bas prix
Des funérailles gigantesques
Pas nationales, non, mais presque?

{Au refrain}

Et quand vient le mois de mai
Le joli temps d'aimer
Que sans écho, dans les cours,
Nous hurlons à l'amour
Quelle est celle qui nous plaint beaucoup
Quelle est celle qui nous saute au cou
Qui nous dispense sa tendresse
Toutes ses économies d'caresses?

{Au refrain}

Ne jetons pas les morceaux
De nos cœurs aux pourceaux
Perdons pas notre latin
Au profit des pantins
Chantons pas la langue des dieux
Pour les balourds, les fesse-Mathieu
Les paltoquets, ni les bobèches
Les foutriquets, ni les pimbêches,

Ni pour la femme de Bertrand
Pour la femme de Gontrand
Pour la femme de Pamphile
Ni pour la femme de Firmin
Pour la femme de Germain
Pour celle de Benjamin
Ni pour la femme d'Honoré
La femme de Désiré
La femme de Théophile
Encore moins pour la femme de Nestor
Mais pour la femme d'Hector.

La fessée

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

La veuve et l'orphelin, quoi de plus émouvant?
Un vieux copain d'école étant mort sans enfants,
Abandonnant au monde une épouse épatante,
J'allai rendre visite à la désespérée.
Et puis, ne sachant plus où finir ma soirée,
Je lui tins compagnie dans la chapelle ardente.

Pour endiguer ses pleurs, pour apaiser ses maux,
Je me mis à blaguer, à sortir des bons mots,
Tous les moyens sont bons au médecin de l'âme…
Bientôt, par la vertu de quelques facéties,
La veuve se tenait les côtes, Dieu merci!
Ainsi que des bossus, tous deux nous rigolâmes.

Ma pipe dépassait un peu de mon veston.
Aimable, elle m'encouragea: " Bourrez-la donc,
Qu'aucun impératif moral ne vous arrête,
Si mon pauvre mari détestait le tabac,
Maintenant la fumée ne le dérange pas!
Mais où diantre ai-je mis mon porte-cigarettes? "

A minuit, d'une voix douce de séraphin,
Elle me demanda si je n'avais pas faim.
" Ça le ferait-il revenir, ajouta-t-elle,
De pousser la piété jusqu'à l'inanition:
Que diriez-vous d'une frugale collation? "
Et nous fîmes un petit souper aux chandelles.

" Regardez s'il est beau! Dirait-on point qu'il dort.
Ce n'est certes pas lui qui me donnerait tort
De noyer mon chagrin dans un flot de champagne. "
Quand nous eûmes vidé le deuxième magnum,
La veuve était émue, nom d'un petit bonhomm'!
Et son esprit se mit à battre la campagne…

" Mon Dieu, ce que c'est tout de même que de nous! "
Soupira-t-elle, en s'asseyant sur mes genoux.
Et puis, ayant collé sa lèvre sur ma lèvre,
" Me voilà rassurée, fit-elle, j'avais peur
Que, sous votre moustache en tablier d'sapeur,
Vous ne cachiez coquettement un bec-de-lièvre… "

Un tablier d'sapeur, ma moustache, pensez!
Cette comparaison méritait la fessée.
Retroussant l'insolente avec nulle tendresse,
Conscient d'accomplir, somme toute, un devoir,
Mais en fermant les yeux pour ne pas trop en voir,
Paf! j'abattis sur elle une main vengeresse!

" Aïe! vous m'avez fêlé le postérieur en deux! "
Se plaignit-elle, et je baissai le front, piteux,
Craignant avoir frappé de façon trop brutale.
Mais j'appris, par la suite, et j'en fus bien content,
Que cet état de chos's durait depuis longtemps:
Menteuse! la fêlure était congénitale.

Quand je levai la main pour la deuxième fois,
Le cœur n'y était plus, j'avais perdu la foi,
Surtout qu'elle s'était enquise, la bougresse:
" Avez-vous remarqué que j'avais un beau cul?
Et ma main vengeresse est retombée, vaincue!
Et le troisième coup ne fut qu'une caresse…

La file indienne

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1955

autres interprètes: Bernard Lavalette

Un chien caniche à l'œil coquin,
Qui venait de chez son béguin,
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,
Descendait, en s' poussant du col,
Le boulevard de Sébastopol,
Tortillant de la croupe et redoublant le pas.

Une midinette en repos,
Se plut à suivre le cabot,
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,
Sans voir que son corps magnétique
Entraînait un jeune loustic,
Tortillant de la croupe et redoublant le pas.

Or, l'amante de celui-ci
Jalouse le suivait aussi,
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,.
Et l' vieux mari de celle-là,
Le talonnait de ses pieds plats,
Tortillant de la croupe et redoublant le pas.

Un dur balafré courait sus
Au vieux qu'il prenait pour Crésus,
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,
Et derrière le dur balafré
Marchait un flic à pas feutrés,
Tortillant de la croupe et redoublant le pas.

Et tous, cabot, trottin, loustic,
Epouse, époux, et dur et flic,
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,
Descendaient à la queue leu leu
Le long boulevard si populeux,
Tortillant de la croupe et redoublant le pas.

Voilà que l'animal, soudain,
Profane les pieds du trottin,
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,
Furieus' ell' flanque avec ferveur
Un' pair' de gifles à son suiveur,
Tortillant de la croupe et redoublant le pas.

Celui-ci la tête à l'envers
Voit la jalous' l'œil grand ouvert,
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,
Et l'abreuv' d'injur's bien senties,
Que j'vous dirai à la sortie,
Tortillant de la croupe et redoublant le pas.

Derrièr' arrivait le mari,
Ce fut à lui qu'elle s'en prit,
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,
En le traitant d'un' voix aiguë
De tambour-major des cocus.
Tortillant de la croupe et redoublant le pas.

Le mari rebroussant chemin
Voit le dur et lui dit "gamin",
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,
C'est trop tard pour me détrousser,
Ma femme vous a devancé,
Tortillant de la croupe et redoublant le pas.

Le dur vexé de fair' chou blanc
Dégaine un couteau rutilant,
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,
Qu'il plante à la joie du public,
A travers la carcass' du flic,
Tortillant de la croupe et redoublant le pas.

Et tous, bandit, couple, loustic,
Trottin, cabot, tous, sauf le flic,
Tortillant de la croupe et claquetant de la semelle,
Suivir'nt à la queue leu leu
L'enterrement du flic parbleu,
Tortillant de la croupe et redoublant le pas. {2x}

La fille à cent sous

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1961

Du temps que je vivais dans le troisièm' dessous
Ivrogne, immonde, infâme
Un plus soûlaud que moi, contre un' pièc' de cent sous
M'avait vendu sa femme

Quand je l'eus mise au lit, quand j'voulus l'étrenner
Quand j'fis voler sa jupe
Il m'apparut alors qu'j'avais été berné
Dans un marché de dupe

" Remball' tes os, ma mie, et garde tes appas
Tu es bien trop maigrelette
Je suis un bon vivant, ça n'me concerne pas
D'étreindre des squelettes

Retourne à ton mari, qu'il garde les cent sous
J'n'en fais pas une affaire "
Mais ell' me répondit, le regard en dessous
" C'est vous que je préfère

J'suis pas bien gross', fit-ell', d'une voix qui se noue
Mais ce n'est pas ma faute "
Alors, moi, tout ému, j'la pris sur mes genoux
Pour lui compter les côtes

" Toi qu'j'ai payé cent sous, dis-moi quel est ton nom
Ton p'tit nom de baptême?
– Je m'appelle Ninette. – Eh bien, pauvre Ninon
Console-toi, je t'aime "

Et ce brave sac d'os dont j'n'avais pas voulu
Même pour une thune
M'est entré dans le cœur et n'en sortirait plus
Pour toute une fortune

Du temps que je vivais dans le troisièm' dessous,
Ivrogne, immonde, infâme
Un plus soûlaud que moi, contre un' pièc' de cent sous
M'avait vendu sa femme

La guerre

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

A voir le succès que se taille
Le moindre récit de bataille,
On pourrait en déduire que
Les braves gens sont belliqueux.

{Refrain:}

La guerre,
C'est sûr,
La faire,
C'est dur,
Coquin de sort!
Mais quelle
Bell' fête,
Lorsqu'elle
Est faite,
Et qu'on s'en sort!

C'est un sacré frisson que donne
Au ciné, le canon qui tonne.
Il était sans nul doute d'un
Autre genre autour de Verdun.

Bien qu'on n'ait pas la tête épique
Au pays de France, on se pique
D'art martial, on se repaît
De stratégie en temps de paix.

"Allons enfants de la patrie",
A tue-tête, on le chante et crie.
Qu'on nous dise: "Faut y aller!",
On est dans nos petits souliers.

C'est beau, les marches militaires,
Ça nous fait battre les artères.
On semble un peu moins fanfaron,
Sitôt qu'on approche du front.

Les uniformes et les bottes,
Les tuniques et les capotes,
C'est à la mode, on les enfile
Très volontiers dans le civil…

A voir le succès que se taille
Le moindre récit de bataille
On pourrait en déduire que
Les braves gens sont belliqueux.

La guerre de 14-18

Paroles et Musique: Georges Brassens 1962

Depuis que l'homme écrit l'Histoire
Depuis qu'il bataille à cœur joie
Entre mille et une guerr' notoires
Si j'étais t'nu de faire un choix
A l'encontre du vieil Homère
Je déclarerais tout de suite:
"Moi, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit!"

Est-ce à dire que je méprise
Les nobles guerres de jadis
Que je m'soucie comm' d'un'cerise
De celle de soixante-dix?
Au contrair', je la révère
Et lui donne un satisfecit
Mais, mon colon, celle que j'préfère
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit

Je sais que les guerriers de Sparte
Plantaient pas leurs epées dans l'eau
Que les grognards de Bonaparte
Tiraient pas leur poudre aux moineaux
Leurs faits d'armes sont légendaires
Au garde-à-vous, je les félicite
Mais, mon colon, celle que j'préfère
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit

Bien sûr, celle de l'an quarante
Ne m'as pas tout à fait déçu
Elle fut longue et massacrante
Et je ne crache pas dessus
Mais à mon sens, elle ne vaut guère
Guèr' plus qu'un premier accessit
Moi, mon colon, celle que j' préfère
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit

Mon but n'est pas de chercher noise
Au guérillas, non, fichtre, non
Guerres saintes, guerres sournoises
Qui n'osent pas dire leur nom,
Chacune a quelque chos' pour plaire
Chacune a son petit mérite
Mais, mon colon, celle que j'préfère
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit

Du fond de son sac à malices
Mars va sans doute, à l'occasion,
En sortir une, un vrai délice
Qui me fera grosse impression
En attendant je persévère
A dir' que ma guerr' favorite
Cell', mon colon, que j'voudrais faire
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit

La légende de la nonne

Paroles: poème de Victor Hugo. Musique: Georges Brassens 1956

Venez, vous dont l'œil étincelle
Pour entendre une histoire encor
Approchez: je vous dirai celle
De doña Padilla del Flor
Elle était d'Alanje, où s'entassent
Les collines et les halliers
Enfants, voici des bœufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers

Il est des filles à Grenade
Il en est à Séville aussi
Qui, pour la moindre sérénade
A l'amour demandent merci
Il en est que parfois embrassent
Le soir, de hardis cavaliers
Enfants, voici des bœufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers

Ce n'est pas sur ce ton frivole
Qu'il faut parler de Padilla
Car jamais prunelle espagnole
D'un feu plus chaste ne brilla
Elle fuyait ceux qui pourchassent
Les filles sous les peupliers
Enfants, voici des bœufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers

Elle prit le voile à Tolède
Au grand soupir des gens du lieu
Comme si, quand on n'est pas laide
On avait droit d'épouser Dieu
Peu s'en fallut que ne pleurassent
Les soudards et les écoliers
Enfants, voici des bœufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers

Or, la belle à peine cloîtrée
Amour en son cœur s'installa
Un fier brigand de la contrée
Vint alors et dit: "Me voilà!"
Quelquefois les brigands surpassent
En audace les chevaliers
Enfants, voici des bœufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers

Il était laid: les traits austères
La main plus rude que le gant
Mais l'amour a bien des mystères
Et la nonne aima le brigand
On voit des biches qui remplacent
Leurs beaux cerfs par des sangliers
Enfants, voici des bœufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers

La nonne osa, dit la chronique
Au brigand par l'enfer conduit
Aux pieds de Sainte Véronique
Donner un rendez-vous la nuit
A l'heure où les corbeaux croassent
Volant dans l'ombre par milliers
Enfants, voici des bœufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers

Or quand, dans la nef descendue
La nonne appela le bandit
Au lieu de la voix attendue
C'est la foudre qui répondit
Dieu voulu que ses coups frappassent
Les amants par Satan liés
Enfants, voici des bœufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers

Cette histoire de la novice
Saint Ildefonse, abbé, voulut
Qu'afin de préserver du vice
Les vierges qui font leur salut
Les prieurs la racontassent
Dans tous les couvents réguliers
Enfants, voici des bœufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers

La légion d'honneur

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

Tous les Brummel, les dandys, les gandins,
Il les considérait avec dédain
Faisant peu cas de l'élégance il s'ha-
Billait toujours au décrochez-moi-ça.
Au combat, pour s'en servir de liquette,
Sous un déluge d'obus, de roquettes,
Il conquit un oriflamme teuton.
Cet acte lui valut le grand cordon.
Mais il perdit le privilège de
S'aller vêtir à la six-quatre-deux,
Car ça la fout mal saperlipopette
D'avoir des faux plis, des trous à ses bas,
De mettre un ruban sur la salopette.
La légion d'honneur ça pardonne pas.

L'âme du bon feu maistre Jehan Cotart
Se réincarnait chez ce vieux fêtard.
Tenter de l'empêcher de boire un pot
C'était ni plus ni moins risquer sa peau.
Un soir d'intempérance, à son insu,
Il éteignit en pissotant dessus
Un simple commencement d'incendie.
On lui flanqua le mérite, pardi!
Depuis que n'est plus vierge son revers,
Il s'interdit de marcher de travers.
Car ça la fout mal d' se rendre dans les vignes,
Dites du seigneur, faire des faux pas
Quand on est marqué du fatal insigne.
La légion d'honneur ça pardonne pas.

Grand peloteur de fesses convaincu,
Passé maître en l'art de la main au cul,
Son dada c'était que la femme eut le
Bas de son dos tout parsemé de bleus.
En vue de la palper d'un geste obscène,
Il a plongé pour sauver de la Seine
Une donzelle en train de se noyer,
Dame! aussi sec on vous l'a médaillé.
Ce petit hochet à la boutonnière
Vous le condamne à de bonnes manières.

Car ça la fout mal avec la rosette,
De tâter, flatter, des filles les appas
La louche au valseur; pas de ça Lisette!
La légion d'honneur ça pardonne pas.

Un brave auteur de chansons malotru
Avait une tendance à parler cru,
Bordel de dieu, con, pute, et caetera
Ornaient ses moindres tradéridéras.
Sa muse un soir d'un derrière distrait
Pondit, elle ne le fit pas exprès,
Une rengaine sans gros mots dedans,
On vous le chamarra tambour battant.
Et maintenant qu'il porte cette croix,
Proférer: "Merde", il n'en a plus le droit.
Car ça la fout mal de mettre à ses lèvres
De grand commandeur des termes trop bas,
D' chanter l' grand vicaire et les trois orfèvres.
La légion d'honneur ça pardonne pas.

La marche nuptiale

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

Mariage d'amour, mariage d'argent
J'ai vu se marier toutes sortes de gens
Des gens de basse source et des grands de la terre
Des prétendus coiffeurs, des soi-disant notaires

Quand même je vivrai jusqu'à la fin des temps
Je garderais toujours le souvenir content
Du jour de pauvre noce où mon père et ma mère
S'allèrent épouser devant Monsieur le Maire

C'est dans un char à bœufs, s'il faut parler bien franc
Tiré par les amis, poussé par les parents
Que les vieux amoureux firent leurs épousailles
Après long temps d'amour, long temps de fiançailles

Cortège nuptial hors de l'ordre courant
La foule nous couvait d'un œil protubérant
Nous étions contemplés par le monde futile
Qui n'avait jamais vu de noces de ce style

Voici le vent qui souffle emportant, crève-cœur
Le chapeau de mon père et les enfants de chœur
Voilà la pluie qui tombe en pesant bien ses gouttes
Comme pour empêcher la noc', coûte que coûte

Je n'oublierai jamais la mariée en pleurs
Berçant comme un' poupée son gros bouquet de fleurs
Moi, pour la consoler, moi, de toute ma morgue
Sur mon harmonica jouant les grandes orgues

Tous les garçons d'honneur, montrant le poing aux nues
Criaient: " Par Jupiter, la noce continue! "
Par les homm's décriée, par les dieux contrariée
La noce continue et Viv' la mariée!

La marguerite

Paroles et Musique: Georges Brassens 1962

La petite
Marguerite
Est tombée
Singulière
Du bréviaire
De l'abbé

Trois pétales
De scandale
Sur l'autel
Indiscrète
Pâquerette
D'où vient-ell'

Dans l'enceinte
Sacro-sainte
Quel émoi
Quelle affaire
Oui, ma chère
Croyez-moi

La frivole
Fleur qui vole
Arrive en
Contrebande
Des plat's-bandes
Du couvent

Notre Père
Qui, j'espère
Etes aux cieux
N'ayez cure
Des murmures
Malicieux

La légère
Fleur, peuchère
Ne vient pas
De nonnettes
De cornettes
En sabbat

Sachez, diantre
Qu'un jour, entre
Deux ave
Sur la pierre
D'un calvaire
Il l'a trouvée

Et l'a mise
Chose admise
Par le ciel
Sans ambages
Dans les pages
Du missel

Que ces messes
Basses cessent
Je vous en prie
Non, le prêtre
N'est pas traître
A Marie

Que personne
Ne soupçonne
Puis jamais
La petite
Marguerite
Ah! ça mais…

La marine

Paroles: poème de Paul Fort. Musique: Georges Brassens 1953

autres interprètes: Les Croquants (1999)

On les r'trouve en raccourci
Dans nos p'tits amours d'un jour
Toutes les joies, tous les soucis
Des amours qui durent toujours

C'est là l'sort de la marine
Et de toutes nos p'tites chéries
On accoste. Vite! un bec
Pour nos baisers, l'corps avec

Et les joies et les bouderies
Les fâcheries, les bons retours
Il y a tout, en raccourci
Des grandes amours dans nos p'tits

On a ri, on s'est baisés
Sur les neunœils, les nénés
Dans les ch'veux à plein bécots
Pondus comme des œufs tout chauds

Tout c'qu'on fait dans un seul jour!
Et comme on allonge le temps!
Plus d'trois fois, dans un seul jour
Content, pas content, content

Y a dans la chambre une odeur
D'amour tendre et de goudron
Ça vous met la joie au cœur
La peine aussi, et c'est bon

On n'est pas là pour causer
Mais on pense, même dans l'amour
On pense que d'main il fera jour
Et qu'c'est une calamité

C'est là l'sort de la marine
Et de toutes nos p'tites chéries
On s'accoste. Mais on devine
Qu'ça n'sera pas le paradis

On aura beau s'dépêcher
Faire, bon Dieu! la pige au temps
Et l'bourrer de tous nos péchés
Ça n'sera pas ça; et pourtant

Toutes les joies, tous les soucis
Des amours qui durent toujours!
On les r'trouve en raccourci
Dans nos p'tits amours d'un jour…

La mauvaise herbe

Paroles et Musique: Georges Brassens 1954

autres interprètes: Les Croquants (2004)

Quand l'jour de gloire est arrivé
Comm' tous les autr's étaient crevés
Moi seul connus le déshonneur
De n'pas êtr' mort au champ d'honneur

Je suis d'la mauvaise herbe
Braves gens, braves gens
C'est pas moi qu'on rumine
Et c'est pas moi qu'on met en gerbes
La mort faucha les autres
Braves gens, braves gens
Et me fit grâce à moi
C'est immoral et c'est comm' ça
La la la la la la la la
La la la la la la la la
Et je m'demande
Pourquoi, Bon Dieu
Ça vous dérange
Que j'vive un peu
Et je m'demande
Pourquoi, Bon Dieu
Ça vous dérange
Que j'vive un peu

La fille à tout l'monde a bon cœur
Ell' me donne au petit bonheur
Les p'tits bouts d'sa peau, bien cachés
Que les autres n'ont pas touchés

Je suis d'la mauvaise herbe
Braves gens, braves gens
C'est pas moi qu'on rumine
Et c'est pas moi qu'on met en gerbes
Elle se vend aux autres
Braves gens, braves gens
Elle se donne à moi
C'est immoral et c'est comme ça
La la la la la la la la
La la la la la la la la
Et je m'demande
Pourquoi, Bon Dieu
Ça vous dérange
Qu'on m'aime un peu
Et je m'demande
Pourquoi, Bon Dieu
Ça vous dérange
Qu'on m'aime un peu

Les hommes sont faits, nous dit-on
Pour vivre en bande, comm' les moutons
Moi, j'vis seul, et c'est pas demain
Que je suivrai leur droit chemin

Je suis d'la mauvaise herbe
Braves gens, braves gens
C'est pas moi qu'on rumine
Et c'est pas moi qu'on met en gerbes
Je suis d'la mauvaise herbe
Braves gens, braves gens
Je pousse en liberté
Dans les jardins mal fréquentés
La la la la la la la la
La la la la la la la la
Et je m'demande
Pourquoi, Bon Dieu
Ça vous dérange
Que j'vive un peu
Et je m'demande
Pourquoi, Bon Dieu
Ça vous dérange
Que j'vive un peu

La mauvaise réputation

Paroles et Musique: Georges Brassens 1952

autres interprètes: Sinsémilia

Au village, sans prétention,
J'ai mauvaise réputation.
Qu'je m'démène ou qu'je reste coi
Je pass' pour un je-ne-sais-quoi!
Je ne fait pourtant de tort à personne
En suivant mon chemin de petit bonhomme.
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Tout le monde médit de moi,
Sauf les muets, ça va de soi.

Le jour du Quatorze Juillet
Je reste dans mon lit douillet.
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En n'écoutant pas le clairon qui sonne.
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Tout le monde me montre du doigt
Sauf les manchots, ça va de soi.

Quand j'croise un voleur malchanceux,
Poursuivi par un cul-terreux;
J'lance la patte et pourquoi le taire,
Le cul-terreux s'retrouv' par terre
Je ne fait pourtant de tort à personne,
En laissant courir les voleurs de pommes.
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Tout le monde se rue sur moi,
Sauf les culs-de-jatte, ça va de soi.

Pas besoin d'être Jérémie,
Pour d'viner l'sort qui m'est promis,
S'ils trouv'nt une corde à leur goût,
Ils me la passeront au cou,
Je ne fait pourtant de tort à personne,
En suivant les ch'mins qui n'mènent pas à Rome,
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Tout l'mond' viendra me voir pendu,
Sauf les aveugles, bien entendu.

La messe au pendu

Paroles: Georges Brassens

Anticlérical fanatique
Gros mangeur d'écclésiastiques,
Cet aveu me coûte beaucoup,
Mais ces hommes d'Eglise, hélas!
Ne sont pas tous des dégueulasses,
Témoin le curé de chez nous.

Quand la foule qui se déchaîne
Pendit un homme au bout d'un chêne
Sans forme aucune de remords,
Ce ratichon fit scandale
Et rugit à travers les stalles,
"Mort à toute peine de mort!"

Puis, on le vit, étrange rite,
Qui baptisait les marguerites
Avec l'eau de son bénitier
Et qui prodiguait les hosties,
Le pain bénit, l'Eucharistie,
Aux petits oiseaux du moutier.

Ensuite, il retroussa ses manches,
Prit son goupillon des dimanches
Et, plein d'une sainte colère,
Il partit comme à l'offensive
Dire une grand' messe exclusive
A celui qui dansait en l'air.

C'est à du gibier de potence
Qu'en cette triste circonstance
L'Hommage sacré fut rendu.
Ce jour là, le rôle du Christ(e),
Bonne aubaine pour le touriste,
Eté joué par un pendu.

Et maintenant quand on croasse,
Nous, les païens de sa paroisse,
C'est pas lui qu'on veut dépriser.
Quand on crie "A bas la calotte"
A s'en faire péter la glotte,
La sienne n'est jamais visée.

Anticléricaux fanatiques
Gros mangeur d'écclésiastiques,
Quand vous vous goinfrerez un plat
De cureton, je vous exhorte,
Camarades, à faire en sorte
Que ce ne soit pas celui-là.

La non-demande en mariage

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

Ma mie, de grâce, ne mettons
Pas sous la gorge à Cupidon
Sa propre flèche
Tant d'amoureux l'ont essayé
Qui, de leur bonheur, ont payé
Ce sacrilège…

R:

J'ai l'honneur de
Ne pas te de-
mander ta main
Ne gravons pas
Nos noms au bas
D'un parchemin

Laissons le champs libre à l'oiseau
Nous seront tous les deux priso-
nniers sur parole
Au diable les maîtresses queux
Qui attachent les cœurs aux queues
Des casseroles!

+R:

Vénus se fait vielle souvent
Elle perd son latin devant
La lèchefrite
A aucun prix, moi je ne veux
Effeuiller dans le pot-au-feu
La marguerite

+R:

On leur ôte bien des attraits
En dévoilant trop les secrets
De Mélusine
L'encre des billets doux pâlit
Vite entre les feuillets des li-
vres de cuisine.

+R:

Il peut sembler de tout repos
De mettre à l'ombre, au fond d'un pot
De confiture
La jolie pomme défendue
Mais elle est cuite, elle a perdu
Son goût "nature"

+R:

De servante n'ai pas besoin
Et du ménage et de ses soins
Je te dispense
Qu'en éternelle fiancée
A la dame de mes pensées
Toujours je pense

+R:

La première fille

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1954

J'ai tout oublié des campagnes
D'Austerlitz et de Waterloo
D'Italie, de Prusse et d'Espagne
De Pontoise et de Landernau

Jamais de la vie
On ne l'oubliera
La première fille
Qu'on a pris dans ses bras
La première étrangère
A qui l'on a dit "tu"
Mon cœur, t'en souviens-tu?
Comme ell' nous était chère
Qu'ell' soit fille honnête
Ou fille de rien
Qu'elle soit pucelle
Ou qu'elle soit putain
On se souvient d'elle
On s'en souviendra
D'la premièr' fill'
Qu'on a pris dans ses bras

Ils sont partis à tire-d'aile
Mes souvenirs de la Suzon
Et ma mémoire est infidèle
A Julie, Rosette ou Lison

Jamais de la vie
On ne l'oubliera
La première fille
Qu'on a pris dans ses bras
C'était une bonne affaire
Mon cœur, t'en souviens-tu?
J'ai changé ma vertu
Contre une primevère
Qu'ce soit en grand' pompe
Comme les gens "bien"
Ou bien dans la rue
Comm' les pauvr's et les chiens
On se souvient d'elle
On s'en souviendra
D'la premièr' fill'
Qu'on a pris dans ses bras

Toi qui m'a donné le baptême
D'amour et de septième ciel
Moi, je te garde et, moi, je t'aime
Dernier cadeau du Pèr' Noël

Jamais de la vie
On ne l'oubliera
La première fille
Qu'on a pris dans ses bras
On a beau fair' le brave
Quand elle s'est mise nue
Mon cœur, t'en souviens-tu?
On n'en menait pas large
Bien d'autres, sans doute
Depuis sont venues
Oui, mais, entre tout's
Cell's qu'on a connues
Elle est la dernière
Que l'on oubliera
La premièr' fill'
Qu'on a pris dans ses bras

La prière

Paroles: Poème de Francis Jammes. Musique: Georges Brassens 1955 "Georges Brassens et sa guitare no.3"

autres interprètes: Frida Boccara, Hugues Aufray (1970), Damien Saez (2001)

Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
Tandis que des enfants s'amusent au parterre
Et par l'oiseau blessé qui ne sait pas comment
Son aile tout à coup s'ensanglante et descend
Par la soif et la faim et le délire ardent
Je vous salue, Marie.

Par les gosses battus, par l'ivrogne qui rentre
Par l'âne qui reçoit des coups de pied au ventre
Et par l'humiliation de l'innocent châtié
Par la vierge vendue qu'on a déshabillée
Par le fils dont la mère a été insultée
Je vous salue, Marie.

Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids
S'écrie: " Mon Dieu! " par le malheureux dont les bras
Ne purent s'appuyer sur une amour humaine
Comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène
Par le cheval tombé sous le chariot qu'il traîne
Je vous salue, Marie.

Par les quatre horizons qui crucifient le monde
Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe
Par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains
Par le malade que l'on opère et qui geint
Et par le juste mis au rang des assassins
Je vous salue, Marie.

Par la mère apprenant que son fils est guéri
Par l'oiseau rappelant l'oiseau tombé du nid
Par l'herbe qui a soif et recueille l'ondée
Par le baiser perdu par l'amour redonné
Et par le mendiant retrouvant sa monnaie
Je vous salue, Marie.

La princesse et le croque-notes

Paroles et Musique: Georges Brassens

autres interprètes: Michel Rivard

Jadis, au lieu du jardin que voici,
C'etait la zone et tout ce qui s'ensuit,
Des masures des taudis insolites,
Des ruines pas romaines pour un sou.
Quant à la faune habitant la dessous
C'etait la fine fleur c'etait l'élite.

La fine fleur, l'élite du pavé.
Des besogneux des gueux des réprouvés,
Des mendiants rivalisant de tares,
Des chevaux de retour des propres à rien,
Ainsi qu'un croque-note, un musicien,
Une épave accrochée à sa guitare.

Adoptée par ce beau monde attendri,
Une petite fée avait fleuri
Au milieu de toute cette bassesse.
Comme on l'avait trouvée pres du ruisseau,
Abandonnée en un somptueux berceau,
A tout hasard on l'appelait "princesse".

Or, un soir, Dieu du ciel, protégez nous!
La voila qui monte sur les genoux
Du croque-note et doucement soupire,
En rougissant quand meme un petit peu:
"C'est toi que j'aime et si tu veux tu peux
M'embrasser sur la bouche et même pire…"

"- Tout beau, princesse arrete un peu ton tir,
J'ai pas tellement l'étoffe du satyr',
Tu a treize ans,j'en ai trente qui sonnent,
Grosse différence et je ne suis pas chaud
Pour tater d'la paille humide du cachot…
– Mais croque-not',j'dirais rien à personne…"

– N'insiste pas fit-il d'un ton railleur,
D'abord tu n'es pas mon genre et d'ailleurs
Mon cœur est dejà pris par une grande…"
Alors princesse est partie en courant,
Alors princesse est partie en pleurant,
Chagrine qu'on ait boudé son offrande.

Y a pas eu détournement de mineure,
Le croque-note au matin, de bonne heure,
A l'anglaise a filé dans la charette
Des chiffonniers en grattant sa guitare.
Passant par là quelques vingt ans plus tard,
Il a le sentiment qu'il le regrette.

La religieuse

Paroles et Musique: Georges Brassens 1969

Tous les cœurs se rallient à sa blanche cornette,
Si le chrétien succombe à son charme insidieux,
Le païen le plus sûr, l'athé' le plus honnête
Se laisseraient aller parfois à croire en Dieu.
Et les enfants de chœur font tinter leur sonnette…

Il paraît que, dessous sa cornette fatale
Qu'elle arbore à la messe avec tant de rigueur,
Cette petite sœur cache, c'est un scandale!
Une queu' de cheval et des accroche-cœurs.
Et les enfants de chœur s'agitent dans les stalles…

Il paraît que, dessous son gros habit de bure,
Elle porte coquettement des bas de soi',
Festons, frivolités, fanfreluches, guipures,
Enfin tout ce qu'il faut pour que le diable y soit.
Et les enfants de chœur ont des pensées impures…

Il paraît que le soir, en voici bien d'une autre!
A l'heure où ses consœurs sont sagement couché's
Ou débitent pieusement des patenôtres,
Elle se déshabille devant sa psyché.
Et les enfants de chœur ont la fièvre, les pauvres…

Il paraît qu'à loisir elle se mire nue,
De face, de profil, et même, hélas! de dos,
Après avoir, sans gêne, accroché sa tenue
Aux branches de la croix comme au portemanteau.
Chez les enfants de chœur le malin s'insinue…

Il paraît que, levant au ciel un œil complice,
Ell' dit: "Bravo, Seigneur, c'est du joli travail! "
Puis qu'elle ajoute avec encor plus de malice:
"La cambrure des reins, ça, c'est une trouvaille! "
Et les enfants de chœur souffrent un vrai supplice…

Il paraît qu'à minuit, bonne mère, c'est pire:
On entend se mêler, dans d'étranges accords,
La voix énamouré' des anges qui soupirent
Et celle de la sœur criant " Encor! Encor! "
Et les enfants de chœur, les malheureux, transpirent…

Et monsieur le curé, que ces bruits turlupinent,
Se dit avec raison que le brave Jésus
Avec sa tête, hélas! déjà chargé' d'épines,
N'a certes pas besoin d'autre chose dessus.
Et les enfants de chœur, branlant du chef, opinent…

Tout ça, c'est des faux bruits, des ragots, des sornettes,
De basses calomni's par Satan répandu's.
Pas plus d'accroche-cœurs sous la blanche cornette
Que de queu' de cheval, mais un crâne tondu.
Et les enfants de chœur en font, une binette…

Pas de troubles penchants dans ce cœur rigoriste,
Sous cet austère habit pas de rubans suspects.
On ne verra jamais la corne au front du Christ,
Le veinard sur sa croix peut s'endormir en paix,
Et les enfants de chœur se masturber, tout tristes…

La romance de la pluie

Paroles: A.Hornez. Musique: J.Stern, J.Meskiel

J'adore entendre le gai flic-flac,
Le son joyeux de la goutte d'eau
Qui tombe et qui claqu',
Ce clapotis qu'en pizzicato
Font les petit's flaqu's,
C'est la romance de la pluie…

Si quand il pleut mon cour fait tic-tac,
C'est que le jour où je t'ai connu
L'eau tombait en vrac
Aussi depuis j'ai mieux retenu
Qu'un air d'Offenbach
Cette romance de la pluie…

Quand elle nous arrose
La rose fleurit
Donc, moi je suppose
Qu'elle fait s'épanouir notre amour aussi

Voilà pourquoi j'aime le flic-clac
Le son joyeux de la goutte d'eau
Qui tombe et qui claqu'
Puisque mon cour fait comme un duo
Avec le tic-tac
De la romance de la pluie…

La ronde des jurons

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1958

Voici la ron-
de des jurons
Qui chantaient clair, qui dansaient rond
Quand les Gaulois
De bon aloi
Du franc-parler suivaient la loi
Jurant par-là
Jurant par-ci
Jurant à langue raccourcie
Comme des grains de chapelet
Les joyeux jurons défilaient

Tous les morbleus, tous les ventrebleus
Les sacrebleus et les cornegidouilles
Ainsi, parbleu, que les jarnibleus
Et les palsambleus
Tous les cristis, les ventres saint-gris
Les par ma barbe et les noms d'une pipe
Ainsi, pardi, que les sapristis
Et les sacristis
Sans oublier les jarnicotons
Les scrogneugneus et les bigr's et les bougr's
Les saperlottes, les cré nom de nom
Les pestes, et pouah, diantre, fichtre et foutre
Tous les Bon Dieu
Tous les vertudieux
Tonnerr' de Brest et saperlipopette
Ainsi, pardieu, que les jarnidieux
Et les pasquedieux

Quelle pitié
Les charretiers
Ont un langage châtié
Les harengères
Et les mégères
Ne parlent plus à la légère
Le vieux catéchisme poissard
N'a guèr' plus cours chez les hussards
Ils ont vécu, de profundis
Les joyeux jurons de jadis

Tous les morbleus, tous les ventrebleus
Les sacrebleus et les cornegidouilles
Ainsi, parbleu, que les jarnibleus
Et les palsambleus
Tous les cristis, les ventres saint-gris
Les par ma barbe et les noms d'une pipe
Ainsi, pardi, que les sapristis
Et les sacristis
Sans oublier les jarnicotons
Les scrogneugneus et les bigr's et les bougr's
Les saperlottes, les cré nom de nom
Les pestes, et pouah, diantre, fichtre et foutre
Tous les Bon Dieu
Tous les vertudieux
Tonnerr' de Brest et saperlipopette
Ainsi, pardieu, que les jarnidieux
Et les pasquedieux

La rose, la bouteille et la poignée de main

Paroles et Musique: Georges Brassens 1969

Cette rose avait glissé de
La gerbe qu'un héros gâteux
Portait au monument aux Morts.

Comme tous les gens levaient leurs
Yeux pour voir hisser les couleurs,
Je la recueillis sans remords.

Et je repris ma route et m'en allai quérir,
Au p'tit bonheur la chance, un corsage à fleurir.
Car c'est une des pir's perversions qui soient
Que de garder une rose par-devers soi.

La première à qui je l'offris
Tourna la tête avec mépris,
La deuxième s'enfuit et court
Encore en criant "Au secours! "

Si la troisième m'a donné
Un coup d'ombrelle sur le nez,
La quatrième, c'est plus méchant,
Se mit en quête d'un agent.

Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
Sans être louche, on ne peut pas
Fleurir de belles inconnu's.

On est tombé bien bas, bien bas…

Et ce pauvre petit bouton
De rose a fleuri le veston
D'un vague chien de commissaire,
Quelle misère!
Cette bouteille était tombé'
De la soutane d'un abbé
Sortant de la messe ivre mort.

Une bouteille de vin fin
Millésimé, béni, divin,
Je la recueillis sans remords.

Et je repris ma route en cherchant, plein d'espoir,
Un brave gosier sec pour m'aider à la boire.
Car c'est une des pir's perversions qui soient
Que de garder du vin béni par-devers soi.

Le premier refusa mon verre
En me lorgnant d'un œil sévère,
Le deuxième m'a dit, railleur,
De m'en aller cuver ailleurs.

Si le troisième, sans retard,
Au nez m'a jeté le nectar,
Le quatrième, c'est plus méchant,
Se mit en quête, d'un agent.

Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
Sans être louche, on ne peut pas
Trinquer avec des inconnus.
On est tombé bien bas, bien bas…

Avec la bouteille de vin fin
Millésimé, béni, divin,
Les flics se sont rincé la dalle,
Un vrai scandale!
Cette pauvre poigné' de main
Gisait, oubliée, en chemin,
Par deux amis fâchés à mort.

Quelque peu décontenancé',
Elle était là, dans le fossé.
Je la recueillis sans remords.

Et je repris ma route avec l'intention
De faire circuler la virile effusion,
Car c'est une des pir's perversions qui soient
Qu' de garder une poigné' de main par-devers soi.

Le premier m'a dit: "Fous le camp!
J'aurais peur de salir mes gants."
Le deuxième, d'un air dévot,
Me donna cent sous, d'ailleurs faux.

Si le troisième, ours mal léché,
Dans ma main tendue a craché,
Le quatrième, c'est plus méchant,
Se mit en quête d'un agent.

Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
Sans être louche, on ne peut pas
Serrer la main des inconnus.

On est tombé bien bas, bien bas…
Et la pauvre poigné' de main,
Victime d'un sort inhumain,
Alla terminer sa carrière
A la fourrière!

La route aux quatre chansons

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

J'ai pris la route de Dijon
Pour voir un peu la Marjolaine
La belle, digue digue don
Qui pleurait près de la fontaine
Mais elle avait changé de ton
Il lui fallait des ducatons
Dedans son bas de laine
Pour n'avoir plus de peine
Elle m'a dit: " Tu viens, chéri?
Et si tu me payes un bon prix
Aux anges je t'emmène
Digue digue don daine "
La Marjolain' pleurait surtout
Quand elle n'avait pas de sous
La Marjolain' de la chanson
Avait de plus nobles façons

J'ai passé le pont d'Avignon
Pour voir un peu les belles dames
Et les beaux messieurs tous en rond
Qui dansaient, dansaient, corps et âmes
Mais ils avaient changé de ton
Ils faisaient fi des rigodons
Menuets et pavanes
Tarentelles, sardanes
Et les bell's dam's m'ont dit ceci
" Etranger, sauve-toi d'ici
Ou l'on donne l'alarme
Aux chiens et aux gendarmes "
Quelle mouch' les a donc piquées
Ces belles dam's si distinguées
Les belles dam's de la chanson
Avaient de plus nobles façons

Je me suis fait fair' prisonnier
Dans les vieilles prisons de Nantes
Pour voir la fille du geôlier
Qui, paraît-il, est avenante
Mais elle avait changé de ton
Quand j'ai demandé: " Que dit-on
Des affaires courantes
Dans la ville de Nantes? "
La mignonne m'a répondu
" On dit que vous serez pendu
Aux matines sonnantes
Et j'en suis bien contente "
Les geôlières n'ont plus de cœur
Aux prisons de Nante' et d'ailleurs
La geôlière de la chanson
Avait de plus nobles façons

Voulant mener à bonne fin
Ma folle course vagabonde
Vers mes pénates je revins
Pour dormir auprès de ma blonde
Mais elle avait changé de ton
Avec elle, sous l'édredon
Il y avait du monde
Dormant près de ma blonde
J'ai pris le coup d'un air blagueur
Mais, en cachette, dans mon cœur
La peine était profonde
L'chagrin lâchait la bonde
Hélas! du jardin de mon père
La colombe s'est fait la paire
Par bonheur, par consolation
Me sont restées les quatr' chansons

La tondue

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

La belle qui couchait avec le roi de Prusse
Avec le roi de Prusse
A qui l'on a tondu le crâne rasibus
Le crâne rasibus

Son penchant prononcé pour les " ich liebe dich ",
Pour les " ich liebe dich "
Lui valut de porter quelques cheveux postich's
Quelques cheveux postich's

Les braves sans-culott's et les bonnets phrygiens
Et les bonnets phrygiens
Ont livre sa crinière à un tondeur de chiens
A un tondeur de chiens

J'aurais dû prendre un peu parti pour sa toison
Parti pour sa toison
J'aurais dû dire un mot pour sauver son chignon
Pour sauver son chignon

Mais je n'ai pas bougé du fond de ma torpeur
Du fond de ma torpeur
Les coupeurs de cheveux en quatre m'ont fait peur
En quatre m'ont fait peur

Quand, pire qu'une brosse, elle eut été tondue
Elle eut été tondue
J'ai dit: " C'est malheureux, ces accroch'-cœur perdus
Ces accroch'-cœur perdus "

Et, ramassant l'un d'eux qui traînait dans l'ornière
Qui traînait dans l'ornière
Je l'ai, comme une fleur, mis à ma boutonnière
Mis à ma boutonnière

En me voyant partir arborant mon toupet
Arborant mon toupet
Tous ces coupeurs de natt's m'ont pris pour un suspect
M'ont pris pour un suspect

Comme de la patrie je ne mérite guère
Je ne mérite guère
J'ai pas la Croix d'honneur, j'ai pas la croix de guerre
J'ai pas la croix de guerre

Et je n'en souffre pas avec trop de rigueur
Avec trop de rigueur
J'ai ma rosette à moi: c'est un accroche-cœur
C'est un accroche-cœur

La traitresse

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1961

J'en appelle à la mort, je l'attends sans frayeur
Je n'tiens plus à la vie, je cherche un fossoyeur
Qu'aurait un' tombe à vendre à n'importe quel prix
J'ai surpris ma maîtresse au bras de son mari
Ma maîtresse, la traîtresse!

J'croyais tenir l'amour au bout de mon harpon
Mon p'tit drapeau flottait au cœur d'madam' Dupont
Mais tout est consommé: hier soir, au coin d'un bois
J'ai surpris ma maîtresse avec son mari, pouah
Ma maîtresse, la traîtresse!

Trouverais-je les noms, trouverais-je les mots
Pour noter d'infamie cet enfant de chameau
Qu'a choisi son époux pour tromper son amant
Qu'a conduit l'adultère à son point culminant
Ma maîtresse, la traîtresse!

Où donc avais-j'les yeux? Quoi donc avais-j' dedans?
Pour pas m'être aperçu depuis un certain temps
Que, quand ell' m'embrassait, ell' semblait moins goulue
Et faisait des enfants qui n'me ressemblaient plus
Ma maîtresse, la traîtresse!

Et pour bien m'enfoncer la corne dans le cœur
Par un raffinement satanique, moqueur
La perfide, à voix haute, a dit à mon endroit
" Le plus cornard des deux n'est point celui qu'on croit "
Ma maîtresse, la traîtresse!

J'ai surpris les Dupont, ce couple de marauds
En train d'recommencer leur hymen à zéro
J'ai surpris ma maîtresse équivoque, ambiguë
En train d'intervertir l'ordre de ses cocus
Ma maîtresse, la traîtresse!

Le 22 septembre

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

Un vingt-deux de septembre au diable vous partites,
Et, depuis, chaque année, à la date susdite,
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous…
Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre,
Plus une seule larme à me mettre aux paupières:
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

On ne reverra plus au temps des feuilles mortes,
Cette âme en peine qui me ressemble et qui porte
Le deuil de chaque feuille en souvenir de vous…
Que le brave Prévert et ses escargots veuillent
Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles:
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Jadis, ouvrant mes bras comme une paire d'ailes,
Je montais jusqu'au ciel pour suivre l'hirondelle
Et me rompais les os en souvenir de vous…
Le complexe d'Icare à présent m'abandonne,
L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne:
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Pieusement noué d'un bout de vos dentelles,
J'avais, sur ma fenêtre, un bouquet d'immortelles
Que j'arrosais de pleurs en souvenir de vous…
Je m'en vais les offrir au premier mort qui passe,
Les regrets éternels à présent me dépassent:
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Désormais, le petit bout de coeur qui me reste
Ne traversera plus l'équinoxe funeste
En battant la breloque en souvenir de vous…
Il a craché sa flamme et ses cendres s'éteignent,
A peine y pourrait-on rôtir quatre châtaignes:
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Et c'est triste de n'être plus triste sans vous

Le bateau de pêche

Paroles: A.Hornez. Musique: P.Misraki 1937

note: BO du film "Le chanteur de minuit"

C'était un petit tout petit voilier
Un petit bateau de pêche
On l'avait bâti d'un bout de papier
Et d'un vieux noyau de pêche
Dans un petit port entre deux roseaux
On l'avait mis à l'amarre
Il appareillait dès qu'il faisait beau
Pour naviguer sur la mare

Mais un jour le petit bateau fit un rêve
A son tour il voulut entreprendre un voyage au long cours
Alors il s'en fut magnifiquement
Tout là bas vers les tropiques
La vie qu'il menait lui donnait vraiment
Des idées misanthropiques

En l'apercevant chaque nénuphar
Craignait qu'un malheur n'arrive
Et le ver luisant qui servait de phare
Lui criait rejoins la rive
Mais il répondit d'un air malséant
Je ne crains pas les déboires
Aussi bien le fleuve et les océans
Ce n'est pas la mer à boire

Quel plaisir de voguer ainsi sur les ondes
Quel plaisir de pouvoir naviguer au gré de son désir
Le ciel est tout bleu et le vent léger
Tous ces braves gens divaguent
Je me moque bien d'ailleurs du danger
Car je n'ai pas peur des vagues

Il ne savait pas qu'à côté de lui
Un canard faisait trempette
Pour notre bateau qui était si petit
Cela fit une tempête
Et rapidement je vous en réponds
Les événements se gâtent
L'eau s'est engouffrée dans les entreponts
Adieu la jolie frégate

Sauve qui peut criait le navire en détresse
Sauve qui peut je ne vais plus jamais revoir le beau ciel bleu
Et tout en pleurant sa vie d'autrefois
Le petit bateau chavire
Ça prouve qu'il faut demeurer chez soi
Quand on n'est qu'un petit navire

Le bistrot

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1960

Dans un coin pourri
Du pauvre Paris
Sur une place
L'est un vieux bistrot
Tenu pas un gros
Dégueulasse.

Si t'as le bec fin
S'il te faut du vin
De première classe
Va boire à Passy
Le nectar d'ici
Te dépasse.

Mais si t'as l'gosier
Qu'une armure d'acier
Matelasse
Goûte à ce velours
Ce petit bleu lourd
De menaces.

Tu trouveras là
La fine fleur de la
Populace
Tous les marmiteux
Les calamiteux
De la place

Qui viennent en rang
Comme les harengs
Voir en face
La belle du bistrot
La femme à ce gros
Dégueulasse.

Que je boive à fond
L'eau de toutes les fon-
– taines Wallace,
Si, dès aujourd'hui
Tu n'es pas séduit
Par la grâce.

De cette jolie fée
Qui, d'un bouge, a fait
Un palace.
Avec ses appas
Du haut jusqu'en bas
Bien en place.

Ces trésors exquis
Qui les embrasse, qui
Les enlace?
Vraiment, c'en est trop!
Tout ça pour ce gros
Dégueulasse!

C'est injuste et fou
Mais que voulez-vous
Qu'on y fasse?
L'amour se fait vieux
Il a plus les yeux
Bien en face.

Si tu fais ta cour
Tâche que tes discours
Ne l'agacent.
Sois poli, mon gars
Pas de geste ou ga-
– re à la casse.

Car sa main qui claqu'e
Punit d'un flic-flac
Les audaces.
Certes, il n'est pas né
Qui mettra le nez
Dans sa tasse.

Pas né, le chanceux
Qui dégèl'ra ce
Bloc de glace
Qui fera dans l'dos
Les cornes à ce gros
Dégueulasse.

Dans un coin pourri
Du pauvre Paris
Sur une place
Une espèce de fée
D'un vieux bouge a fait
Un palace.

Le blason

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

Ayant avecques lui toujours fait bon ménage
J'eusse aimé célébrer sans être inconvenant
Tendre corps féminin ton plus bel apanage
Que tous ceux qui l'ont vu disent hallucinant.

Ceût été mon ultime chant mon chant du cygne
Mon dernier billet doux mon message d'adieu
Or malheureusement les mots qui le désignent
Le disputent à l'exécrable à l'odieux.

C'est la grande pitié de la langue française
C'est son talon d'Achille et c'est son déshonneur
De n'offrir que des mots entachés de bassesse
A cette incomparable instrument de bonheur.

Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques
Tendre corps féminin' c'est fort malencontreux
Que la fleur la plus douce la plus érotique
Et la plus enivrante en ait de plus scabreux.

Mais le pire de tous est un petit vocable
De trois lettres pas plus familier coutumier
Il est inexplicable il est irrévocable
Honte à celui-là qui l'employa le premier

Honte à celui-là qui par dépit par gageure
Dota de même terme en son fiel venimeux
Ce grand ami de l'homme et la cinglante injure
Celui-là c'est probable en était un fameux.

Misogyne à coup sûr asexué sans doute
Au charmes de Vénus absolument rétif
Etait ce bougre qui toute honte bue toute
Fit ce rapprochement d'ailleurs intempestif.

La malpeste soit de cette homonymie
C'est injuste madame et c'est désobligeant
Que ce morceau de roi de votre anatomie
Porte le même nom qu'une foule de gens.

Fasse le ciel qu'un jour, dans un trait de génie
Un poète inspiré que Pégase soutient
Donne en effaçant d'un coup des siècles d'avanie
A cette vraie merveille un joli nom chrétien

En attendant madame il semblerait dommage
Et vos adorateurs en seraient tous peinés
D'aller perdre de vue que pour lui rendre hommage
Il est d'autre moyen et que je les connais
Et que je les connais.

Le bleu des bleuets

Paroles: Edmond Haraucourt. Musique: Marcel Legay 1892

autres interprètes: Yvonne Darle, Blanche Féline (1935), André Pasdoc (1939), Jean Lumière (1958), Anne Sandrine (1960), Colette Renard (1961), Marcel Nobla (1966), Jack Lantier (1978), Georges Brassens (1980)

Dans leur fraise, leurs collerettes
Liserons, roses et pâquerettes
J'aime le myrte et les muguets
Les lilas et la primevère
Mais la couleur que je préfère
C'est le bleu, le bleu des bleuets. {x2}

Oh, le velours brun des pensées
L'oranger blanc des fiancées
Les lourds glaïeuls, les lys fluets
L'or du soleil morne et sévère
Mais la couleur que je préfère
C'est le bleu, le bleu des bleuets. {x2}

Dans les blés blonds courons, ma mie
Avec une grâce endormie
Les bleuets font des menuets
Mon amour les prit pour emblème
Et c'est mon propre amour que j'aime
Dans le bleu, le bleu des bleuets. {x2}

Le bulletin de santé

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

J'ai perdu mes bajou's, j'ai perdu ma bedaine,
Et, ce, d'une façon si nette, si soudaine,
Qu'on me suppose un mal qui ne pardonne pas,
Qui se rit d'Esculape et le laisse baba.

Le monstre du Loch Ness ne faisant plus recette
Durant les moments creux dans certaines gazettes,
Systématiquement, les nécrologues jou'nt,
À me mettre au linceul sous des feuilles de chou.

Or, lassé de servir de tête de massacre,
Des contes à mourir debout qu'on me consacre,
Moi qui me porte bien, qui respir' la santé,
Je m'avance et je cri' toute la vérité.

Toute la vérité, messieurs, je vous la livre
Si j'ai quitté les rangs des plus de deux cents livres,
C'est la faute à Mimi, à Lisette, à Ninon,
Et bien d'autres, j'ai pas la mémoire des noms.

Si j'ai trahi les gros, les joufflus, les obèses,
C'est que je baise, que je baise, que je baise
Comme un bouc, un bélier, une bête, une brut',
Je suis hanté: le rut, le rut, le rut, le rut!

Qu'on me comprenne bien, j'ai l'âme du satyre
Et son comportement, mais ça ne veut point dire
Que j'en ai' le talent, le géni', loin s'en faut!
Pas une seule encor' ne m'a crié " bravo! "

Entre autres fines fleurs, je compte, sur ma liste
Rose, un bon nombre de femmes de journalistes
Qui, me pensant fichu, mettent toute leur foi
A m'donner du bonheur une dernière fois.

C'est beau, c'est généreux, c'est grand, c'est magnifique!
Et, dans les positions les plus pornographiques,
Je leur rends les honneurs à fesses rabattu's
Sur des tas de bouillons, des paquets d'invendus.

Et voilà ce qui fait que, quand vos légitimes
Montrent leurs fesse' au peuple ainsi qu'à vos intimes,
On peut souvent y lire, imprimés à l'envers,
Les échos, les petits potins, les faits divers.

Et si vous entendez sourdre, à travers les plinthes
Du boudoir de ces dam's, des râles et des plaintes,
Ne dites pas: "C'est tonton Georges qui expire ",
Ce sont tout simplement les anges qui soupirent.

Et si vous entendez crier comme en quatorze:
"Debout! Debout les morts! " ne bombez pas le torse,
C'est l'épouse exalté' d'un rédacteur en chef
Qui m'incite à monter à l'assaut derechef.

Certe', il m'arrive bien, revers de la médaille,
De laisser quelquefois des plum's à la bataille…
Hippocrate dit: " Oui, c'est des crêtes de coq",
Et Gallien répond "Non, c'est des gonocoqu's… "

Tous les deux ont raison. Vénus parfois vous donne
De méchants coups de pied qu'un bon chrétien pardonne,
Car, s'ils causent du tort aux attributs virils,
Ils mettent rarement l'existence en péril.

Eh bien, oui, j'ai tout ça, rançon de mes fredaines.
La barque pour Cythère est mise en quarantaine.
Mais je n'ai pas encor, non, non, non, trois fois non,
Ce mal mystérieux dont on cache le nom.

Si j'ai trahi les gros, les joufflus, les obèses,
C'est que je baise, que je baise, que je baise
Comme un bouc, un bélier, une bête, une brut',
Je suis hanté: le rut, le rut, le rut, le rut!

Le cauchemar

Paroles: Georges Brassens

Sa majesté n'avait pas l'air d'un Cypriote,
D'un Belge, un Suisse, un Ecossais,
Mais tout bonnement hélas! d'un d' nos compatriotes,
Dans mon rêve le roi des cons était Français.

Quand un olibrius portait une couronne,
Tous en chœur on applaudissait,
Nous les fiers descendants du général Cambronne,
Dans mon rêve où le roi des cons était Français.

Et tous comme un seul homme, on courait à l'embauche
Dès qu'un botteur de culs passait,
Tendant les miches à droite, tendant les miches à gauche,
Dans mon rêve où le roi des cons était Français.

Dupont, Durand, Dubois, Duval, Dupuis, Duchêne,
A nos fusils la fleur poussait,
Toujours prêts à nous fair' descendre à la prochaine,
Dans mon rêve où le roi des cons était Français.

On prenait la Bastille, et la chose étant faite,
Sur la plac' publique on dansait,
Pour en bâtir une autre à la fin de la fête,
Dans mon rêve où le roi des cons était Français.

Entre deux coups de chien, on s'occupait de fesses,
On s'embrassait, on s'enlaçait,
Afin que des cocus continuât l'espèce,
Dans mon rêve où le roi des cons était Français.

Quand je sautai du lit, que j'entendis la somme
De balivernes qui florissaient,
J'eus comme l'impression d' êtr' pas sorti d' mon somme,
De mon rêve où le roi des cons était Français.

Sa majesté n'avait pas l'air d'un Cypriote,
D'un Belge, un Suisse, un Ecossais,
Mais tout bonnement hélas d'un d' nos compatriotes,
Dans mon rêve le roi des cons était Français.

Le chemin de ma belle

Paroles: L.Poterat. Musique: Paul Misraki

Tous les chemins ont un air de famille
Sur les chemins y a toujours des pays
Dans les pays y a toujours des bell's filles
Et chaque fille en passant nous sourit.

{Refrain:}

Qu'il est long le chemin
Qui conduit à ma belle
Qu'il est long le chemin
Qui conduit à l'amour
Mais c'est un beau chemin
Puisqu'il mène à ma belle,
Mais c'est un beau chemin
Puisqu'il mène à l'amour.
Qu'il est long le chemin.

À sa fenêtre une vieille nous guette
Et son tricot tombe sur ses genoux.
Sa main tremblante ajuste ses lunettes
Toute pareille aux vieilles de chez nous.

{au Refrain}

Sur chaque porte, une belle aux yeux tendres
En nous voyant gaiement crie: " Les voilà! "
Chacune alors a l'air de nous attendre,
Chacun lui fait un signe de son bras.

{au Refrain}

Oui mais bientôt, sur une route blanche
Vont refleurir tous les champs alentour
Le cour joyeux sous un ciel de dimanche
Nous reprendrons le chemin du retour.

{au Refrain}

Le cocu

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1958

Comme elle n'aime pas beaucoup la solitude
Cependant que je pêche et que je m'ennoblis
Ma femme sacrifie à sa vieille habitude
De faire, à tout venant, les honneurs de mon lit

Eh! oui, je suis cocu, j'ai du cerf sur la tête
On fait force de trous dans ma lune de miel
Ma bien-aimée ne m'invite plus à la fête
Quand ell' va faire un tour jusqu'au septième ciel

Au péril de mon cœur, la malheureuse écorne
Le pacte conjugal et me le déprécie
Que je ne sache plus où donner de la corne
Semble bien être le cadet de ses soucis

Les galants de tout poil viennent boire en mon verre
Je suis la providence des écornifleurs
On cueille dans mon dos la tendre primevère
Qui tenait le dessus de mon panier de fleurs

En revenant fourbu de la pêche à la ligne
Je les surprends tout nus dans leurs débordements
Conseillez-leur le port de la feuille de vigne
Ils s'y refuseront avec entêtement

Souiller mon lit nuptial, est-c' que ça les empêche
De garder les dehors de la civilité?
Qu'on me demande au moins si j'ai fait bonne pêche
Qu'on daigne s'enquérir enfin de ma santé

De grâce, un minimum d'attentions délicates
Pour ce pauvre mari qu'on couvre de safran
Le cocu, d'ordinaire, on le choie, on le gâte
On est en fin de compte un peu de ses parents

A l'heure du repas, mes rivaux détestables
Ont encor ce toupet de lorgner ma portion
Ça leur ferait pas peur de s'asseoir à ma table
Cocu, tant qu'on voudra, mais pas amphitryon

Partager sa moitié, est-c' que cela comporte
Que l'on partage aussi la chère et la boisson?
Je suis presque obligé de les mettre à la porte
Et bien content s'ils n'emportent pas mes poissons

Bien content qu'en partant ces mufles ne s'égarent
Pas à mettre le comble à leur ignominie
En sifflotant " Il est cocu, le chef de gare… "
Parc' que, le chef de gar', c'est mon meilleur ami

Le coeur à l'automne

Paroles: Pierre Louki. Musique: Georges Brassens

Quand la musique entra chez moi – que nul ne s'étonne –
J'avais, ça m'arrive parfois, le cœur à l'automne.
C'était un air en demi-teinte,
Mi-joie et moitié plainte.
Je lui ai dit: "Le temps est fou,
Le vent du dehors vous chiffonne.
Etendez-vous donc sur mon magnétophone
Et reposez-vous."

Je n'avais ouï de longtemps musique pareille.
Je n'en croyais en l'écoutant mes grandes oreilles.
Elle me dit: "J'ai quitté mon maître,
Un saut par la fenêtre.
Il me gardait depuis cinq ans
En me promettant des paroles.
J'étais nue et nue ça n'est pas toujours drôle.
J'ai foutu le camp."

Moi qui suis un peu parolier, jugez de l'aubaine.
"Je peux, dis-je, vous habiller. Oubliez vos peines.
Je sais les mots faits pour vous plaire
Et j'ai deux dictionnaires."
Elle répondit: "Va pour l'essai. Vous me paraissez brave type.
Lui aussi l'était mais il fumait la pipe,
Ça m' faisait tousser."

Et la mélodie envolée d'une autre guitare,
Avec mes mots s'est installée dans mon répertoire.
Et bien que je sois sans moustaches,
A moi elle s'attache.
Et les soirs où je me sens vieux,
Lorsque j'ai le cœur à l'automne,
Elle insiste un peu pour que je la chantonne.
Alors ça va mieux.

Le fantôme

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

C'était tremblant, c'était troublant,
C'était vêtu d'un drap tout blanc,
Ça présentait tous les symptômes,
Tous les dehors de la vision,
Les faux airs de l'apparition,
En un mot, c'était un fantôme!

A sa manière d'avancer,
A sa façon de balancer
Les hanches quelque peu convexes,
Je compris que j'avais affaire
A quelqu'un du genr' que j'prefère:
A un fantôme du beau sexe.

" Je suis un p'tit poucet perdu,
Me dit-ell', d'un' voix morfondue,
Un pauvre fantôme en déroute.
Plus de trace des feux follets,
Plus de trace des osselets
Dont j'avais jalonné ma route! "

" Des poèt's sans inspiration
Auront pris – quelle aberration! –
Mes feux follets pour des étoiles.
De pauvres chiens de commissaire
Auront croqué – quelle misère! –
Mes oss'lets bien garnis de moelle. "

" A l'heure où le coq chantera,
J'aurai bonn' mine avec mon drap
Hein de faux plis et de coutures!
Et dans ce siècle profane où
Les gens ne croient plus guère à nous,
On va crier à l'imposture. "

Moi, qu'un chat perdu fait pleurer,
Pensez si j'eus le cœur serré
Devant l'embarras du fantôme.
" Venez, dis-je en prenant sa main,
Que je vous montre le chemin,
Que je vous reconduise at home "

L'histoire finirait ici,
Mais la brise, et je l'en r'mercie,
Troussa le drap d'ma cavalière…
Dame, il manquait quelques oss'lets,
Mais le reste, loin d'être laid,
Etait d'un' grâce singulière.

Mon Cupidon, qui avait la
Flèche facile en ce temps-là,
Fit mouche et, le feu sur les tempes,
Je conviai, sournoisement,
La belle à venir un moment
Voir mes icônes, mes estampes…

" Mon cher, dit-ell', vous êtes fou!
J'ai deux mille ans de plus que vous… "
– Le temps, madam', que nous importe! –
Mettant le fantôm' sous mon bras,
Bien enveloppé dans son drap,
Vers mes pénates je l'emporte!

Eh bien, messieurs, qu'on se le dis':
Ces belles dames de jadis
Sont de satanées polissonnes,
Plus expertes dans le déduit
Que certain's dames d'aujourd'hui,
Et je ne veux nommer personne!

Au p'tit jour on m'a réveillé,
On secouait mon oreiller
Avec un' fougu' plein' de promesses.
Mais, foin des dédic's de Capoue!
C'était mon père criant: " Debout!
Vains dieux, tu vas manquer la messe! "

Le fiacre

Paroles et Musique: Léon Xanrof 1888

autres interprètes: Félicia Mallet, Yvette Guilbert (1898), Jean Sablon (1939), Barbara, Lina Margy, Germaine Montéro (1960), Georges Brassens (1980)

note: Cette chanson fût remise au goût du jour sur un tempo swing par Jean Sablon en 1939

Un fiacre allait, trottinant
Cahin, caha,
Hu, dia, hop là!
Un fiacre allait, trottinant
Jaune, avec un cocher blanc

Derrière les stores baissés
Cahin, caha,
Hu, dia, hop là!
Derrière les stores baissés
On entendait des baisers

Puis une voix disant "Léon!"
Cahin, caha,
Hu, dia, hop là!
Puis une voix disant "Léon!
Pour… causer, ôte ton lorgnon!"

Un vieux monsieur qui passait
Cahin, caha,
Hu, dia, hop là!
Un vieux monsieur qui passait
S'écrie "Mais on dirait qu' c'est

Ma femme avec un quidam!
Cahin, caha,
Hu, dia, hop là!
Ma femme avec un quidam!"
Y s' lance sur le macadam

Mais y glisse su' l' sol mouillé
Cahin, caha,
Hu, dia, hop là!
Mais y glisse su' l' sol mouillé
Crac! il est écrabouillé

Du fiacre une dame sort et dit
Cahin, caha,
Hu, dia, hop là!
Du fiacre une dame sort et dit:
"Chouette, Léon! C'est mon mari!

Y a plus besoin d' nous cacher,
Cahin, caha,
Hu, dia, hop là!
Y a plus besoin d' nous cacher
Donne donc cent sous au cocher!"

Le fidèle absolu

Paroles: Georges Brassens

Le seul arbre qu'il connaissait
Sous sa fenêtre florissait.
C'était le rustique absolu,
L'homme d'un seul jardin, pas plus.

Et les globe-trotters,
Et les explorateurs,
Coureurs de forêts vierges,
Regardaient, étonnés,
Ce bonhomme enchaîné
A sa tige d'asperge.

Bonhomme sais-tu pas
Qu'il existe là-bas
Des forêts luxuriantes,
Des forêts de Bondy,
Des forêts de Gasti-
ne et de Brocéliande?

Et l'homme répondit
"Je le sais bien, pardi,
Mais le diable m'emporte
Si je m'en vais chercher
Au diable ce que j'ai
Juste devant ma porte."

Je n'ai vu qu'un seul arbre, un seul, mais je l'ai vu,
Et je connais par cœur sa ramure touffue,
Et ce tout petit bout de branche me suffit:
Pour connaître une feuille, il faut toute une vie.
Si l'envie vous prenait de vous pendre haut et court,
Soyez gentil, ne vous pendez pas à mon arbre!

Il n'avait jamais voyagé
Plus loin que l'ombre du clocher.
C'était l'autochtone absolu,
L'homme d'un seul pays, pas plus.

Et les globe-trotters,
Et les explorateurs,
Tous les gens du voyage,
Regardaient étonnés
Cet être cantonné
Dans son petit village.

Bonhomme sais-tu pas
Qu'il existe là-bas,
Derrière tes montagnes,
Des pays merveilleux,
Des pays de cocagne

Et l'homme répondit:
"Je le sais bien, pardi,
Mais le diable m'emporte
Si je m'en vais chercher
Au diable ce que j'ai
Juste devant ma porte."

Je n'ai vu qu'un village, un seul, mais je l'ai vu,
Et ses quatre maisons ont su combler ma vue,
Et ce tout petit bout de monde me suffit:
Pour connaître une rue, il faut toute une vie.
Si l'envie vous prenait de tirer le canon,
Soyez gentil, ne tirez pas sur mon village.

Il n'avait jamais embrassé
Personne que sa fiancée.
C'était le fidèle absolu,
L'homme d'un seul amour, pas plus.

Et les globe-trotters,
Et les explorateurs,
Friands de bagatelle,
Regardaient étonnés
Ce bonhomme enchaîné
A son bout de dentelle.

Bonhomme sais-tu pas
Qu'il existe là-bas
Des beautés par séquelles,
Et qu'on peut sans ennui
Connaître mille nuits
De noces avec elles?

Et l'homme répondit:
"Je le sais bien, pardi,
Mais le diable m'emporte
Si je m'en vais chercher
Loin d'ici ce que j'ai
Juste devant ma porte."

Je n'ai vu qu'un amour, un seul, mais je l'ai vu,
Et ce grain de beauté a su combler ma vue,
Et ce tout petit bout de Vénus me suffit:
Pour connaître une femme, il faut toute une vie.
Si l'envie vous prenait de courir les jupons,
Soyez gentil, ne courez pas après ma belle.

Le fossoyeur

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1952

Dieu sait qu'je n'ai pas le fond méchant
Je ne souhait' jamais la mort des gens
Mais si l'on ne mourait plus
J'crèv'rais de faim sur mon talus

J'suis un pauvre fossoyeur

Les vivants croient qu'je n'ai pas d'remords
A gagner mon pain sur l'dos des morts
Mais ça m'tracasse et d'ailleurs
J'les enterre à contrecœur

J'suis un pauvre fossoyeur

Et plus j'lâch' la bride à mon émoi
Et plus les copains s'amus'nt de moi
Y m'dis'nt: " Mon vieux, par moments
T'as un' figur' d'enterr'ment"

J'suis un pauvre fossoyeur

J'ai beau m'dir' que rien n'est éternel
J'peux pas trouver ça tout naturel
Et jamais je ne parviens
A prendr' la mort comme ell' vient

J'suis un pauvre fossoyeur

Ni vu ni connu, brav' mort adieu!
Si du fond d'la terre on voit l'Bon Dieu
Dis-lui l'mal que m'a coûté
La dernière pelletée

J'suis un pauvre fossoyeur

Le gorille

Paroles et Musique: Georges Brassens 1952

autres interprètes: Francis Cabrel (2007)

C'est à travers de larges grilles,
Que les femelles du canton,
Contemplaient un puissant gorille,
Sans souci du qu'en-dira-t-on.
Avec impudeur, ces commères
Lorgnaient même un endroit précis
Que, rigoureusement ma mère
M'a défendu de nommer ici…
Gare au gorille!…

Tout à coup la prison bien close
Où vivait le bel animal
S'ouvre, on n'sait pourquoi. Je suppose
Qu'on avait du la fermer mal.
Le singe, en sortant de sa cage
Dit "C'est aujourd'hui que j'le perds!"
Il parlait de son pucelage,
Vous aviez deviné, j'espère!
Gare au gorille!…

L'patron de la ménagerie
Criait, éperdu: "Nom de nom!
C'est assommant car le gorille
N'a jamais connu de guenon!"
Dès que la féminine engeance
Sut que le singe était puceau,
Au lieu de profiter de la chance,
Elle fit feu des deux fuseaux!
Gare au gorille!…

Celles là même qui, naguère,
Le couvaient d'un œil décidé,
Fuirent, prouvant qu'elles n'avaient guère
De la suite dans les idées;
D'autant plus vaine était leur crainte,
Que le gorille est un luron
Supérieur à l'homme dans l'étreinte,
Bien des femmes vous le diront!
Gare au gorille!…

Tout le monde se précipite
Hors d'atteinte du singe en rut,
Sauf une vielle décrépite
Et un jeune juge en bois brut;
Voyant que toutes se dérobent,
Le quadrumane accéléra
Son dandinement vers les robes
De la vieille et du magistrat!
Gare au gorille!…

"Bah! soupirait la centenaire,
Qu'on puisse encore me désirer,
Ce serait extraordinaire,
Et, pour tout dire, inespéré!";
Le juge pensait, impassible,
"Qu'on me prenne pour une guenon,
C'est complètement impossible…"
La suite lui prouva que non!
Gare au gorille!…

Supposez que l'un de vous puisse être,
Comme le singe, obligé de
Violer un juge ou une ancêtre,
Lequel choisirait-il des deux?
Qu'une alternative pareille,
Un de ces quatres jours, m'échoie,
C'est, j'en suis convaincu, la vieille
Qui sera l'objet de mon choix!
Gare au gorille!…

Mais, par malheur, si le gorille
Aux jeux de l'amour vaut son prix,
On sait qu'en revanche il ne brille
Ni par le goût, ni par l'esprit.
Lors, au lieu d'opter pour la vieille,
Comme l'aurait fait n'importe qui,
Il saisit le juge à l'oreille
Et l'entraîna dans un maquis!
Gare au gorille!…

La suite serait délectable,
Malheureusement, je ne peux
Pas la dire, et c'est regrettable,
Ça nous aurait fait rire un peu;
Car le juge, au moment suprême,
Criait: "Maman!", pleurait beaucoup,
Comme l'homme auquel, le jour même,
Il avait fait trancher le cou.
Gare au gorille!…

Le grand chêne

Paroles: Georges Brassens 1966

Il vivait en dehors des chemins forestiers,
Ce n'était nullement un arbre de métier,
Il n'avait jamais vu l'ombre d'un bûcheron,
Ce grand chêne fier sur son tronc.

Il eût connu des jours filés d'or et de soie
Sans ses proches voisins, les pires gens qui soient;
Des roseaux mal pensant, pas même des bambous,
S'amusant à le mettre à bout.

Du matin jusqu'au soir ces petit rejetons,
Tout juste cann' à pêch', à peine mirlitons,
Lui tournant tout autour chantaient, in extenso,
L'histoire du chêne et du roseau.

Et, bien qu'il fût en bois, les chênes, c'est courant,
La fable ne le laissait pas indifférent.
Il advint que lassé d'être en but aux lazzi,
Il se résolu à l'exi(l).

A grand-peine il sortit ses grands pieds de son trou
Et partit sans se retourner ni peu ni prou.
Mais, moi qui l'ai connu, je sais qu'il en souffrit
De quitter l'ingrate patrie.

A l'orée des forêts, le chêne ténébreux
A lié connaissance avec deux amoureux.
" Grand chêne laisse-nous sur toi graver nos noms… "
Le grand chêne n'as pas dit non.

Quand ils eur'nt épuisé leur grand sac de baisers,
Quand, de tant s'embrasser, leurs becs furent usés,
Ils ouïrent alors, en retenant des pleurs,
Le chêne contant ses malheurs.

" Grand chên', viens chez nous, tu trouveras la paix,
Nos roseaux savent vivre et n'ont aucun toupet,
Tu feras dans nos murs un aimable séjour,
Arrosé quatre fois par jour. "

Cela dit, tous les trois se mettent en chemin,
Chaque amoureux tenant une racine en main.
Comme il semblait content! Comme il semblait heureux!
Le chêne entre ses amoureux.

Au pied de leur chaumière, ils le firent planter.
Ce fut alors qu'il commença de déchanter
Car, en fait d'arrosage, il n'eut rien que la pluie,
Des chiens levant la patt' sur lui.

On a pris tous ses glands pour nourrir les cochons,
Avec sa belle écorce on a fait des bouchons,
Chaque fois qu'un arrêt de mort était rendu,
C'est lui qui héritait du pendu.

Puis ces mauvaises gens, vandales accomplis,
Le coupèrent en quatre et s'en firent un lit,
Et l'horrible mégère ayant des tas d'amants,
Il vieillit prématurément.

Un triste jour, enfin, ce couple sans aveu
Le passa par la hache et le mit dans le feu.
Comme du bois de caisse, amère destinée!
Il périt dans la cheminée.

Le curé de chez nous, petit saint besogneux,
Doute que sa fumée s'élève jusqu'à Dieu.
Qu'est-c'qu'il en sait, le bougre, et qui donc lui a dit
Qu'y a pas de chêne en paradis?
Qu'y a pas de chêne en paradis?

Le Grand Pan

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

Du temps que régnait le Grand Pan,
Les dieux protégaient les ivrognes
Des tas de génies titubants
Au nez rouge, à la rouge trogne.
Dès qu'un homme vidait les cruchons,
Qu'un sac à vin faisait carousse
Ils venaient en bande à ses trousses
Compter les bouchons.
La plus humble piquette était alors bénie,
Distillée par Noé, Silène, et compagnie.
Le vin donnait un lustre au pire des minus,
Et le moindre pochard avait tout de Bacchus.

{Refrain:}

Mais en se touchant le crâne, en criant " J'ai trouvé "
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les Dieux du Firmament.

Aujourd'hui ça et là, les gens boivent encore,
Et le feu du nectar fait toujours luire les trognes.
Mais les dieux ne répondent plus pour les ivrognes.
Bacchus est alcoolique, et le grand Pan est mort.

Quand deux imbéciles heureux
S'amusaient à des bagatelles,
Un tas de génies amoureux

Venaient leur tenir la chandelle.
Du fin fond du champs élysées
Dès qu'ils entendaient un " Je t'aime ",
Ils accouraient à l'instant même
Compter les baisers.
La plus humble amourette
Etait alors bénie
Sacrée par Aphrodite, Eros, et compagnie.
L'amour donnait un lustre au pire des minus,
Et la moindre amoureuse avait tout de Vénus.

{Refrain}

Aujourd'hui ça et là, les cœurs battent encore,
Et la règle du jeu de l'amour est la même.
Mais les dieux ne répondent plus de ceux qui s'aiment.
Vénus s'est faite femme, et le grand Pan est mort.

Et quand fatale sonnait l'heure
De prendre un linceul pour costume
Un tas de génies l'œil en pleurs
Vous offraient des honneurs posthumes.
Et pour aller au céleste empire,
Dans leur barque ils venaient vous prendre.
C'était presque un plaisir de rendre
Le dernier soupir.
La plus humble dépouille était alors bénie,
Embarquée par Caron, Pluton et compagnie.
Au pire des minus, l'âme était accordée,
Et le moindre mortel avait l'éternité.

{Refrain}

Aujourd'hui ça et là, les gens passent encore,
Mais la tombe est hélas la dernière demeure
Les dieux ne répondent plus de ceux qui meurent.
La mort est naturelle, et le grand Pan est mort.

Et l'un des dernier dieux, l'un des derniers suprêmes,
Ne doit plus se sentir tellement bien lui-même
Un beau jour on va voir le Christ
Descendre du calvaire en disant dans sa lippe
" Merde je ne joue plus pour tous ces pauvres types.
J'ai bien peur que la fin du monde soit bien triste. "

Le mauvais sujet repenti

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1954

Elle avait la taill' faite au tour,
Les hanches pleines, Et chassait l' mâle aux alentours
De la Mad'leine…
A sa façon d' me dir': "Mon rat,
Est-c' que j' te tente?"
Je vis que j'avais affaire à
Un' débutante…

L'avait l' don, c'est vrai, j'en conviens,
L'avait l' génie,
Mais sans technique, un don n'est rien
Qu'un' sal' manie…
Certes, on ne se fait pas putain
Comme on s' fait nonne.
C'est du moins c' qu'on prêche, en latin,
A la Sorbonne…

Me sentant rempli de pitié
Pour la donzelle,
J' lui enseignai, de son métier,
Les p'tit's ficelles…
J' lui enseignai l' moyen d' bientôt
Faire fortune,
En bougeant l'endroit où le dos
R'ssemble à la lune…

Car, dans l'art de fair' le trottoir,
Je le confesse,
Le difficile est d' bien savoir
Jouer des fesses…
On n' tortill' pas son popotin
D' la mêm' manière,
Pour un droguiste, un sacristain,
Un fonctionnaire…

Rapidement instruite par
Mes bons offices,
Elle m'investit d'une part
D' ses bénéfices…
On s'aida mutuellement,
Comm' dit l' poète.
Ell' était l' corps, naturell'ment,
Puis moi la tête…

Un soir, à la suite de
Manœuvres douteuses,
Ell' tomba victim' d'une
Maladie honteuses…
Lors, en tout bien, toute amitié,
En fille probe,
Elle me passa la moitié
De ses microbes…

Après des injections aiguës
D'antiseptique,
J'abandonnai l' métier d' cocu
Systématique…
Elle eut beau pousser des sanglots,
Braire à tu'-tête,
Comme je n'étais qu'un salaud,
J' me fis honnête…

Sitôt privé' de ma tutell',
Ma pauvre amie
Courrut essuyer du bordel
Les infamies…
Paraît qu'ell' s' vend même à des flics,
Quell' décadence!
Y a plus d' moralité publiqu'
Dans notre France…

Le mécréant

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1960

Est-il en notre temps rien de plus odieux
De plus désespérant, que de n'pas croire en Dieu?

J'voudrais avoir la foi, la foi d'mon charbonnier
Qui est heureux comme un pape et con comme un panier

Mon voisin du dessus, un certain Blais' Pascal
M'a gentiment donné ce conseil amical

" Mettez-vous à genoux, priez et implorez
Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez "

J'me mis à débiter, les rotules à terr'
Tous les Ave Maria, tous les Pater Noster

Dans les rues, les cafés, les trains, les autobus
Tous les de profundis, tous les morpionibus

Sur ces entrefait's-là, trouvant dans les orties
Un' soutane à ma taill', je m'en suis travesti

Et, tonsuré de frais, ma guitare à la main
Vers la foi salvatric' je me mis en chemin

J'tombai sur un boisseau d'punais's de sacristie
Me prenant pour un autre, en chœur, elles m'ont dit

" Mon pèr', chantez-nous donc quelque refrain sacré
Quelque sainte chanson dont vous avez l'secret "

Grattant avec ferveur les cordes sous mes doigts
J'entonnai "le Gorille" avec "Putain de toi"

Criant à l'imposteur, au traître, au papelard
Ell's veul'nt me fair' subir le supplic' d'Abélard

Je vais grossir les rangs des muets du sérail
Les bell's ne viendront plus se pendre à mon poitrail

Grâce à ma voix coupée j'aurai la plac' de choix
Au milieu des petits chanteurs à la croix d'bois

Attirée par le bruit, un' dam' de Charité
Leur dit: " Que faites-vous? Malheureus's arrêtez

Y a tant d'homm's aujourd'hui qui ont un penchant pervers
A prendre obstinément Cupidon à l'envers

Tant d'hommes dépourvus de leurs virils appas
A ceux qu'en ont encor' ne les enlevons pas "

Ces arguments massue firent un' grosse impression
On me laissa partir avec des ovations

Mais, su'l'chemin du ciel, je n'ferai plus un pas
La foi viendra d'ell'-même ou ell' ne viendra pas

Je n'ai jamais tué, jamais violé non plus
Y a déjà quelque temps que je ne vole plus

Si l'Eternel existe, en fin de compte, il voit
Qu'je m'conduis guèr' plus mal que si j'avais la foi

Le mérinos

Paroles: Georges Brassens

Oh non! tu n'es pas à la noce
Ces temps-ci, pauvre vieux mérinos.
Si le Rhône est empoisonné,
C'est toi qu'on veut incriminer.
Les poissons morts, on te les doit,
Bête damnée, à cause de toi,
Tous les abreuvoirs sont croupis
Et les poules ont la pépie.

C'est moi qui suis l'enfant de salaud,
Celui qui fait des ronds dans l'eau,
Mais comme j'ai pas mal de culot,
Je garde la tête bien haute.
Car si l'eau qui coule sous les ponts
D'Avignon, Beaucaire et Tarascon,
N'a pas toujours que du bon
Mon Dieu! c'est pas ma faute.

Plus de naïades chevelues,
Et plus de lavandières non plus,
Tu fais sombrer sans t'émouvoir
L'armada des bateaux lavoirs.
Et le curé de Cucugnan
Baptise le monde en se plaignant
Que les eaux de son bénitier
Ne protègent plus qu'à moitié.

A la fontaine de Vaucluse,
Plus moyen d'taquiner les muses
Vers d'autres bords elles ont fui
Et les Pétrarques ont suivi.
Si la fontaine de Jouvence
Ne fait plus d'miracle en Provence,
Lave plus l'injure du temps,
C'est ton œuvre, gros dégoûtant!

Oh non! Tu n'es pas à la noce
Ces temps-ci, pauvre vieux mérinos,
On veut te mettre le fardeau
Des plaies d' l'Egypte sur le dos.
On te dénie le sens civique
Mais calme, fier, serein, magnifique,
Tu traites tout ça par dessous
La jambe. Et puis baste! Et puis zou!

Le modeste

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

Les pays, c'est pas ça qui manque,
On vient au monde à Salamanque
A Paris, Bordeaux, Lille, Brest(e).
Lui, la nativité le prit
Du côté des Saintes-Maries,
C'est un modeste.

Comme jadis a fait un roi,
Il serait bien fichu, je crois,
De donner le trône et le reste
Contre un seul cheval camarguais
Bancal, vieux, borgne, fatigué,
C'est un modeste.

Suivi de son pin parasol,
S'il fuit sans mêm' toucher le sol
Le moindre effort comme la peste,
C'est qu'au chantier ses bras d'Hercule
Rendraient les autres ridicules,
C'est un modeste.

A la pétanque, quand il perd
Te fais pas de souci, pépère,
Si d'aventure il te conteste.
S'il te boude, s'il te rudoie,
Au fond, il est content pour toi,
C'est un modeste.

Si, quand un emmerdeur le met
En rogne, on ne le voit jamais
Lever sur l'homme une main leste.
C'est qu'il juge pas nécessaire
D'humilier un adversaire,
C'est un modeste.

Et quand il tombe amoureux fou
Y a pas de danger qu'il l'avoue
Les effusions, dame, il déteste.
Selon lui, mettre en plein soleil
Son cœur ou son cul c'est pareil,
C'est un modeste.

Quand on enterre un imbécile
De ses amis, s'il raille, s'il
A l'œil sec et ne manifeste
Aucun chagrin, t'y fie pas trop:
Sur la patate, il en a gros,
C'est un modeste.

Et s'il te traite d'étranger
Que tu sois de Naples, d'Angers
Ou d'ailleurs, remets pas la veste.
Lui, quand il t'adopte, pardi!
Il veut pas que ce soit le dit,
C'est un modeste.

Si tu n'as pas tout du grimaud,
Si tu sais lire entre les mots,
Entre les faits, entre les gestes.
Lors, tu verras clair dans son jeu,
Et que ce bel avantageux,
C'est un modeste.

Le mouton de Panurge

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

Elle n'a pas encor de plumes
La flèch' qui doit percer son flanc
Et dans son cœur rien ne s'allume
Quand elle cède à ses galants
Elle se rit bien des gondoles
Des fleurs bleues, des galants discours
Des Vénus de la vieille école
Cell's qui font l'amour par amour

N'allez pas croire davantage
Que le démon brûle son corps
Il s'arrête au premier étage
Son septième ciel, et encor
Elle n'est jamais langoureuse
Passée par le pont des soupirs
Et voit comm' des bêtes curieuses
Cell's qui font l'amour par plaisir

Croyez pas qu'elle soit à vendre
Quand on l'a mise sur le dos
On n'est pas tenu de se fendre
D'un somptueux petit cadeau
Avant d'aller en bacchanale
Ell' présente pas un devis
Ell' n'a rien de ces bell's vénales
Cell's qui font l'amour par profit

Mais alors, pourquoi cède-t-elle
Sans cœur, sans lucre, sans plaisir
Si l'amour vaut pas la chandelle
Pourquoi le joue-t-elle à loisir
Si quiconque peut, sans ambages
L'aider à dégrafer sa rob'
C'est parc' qu'ell' veut être à la page
Que c'est la mode et qu'elle est snob

Mais changent coutumes et filles
Un jour, peut-être, en son sein nu
Va se planter pour tout' la vie
Une petite flèch' perdue
On n'verra plus qu'elle en gondole
Elle ira jouer, à son tour
Les Vénus de la vieille école
Cell's qui font l'amour par amour

Le moyenâgeux

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

Le seul reproche, au demeurant,
Qu'aient pu mériter mes parents,
C'est d'avoir pas joué plus tôt
Le jeu de la bête à deux dos.
Je suis né, même pas bâtard,
Avec cinq siècles de retard.
Pardonnez-moi, Prince, si je
Suis foutrement moyenâgeux.

Ah! que n'ai-je vécu, bon sang!
Entre quatorze et quinze cent.
J'aurais retrouvé mes copains
Au Trou de la pomme de pin,
Tous les beaux parleurs de jargon,
Tous les promis de Montfaucon,
Les plus illustres seigneuries
Du royaum' de truanderie.

Après une franche repue,
J'eusse aimé, toute honte bue,
Aller courir le cotillon
Sur les pas de François Villon,
Troussant la gueuse et la forçant
Au cimetièr' des Innocents,
Mes amours de ce siècle-ci
N'en aient aucune jalousie…

J'eusse aimé le corps féminin
Des nonnettes et des nonnains
Qui, dans ces jolis tamps bénis,
Ne disaient pas toujours " nenni ",
Qui faisaient le mur du couvent,
Qui, Dieu leur pardonne! souvent,
Comptaient les baisers, s'il vous plaît,
Avec des grains de chapelet.

Ces p'tit's sœurs, trouvant qu'à leur goût
Quatre Evangil's c'est pas beaucoup,
Sacrifiaient à un de plus:
L'évangile selon Vénus.
Témoin: l'abbesse de Pourras,
Qui fut, qui reste et restera
La plus glorieuse putain
De moines du quartier Latin.

A la fin, les anges du guet
M'auraient conduit sur le gibet.
Je serais mort, jambes en l'air,
Sur la veuve patibulaire,
En arrosant la mandragore,
L'herbe aux pendus qui revigore,
En bénissant avec les pieds
Les ribaudes apitoyées.

Hélas! tout ça, c'est des chansons.
Il faut se faire une raison.
Les choux-fleurs poussent à présent
Sur le charnier des Innocents.
Le Trou de la pomme de pin
N'est plus qu'un bar américain.
Y a quelque chose de pourri
Au royaum' de truanderie.

Je mourrai pas à Montfaucon,
Mais dans un lit, comme un vrai con,
Je mourrai, pas même pendard,
Avec cinq siècles de retard.
Ma dernière parole soit
Quelques vers de Maître François,
Et que j'emporte entre les dents
Un flocon des neiges d'antan…

Ma dernière parole soit
Quelques vers de Maître François…
Pardonnez-moi, Prince, si je
Suis foutrement moyenâgeux.

Le myosotis

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

Quand tu partis, quand
Tu levas le camp
Pour suivre les pas
De ton vieux nabab,
De peur qu' je n' sois triste,
Tu allas chez l' fleuriste
Quérir un' fleur bleue,
Un petit bouquet d'adieu,
Bouquet d'artifice;
Un myosotis,
En disant tout bas
Ne m'oubliez pas.

Afin d'avoir l'heur'
De parler de toi,
J'appris à la fleur
Le langag' françois.
Sitôt qu'elles causent
Paraît que les roses
Murmurent toujours
Trois ou quatre mots d'amour.
Les myosotis
Eux autres vous dis'nt,
Vous disent tout bas:
Ne m'oubliez pas.

Les temps ont passé.
D'autres fiancées,
Parole d'honneur,
M'offrir'nt le bonheur.
Dès qu'une bergère
Me devenait chère,
Sortant de son pot
Se dressant sur ses ergots
Le myosotis
Braillait comme dix
Pour dire "Hé là-bas,
Ne m'oubliez pas."

Un jour Dieu sait quand,
Je lèv'rai le camp,
Je m'envol'rai vers
Le ciel ou l'enfer.
Que mes légataires,
Mes testamentaires,
Aient l'extrême bonté,
Sur mon ventre de planter
Ce sera justic'
Le myosotis
Qui dira tout bas:
Ne m'oubliez pas.

Si tu vis encor',
Petite pécor',
Un d' ces quat' jeudis,
Viens si l'cœur t'en dit
Au dernier asile
De cet imbécile
Qui a gâché son cœur,
Au nom d'une simple fleur.
Y a neuf chanc's sur dix
Qu' le myosotis
Te dise tout bas:
Ne m'oubliez pas.

Le nombril des femmes d'agents

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1956

Voir le nombril d'la femm' d'un flic
N'est certain'ment pas un spectacle
Qui, du point d'vue de l'esthétiqu'
Puiss' vous élever au pinacle
Il y eut pourtant, dans l'vieux Paris
Un honnête homme sans malice
Brûlant d'contempler le nombril
D'la femm' d'un agent de police

"Je me fais vieux, gémissait-il
Et, durant le cours de ma vie
J'ai vu bon nombre de nombrils
De toutes les catégories
Nombrils d'femm's de croqu'-morts, nombrils
D'femm's de bougnats, d'femm's de jocrisses
Mais je n'ai jamais vu celui
D'la femm' d'un agent de police"

"Mon père a vu, comm' je vous vois
Des nombrils de femm's de gendarmes
Mon frère a goûté plus d'une fois
D'ceux des femm's d'inspecteurs les charmes
Mon fils vit le nombril d'la souris
D'un ministre de la Justice
Et moi, j'n'ai même pas vu l'nombril
D'la femm' d'un agent de police"

Ainsi gémissait en public
Cet honnête homme vénérable
Quand la légitime d'un flic
Tendant son nombril secourable
Lui dit: "Je m'en vais mettre fin
A votre pénible supplice
Vous fair' voir le nombril enfin
D'la femm' d'un agent de police"

"Alleluia! fit le bon vieux
De mes tourments voici la trêve!
Grâces soient rendues au Bon Dieu
Je vais réaliser mon rêve!"
Il s'engagea, tout attendri
Sous les jupons d'sa bienfaitrice
Braquer ses yeux sur le nombril
D'la femm' d'un agent de police

Mais, hélas! il était rompu
Par les effets de sa hantise
Et comme il atteignait le but
De cinquante ans de convoitise
La mort, la mort, la mort le prit
Sur l'abdomen de sa complice
Il n'a jamais vu le nombril
D'la femm' d'un agent de police

Le parapluie

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1952

Il pleuvait fort sur la grand-route
Ell' cheminait sans parapluie
J'en avais un, volé, sans doute
Le matin même à un ami
Courant alors à sa rescousse
Je lui propose un peu d'abri
En séchant l'eau de sa frimousse
D'un air très doux, ell' m'a dit " oui "

Un p'tit coin d'parapluie
Contre un coin d'paradis
Elle avait quelque chos' d'un ange
Un p'tit coin d'paradis
Contre un coin d'parapluie
Je n'perdais pas au chang', pardi

Chemin faisant, que ce fut tendre
D'ouïr à deux le chant joli
Que l'eau du ciel faisait entendre
Sur le toit de mon parapluie
J'aurais voulu, comme au déluge
Voir sans arrêt tomber la pluie
Pour la garder, sous mon refuge
Quarante jours, quarante nuits

Un p'tit coin d'parapluie
Contre un coin d'paradis
Elle avait quelque chos' d'un ange
Un p'tit coin d'paradis
Contre un coin d'parapluie
Je n'perdais pas au chang', pardi

Mais bêtement, même en orage
Les routes vont vers des pays
Bientôt le sien fit un barrage
A l'horizon de ma folie
Il a fallu qu'elle me quitte
Après m'avoir dit grand merci
Et je l'ai vue toute petite
Partir gaiement vers mon oubli

Un p'tit coin d'parapluie
Contre un coin d'paradis
Elle avait quelque chos' d'un ange
Un p'tit coin d'paradis
Contre un coin d'parapluie
Je n'perdais pas au chang', pardi

Le Père Noël et la petite fille

Paroles et Musique: Georges Brassens 1960

Avec sa hotte sur le dos
Avec sa hotte sur le dos
Avec sa hotte sur le dos
Il s'en venait d'Eldorado
Il s'en venait d'Eldorado
Il avait une barbe blanche
Il avait nom "Papa Gâteau"

Il a mis du pain sur ta planche
Il a mis les mains sur tes hanches

Il t'a prom'née dans un landeau
Il t'a prom'née dans un landeau
En route pour la vie d'château
En route pour la vie d'château
La belle vie dorée sur tranche
Il te l'offrit sur un plateau

Il a mis du grain dans ta grange
Il a mis les mains sur tes hanches

Toi qui n'avais rien sur le dos
Toi qui n'avais rien sur le dos
Il t'a couverte de manteaux
Il t'a couverte de manteaux
Il t'a vêtue comme un dimanche
Tu n'auras pas froid de sitôt

Il a mis l'hermine à ta hanche
Il a mis les mains sur tes hanches

Tous les camées, tous les émaux
Tous les camées, tous les émaux
Il les fit pendre à tes rameaux
Il les fit pendre à tes rameaux
Il fit rouler en avalanches
Perles et rubis dans tes sabots

Il a mis de l'or à ta branche
Il a mis les mains sur tes hanches

Tire la bell', tir' le rideau
Tire la bell', tir' le rideau
Sur tes misères de tantôt
Sur tes misères de tantôt
Et qu'au-dehors il pleuve, il vente
Le mauvais temps n'est plus ton lot

Le joli temps des coudées franches
On a mis les mains sur tes hanches

Le petit cheval

Paroles: poème de Paul Fort. Musique: Georges Brassens 1952

Le petit cheval dans le mauvais temps
Qu'il avait donc du courage!
C'était un petit cheval blanc
Tous derrière, tous derrière!
C'était un petit cheval blanc
Tous derrière et lui devant

Il n'y avait jamais de beau temps
Dans ce pauvre paysage
Il n'y avait jamais de printemps
Ni derrière, ni derrière!
Il n'y avait jamais de printemps
Ni derrière ni devant

Mais toujours il était content
Menant les gars du village
A travers la pluie noire des champs
Tous derrière, tous derrière!
A travers la pluie noire des champs
Tous derrière et lui devant

Sa voiture allait poursuivant
Sa belle petite queue sauvage
C'est alors qu'il était content
Eux derrière, eux derrière!
C'est alors qu'il était content
Eux derrière et lui devant

Mais un jour, dans le mauvais temps
Un jour qu'il était si sage
Il est mort par un éclair blanc
Tous derrière, tous derrière!
Il est mort par un éclair blanc
Tous derrière et lui devant

Il est mort sans voir le beau temps
Qu'il avait donc du courage!
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière, ni derrière!
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière ni devant

Le petit joueur de flûteau

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

Le petit joueur de flûteau
Menait la musique au château
Pour la grâce de ses chansons
Le roi lui offrit un blason
Je ne veux pas être noble
Répondit le croque-note
Avec un blason à la clé
Mon la se mettrait à gonfler
On dirait par tout le pays
Le joueur de flûte a trahi

Et mon pauvre petit clocher
Me semblerait trop bas perché
Je ne plierais plus les genoux
Devant le bon Dieu de chez nous
Il faudrait à ma grande âme
Tous les saints de Notre-Dame
Avec un évêque à la clé
Mon la se mettrait à gonfler
On dirait par tout le pays
Le joueur de flûte a trahi

Et la chambre où j'ai vu la jour
Me serait un triste séjour
Je quitterai mon lit mesquin
Pour une couche à baldaquin
Je changerais ma chaumière
Pour une gentilhommière
Avec un manoir à la clé
Mon la se mettrait à gonfler
On dirait par tout le pays
Le joueur de flûte a trahi

Je serai honteux de mon sang
Des aïeux de qui je descends
On me verrait bouder dessus
La branche dont je suis issu
Je voudrais un magnifique
Arbre généalogique
Avec du sang bleu a la clé
Mon la se mettrait à gonfler
On dirait par tout le pays
Le joueur de flûte a trahi

Je ne voudrais plus épouser
Ma promise, ma fiancée
Je ne donnerais pas mon nom
A une quelconque Ninon
Il me faudrait pour compagne
La fille d'un grand d'Espagne
Avec un' princesse à la clé
Mon la se mettrait à gonfler
On dirait par tout le pays
Le joueur de flûte a trahi

Le petit joueur de flûteau
Fit la révérence au château
Sans armoiries, sans parchemin
Sans gloire il se mit en chemin
Vers son clocher, sa chaumine
Ses parents et sa promise
Nul ne dise dans le pays
Le joueur de flûte a trahi
Et Dieu reconnaisse pour sien
Le brave petit musicien

Le petit voilier

Paroles: Hornez, Misraki

C'était un petit tout petit voilier
Un petit bateau de pêche
On l'avait bâti d'un bout de papier
Et d'un vieux noyau de pêche
Dans un petit port entre deux roseaux
On l'avait mis à l'amarre
Il appareillait dès qu'il faisait beau
Pour naviguer sur la mare

Mais un jour le petit bateau fit un rêve
A son tour il voulut entreprendre un voyage au long cours
Alors il s'en fut magnifiquement
Tout là bas vers les tropiques
La vie qu'il menait lui donnait vraiment
Des idées misanthropiques

En l'apercevant chaque nénuphar
Craignait qu'un malheur n'arrive
Et le ver luisant qui servait de phare
Lui criait rejoins la rive
Mais il répondit d'un air malséant
Je ne crains pas les déboires
Aussi bien le fleuve et les océans
Ce n'est pas la mer à boire

Quel plaisir de voguer ainsi sur les ondes
Quel plaisir de pouvoir naviguer au gré de son désir
Le ciel est tout bleu et le vent léger
Tous ces braves gens divaguent
Je me moque bien d'ailleurs du danger
Car je n'ai pas peur des vagues

Il ne savait pas qu'à côté de lui
Un canard faisait trempette
Pour notre bateau qui était si petit
Cela fit une tempête
Et rapidement je vous en réponds
Les événements se gâtent
L'eau s'est engouffrée dans les entreponts
Adieu la jolie frégate

Sauve qui peut criait le navire en détresse
Sauve qui peut je ne vais plus jamais revoir le beau ciel bleu
Et tout en pleurant sa vie d'autrefois
Le petit bateau chavire
Ça prouve qu'il faut demeurer chez soi
Quand on n'est qu'un petit navire

Le petit-fils d'Oedipe

Paroles: Georges Brassens

Papa m'envoie quérir cent sous de mortadelle.
Empochant la monnaie, moi je file au bordel.

"Où vas-tu mon garçon de cette' allur' fougueuse?"
Me lance grand'maman. "Je vais courir la gueuse."

"Il est inconvenant de fréquenter les putes.
Tu m'en donn's la moitié, juste et tu me culbutes."

"Quoique j'atteigne hélas un âge canonique,
A bien des jeun's au pieu je fais encor' la nique."

"D'abord ça te permet quelques économies,
Et puis le patrimoine sort pas de la famille."

J' tends mes deux francs cinquante à cette bonne vieille;
Ce fut un' bonn' affaire: ell' baisait à merveille.

Le père, à mon retour, me demande: "Où est-elle?"
Le bâfreur attendait son bout de mortadelle.

En voyant la portion que je mis sur la table,
L'auteur d' mes jours poussa des cris épouvantables.

Il parlait de botter dans la région fessière
Cell' qui n'en pouvait mais, la gente saucissière.

Il ouvrit un museau de carpe suffocante,
Quand il connut l'emploi des aut's deux francs cinquante.

"T'as baisé ma maman, petit énergumène."
"T'avais qu'à commencer par pas baiser la mienne."

Mon argumentation vous lui coupa la chique
Les Français ne résistent pas à la logique.

Depuis, bibliquement, jusqu'à c' qu'ell' rende l'âme,
Je connais ma grand'mère et baste à qui me blâme.

Quand la hausse des cours devient extravagante,
Mémé bloque son prix: toujours deux francs cinquante.

Mais si mon père est pris d'un' fringale de saucisse,
Il va l'acheter lui-même, excellent exercice!

Du coup j'ai plus d'argent; de peur que je n'en vole,
Grand'mèr' m'accorde alors ses faveurs bénévoles.

Pour qu' la moral' soit sauve et qu' la chanson finisse,
j'bais' grand'mère à l'œil; le bon Dieu la bénisse!

Le pince-fesses

Paroles: Georges Brassens

Pour deux ou trois chansons, lesquell's je le confesse
Sont discutables sous le rapport du bon goût,
J'ai la réputation d'un sacré pince-fesses
Mais c'est une légende, et j'en souffre beaucoup.

{Refrain:}

Les fesses, ça me plaît, je n' crains pas de le dire,
Sur l'herbe tendre j'aime à les faire bondir.
Dans certains cas, je vais jusqu'à les botter mais
Dieu m'est témoin que je ne les pince jamais.

En me voyant venir, femmes, filles, fillettes,
Au fur et à mesure avec des cris aigus,
Courent mettre en lieu sûr leurs fesses trop douillettes,
Suivies des jeunes gens aux rondeurs ambiguës.

Quand une bonne sœur m'invite entre deux messes
A lui pincer la croupe infidèle à Jésus,
Pour chasser le démon qui habite ses fesses,
Je lui vide un grand verre d'eau bénite dessus.

En revanche, si la même enlevant son cilice
Et me montrant ses reins me dit: "J'ai mal ici:
Embrassez-moi, de grâce arrêtez mon supplice!"
Je m'exécute en parfait chrétien que je suis.

Quand me courant après, la marchande d'hosties
Me prie d'épousseter les traces que les doigts
Des mitrons ont laissées sur sa chair rebondie,
Je la brosse: un Français se doit d'être courtois!

Et quand, à la kermesse, un' belle pratiquante
M'appelle à son secours pour s'être enfoncé dans
Sa fesse maladroite une herbe un peu piquante,
Je ne ménage ni mes lèvres ni mes dents.

Cert's, un jour, j'ai pincé l'éminence charnue
A une moribonde afin de savoir si
Elle vivait encore: une gifle est venue
Me prouver qu'elle n'était qu'en catalepsie.

Enfin, si désormais quelqu'une de vos proches
Affirme en vous montrant son cul couvert de bleus,
Qu' c'est moi qui les ai faits, avec mes pattes croches,

En doute révoquez ses propos scandaleux.

Le pluriel

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

" Cher monsieur, m'ont-ils dit, vous en êtes un autre ",
Lorsque je refusai de monter dans leur train.
Oui, sans doute, mais moi, j'fais pas le bon apôtre,
Moi, je n'ai besoin de personn' pour en être un.

Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on
Est plus de quatre on est une bande de cons.
Bande à part, sacrebleu! c'est ma règle et j'y tiens.
Dans les noms des partants on n'verra pas le mien.

Dieu! que de processions, de monomes, de groupes,
Que de rassemblements, de cortèges divers, –
Que de ligu's, que de cliqu's, que de meut's, que de troupes!
Pour un tel inventaire il faudrait un Prévert.

Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on
Est plus de quatre on est une bande de cons.
Bande à part, sacrebleu! c'est ma règle et j'y tiens.
Parmi les cris des loups on n'entend pas le mien.

Oui, la cause était noble, était bonne, était belle!
Nous étions amoureux, nous l'avons épousée.
Nous souhaitions être heureux tous ensemble avec elle,
Nous étions trop nombreux, nous l'avons défrisée.

Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on
Est plus de quatre on est une bande de cons.
Bande à part, sacrebleu! c'est ma règle et j'y tiens.
Parmi les noms d'élus on n'verra pas le mien.

Je suis celui qui passe à côté des fanfares
Et qui chante en sourdine un petit air frondeur.
Je dis, à ces messieurs que mes notes effarent:
" Tout aussi musicien que vous, tas de bruiteurs! "

Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on
Est plus de quatre on est une bande de cons.
Bande à part, sacrebleu! c'est ma règle et j'y tiens.
Dans les rangs des pupitr's on n'verra pas le mien.

Pour embrasser la dam', s'il faut se mettre à douze,
J'aime mieux m'amuser tout seul, cré nom de nom!
Je suis celui qui reste à l'écart des partouzes.
L'obélisque est-il monolithe, oui ou non?

Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on
Est plus de quatre on est une bande de cons.
Bande à part, sacrebleu! c'est ma règle et j'y tiens.
Au faisceau des phallus on n'verra pas le mien.

Pas jaloux pour un sou des morts des hécatombes,
J'espère être assez grand pour m'en aller tout seul.
Je ne veux pas qu'on m'aide à descendre à la tombe,
Je partage n'importe quoi, pas mon linceul.

Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on
Est plus de quatre on est une bande de cons.
Bande à part, sacrebleu! c'est ma règle et j'y tiens.
Au faisceau des tibias on n'verra pas les miens.

Le pornographe

Paroles et Musique: Georges Brassens 1958

autres interprètes: Marcel et son Orchestre

Autrefois, quand j'étais marmot
J'avais la phobie des gros mots
Et si j'pensais " merde " tout bas
Je ne le disais pas
Mais
Aujourd'hui que mon gagne-pain
C'est d'parler comme un turlupin
Je n'pense plus " merde ", pardi
Mais je le dis

R:

J'suis l'pornographe
Du phonographe
Le polisson
De la chanson

Afin d'amuser la gal'rie
Je crache des gauloiseries
Des pleines bouches de mots crus
Tout à fait incongrus
Mais
En m'retrouvant seul sous mon toit
Dans ma psyché j'me montre au doigt
Et m'crie: " Va t'faire, homme incorrec'
Voir par les Grecs "

+R:

Tous les sam'dis j'vais à confess'
M'accuser d'avoir parlé d'fess's
Et j'promets ferme au marabout
De les mettre tabou
Mais
Craignant, si je n'en parle plus
D'finir à l'Armée du Salut
Je r'mets bientôt sur le tapis
Les fesses impies

+R:

Ma femme est, soit dit en passant
D'un naturel concupiscent
Qui l'incite à se coucher nue
Sous le premier venu
Mais
M'est-il permis, soyons sincèr's
D'en parler au café-concert
Sans dire qu'elle a, suraigu
Le feu au cul?

+R:

J'aurais sans doute du bonheur
Et peut-être la Croix d'Honneur
A chanter avec décorum
L'amour qui mène à Rom'
Mais
Mon ang' m'a dit: " Turlututu
Chanter l'amour t'est défendu
S'il n'éclôt pas sur le destin
D'une putain "

+R:

Et quand j'entonne, guilleret
A un patron de cabaret
Une adorable bucolique
Il est mélancolique
Et
Me dit, la voix noyée de pleurs
" S'il vous plaît de chanter les fleurs
Qu'ell's poussent au moins rue Blondel
Dans un bordel "

+R:

Chaque soir avant le dîner
A mon balcon mettant le nez
Je contemple les bonnes gens
Dans le soleil couchant
Mais
N'me d'mandez pas d'chanter ça, si
Vous redoutez d'entendre ici
Que j'aime à voir, de mon balcon
Passer les cons

+R:

Les bonnes âmes d'ici bas
Comptent ferme qu'à mon trépas
Satan va venir embrocher
Ce mort mal embouché
Mais
Mais veuille le grand manitou
Pour qui le mot n'est rien du tout
Admettre en sa Jérusalem
A l'heure blême

Le pornographe
Du phonographe
Le polisson
De la chanson

Le progrès

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

Que le progrès soit salutaire,
C'est entendu, c'est entendu.
Mais ils feraient mieux de se taire,
Ceux qui dis'nt que le presbytère
De son charme du vieux temps passé n'a rien perdu,
N'a rien perdu.

Supplantés par des betteraves,
Les beaux lilas! les beaux lilas!
Sans mentir, il faut être un brave
Fourbe pour dire d'un ton grave,
Que le jardin du curé garde tout son éclat,
Tout son éclat.

Entre les tours monumentales
Toujours croissant, toujours croissant,
Qui cherche sa maison natale
Se perd comme dans un dédale.
Au mal du pays, plus aucun remède à présent,
Remède à présent.

C'est de la malice certaine,
C'est inhumain! c'est inhumain!
Ils ont asséché la fontaine
Où les belles samaritaines
Nous faisaient boire, en été, l'eau fraîche dans leurs mains,
Fraîche dans leurs mains.

Ils ont abattu, les vandales,
Et sans remords, et sans remords,
L'arbre couvert en capitales
De noms d'amants: c'est un scandale!
Les amours mort's n'ont plus de monuments aux morts,
Monuments aux morts.

L'a fait des affaires prospères,
Le ferrailleur, le ferrailleur,
En fauchant les vieux réverbères.
Maintenant quand on désespère,
On est contraint et forcé d'aller se pendre ailleurs,
Se pendre ailleurs.

Et c'est ce que j'ai fait sur l'heure,
Et sans délai, et sans délai.
Le coq du clocher n'est qu'un leurre,
Une girouette de malheur(e).
Ingrate patrie, tu n'auras pas mes feux follets,
Mes feux follets.

Que le progrès soit salutaire,
C'est entendu, c'est entendu.
Mais ils feraient mieux de se taire,
Ceux qui dis'nt que le presbytère
De son charme du vieux temps passé n'a rien perdu,
N'a rien perdu.

Le revenant

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

Calme, confortable, officiel,
En un mot résidentiel,
Tel était le cimetière où
Cet imbécile avait son trou.

Comme il ne reconnaissait pas
Le bien-fondé de son trépas,
L'a voulu faire – aberration! –
Sa petite résurrection.

Les vieux morts, les vieux "ici-gît",
Les braves sépulcres blanchis,
Insistèrent pour qu'il revînt
Sur sa décision mais en vain.

L'ayant astiquée, il remit
Sur pied sa vieille anatomie,
Et tout pimpant, tout satisfait,
Prit la clef du champ de navets.

Chez lui s'en étant revenu,
Son chien ne l'a pas reconnu
Et lui croque en deux coups de dents
Un des os les plus importants.

En guise de consolation,
Pensa faire une libation,
Boire un coup de vin généreux,
Mais tous ses tonneaux sonnaient creux.

Quand dans l'alcôve il est entré
Embrasser sa veuve éplorée,
Il jugea d'un simple coup d'œil
Qu'elle ne portait plus son deuil.

Il la trouve se réchauffant
Avec un salaud de vivant,
Alors chancelant dans sa foi
Mourut une seconde fois.

La commère au potron-minet
Ramassa les os qui traînaient
Et pour une bouchée de pain
Les vendit à des carabins.

Et, depuis lors, ce macchabée,
Dans l'amphithéâtre tombé,
Malheureux, poussiéreux, transi,
Chante: "Ah! ce qu'on s'emmerde ici"!

Le Roi

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

Non certe',elle n'est pas bâtie,
Non certe',elle n'est pas bâtie
Sur du sable,sa dynastie,
Sur du sable,sa dynastie.

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le roi des cons.

Il peut dormir,ce souverain,
Il peut dormir,ce souverain,
Sur ses deux oreilles,serein,
Sur ses deux oreilles,serein.

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le roi des cons.

Je,tu,il,elle,nous,vous,ils,
Je,tu,il,elle,nous,vous,ils,
Tout le monde le suit,docil',
Tout le monde le suit,docil'.

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le roi des cons.

Il est possible,au demeurant,
Il est possible,au demeurant,
Qu'on déloge le shah d'Iran,
Qu'on déloge le shah d'Iran,

Mais il y a peu de chances qu'on
Détrône le roi des cons.

Qu'un jour on dise:"C'est fini",
Qu'un jour on dise:"C'est fini"
Au petit roi de Jordani',
Au petit roi de Jordani',

Mais il y a peu de chances qu'on
Détrône le roi des cons.
Qu'en Abyssinie on récus',
Qu'en Abyssinie on récus',
Le roi des rois,le bon Négus,
Le roi des rois,le bon Négus,

Mais il y a peu de chances qu'on
Détrône le roi des cons.

Que,sur un air de fandango,
Que,sur un air de fandango,
On congédi' le vieux Franco,
On congédi' le vieux Franco,

Mais il y a peu de chances qu'on
Détrône le roi des cons
Que la couronne d'Angleterre,
Que la couronne d'Angleterre,
Ce soir,demain,roule par terre,
Ce soir,demain,roule par terre,

Mais il y a peu de chances qu'on
Détrône le roi des cons.

Que, ça c'est vu dans le passé,
Que,ça c'est vu dans le passé,
Marianne soit renversé'
Marianne soit renversé'

Mais il y a peu de chances qu'on
Détrône le roi des cons.

Le Roi boiteux

Paroles: Georges Brassens

Un roi d'Espagne, ou bien de France,
Avait un cor, un cor au pied;
C'etait au pied gauche, je pense;
Il boitait aù faire pitie.

Les courtisans, espace adroite,
S'appliquerent aù limiter,
Et qui de gauche, qui de droite,
Il apprirent tous aù boiter.

On vit bientot le bénéfice
Que cette mode rapportait;
Et de l'antichambre aù l'office,
Tout le monde boitait,boitait.

Un jour, un seigneur de province,
Oubliant son nouveau métier,
Vint aù passer devant le prince,
Ferme et droit comme un peuplier.

Tout le monde se mit aù rire,
Excepté le roi qui, tout bas,
Murmura:"Monsieur,qu'est-ce aù dire?
Je crois que vous ne boitez pas."

"Sire, quelle erreur est la votre!
Je suis crible de cors; voyez:
Si je marche plus droit qu'un autre,
C'est que je boite des deux pieds."

Le roi des cons

Paroles et Musique: Georges Brassens

Non certes elle n'est pas bâtie
Non certes elle n'est pas bâtie
Non certes elle n'est pas bâtie
Sur du sable sa dynastie
Sur du sable sa dynastie

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le Roi des cons.

Il peut dormir ce souverain
Il peut dormir ce souverain
Sur ses deux oreilles serein
Sur ses deux oreilles serein

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le Roi des cons.

Je tu il elle nous vous ils
Je tu il elle nous vous ils
Tout le monde le suit docil'
Tout le monde le suit docil'

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le Roi des cons.

Il est possible au demeurant
Il est possible au demeurant
Qu'on déloge le Shah d'Iran
Qu'on déloge le Shah d'Iran

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le Roi des cons.

Qu'un jour on dise c'est fini
Qu'un jour on dise c'est fini
Au petit Roi de Jordanie
Au petit Roi de Jordanie

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le Roi des cons.

Qu'en Abyssinie on recuse
Qu'en Abyssinie on recuse
Le Roi des Rois le bon Négus
Le Roi des Rois le bon Négus

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le Roi des cons.

Que sur un air de fandango
Que sur un air de fandango
On congédie le vieux Franco
On congédie le vieux Franco

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le Roi des cons.

Que la couronne d'Angleterre
Que la couronne d'Angleterre
Ce soir roule par terre
Ce soir roule par terre

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le Roi des cons.

Que ça c'est vu dans le passé
Que ça c'est vu dans le passé
Marianne soit renversée
Marianne soit renversée

Il y a peu de chances qu'on
Détrône le Roi des cons.

Le sein de chair et le sein de bois

Paroles: Georges Brassens

Après avoir fait son devoir de mère,
Gorgé de lait notre dernier blanc-bec,
Ma femme constata, surprise amère,
Qu'il avait tété la mamelle avec.
Le cœur rongé, c'est le cas de le dire,
La malheureuse criait comme un putois.
Le lendemain, pour calmer son délire,
Je lui fis faire un nouveau sein de bois.

Imaginez le trouble qui fut nôtre
Quand ma femm' m'ayant demandé: "Dis-moi
Quel est le faux" je lui désignai l'autre,
Le vrai, celui qui n'était pas en bois.
Ivres de joie, nous ne pouvions comprendre
Qu' cett' ressemblance allait nous coûter cher,
Que nous allions bientôt pâtir de prendre
Le sein de bois pour le vrai sein de chair.

Une nuit, dans la conjugale couche,
Tourmenté par le démon de Vénus,
Je me jetai sur ma femme et, farouche,
Vous la fis mettre in naturalibus.
Lui promenant la main sur l'épiderme,
Je m'écrai, le cœur vibrant d'émoi:
"Oh mon amie, que votre sein est ferme!
– Ça se comprend, dit-elle, il est en bois."

Comme au cours d'une scène épouvantable
Elle m'avait bassement insulté,
Prenant un kriss qui traînait sur la table
J' fis l' simulacre de la poignarder.
Persuadé qu' c'était son sein postiche
Qui allait essuyer le choc du fer,
J'y vais d'une main ferme et le lui fiche
Jusqu'à la garde dans le sein de chair.

Un célèbre disciple d'Esculape
Lui ayant proprement bouché ce trou,
En quelques jours ma femme se retape
Et reprend son beau rôle de nounou.
Epouvanté par la frimousse étique
Du nourrisson, j'enquête et m'aperçois
Que si le pauvre gosse est squelettique,
C'est qu'ell' lui fait téter le sein de bois.

Ce fut l'ultime erreur la plus terrible:
Au cours d'un hiver extrêmement froid,
Nous avions brûlé tout le combustible
A l'exception du fameux sein de bois.
Ma pauvre femme alors, la mort dans l'âme,
Saisit un sein dans son corsage ouvert,
L'arrache et le jette en pâture aux flammes,
C'était naturellement le sein de chair…

Le temps ne fait rien à l'affaire

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1961

Quand ils sont tout neufs
Qu'ils sortent de l'œuf
Du cocon
Tous les jeunes blancs-becs
Prennent les vieux mecs
Pour des cons
Quand ils sont d'venus
Des têtes chenues
Des grisons
Tous les vieux fourneaux
Prennent les jeunots
Pour des cons
Moi, qui balance entre deux âges
J'leur adresse à tous un message

Le temps ne fait rien à l'affaire
Quand on est con, on est con
Qu'on ait vingt ans, qu'on soit grand-père
Quand on est con, on est con
Entre vous, plus de controverses
Cons caducs ou cons débutants
Petits cons d'la dernière averse
Vieux cons des neiges d'antan

Vous, les cons naissants
Les cons innocents
Les jeun's cons
Qui n'le niez pas
Prenez les papas
Pour des cons
Vous, les cons âgés
Les cons usagés
Les vieux cons
Qui, confessez-le
Prenez les p'tits bleus
Pour des cons
Méditez l'impartial message
D'un type qui balance entre deux âges

Le temps ne fait rien à l'affaire
Quand on est con, on est con
Qu'on ait vingt ans, qu'on soit grand-père
Quand on est con, on est con
Entre vous, plus de controverses
Cons caducs ou cons débutants
Petits cons d'la dernière averse
Vieux cons des neiges d'antan

Le temps passé

Paroles et Musique: Georges Brassens 1961

Dans les comptes d'apothicaire
Vingt ans, c'est un' somm' de bonheur
Mes vingt ans sont morts à la guerre
De l'autr' côté du champ d'honneur
Si j'connus un temps de chien, certes
C'est bien le temps de mes vingt ans
Cependant, je pleure sa perte
Il est mort, c'était le bon temps

Il est toujours joli, le temps passé
Un' fois qu'ils ont cassé leur pipe
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés
Les morts sont tous des braves types

Dans ta petit' mémoire de lièvre
Bécassine, il t'est souvenu
De notre amour du coin des lèvres
Amour nul et non avenu
Amour d'un sou qui n'allait, certes
Guèr' plus loin que le bout d'son lit
Cependant, nous pleurons sa perte
Il est mort, il est embelli

Il est toujours joli, le temps passé
Un' fois qu'ils ont cassé leur pipe
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés
Les morts sont tous des braves types

J'ai mis ma tenue la plus sombre
Et mon masque d'enterrement
Pour conduire au royaum' des ombres
Un paquet de vieux ossements
La terr' n'a jamais produit, certes
De canaille plus consommée
Cependant, nous pleurons sa perte
Elle est morte, elle est embaumée

Il est toujours joli, le temps passé
Un' fois qu'ils ont cassé leur pipe
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés
Les morts sont tous des braves types

Le testament

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1955

Je serai triste comme un saule
Quand le Dieu qui partout me suit
Me dira, la main sur l'épaule
"Va-t'en voir là-haut si j'y suis"
Alors, du ciel et de la terre
Il me faudra faire mon deuil
Est-il encor debout le chêne
Ou le sapin de mon cercueil

S'il faut aller au cimetière
J'prendrai le chemin le plus long
J'ferai la tombe buissonnière
J'quitterai la vie à reculons
Tant pis si les croqu'-morts me grondent
Tant pis s'ils me croient fou à lier
Je veux partir pour l'autre monde
Par le chemin des écoliers

Avant d'aller conter fleurette
Aux belles âmes des damnées
Je rêv' d'encore une amourette
Je rêv' d'encor m'enjuponner
Encore un' fois dire: "Je t'aime"
Encore un' fois perdre le nord
En effeuillant le chrysanthème
Qui est la marguerite des morts

Dieu veuill' que ma veuve s'alarme
En enterrant son compagnon
Et qu'pour lui fair' verser des larmes
Il n'y ait pas besoin d'oignon
Qu'elle prenne en secondes noces
Un époux de mon acabit
Il pourra profiter d'mes bottes
Et d'mes pantoufl's et d'mes habits

Qu'il boiv' mon vin, qu'il aim' ma femme
Qu'il fum' ma pipe et mon tabac
Mais que jamais – mort de mon âme
Jamais il ne fouette mes chats
Quoique je n'aie pas un atome
Une ombre de méchanceté
S'il fouett' mes chats, y a un fantôme
Qui viendra le persécuter

Ici-gît une feuille morte
Ici finit mon testament
On a marque dessus ma porte
"Fermé pour caus' d'enterrement"
J'ai quitté la vie sans rancune
J'aurai plus jamais mal aux dents
Me v'là dans la fosse commune
La fosse commune du temps

Le vent

Paroles et Musique: Georges Brassens 1954

autres interprètes: Les Croquants (1999)

Si, par hasard
Sur l'Pont des Arts
Tu croises le vent, le vent fripon
Prudenc', prends garde à ton jupon
Si, par hasard
Sur l'Pont des Arts
Tu croises le vent, le vent maraud
Prudent, prends garde à ton chapeau

Les jean-foutre et les gens probes
Médis'nt du vent furibond
Qui rebrouss' les bois, détrouss' les toits, retrouss' les robes
Des jean-foutre et des gens probes
Le vent, je vous en réponds
S'en soucie, et c'est justic', comm' de colin-tampon

Si, par hasard
Sur l'Pont des Arts
Tu croises le vent, le vent fripon
Prudenc', prends garde à ton jupon
Si, par hasard
Sur l'Pont des Arts
Tu croises le vent, le vent maraud
Prudent, prends garde à ton chapeau

Bien sûr, si l'on ne se fonde
Que sur ce qui saute aux yeux
Le vent semble une brut' raffolant de nuire à tout l'monde
Mais une attention profonde
Prouv' que c'est chez les fâcheux
Qu'il préfèr' choisir les victimes de ses petits jeux

Si, par hasard
Sur l'Pont des Arts
Tu croises le vent, le vent fripon
Prudenc', prends garde à ton jupon
Si, par hasard
Sur l'Pont des Arts
Tu croises le vent, le vent maraud
Prudent, prends garde à ton chapeau

Le verger du roi Louis

Paroles: Théodore de Banville. Musique: Georges Brassens

Sur ses larges bras étendus,
La forêt où s'éveille Flore,
A des chapelets de pendus
Que le matin caresse et dore.
Ce bois sombre, où le chêne arbore
Des grappes de fruits inouïs
Même chez le Turc et le More,
C'est le verger du roi Louis.

Tous ces pauvres gens morfondus,
Roulant des pensers qu'on ignore,
Dans des tourbillons éperdus
Voltigent, palpitants encore.
Le soleil levant les dévore.
Regardez-les, cieux éblouis,
Danser dans les feux de l'aurore.
C'est le verger du roi Louis.

Ces pendus, du diable entendus,
Appellent des pendus encore.
Tandis qu'aux cieux, d'azur tendus,
Où semble luire un météore,
La rosée en l'air s'évapore,
Un essaim d'oiseaux réjouis
Par-dessus leur tête picore.
C'est le verger du roi Louis.

Prince, il est un bois que décore
Un tas de pendus enfouis
Dans le doux feuillage sonore.
C'est le verger du toi Louis!

Le vieux fossile

Paroles: Georges Brassens. Musique: Marcel Amont 1957

Quand ell' passe avec ses appas,
Et qu'on ne la contemple pas,
On est un mufle un esprit bas,
Un vieux fossile.
Mais qu'on la dévore des yeux,
On est un pourceau malicieux.
Pour lui complaire, justes cieux,
C'est difficile.

Quand on ne lui fait pas la cour,
Pas le moindre galant discours,
On est un mufle sans recours,
Un vieux fossile.
Qu'on lui tienn' des propos flatteurs,
On est un fourbe, un séducteur,
Pour être juste à sa hauteur,
C'est difficile.

Quand on néglige de poser,
Sur sa bouche en cœur un baiser,
On est un mufle renforcé,
Un vieux fossile.
Qu'on aille lui sauter au cou
On récolte un' moisson de coups.
Pour faire une chose à son goût,
C'est difficile.

Quand, pétri de bons sentiments,
On l'aime platoniquement,
On est un mufle, un garnement,
Un vieux fossile.
Qu'on lui manque un peu de respect,
D'être un faune on devient suspect,
Avec elle pour être en paix,
C'est difficile.

Quand étant passé sur son corps,
L'on s'enfuit et l'on court encore,
On est un mufle de record,
Un vieux fossile.
Qu'on veuille vivre à ses côtés
Ell' crie: "vive la liberté".
Tomber juste à la vérité,
C'est difficile.

Quand elle attente à la vertu,
Qu'elle nous trompe et qu'on la tue,
On est un mufle, un être obtus,
Un vieux fossile.
Qu'on pardonne, on est à l'instant
Plat, vil, cocu, battu, content.
Pour n'être pas à contretemps,
C'est difficile.

Ceci dit, belles, je vous l'avoue
Le chemin qui mène vers vous,
J' le suivrai toujours tel un fou
Digne d'asile.
En vous faisant toujours crédit,
Car il est naturel pardi,
Que le chemin du paradis
Soit difficile,
Que le chemin du paradis
Soit difficile.

Le vieux Léon

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1958

Y a tout à l'heure
Quinze ans d'malheur
Mon vieux Léon
Que tu es parti
Au paradis
D'l'accordéon
Parti bon train
Voir si l'bastrin-
gue et la java
Avaient gardé
Droit de cité
Chez Jéhovah
Quinze ans bientôt
Qu'musique au dos
Tu t'en allais
Mener le bal
A l'amicale
Des feux follets
En cet asile
Par saint' Cécile
Pardonne-nous
De n'avoir pas
Su faire cas
De ton biniou

C'est une erreur
Mais les joueurs
D'accordéon
Au grand jamais
On ne les met
Au Panthéon
Mon vieux, tu as dû
T'contener du
Champ de navets
Sans grandes pom-
pes et sans pompons
Et sans ave
Mais les copains
Suivaient l'sapin
Le cœur serré
En rigolant
Pour fair' semblant
De n'pas pleurer
Et dans nos cœurs
Pauvre joueur
D'accordéon
Il fait ma foi
Beaucoup moins froid
Qu'au Panthéon

Depuis mon vieux
Qu'au fond des cieux
Tu as fait ton trou
Il a coulé
De l'eau sous les
Ponts de chez nous
Les bons enfants
D'la rue de Van-
ves à la Gaîté
L'un comme l'au-
tre au gré des flots
Fur'nt emportés
Mais aucun d'eux
N'a fait fi de
Son temps jadis
Tous sont restés
Du parti des
Myosotis
Tous ces pierrots
Ont le cœur gros
Mon vieux Léon
En entendant
Le moindre chant
D'accordéon

Quel temps fait-il
Chez les gentils
De l'au-delà
Les musiciens
Ont-ils enfin
Trouvé le la
Et le p'tit bleu
Est-c'que ça n'le
Rend pas meilleur
D'être servi
Au sein des vi-
gnes du Seigneur
Si d'temps en temps
Un'dam' d'antan
S'laisse embrasser
Sûr'ment papa
Que tu regrett's pas
D'être passé
Et si l'bon Dieu
Aim' tant soit peu
L'accordéon
Au firmament
Tu t'plais sûr'ment
Mon vieux Léon

Le vin

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

Avant de chanter
Ma vie, de fair' des
Harangues
Dans ma gueul' de bois
J'ai tourné sept fois
Ma langue
J'suis issu de gens
Qui étaient pas du gen-
re sobre
On conte que j'eus
La tétée au jus
D'octobre…

Mes parents on dû
M'trouver au pied d'u-
ne souche
Et non dans un chou
Comm' ces gens plus ou
Moins louches
En guise de sang
(O noblesse sans
Pareille!)
Il coule en mon cœur
La chaude liqueur
D'la treille…

Quand on est un sa-
ge, et qu'on a du sa-
voir-boire
On se garde à vue
En cas de soif, u-
ne poire
Une poire ou deux
Mais en forme de
Bonbonne
Au ventre replet
Rempli du bon lait
D'l'automne…

Jadis, aux Enfers
Cert's, il a souffert
Tantale
Quand l'eau refusa
D'arroser ses a-
mygdales
Etre assoiffé d'eau
C'est triste, mais faut
Bien dire
Que, l'être de vin
C'est encore vingt
Fois pire…

Hélas! il ne pleut
Jamais du gros bleu
Qui tache
Qu'ell's donnent du vin
J'irai traire enfin
Les vaches
Que vienne le temps
Du vin coulant dans
La Seine!
Les gens, par milliers
Courront y noyer
Leur peine…

Lèche-cocu

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

Comme il chouchoutait les maris,
Qu'il les couvrait de flatteries,
Quand il en pinçait pour leurs femmes,
Qu'il avait des cornes au cul,
On l'appelait lèche-cocu.
Oyez tous son histoire infâme.

Si l'mari faisait du bateau,
Il lui parlait de tirant d'eau,
De voiles, de mâts de misaine,
De yacht, de brick et de steamer,
Lui, qui souffrait du mal de mer
En passant les ponts de la Seine.

Si l'homme était un peu bigot,
Lui qui sentait fort le fagot,
Criblait le ciel de patenôtres,
Communiait à grand fracas,
Retirant même en certains cas
L'pain bénit d'la bouche d'un autre.

Si l'homme était sergent de ville,
En sautoir – mon Dieu, que c'est vil –
Il portait un flic en peluche,
Lui qui, sans ménager sa voix,
Criait: "Mort aux vaches" autrefois,
Même atteint de la coqueluche.

Si l'homme était un militant,
Il prenait sa carte à l'instant
Pour bien se mettre dans sa manche,
Biffant ses propres graffiti
Du vendredi, le samedi
Ceux du samedi, le dimanche.

Et si l'homme était dans l'armée,
Il entonnait pour le charmer:
"Sambre-et-Meuse" et tout le folklore,
Lui, le pacifiste bêlant
Qui fabriquait des cerfs-volants
Avec le drapeau tricolore.

Les amoureux des bancs publics

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1952

Les gens qui voient de travers
Pensent que les bancs verts
Qu'on voit sur les trottoirs
Sont faits pour les impotents ou les ventripotents
Mais c'est une absurdité
Car à la vérité
Ils sont là c'est notoire
Pour accueillir quelque temps les amours débutants

Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s'fouttant pas mal du regard oblique
Des passants honnêtes
Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s'disant des "Je t'aime" pathétiques
Ont des p'tit's gueul' bien sympatiques

Ils se tiennent par la main
Parlent du lendemain
Du papier bleu d'azur
Que revêtiront les murs de leur chambre à coucher
Ils se voient déjà doucement
Ell' cousant, lui fumant
Dans un bien-être sûr
Et choisissent les prénoms de leur premier bébé

Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s'fouttant pas mal du regard oblique
Des passants honnêtes
Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s'disant des "Je t'aime" pathétiques
Ont des p'tit's gueul' bien sympatiques

Quand la saint' famill' machin
Croise sur son chemin
Deux de ces malappris
Ell' leur décoche hardiment des propos venimeux
N'empêch' que tout' la famille
Le pèr', la mèr', la fille
Le fils, le Saint Esprit
Voudrait bien de temps en temps pouvoir s'conduir' comme eux

Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s'fouttant pas mal du regard oblique
Des passants honnêtes
Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s'disant des "Je t'aime" pathétiques
Ont des p'tit's gueul' bien sympatiques

Quand les mois auront passé
Quand seront apaisés
Leurs beaux rêves flambants
Quand leur ciel se couvrira de gros nuages lourds
Ils s'apercevront émus
Qu' c'est au hasard des rues
Sur un d'ces fameux bancs
Qu'ils ont vécu le meilleur morceau de leur amour

Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s'fouttant pas mal du regard oblique
Des passants honnêtes
Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s'disant des "Je t'aime" pathétiques
Ont des p'tit's gueul' bien sympatiques

Les amours d'antan

Paroles et Musique: Georges Brassens 1962

Moi, mes amours d'antan c'était de la grisette
Margot, la blanche caille, et Fanchon, la cousette…
Pas la moindre noblesse, excusez-moi du peu,
C'étaient, me direz-vous, des grâces roturières,
Des nymphes de ruisseau, des Vénus de barrière…
Mon prince, on a les dam's du temps jadis – qu'on peut…

Car le cœur à vingt ans se pose où l'œil se pose,
Le premier cotillon venu vous en impose,
La plus humble bergère est un morceau de roi.
Ça manquait de marquise, on connut la soubrette,
Faute de fleur de lys on eut la pâquerette,
Au printemps Cupidon fait flèche de tout bois…

On rencontrait la belle aux Puces, le dimanche:
"Je te plais, tu me plais…" et c'était dans la manche,
Et les grands sentiments n'étaient pas de rigueur.
"Je te plais, tu me plais. Viens donc beau militaire"
Dans un train de banlieue on partait pour Cythère,
On n'était pas tenu même d'apporter son cœur…

Mimi, de prime abord, payait guère de mine,
Chez son fourreur sans doute on ignorait l'hermine,
Son habit sortait point de l'atelier d'un dieu…
Mais quand, par-dessus le moulin de la Galette,
Elle jetait pour vous sa parure simplette,
C'est Psyché tout entier' qui vous sautait aux yeux.

Au second rendez-vous y' avait parfois personne,
Elle avait fait faux bond, la petite amazone,
Mais l'on ne courait pas se pendre pour autant…
La marguerite commence avec Suzette,
On finissait de l'effeuiller avec Lisette
Et l'amour y trouvait quand même son content.

C'étaient, me direz-vous, des grâces roturières,
Des nymphes de ruisseau, des Vénus de barrière,
Mais c'étaient mes amours, excusez-moi du peu,
Des Manon, des Mimi, des Suzon, des Musette,
Margot la blanche caille, et Fanchon, la cousette,
Mon prince, on a les dam's du temps jadis – qu'on peut…

Les casseuses

Paroles: Georges Brassens

Tant qu'elle a besoin du matou,
Ma chatte est tendre comme tout,
Quand elle est comblée, aussitôt
Ell' griffe, ell' mord, ell' fait l'gros dos.

{Refrain:}

Quand vous ne nous les caressez
Pas, chéries, vous nous les cassez.
Oubliez-les, si fair' se peut,
Qu'ell's se reposent.
Quand vous nous les dorlotez pas,
Vous nous les passez à tabac.
Oubliez-les, si fair' se peut,
Qu'ell's se reposent un peu,
Qu'ell's se reposent.

Enamourée, ma femme est douce,
Mes amis vous le diront tous.
Après l'étreinte, en moins de deux
Ell' r'devient un bâton merdeux.

Dans l'alcôve, on est bien reçus
Par la voisine du dessus.
Un' fois son désir assouvi,
Ingrate, ell' nous les crucifie.

Quand ell' passe en revue les zouaves
Ma sœur est câline et suave.
Dès que s'achève l'examen,
Gare à qui tombe sous sa main.

Si tout le monde en ma maison
Reste au lit plus que de raison,
C'est pas qu'on soit lubriqu's, c'est qu'il
Y a guère que là qu'on est tranquilles.

Les châteaux de sable

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

Je chante la petite guerre
Des braves enfants de naguère
Qui sur la plage ont bataillé
Pour sauver un château de sable
Et ses remparts infranchissables
Qu'une vague allait balayer.

J'en étais: l'arme à la bretelle,
Retranchés dans la citadelle,
De pied ferme nous attendions
Une cohorte sarrasine
Partie de la côte voisine
A l'assaut de notre bastion.

A cent pas de là sur la dune,
En attendant que la fortune
Des armes sourie aux vainqueurs,
Languissant d'être courtisées
Nos promises, nos fiancées
Préparaient doucement leur cœur.

Tout à coup l'Armada sauvage
Déferla sur notre rivage
Avec ses lances, ses pavois,
Pour commettre force rapines,
Et même enlever nos Sabines
Plus belles que les leurs, ma foi.

La mêlée fut digne d'Homère,
Et la défaite bien amère
A l'ennemi pourtant nombreux,
Qu'on battit à plate couture,
Qui partit en déconfiture
En déroute, en sauve-qui-peut.

Oui, cette horde de barbares
Que notre fureur désempare
Fit retraite avec ses vaisseaux,
En n'emportant pour tous trophées,
Moins que rien, deux balles crevées,
Trois raquettes, quatre cerceaux.

Après la victoire fameuse
En chantant l'air de "Sambre et Meuse"
Et de la "Marseillaise", ô gué,
On courut vers la récompense
Que le joli sexe dispense
Aux petits héros fatigués.

Tandis que tout bas à l'oreille
De nos Fanny, de nos Mireille,
On racontait notre saga,
Qu'au doigt on leur passait la bague,
Surgit une espèce de vague
Que personne ne remarqua.

Au demeurant ce n'était qu'une
Vague sans amplitude aucune,
Une vaguelette égarée,
Mais en atteignant au rivage
Elle causa plus de ravages,
De dégâts qu'un raz-de-marée.

Expéditive, la traîtresse
Investit notre forteresse,
La renversant, la détruisant.
Adieu donjon, tours et courtines,
Que quatre gouttes anodines
Avaient effacés en passant.

A quelque temps de là nous sommes
Allés mener parmi les hommes
D'autres barouds plus décevants,
Allés mener d'autres campagnes,
Où les châteaux sont plus d'Espagne,
Et de sable qu'auparavant.

Quand je vois lutter sur la plage
Des soldats à la fleur de l'âge,
Je ne les décourage pas,
Quoique je sache, ayant naguère
Livré moi-même cette guerre,
L'issue fatale du combat.

Je sais que malgré leur défense,
Leur histoire est perdue d'avance,
Mais je les laisse batailler,
Pour sauver un château de sable
Et ses remparts infranchissables,
Qu'une vague va balayer.

Les copains d'abord

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

Non, ce n'était pas le radeau
De la Méduse, ce bateau
Qu'on se le dise au fond des ports
Dise au fond des ports
Il naviguait en père peinard
Sur la grand-mare des canards
Et s'app'lait les Copains d'abord
Les Copains d'abord

Ses fluctuat nec mergitur
C'était pas d'la littérature
N'en déplaise aux jeteurs de sort
Aux jeteurs de sort
Son capitaine et ses mat'lots
N'étaient pas des enfants d'salauds
Mais des amis franco de port
Des copains d'abord

C'étaient pas des amis de luxe
Des petits Castor et Pollux
Des gens de Sodome et Gomorrhe
Sodome et Gomorrhe
C'étaient pas des amis choisis
Par Montaigne et La Boétie
Sur le ventre ils se tapaient fort
Les copains d'abord

C'étaient pas des anges non plus
L'Évangile, ils l'avaient pas lu
Mais ils s'aimaient toutes voiles dehors
Toutes voiles dehors
Jean, Pierre, Paul et compagnie
C'était leur seule litanie
Leur credo, leur confiteor
Aux copains d'abord

Au moindre coup de Trafalgar
C'est l'amitié qui prenait l'quart
C'est elle qui leur montrait le nord
Leur montrait le nord
Et quand ils étaient en détresse
Qu'leurs bras lançaient des S.O.S.
On aurait dit des sémaphores
Les copains d'abord

Au rendez-vous des bons copains
Y avait pas souvent de lapins
Quand l'un d'entre eux manquait à bord
C'est qu'il était mort
Oui, mais jamais, au grand jamais
Son trou dans l'eau n'se refermait
Cent ans après, coquin de sort
Il manquait encore

Des bateaux j'en ai pris beaucoup
Mais le seul qui ait tenu le coup
Qui n'ait jamais viré de bord
Mais viré de bord
Naviguait en père peinard
Sur la grand-mare des canards
Et s'app'lait les Copains d'abord
Les Copains d'abord

Les croquants

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1955

Les croquants vont en ville, à cheval sur leurs sous
Acheter des pucelles aux saintes bonnes gens
Les croquants leur mettent à prix d'argent
La main dessus, la main dessous
Mais la chair de Lisa, la chair fraîche de Lison
(Que les culs cousus d'or se fassent une raison!)
C'est pour la bouche du premier venu
Qui a les yeux tendres et les mains nues

{Refrain:}

Les croquants, ça les attriste, ça
Les étonne, les étonne
Qu'une fille, une fille belle comme ça
S'abandonne, s'abandonne
Au premier ostrogoth venu:
Les croquants, ça tombe des nues.

Les filles de bonnes mœurs, les filles de bonne vie
Qui ont vendu leur fleurette à la foire à l'encan
Vont s'vautrer dans la couche des croquants
Quand les croquants en ont envie
Mais la chair de Lisa, la chair fraîche de Lison
(Que les culs cousus d'or se fassent une raison!)
N'a jamais accordé ses faveurs
A contre-sou, à contrecœur

{Au refrain}

Les filles de bonne vie ont le cœur consistant
Et la fleur qu'on y trouve est garantie longtemps
Comme les fleurs en papier des chapeaux
Les fleurs en pierre des tombeaux
Mais le cœur de Lisa, le grand cœur de Lison
Aime faire peau neuve avec chaque saison:
Jamais deux fois la même couleur
Jamais deux fois la même fleur

{Au refrain}

Les croque-morts améliorés

Paroles: Georges Brassens

L'habit de deuil jusqu'à présent
Ne se portait assidûment
Que chez l'personnel funéraire,
Les anciens croque-morts ordinaires.
Depuis qu' la vogue est au noirâtre,*
Dans les rues d' Saint-Germain-des-Prés,
Y a des croque-morts améliorés!

Il ne m'importe aucunement
Qu'on mène mon enterrement
Avec des croque-morts ordinaires
Ou bien leurs nouveaux congénères.
Mais le bruit court que des emplâtres
Ont un' peur bleue d'être enterrés
Par les croqu'-morts améliorés!

Et c'est pourquoi j'ai fait ce chant
Qui va permettre aux braves gens
De distinguer les funéraires,
Les anciens croque-morts ordinaires,
Des galopins un peu folâtres
Qui se mettent en deuil exprès
Les croque-morts améliorés!

Si le croque-mort s'en va sifflant
Les joyeux couplets à vingt francs,
C'est un honnête fonctionnaire,
C'est un croque-mort ordinaire.
Mais s'il écoute en idolâtre
Les disques des be-bop cassés,
C'est un croque-mort amélioré!

Les deux oncles

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

C'était l'oncle Martin, c'était l'oncle Gaston
L'un aimait les Tommies, l'autre aimait les Teutons
Chacun, pour ses amis, tous les deux ils sont morts
Moi, qui n'aimais personne, eh bien! je vis encor

Maintenant, chers tontons, que les temps ont coulé
Que vos veuves de guerre ont enfin convolé
Que l'on a requinqué, dans le ciel de Verdun
Les étoiles ternies du maréchal Pétain

Maintenant que vos controverses se sont tues
Qu'on s'est bien partagé les cordes des pendus
Maintenant que John Bull nous boude, maintenant
Que c'en est fini des querelles d'Allemand

Que vos fill's et vos fils vont, la main dans la main
Faire l'amour ensemble et l'Europ' de demain
Qu'ils se soucient de vos batailles presque autant
Que l'on se souciait des guerres de Cent Ans

On peut vous l'avouer, maintenant, chers tontons
Vous l'ami les Tommies, vous l'ami des Teutons
Que, de vos vérités, vos contrevérités
Tout le monde s'en fiche à l'unanimité

De vos épurations, vos collaborations
Vos abominations et vos désolations
De vos plats de choucroute et vos tasses de thé
Tout le monde s'en fiche à l'unanimité

En dépit de ces souvenirs qu'on commémor'
Des flammes qu'on ranime aux monuments aux Morts
Des vainqueurs, des vaincus, des autres et de vous
Révérence parler, tout le monde s'en fout

La vie, comme dit l'autre, a repris tous ses droits
Elles ne font plus beaucoup d'ombre, vos deux croix
Et, petit à petit, vous voilà devenus
L'Arc de Triomphe en moins, des soldats inconnus

Maintenant, j'en suis sûr, chers malheureux tontons
Vous, l'ami des Tommies, vous, l'ami des Teutons
Si vous aviez vécu, si vous étiez ici
C'est vous qui chanteriez la chanson que voici

Chanteriez, en trinquant ensemble à vos santés
Qu'il est fou de perdre la vie pour des idées
Des idées comme ça, qui viennent et qui font
Trois petits tours, trois petits morts, et puis s'en vont

Qu'aucune idée sur terre est digne d'un trépas
Qu'il faut laisser ce rôle à ceux qui n'en ont pas
Que prendre, sur-le-champ, l'ennemi comme il vient
C'est de la bouillie pour les chats et pour les chiens

Qu'au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi
Mieux vaut attendre un peu qu'on le change en ami
Mieux vaut tourner sept fois sa crosse dans la main
Mieux vaut toujours remettre une salve à demain

Que les seuls généraux qu'on doit suivre aux talons
Ce sont les généraux des p'tits soldats de plomb
Ainsi, chanteriez-vous tous les deux en suivant
Malbrough qui va-t-en guerre au pays des enfants

O vous, qui prenez aujourd'hui la clé des cieux
Vous, les heureux coquins qui, ce soir, verrez Dieu
Quand vous rencontrerez mes deux oncles, là-bas
Offrez-leur de ma part ces "Ne m'oubliez pas"

Ces deux myosotis fleuris dans mon jardin
Un p'tit forget me not pour mon oncle Martin
Un p'tit vergiss mein nicht pour mon oncle Gaston
Pauvre ami des Tommies, pauvre ami des Teutons…

Les funerailles d'antan

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1960

Jadis, les parents des morts vous mettaient dans le bain
De bonne grâce ils en f'saient profiter les copains
" Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit
Venez l'pleurer avec nous sur le coup de midi… "
Mais les vivants aujourd'hui n'sont plus si généreux
Quand ils possèdent un mort ils le gardent pour eux
C'est la raison pour laquell', depuis quelques années
Des tas d'enterrements vous passent sous le nez

Mais où sont les funéraill's d'antan?
Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards
De nos grands-pères
Qui suivaient la route en cahotant
Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées
Ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu'-mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre
Elles sont révolues
Elles ont fait leur temps
Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres
On ne les r'verra plus
Et c'est bien attristant
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans

Maintenant, les corbillards à tombeau grand ouvert
Emportent les trépassés jusqu'au diable vauvert
Les malheureux n'ont mêm' plus le plaisir enfantin
D'voir leurs héritiers marron marcher dans le crottin
L'autre semain' des salauds, à cent quarante à l'heur'
Vers un cimetièr' minable emportaient un des leurs
Quand, sur un arbre en bois dur, ils se sont aplatis
On s'aperçut qu'le mort avait fait des petits

Mais où sont les funéraill's d'antan?
Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards
De nos grands-pères
Qui suivaient la route en cahotant
Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées
Ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu'-mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre
Elles sont révolues
Elles ont fait leur temps
Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres
On ne les r'verra plus
Et c'est bien attristant
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans

Plutôt qu'd'avoir des obsèqu's manquant de fioritur's
J'aim'rais mieux, tout compte fait, m'passer de sépultur'
J'aim'rais mieux mourir dans l'eau, dans le feu, n'importe où
Et même, à la grand' rigueur, ne pas mourir du tout
O, que renaisse le temps des morts bouffis d'orgueil
L'époque des m'as-tu-vu-dans-mon-joli-cercueil
Où, quitte à tout dépenser jusqu'au dernier écu
Les gens avaient à cœur d'mourir plus haut qu'leur cul
Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul

Les illusions perdues

Paroles: Georges Brassens

On creva ma première bulle de savon
Y a plus de cinquante ans, depuis je me morfonds.

On jeta mon Père Noël en bas du toit,
Ça fait* belle lurette, et j'en reste pantois.

Premier amour déçu. Jamais plus, officiel,
Je ne suis remonté jusqu'au septième ciel!

Le Bon Dieu déconnait. J'ai décroché Jésus
De sa croix: n'avait plus rien à faire dessus.

Les lendemains chantaient. Hourra l'Oural! Bravo!
Il m'a semblé soudain qu'ils chantaient un peu faux.

J'ai couru pour quitter ce monde saugrenu
Me noyer** dans le premier océan venu.

Juste voguait par là le bateau des copains;
Je me suis accroché bien fort à ce grappin.

Et par enchantement, tout fut régénéré,
L'espérance cessa d'être désespérée.

Et par enchantement, tout fut régénéré,
L'espérance cessa d'être désespérée.

Les lilas

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

Quand je vais chez la fleuriste
Je n'achète que des lilas
Si ma chanson chante triste
C'est que l'amour n'est plus là

Comme j'étais, en quelque sorte
Amoureux de ces fleurs-là
Je suis entré par la porte
Par la porte des Lilas

Des lilas, y en n'avait guère
Des lilas, y en n'avait pas
Z'étaient tous morts à la guerre
Passés de vie à trépas

J'suis tombé sur une belle
Qui fleurissait un peu là
J'ai voulu greffer sur elle
Mon amour pour les lilas

J'ai marqué d'une croix blanche
Le jour où l'on s'envola
Accrochés à une branche
Une branche de lilas

Pauvre amour, tiens bon la barre
Le temps va passer par là
Et le temps est un barbare
Dans le genre d'Attila

Aux cœurs où son cheval passe
L'amour ne repousse pas
Aux quatre coins de l'espace
Il fait l'désert sous ses pas

Alors, nos amours sont mortes
Envolées dans l'au-delà
Laissant la clé sous la porte
Sous la porte des Lilas

La fauvette des dimanches
Celle qui me donnait le la
S'est perchée sur d'autres branches
D'autres branches de lilas

Quand je vais chez la fleuriste
Je n'achète que des lilas
Si ma chanson chante triste
C'est que l'amour n'est plus là

Les oiseaux de passage

Paroles: jean Richepin. Musique: Georges Brassens

Ô vie heureuse des bourgeois
Qu'avril bourgeonne
Ou que decembre gèle,
Ils sont fiers et contents

Ce pigeon est aimé,
Trois jours par sa pigeonne
Ça lui suffit il sait
Que l'amour n'a qu'un temps

Ce dindon a toujours
Béni sa destinée
Et quand vient le moment
De mourir il faut voir

Cette jeune oie en pleurs
C'est la que je suis née
Je meurs presd de ma mère
Et je fais mon devoir

Elle a fait son devoir
C'est a dire que Onques
Elle n'eut de souhait
Impossible elle n'eut

Aucun rêve de lune
Aucun désir de jonque
L'emportant sans rameurs
Sur un fleuve inconnu

Et tous sont ainsi faits
Vivre la même vie
Toujours pour ces gens là
Cela n'est point hideux

Ce canard n'a qu'un bec
Et n'eut jamais envie
Ou de n'en plus avoir
Ou bien d'en avoir deux

Ils n'ont aucun besoin
De baiser sur les lèvres
Et loin des songes vains
Loin des soucis cuisants

Possèdent pour tout cœur
Un vicere sans fièvre
Un coucou régulier
Et garanti dix ans

Ô les gens bien heureux
Tout à coup dans l'espace
Si haut qu'ils semblent aller
Lentement en grand vol

En forme de triangle
Arrivent planent, et passent
Où vont ils?… qui sont-ils?
Comme ils sont loins du sol

Regardez les passer, eux
Ce sont les sauvages
Ils vont où leur desir
Le veut par dessus monts

Et bois, et mers, et vents
Et loin des esclavages
L'air qu'ils boivent
Ferait éclater vos poumons

Regardez les avant
D'atteindre sa chimère
Plus d'un l'aile rompue
Et du sang plein les yeux

Mourra. Ces pauvres gens
Ont aussi femme et mère
Et savent les aimer
Aussi bien que vous, mieux

Pour choyer cette femme
Et nourrir cette mère
Ils pouvaient devenir
Volailles comme vous

Mais ils sont avant tout
Des fils de la chimère
Des asoiffés d'azur
Des poètes des fous

Regardez les vieux coqs
Jeune Oie édifiante
Rien de vous ne pourra
monter aussi haut qu'eux
{2x}

Et le peu qui viendra
d'eux à vous
C'est leur fiante
Les bourgeois sont troublés
De voir passer les gueux

Les passantes

Paroles: Antoine Pol. Musique: Jean Bertola

autres interprètes: Francis Cabrel

Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu'on connait à peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais

A celle qu'on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s'évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui

A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main

A la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulu rester inconnue
Et qui n'est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal

A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d'un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D'un avenir désespérant

Chères images aperçues
Espérances d'un jour déçues
Vous serez dans l'oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin

Mais si l'on a manqué sa vie
On songe avec un peu d'envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre
Aux cœurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu'on n'a jamais revus

Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lêvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir

Les patriotes

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

Les invalid's chez nous, l'revers de leur médaille
C'est pas d'être hors d'état de suivr' les fill's, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir retourner au champ de bataille.
Le rameau d'olivier n'est pas notre symbole, non!

Ce que, par-dessus tout, nos aveugles déplorent,
C'est pas d'être hors d'état d'se rincer l'œil, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir lorgner le drapeau tricolore.
La ligne bleue des Vosges sera toujours notre horizon.

Et les sourds de chez nous, s'ils sont mélancoliques,
C'est pas d'être hors d'état d'ouïr les sirènes, cré de nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir entendre au défilé d'la clique,
Les échos du tambour, de la trompette et du clairon.

Et les muets d'chez nous, c'qui les met mal à l'aise
C'est pas d'être hors d'état d'conter fleurette, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir reprendre en chœur la Marseillaise.
Les chansons martiales sont les seules que nous entonnons.

Ce qui de nos manchots aigrit le caractère,
C'est pas d'être hors d'état d'pincer les fess's, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir faire le salut militaire.
jamais un bras d'honneur ne sera notre geste, non!

Les estropiés d'chez nous, ce qui les rend patraques,
C'est pas d'être hors d'état d'courir la gueus', cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir participer à une attaque.
On rêve de Rosalie, la baïonnette, pas de Ninon.

C'qui manque aux amputés de leurs bijoux d'famille,
C'est pas d'être hors d'état d'aimer leur femm', cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir sabrer les belles ennemies.
La colomb' de la paix, on l'apprête aux petits oignons.

Quant à nos trépassés, s'ils ont tous l'âme en peine,
C'est pas d'être hors d'état d'mourir d'amour, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir se faire occire à la prochaine.
Au monument aux morts, chacun rêve d'avoir son nom.

Les prénoms effacés

Paroles: Jean H. Tranchant. Musique: Jean Tranchant 1936

autres interprètes: Fred Adison, Rose Avril, Lina Margy, Georges Brassens, Francis Lemarque (1988)

Dans le creux béant d'un grand chêne
Des fourmis rouges font la chaîne,
Rongent, creusent, font mille efforts
Contre le vieux géant qui dort.
Mais des jours d'été et de sève,
Il conserve de si beaux rêves
Tant de jolis prénoms d'amants
Qui disparaîtront lentement

{Refrain:}

Combien d'amoureux il a vu passer,
Combien de prénoms se sont enlacés!
Combien de serments, de fausses promesses
Se sont échangés sous son ombre épaisse!
Combien d'amoureux ivres de plaisir
Ont gravé gaiement tous leurs souvenirs!
Qui dira le sort des amants lassés
Dont les doux prénoms se sont effacés.

Sous le regard d'une pinsonne
Nous avons gravé cet automne
Nos prénoms, en nous promettant
De les retrouver au printemps.
Mais le chêne aux saisons fleuries
Retrouvant un peu de sa vie
Gardera-t-il dans les beaux jours
Le grand secret de notre amour?

{Refrain}

Les quat'z'arts

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

Les copains affligés, les copines en pleurs
La boîte à dominos enfouie sous les fleurs
Tout le monde équipé de sa tenue de deuil
La farce était bien bonne et valait le coup d'œil

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
L'enterrement paraissait officiel. Bravo!

Le mort ne chantait pas: "Ah! c'qu'on s'emmerde ici!"
Il prenait son trépas à cœur, cette fois-ci
Et les bonshomm's chargés de la levée du corps
Ne chantaient pas non plus "Saint-Eloi bande encor!"

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Le macchabée semblait tout à fait mort. Bravo!

Ce n'étaient pas du tout des filles en tutu
Avec des fess's à claque et des chapeaux pointus
Les commères choisies pour les cordons du poêle
Et nul ne leur criait: "A poil! A poil! A poil!"

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Les pleureuses sanglotaient pour de bon. Bravo!

Le curé n'avait pas un goupillon factice
Un de ces goupillons en forme de phallus
Et quand il y alla de ses de profondis
L'enfant de chœur répliqua pas morpionibus

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Le curé venait pas de Camaret. Bravo!

On descendit la bière et je fus bien déçu
La blague maintenant frisait le mauvais goût
Car le mort se laissa jeter la terr' dessus
Sans lever le couvercle en s'écriant "Coucou!"

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Le cercueil n'était pas à double fond. Bravo!

Quand tout fut consommé, je leur ai dit: "Messieurs
Allons faire à présent la tournée des boxons!"
Mais ils m'ont regardé avec de pauvres yeux
Puis ils m'ont embrassé d'une étrange façon

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Leur compassion semblait venir du cœur. Bravo!

Quand je suis ressorti de ce champ de navets
L'ombre de l'ici-gît pas à pas me suivait
Une petite croix de trois fois rien du tout
Faisant, à elle seul', de l'ombre un peu partout

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Les revenants s'en mêlaient à leur tour. Bravo!

J'ai compris ma méprise un petit peu plus tard
Quand, allumant ma pipe avec le faire-part
J'm'aperçus que mon nom, comm' celui d'un bourgeois
Occupait sur la liste une place de choix

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
J'étais le plus proch' parent du défunt. Bravo!

Adieu! les faux tibias, les crânes de carton
Plus de marche funèbre au son des mirlitons
Au grand bal des quat'z'arts nous n'irons plus danser
Les vrais enterrements viennent de commencer

Nous n'irons plus danser au grand bal des quat'z'arts
Viens, pépère, on va se ranger des corbillards

Les quatre bacheliers

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

Nous étions quatre bacheliers
Sans vergogne,
La vraie crème des écoliers,
Des ecoliers.

Pour offrir aux filles des fleurs,
Sans vergogne,
Nous nous fîmes un peu voleurs,
Un peu voleurs.

Les sycophantes du pays,
Sans vergogne,
Aux gendarmes nous ont trahis,
Nous ont trahis.

Et l'on vit quatre bacheliers
Sans vergogne,
Qu'on emmène, les mains liées,
Les mains liées.

On fit venir à la prison,
Sans vergogne,
Les parents des mauvais garçons,
Mauvais garçons.

Les trois premiers pères, les trois,
Sans vergogne,
En perdirent tout leur sang-froid,
Tout leur sang-froid.

Comme un seul ils ont déclaré,
Sans vergogne,
Qu'on les avait déshonorée,
Déshonorés.

Comme un seul ont dit " C'est fini,
Sans vergogne,
Fils indigne, je te renie,
Je te renie. "

Le quatrième des parents,
Sans vergogne,
C'était le plus gros, le plus grand,
Le plus grand.

Quand il vint chercher son voleur
Sans vergogne,
On s'attendait à un malheur,
A un malheur.

Mais il n'a pas déclaré, non,
Sans vergogne,
Que l'on avait sali son nom,
Sali son nom.

Dans le silence on l'entendit,
Sans vergogne,
Qui lui disait: " Bonjour, petit,
Bonjour petit. "

On le vit, on le croirait pas,
Sans vergogne,
Lui tendre sa blague à tabac,
Blague à tabac.

Je ne sais pas s'il eut raison,
Sans vergogne,
D'agir d'une telle façon,
Telle façon.

Mais je sais qu'un enfant perdu,
Sans vergogne,
A de la corde de pendu,
De pendu,

A de la chance quand il a,
Sans vergogne,
Un père de ce tonneau-là,
Ce tonneau-là.

Et si les chrétiens du pays,
Sans vergogne,
Jugent que cet homme a failli,
Homme a failli.

Ça laisse à penser que, pour eux,
Sans vergogne,
L'Evangile, c'est de l'hébreu,
C'est de l'hébreu.

Les radis

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

Chacun sait qu'autrefois les femm's convaincues d'adultère
Se voyaient enfoncer dans un endroit qu'il me faut taire
Par modestie…
Un énorme radis.

Or quand j'étais tout gosse, un jour de foire en mon village,
J'eus la douleur de voir punir d'une épouse volage
La perfidie,
Au moyen du radis.

La malheureuse fut traînée sur la place publique
Par le cruel cornard armé du radis symbolique,
Ah! sapristi,
Mes aïeux quel radis!

Vers la pauvre martyre on vit courir les bonn's épouses
Qui, soit dit entre nous, de sa débauche étaient jalouses.
Je n'ai pas dit:
Jalouses du radis.

Si j'étais dans les rangs de cette avide et basse troupe,
C'est qu'à cette époqu'-là j' n'avais encor' pas vu de croupe
Ni de radis,
Ça m'était interdit.

Le cornard attendit que le forum fût noir de monde
Pour se mettre en devoir d'accomplir l'empal'ment immonde,
Lors il brandit
Le colossal radis.

La victime acceptait le châtiment avec noblesse,
Mais il faut convenir qu'elle serrait bien fort les fesses
Qui, du radis,
Allaient être nanties.

Le cornard mit l' radis dans cet endroit qu'il me faut taire,
Où les honnêtes gens ne laissent entrer que des clystères.
On applaudit
Les progrès du radis.

La pampe du légume était seule à présent visible,
La plante était allée jusqu'aux limites du possible,
On attendit
Les effets du radis.

Or, à l'étonnement du cornard et des gross's pécores
L'empalée enchantée criait: "Encore, encore, encore,
Hardi hardi,
Pousse le radis, dis!"

Ell' dit à pleine voix: "J' n'aurais pas cru qu'un tel supplice
Pût en si peu de temps me procurer un tel délice!
Mais les radis
Mènent en paradis!"

Ell' n'avait pas fini de chanter le panégyrique
Du légume en question que toutes les pécor's lubriques
Avaient bondi
Vers les champs de radis.

L'œil fou, l'écume aux dents, ces furies se jetèrent en meute
Dans les champs de radis qui devinrent des champs d'émeute.
Y en aura-t-y
Pour toutes, des radis?

Ell's firent un désastre et laissèrent loin derrière elles
Les ravages causés par les nuées de sauterelles.
Dans le pays,
Plus l'ombre d'un radis.

Beaucoup de maraîchers constatèrent qu'en certain nombre
Il leur manquait aussi des betterav's et des concombres
Raflés pardi
Comme de vils radis.

Tout le temps que dura cette manie contre nature,
Les innocents radis en vir'nt de vert's et de pas mûres,
Pauvres radis,
Héros de tragédie.

Lassés d'être enfoncés dans cet endroit qu'il me faut taire,
Les plus intelligents de ces légumes méditèrent.
Ils se sont dit:
"Cessons d'être radis!"

Alors les maraîchers semant des radis récoltèrent
Des melons, des choux-fleurs, des artichauts, des pomm's de terre
Et des orties,
Mais pas un seul radis.

A partir de ce jour, la bonne plante potagère
Devint dans le village une des denrées les plus chères
Plus de radis
Pour les gagne-petit.

Cettain's pécor's fûtées dir'nt sans façons: "Nous, on s'en fiche
De cette pénurie, on emploie le radis postiche
Qui garantit
Du manque de radis."

La mode du radis réduisant le nombre de mères
Qui donnaient au village une postérité, le maire,
Dans un édit
Prohiba le radis.

Un crieur annonça: "Toute femme prise à se mettre
Dans l'endroit réservé au clystère et au thermomètre
Même posti-
Che un semblant de radis

Sera livrée aux mains d'une maîtresse couturière
Qui, sans aucun délai, lui faufilera le derrière
Pour interdi-
Re l'accès du radis."

Cette loi draconienne eut raison de l'usage louche
D'absorber le radis par d'autres voies que par la bouche,
Et le radis,
Le légume maudit,

Ne fut plus désormais l'instrument de basses manœuvres
Et n'entra plus que dans la composition des hors-d'œuvre
Qui, à midi,
Aiguisent l'appétit.

Les ricochets

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

J'avais dix-huit ans
Tout juste et quittant
Ma ville natale
Un beau jour, o gue
Je vins debarquer
dans la capitale
J'entrai pas aux cris
D'"A nous deux Paris"
En Ile-de-France
Que ton Rastignac
N'ait cure, Balzac!
De ma concurrence {2x}

Gens en place, dormez
Sans vous alarmer,
Rien ne vous menace
Ce n'est qu'un jeune sot
qui monte a l'assaut
du p'tit montparnasse
On n's'etonnera pas
Si mes premiers pas
tout droit me menerent
Au pont Mirabeau
pour un coup de chapeau
A l'Apolinaire {2x}

Bec enfarine
Pouvaisje deviner
Le remue-mnage
Que dans mon destin
Causerait soudain
Ce plerinage?
Que circonvenu
Mon caeur ingenu
Allait faire des siennes
Tomber amoureux
De sa toute pre-
miere Parisienne.{2x}

N'anticipons pas,
Sur la berge en bas
Tout contre une pile,
La belle tchait
D' fair' des ricochets
D'un' main malhabile
Moi, dans ce temps-la
Je n' dis pas cela
En bombant le torse,
L'air avantageux
J'tais a ce jeu
De premire force. {2x}

Tu m' donn's un baiser,
Ai=je propose
A la demoiselle;
Et moi, sans retard
J' t'apprends de cet art
Toutes les ficelles.
Affaire conclue,
En une heure elle eut,
L'adresse requise.
En change, moi
J' cueillis plein d'moi
Ses lvres exquises. {2x}

Et durant un temps
Les journaux d'antan
D'ailleurs le relatent
Fallait se lever
Matin pour trouver
Une pierre plate.
On redessina
Du pont d'Iena
Au pont Alexandre
Jusqu' Saint-Michel,
Mais notre echelle,
La carte du tendre. {2x}

Mais c'tait trop beau:
Au pont Mirabeau
La belle volage
Un jour se perchait
Sur un ricochet
Et gagnait le large.
Ell' me fit faux-bond
Pour un vieux barbon,
La petite ingrate,
Un Crsus vivant
Detail aggravant
Sur la rive droite. {2x}

J'en pleurai pas mal,
Le flux lacrymal
Me fit la quinzaine.
Au viaduc d'Auteuil
Parait qu'a vue d'œil
Grossissait la Seine.
Et si, pont d' l'Alma,
J'ai pas noy ma
Detresse ineffable,
C'est qu' l'eau coulant sous
Les pieds du zouzou
etait imbuvable. {2x}

Et qu' j'avais acquis
Cett' conviction qui
Du reste me navre
Que mort ou vivant
Ce n'est pas souvent
Qu'on arrive au havre.
Nous attristons pas,
Allons de ce pas
Donner, debonnaires,
Au pont Mirabeau
Un coup de chapeau
A l'Apollinaire. {2x}

Les sabots d'Hélène

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1954

Les sabots d'Hélène
Etaient tout crottés
Les trois capitaines
L'auraient appelée vilaine
Et la pauvre Hélène
Etait comme une âme en peine
Ne cherche plus longtemps de fontaine
Toi qui as besoin d'eau
Ne cherche plus, aux larmes d'Hélène
Va-t'en remplir ton seau

Moi j'ai pris la peine
De les déchausser
Les sabots d'Hélèn'
Moi qui ne suis pas capitaine
Et j'ai vu ma peine
Bien récompensée
Dans les sabots de la pauvre Hélène
Dans ses sabots crottés
Moi j'ai trouvé les pieds d'une reine
Et je les ai gardés

Son jupon de laine
Etait tout mité
Les trois capitaines
L'auraient appelée vilaine
Et la pauvre Hélène
Etait comme une âme en peine
Ne cherche plus longtemps de fontaine
Toi qui as besoin d'eau
Ne cherche plus, aux larmes d'Hélène
Va-t'en remplir ton seau

Moi j'ai pris la peine
De le retrousser
Le jupon d'Hélèn'
Moi qui ne suis pas capitaine
Et j'ai vu ma peine
Bien récompensée
Sous le jupon de la pauvre Hélène
Sous son jupon mité
Moi j'ai trouvé des jambes de reine
Et je les ai gardés

Et le cœur d'Hélène
N'savait pas chanter
Les trois capitaines
L'auraient appelée vilaine
Et la pauvre Hélène
Etait comme une âme en peine
Ne cherche plus longtemps de fontaine
Toi qui as besoin d'eau
Ne cherche plus, aux larmes d'Hélène
Va-t'en remplir ton seau

Moi j'ai pris la peine
De m'y arrêter
Dans le cœur d'Hélèn'
Moi qui ne suis pas capitaine
Et j'ai vu ma peine
Bien récompensée
Et dans le cœur de la pauvre Hélène
Qu'avait jamais chanté
Moi j'ai trouvé l'amour d'une reine
Et moi je l'ai gardé

Les trompettes de la renommée

Paroles et Musique: Georges Brassens 1962

Je vivais à l'écart de la place publique,
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique…
Refusant d'acquitter la rançon de la gloir',
Sur mon brin de laurier je dormais comme un loir.
Les gens de bon conseil ont su me fair' comprendre
Qu'à l'homme de la ru' j'avais des compt's à rendre
Et que, sous peine de choir dans un oubli complet,
J' devais mettre au grand jour tous mes petits secrets.

{Refrain:}

Trompettes
De la Renommée,
Vous êtes
Bien mal embouchées!

Manquant à la pudeur la plus élémentaire,
Dois-je, pour les besoins d' la caus' publicitaire,
Divulguer avec qui, et dans quell' position
Je plonge dans le stupre et la fornication?
Si je publi' des noms, combien de Pénélopes
Passeront illico pour de fieffé's salopes,
Combien de bons amis me r'gard'ront de travers,
Combien je recevrai de coups de revolver!

A toute exhibition, ma nature est rétive,
Souffrant d'un' modesti' quasiment maladive,
Je ne fais voir mes organes procréateurs
A personne, excepté mes femm's et mes docteurs.
Dois-je, pour défrayer la chroniqu' des scandales,
Battre l' tambour avec mes parti's génitales,
Dois-je les arborer plus ostensiblement,
Comme un enfant de chœur porte un saint sacrement?

Une femme du monde, et qui souvent me laisse
Fair' mes quat' voluptés dans ses quartiers d' noblesse,
M'a sournois'ment passé, sur son divan de soi',
Des parasit's du plus bas étage qui soit…
Sous prétexte de bruit, sous couleur de réclame,
Ai-j' le droit de ternir l'honneur de cette dame
En criant sur les toits, et sur l'air des lampions:
" Madame la marquis' m'a foutu des morpions! "?

Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente
Avec le Pèr' Duval, la calotte chantante,
Lui, le catéchumène, et moi, l'énergumèn',
Il me laisse dire merd', je lui laiss' dire amen,
En accord avec lui, dois-je écrir' dans la presse
Qu'un soir je l'ai surpris aux genoux d' ma maîtresse,
Chantant la mélopé' d'une voix qui susurre,
Tandis qu'ell' lui cherchait des poux dans la tonsure?

Avec qui, ventrebleu! faut-il que je couche
Pour fair' parler un peu la déesse aux cent bouches?
Faut-il qu'un' femme célèbre, une étoile, une star,
Vienn' prendre entre mes bras la plac' de ma guitar'?
Pour exciter le peuple et les folliculaires,
Qui'est-c' qui veut me prêter sa croupe populaire,
Qui'est-c' qui veut m' laisser faire, in naturalibus,
Un p'tit peu d'alpinism' sur son mont de Vénus?

Sonneraient-ell's plus fort, ces divines trompettes,
Si, comm' tout un chacun, j'étais un peu tapette,
Si je me déhanchais comme une demoiselle
Et prenais tout à coup des allur's de gazelle?
Mais je ne sache pas qu'ça profite à ces drôles
De jouer le jeu d' l'amour en inversant les rôles,
Qu'ça confère à ma gloire un' onc' de plus-valu',
Le crim' pédérastique, aujourd'hui, ne pai' plus.

Après c'tour d'horizon des mille et un' recettes
Qui vous val'nt à coup sûr les honneurs des gazettes,
J'aime mieux m'en tenir à ma premièr' façon
Et me gratter le ventre en chantant des chansons.
Si le public en veut, je les sors dare-dare,
S'il n'en veut pas je les remets dans ma guitare.
Refusant d'acquitter la rançon de la gloir',
Sur mon brin de laurier je m'endors comme un loir.

Les voisins

Paroles: Georges Brassens

Si j'étais tout-puissant demain
Je n'irais pas par quat' chemins,
Et ferais passer par le fer
Tous les voisins de l'univers.
Dans un moment, quand vous saurez
Tout ce qu'ils me font endurer,
Vous direz en votre âme: "Il a
Raison d' vouloir être Attila."

{Refrain:}

Les voisins sont tous des sal's types
Les voisins sont tous des sal's gens.

Ces gens auxquels je n'ai rien fait,
Auxquels je montre un tact parfait,
Passent leurs jours, passent leurs nuits
A me susciter des ennuis.
Ils possèdent un Mistigri
Qui croque toutes les souris,
Sauf les miennes bien entendu
Car ils le lui ont défendu.

{Refrain}

Mais en revanche il prend bien soin
De ne pas faire ses besoins
Ailleurs que sur mon paillasson,
Comme on lui en fit la leçon,
Et puis ils vont criant partout
Si je jett' la pierre au matou:
"Il met ça sur le dos du chat,
Mais c'est lui qui se soulagea!"

{Refrain}

Et dans tout le quartier bientôt,
Je passe pour un Hottentot
Qui s'acharne à souiller, souiller
Les paillassons mal surveillés.
Lors quand je vais déambulant,
Chacun me fait l'affront sanglant
De mettre au fur et à mesur'
Tous les paillassons en lieu sûr.

{Refrain}

Ma grand-mère âgée de cent ans
M'adore et vient de temps en temps
Faire un séjour en ma demeure.
Ils trouvent ça contraire aux mœurs,
Ils font entendre à mots couverts
Que je suis un affreux pervers,
Un incestueux garnement
Qui couche avec sa grand-maman.

{Refrain}

Et, comme pour les paillassons,
Tous les crétins à l'unisson,
Afin d'm'empêcher d'les violer
Mettent leurs grand-mères sous clef.
En outre, la société
Protectric' des vieux maltraités
Me combat de tout son pouvoir
Et m'inscrit sur sa liste noir'.

{Refrain}

Ayant un jour lavé mes pieds,
J'attendais la femm' d'un pompier,
Sûr d'abuser d'elle à huis clos.
J'avais compté sans ces salauds.
Comm' dans l' couloir il faisait nuit
Et qu'elle ne trouvait pas mon huis,
Elle alla tirer par erreur
Le cordon de mes dénigreurs.

{Refrain}

Ils lui répondent: "Ce citoyen
Habit' le taudis mitoyen,
Mais quand vous sortirez d' chez lui
Portez donc vos pas à Saint-Louis."
Alors ma visiteuse, à corps
Perdu, partit et court encor',
Et je dus convenir enfin
Qu' j'avais lavé mes pieds en vain.

{Refrain}

L'affair' ne se borna pas là,
De nouveau, tout l' monde en parla,
Et les sapeurs-pompiers d' Paris
Me clouèrent au pilori.
Ils retirèr'nt par précaution
Leurs femm's de la circulation
Et promir'nt d'être sans émoi
Si jamais l' feu prenait chez moi.

{Refrain}

Je passe ainsi pour un garçon
Qui s'oublie sur les paillassons,
Qui viole les vieilles grand-mèr's,
Qui contamine les pompièr's.
Maintenant que vous savez tout,
Vous donnez votre accord sans dou-
Te à mon zèle exterminateur
De cette bande d'emmerdeurs.
Et comme on n'en finirait plus
Permettez qu'ici je conclue
En sonnant encor' le tocsin
Contre l'engeance des voisins.

Maman, papa

Paroles et Musique: Georges Brassens 1957

autres interprètes: Philippe Chatel (1980)

Maman, maman, en faisant cette chanson
Maman, maman, je r'deviens petit garçon
Alors je suis sage en classe
Et pour te faire plaisir
J'obtiens les meilleures places
Ton désir
Maman, maman, je préfère à mes jeux fous
Maman, maman, demeurer sur tes genoux
Et sans un mot dire, entendre tes refrains charmants
Maman, maman, maman, maman

Papa, papa, en faisant cette chanson
Papa, papa, je r'deviens petit garçon
Et je t'entends sous l'orage
User tout ton humour
Pour redonner du courage
A nos cœurs lourds
Papa, papa, il n'y eut pas entre nous
Papa, papa, de tendresse ou de mots doux
Pourtant on s'aimait, bien qu'on ne se l'avouât pas
Papa, papa, papa, papa

Maman, papa, en faisant cette chanson
Maman, papa, je r'deviens petit garçon
Et, grâce à cet artifice
Soudain je comprends
Le prix de vos sacrifices
Mes parents
Maman, papa, toujours je regretterai
Maman, papa, de vous avoir fait pleurer
Au temps où nos cœurs ne se comprenaient encor pas
Maman, papa, maman, papa

Marinette

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1956

Quand j'ai couru chanter ma p'tit' chanson pour Marinette
La belle, la traîtresse était allée à l'opéra
Avec ma p'tit' chanson, j'avais l'air d'un con, ma mère
Avec ma p'tit' chanson, j'avais l'air d'un con

Quand j'ai couru porter mon pot d'moutarde à Marinette
La belle, la traîtresse avait déjà fini d'dîner
Avec mon petit pot, j'avais l'air d'un con, ma mère
Avec mon petit pot, j'avais l'air d'un con

Quand j'offris pour étrenne un'bicyclette à Marinette
La belle, la traîtresse avait acheté une auto
Avec mon p'tit vélo, j'avais l'air d'un con, ma mère
Avec mon p'tit vélo, j'avais l'air d'un con

Quand j'ai couru tout chose au rendez-vous de Marinette
La bell' disait: "J't'adore" à un sal' typ' qui l'embrassait
Avec mon bouquet d'fleurs, j'avais l'air d'un con, ma mère
Avec mon bouquet d'fleurs, j'avais l'air d'un con

Quand j'ai couru brûler la p'tit' cervelle à Marinette
La belle était déjà morte d'un rhume mal placé
Avec mon revolver, j'avais l'air d'un con, ma mère
Avec mon revolver, j'avais l'air d'un con

Quand j'ai couru lugubre à l'enterr'ment de Marinette
La belle, la traîtresse était déjà ressuscitée
Avec ma p'tit' couronn', j'avais l'air d'un con, ma mère
Avec ma p'tit' couronn', j'avais l'air d'un con

Marquise

Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guères mieux.

{2x}

Le temps aux plus belles choses
Se plaîst à faire un affront
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

{2x}

Le mesme cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits
On m'a vu ce que vous estes;
Vous serez ce que je suis.

{2x}

Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t'emmerde en attendant.

{2x}

Mélanie

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

Les chansons de salle de garde
Ont toujours été de mon goût,
Et je suis bien malheureux, car de
Nos jours on n'en crée plus beaucoup.
Pour ajouter au patrimoine
Folklorique des carabins, {2x}
J'en ai fait une, putain de moine,
Plaise à Dieu qu'elle plaise aux copains. {2x}

Ancienne enfant d'Marie-salope
Mélanie, la bonne au curé,
Dedans ses trompes de Fallope,
S'introduit des cierges sacrés.
Des cierges de cire d'abeille
Plus onéreux, mais bien meilleurs, {2x}
Dame! la qualité se paye
A Saint-Sulpice, comme ailleurs. {2x}

Quand son bon maître lui dit: "Est-ce
Trop vous demander Mélanie,
De n'user, par délicatesse,
Que de cierges non encore bénits?"
Du tac au tac, elle réplique
Moi, je préfère qu'ils le soient, {2x}
Car je suis bonne catholique
Elle a raison, ça va de soi. {2x}

Elle vous emprunte un cierge à Pâques
Vous le rend à la Trinité.
Non, non, non, ne me dites pas que
C'est normal de tant le garder.
Aux obsèques d'un con célèbre,
Sur la bière, ayant aperçu, {2x}
Un merveilleux cierge funèbre,
Elle partit à cheval dessus. {2x}

Son mari, pris dans la tempête
La Paimpolaise était en train
De vouer, c'était pas si bête,
Un cierge au patron des marins.
Ce pieux flambeau qui vacille
Mélanie se l'est octroyé, {2x}
Alors le saint, cet imbécile,
Laissa le marin se noyer. {2x}

Les bons fidèles qui désirent
Garder pour eux, sur le chemin
Des processions, leur bout de cire
Doiv'nt le tenir à quatre mains,
Car quand elle s'en mêl', sainte vierge,
Elle cause un désastre, un malheur. {2x}
La Saint-Barthélemy des cierges,
C'est le jour de la Chandeleur. {2x}

Souvent quand elle les abandonne,
Les cierges sont périmés;
La saint' famill' nous le pardonne
Plus moyen de les rallumer.
Comme ell' remue, comme elle se cabre,
Comme elle fait des soubresauts, {2x}
En retournant au candélabre,
Ils sont souvent en p'tits morceaux. {2x}

Et comme elle n'est pas de glace,
Parfois quand elle les restitue
Et qu'on veut les remettre en place,
Ils sont complètement fondus.
Et comme en outre elle n'est pas franche,
Il arrive neuf fois sur dix {2x}
Qu'sur un chandelier à sept branches
Elle n'en rapporte que six. {2x}

Mélanie à l'heure dernière
A peu de chances d'être élue;
Aux culs bénits de cett' manière
Aucune espèce de salut.
Aussi, chrétiens, mes très chers frères,
C'est notre devoir, il est temps, {2x}
De nous employer à soustraire
Cette âme aux griffes de Satan. {2x}

Et je propose qu'on achète
Un cierge abondamment béni
Qu'on fera brûler en cachette
En cachette de Mélanie.
En cachette car cette salope
Serait fichue d'se l'enfoncer {2x}
Dedans ses trompes de Fallope,
Et tout s'rait à recommencer. {2x}

Misogynie à part

Paroles et Musique: Georges Brassens 1969

autres interprètes: Trevidy (2006)

Misogynie à part, le sage avait raison
Il y a les emmerdantes, on en trouve à foison
En foule elles se pressent
Il y a les emmerdeuses, un peu plus raffinées
Et puis, très nettement au-dessus du panier
Y a les emmerderesses

La mienne, à elle seule, sur toutes surenchérit
Elle relève à la fois des trois catégories
Véritable prodige
Emmerdante, emmerdeuse, emmerderesse itou
Elle passe, elle dépasse, elle surpasse tout
Elle m'emmerde, vous dis-je

Mon Dieu, pardonnez-moi ces propos bien amers
Elle m'emmerde, elle m'emmerde, elle m'emmerde, elle m'emmer-
de, elle abuse, elle attige
Elle m'emmerde et j'regrette mes belles amours avec
La p'tite enfant d'Marie que m'a soufflée l'évêque
Elle m'emmerde, vous dis-je

Elle m'emmerde, elle m'emmerde, et m'oblige à me cu-
rer les ongles avant de confirmer son cul
Or, c'est pas callipyge
Et la charité seule pousse ma main résignée
Vers ce cul rabat-joie, conique, renfrogné
Elle m'emmerde, vous dis-je

Elle m'emmerde, elle m'emmerde, je le répète et quand
Elle me tape sur le ventre, elle garde ses gants
Et ça me désoblige
Outre que ça dénote un grand manque de tact
Ça n'favorise pas tellement le contact
Elle m'emmerde, vous dis-je

Elle m'emmerde, elle m'emmerde, quand je tombe à genoux
Pour certaines dévotions qui sont bien de chez nous
Et qui donnent le vertige
Croyant l'heure venue de chanter le credo
Elle m'ouvre tout grand son missel sur le dos
Elle m'emmerde, vous dis-je

Elle m'emmerde, elle m'emmerde, à la fornication
Elle s'emmerde, elle s'emmerde avec ostentation
Elle s'emmerde, vous dis-je
Au lieu de s'écrier: " Encor! Hardi! Hardi! "
Elle déclame du Claudel, du Claudel, j'ai bien dit
Alors ça, ça me fige!

Elle m'emmerde, elle m'emmerde, j'admets que ce Claudel
Soit un homme de génie, un poète immortel
J'reconnais son prestige
Mais qu'on aille chercher dedans son œuvre pie
Un aphrodisiaque, non, ça, c'est d'l'utopie
Elle m'emmerde, vous dis-je

Montélimar

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

Avec leurs gniards
Mignons mignards,
Leur beau matou,
Leur gros toutou,
Les pharisiens,
Les béotiens,
Les aoûtiens,
Dans leur auto,
Roulent presto,
Tombeau ouvert,
Descendant vers
La grande mare,
En passant par
Montélimar.

{Refrain:}

Dites d'urgence
A ces engeances
De malheur
Et à leurs
Gniards
Que chiens, chats
N'aiment
Pas l' nougat
Même
Même celui
D'Montélimar.

Hélas bientôt
Le mal d'auto
Va déranger
Les passagers.
Le beau matou,
Le gros toutou,
Pas fiers du tout
– Ça fait frémir –
S'en vont vomir
Et même pis
Sur les tapis
Et les coussins
A beaux dessins,
C'est très malsain.

C'est très fâcheux,
C'est plus du jeu,
Et coetera.
Et alors à
Montélimar,
On en a marre
Du cauchemar.
Boutant presto
Hors de l'auto
Le beau matou,
Le gros toutou,
Ces handicaps
Sur Digne, Gap,
On met le cap.

Alors tous ces
Petits poucets,
Ces beaux matous,
Ces gros toutous,
En ribambelle
Ont sans appel
Droit au scalpel.
Les aoûtiens
Les béotiens
Qui font ça n'ont
Pas d'âme, non,
Que leur auto
Bute presto
Contre un poteau!s

Mourir pour des idées

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

Mourir pour des idées, l'idée est excellente
Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eu
Car tous ceux qui l'avaient, multitude accablante
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
Ils ont su me convaincre et ma muse insolente
Abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi
Avec un soupçon de réserve toutefois
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente

Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure
Allons vers l'autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure
Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain
Or, s'il est une chose amère, désolante
En rendant l'âme à Dieu c'est bien de constater
Qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

Les saint jean bouche d'or qui prêchent le martyre
Le plus souvent, d'ailleurs, s'attardent ici-bas
Mourir pour des idées, c'est le cas de le dire
C'est leur raison de vivre, ils ne s'en privent pas
Dans presque tous les camps on en voit qui supplantent
Bientôt Mathusalem dans la longévité
J'en conclus qu'ils doivent se dire, en aparté
"Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente"

Des idées réclamant le fameux sacrifice
Les sectes de tout poil en offrent des séquelles
Et la question se pose aux victimes novices
Mourir pour des idées, c'est bien beau mais lesquelles?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

Encor s'il suffisait de quelques hécatombes
Pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât
Depuis tant de "grands soirs" que tant de têtes tombent
Au paradis sur terre on y serait déjà
Mais l'âge d'or sans cesse est remis aux calendes
Les dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez
Et c'est la mort, la mort toujours recommencée
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres
Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas
Mais de grâce, morbleu! laissez vivre les autres!
La vie est à peu près leur seul luxe ici bas
Car, enfin, la Camarde est assez vigilante
Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux
Plus de danse macabre autour des échafauds!
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

On n'a pas besoin de la lune

Paroles: Paul Mistraki

On n'a pas besoin de la lune
Quand on est vraiment amoureux
Pas besoin de vent sur la lune
Ni de sources ni de ciel bleu
Du moment qu'on aime sa brune
Ça suffit pour qu'on soit heureux
Les yeux dans les yeux et le cœur joyeux
On oublie la terre et les cieux
Quel bonheur quelle joie quelle chance m'a donné la vie
La première fois que je vis celle qui est mon amie
Nous avons fait connaissance son jardin fleuri
Et pas sous le ciel de la Provence
Mais sous un parapluie Place Vichy
On n'a pas besoin de la lune
Quand on est vraiment amoureux
Pas besoin de vent sur la lune
Ni de sources ni de ciel bleu
Du moment qu'on aime sa brune
Ça suffit pour qu'on soit heureux
Les yeux dans les yeux et le cœur joyeux
On oublie la terre et les cieux
On n'a pas besoin de la lune
Quand on est vraiment amoureux

Oncle Archibald

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

O vous, les arracheurs de dents
Tous les cafards, les charlatans
Les prophètes
Comptez plus sur oncle Archibald
Pour payer les violons du bal
A vos fêtes

En courant sus à un voleur
Qui venait de lui chiper l'heure
A sa montre
Oncle Archibald, coquin de sort!
Fit, de Sa Majesté la Mort
La rencontre

Telle un' femm' de petit' vertu
Elle arpentait le trottoir du
Cimetière
Aguichant les hommes en troussant
Un peu plus haut qu'il n'est décent
Son suaire

Oncle Archibald, d'un ton gouailleur
Lui dit: " Va-t'en fair' pendre ailleurs
Ton squelette
Fi! des femelles décharnees!
Vive les belles un tantinet
Rondelettes! "

Lors, montant sur ses grands chevaux
La Mort brandit la longue faux
D'agronome
Qu'elle serrait dans son linceul
Et faucha d'un seul coup, d'un seul
Le bonhomme

Comme il n'avait pas l'air content
Elle lui dit: " Ça fait longtemps
Que je t'aime
Et notre hymen à tous les deux
Etait prévu depuis le jour de
Ton baptême

" Si tu te couches dans mes bras
Alors la vie te semblera
Plus facile
Tu y seras hors de portée
Des chiens, des loups, des homm's et des
Imbéciles

" Nul n'y contestera tes droits
Tu pourras crier "Vive le roi!"
Sans intrigue
Si l'envi' te prend de changer
Tu pourras crier sans danger
"Vive la Ligue!"

" Ton temps de dupe est révolu
Personne ne se paiera plus
Sur ta bête
Les "Plaît-il, maître?" auront plus cours
Plus jamais tu n'auras à cour-
ber la tête"

Et mon oncle emboîta le pas
De la belle, qui ne semblait pas
Si féroce
Et les voilà, bras d'ssus, bras d'ssous,
Les voilà partis je n' sais où
Fair' leurs noces

O vous, les arracheurs de dents
Tous les cafards, les charlatans
Les prophètes
Comptez plus sur oncle Archibald
Pour payer les violons du bal
A vos fêtes

P… de toi

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1954

En ce temps-là, je vivais dans la lune
Les bonheurs d'ici-bas m'étaient tous défendus
Je semais des violettes et chantais pour des prunes
Et tendais la patte aux chats perdus

R:
Ah ah ah ah putain de toi
Ah ah ah ah ah ah pauvre de moi

Un soir de pluie v'là qu'on gratte à ma porte
Je m'empresse d'ouvrir, sans doute un nouveau chat
Nom de dieu l'beau félin que l'orage m'apporte
C'était toi, c'était toi, c'était toi

Les yeux fendus et couleur pistache
T'as posé sur mon cœur ta patte de velours
Fort heureus'ment pour moi t'avais pas de moustache
Et ta vertu ne pesait pas trop lourd

Au quatre coins de ma vie de bohème
T'as prom'né, t'as prom'né le feu de tes vingt ans
Et pour moi, pour mes chats, pour mes fleurs, mes poèmes
C'était toi la pluie et le beau temps

Mais le temps passe et fauche à l'aveuglette
Notre amour mûrissait à peine que déjà
Tu brûlais mes chansons, crachais sur mes viollettes
Et faisais des misères à mes chats

Le comble enfin, misérable salope
Comme il n'restait plus rien dans le garde-manger
T'as couru sans vergogne, et pour une escalope
Te jeter dans le lit du boucher

C'était fini, t'avais passé les bornes
Et, r'nonçant aux amours frivoles d'ici-bas
J'suis r'monté dans la lune en emportant mes cornes
Mes chansons, et mes fleurs, et mes chats

Pauvre Martin

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1954

Avec une bêche à l'épaule,
Avec, à la lèvre, un doux chant,
Avec, à la lèvre, un doux chant,
Avec, à l'âme, un grand courage,
Il s'en allait trimer aux champs!

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps!

Pour gagner le pain de sa vie,
De l'aurore jusqu'au couchant,
De l'aurore jusqu'au couchant,
Il s'en allait bêcher la terre
En tous les lieux, par tous les temps!

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps!

Sans laisser voir, sur son visage,
Ni l'air jaloux ni l'air méchant,
Ni l'air jaloux ni l'air méchant,
Il retournait le champ des autres,
Toujours bêchant, toujours bêchant!

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps!

Et quand la mort lui a fait signe
De labourer son dernier champ,
De labourer son dernier champ,
Il creusa lui-même sa tombe
En faisant vite, en se cachant…

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps!

Il creusa lui-même sa tombe
En faisant vite, en se cachant,
En faisant vite, en se cachant,
Et s'y étendit sans rien dire
Pour ne pas déranger les gens…

Pauvre Martin, pauvre misère,
Dors sous la terre, dors sous le temps!

Pénélope

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1960

Toi l'épouse modèle
Le grillon du foyer
Toi qui n'a point d'accrocs
Dans ta robe de mariée
Toi l'intraitable Pénélope
En suivant ton petit
Bonhomme de bonheur
Ne berces-tu jamais
En tout bien tout honneur
De jolies pensées interlopes
De jolies pensées interlopes…

Derrière tes rideaux
Dans ton juste milieu
En attendant l'retour
D'un Ulysse de banlieue
Penchée sur tes travaux de toile
Les soirs de vague à l'âme
Et de mélancolie
N'as tu jamais en rêve
Au ciel d'un autre lit
Compté de nouvelles étoiles
Compté de nouvelles étoiles…

N'as-tu jamais encore
Appelé de tes vœux
L'amourette qui passe
Qui vous prend aux cheveux
Qui vous compte des bagatelles
Qui met la marguerite
Au jardin potager
La pomme défendue
Aux branches du verger
Et le désordre à vos dentelles
Et le désordre à vos dentelles…

N'as-tu jamais souhaité
De revoir en chemin
Cet ange, ce démon
Qui son arc à la main
Décoche des flèches malignes
Qui rend leur chair de femme
Aux plus froides statues
Les bascul' de leur socle
Bouscule leur vertu
Arrache leur feuille de vigne
Arrache leur feuille de vigne…

N'aie crainte que le ciel
Ne t'en tienne rigueur
Il n'y a vraiment pas là
De quoi fouetter un cœur
Qui bat la campagne et galope
C'est la faute commune
Et le péché véniel
C'est la face cachée
De la lune de miel
Et la rançon de Pénélope
Et la rançon de Pénélope…

Pensée des morts

Paroles: Alphonse De Lamartine. Musique: Georges Brassens

Voilà les feuilles sans sève
qui tombent sur le gazon
voilà le vent qui s'élève
et gémit dans le vallon
voilà l'errante hirondelle
qui rase du bout de l'aile
l'eau dormante des marais
voilà l'enfant des chaumières
qui glane sur les bruyères
le bois tombé des forêts

C'est la saison où tout tombe
aux coups redoublés des vents
un vent qui vient de la tombe
moissonne aussi les vivants
ils tombent alors par mille
comme la plume inutile
que l'aigle abandonne aux airs
lorsque des plumes nouvelles
viennent réchauffer ses ailes
à l'approche des hivers

C'est alors que ma paupière
vous vit palir et mourir
tendres fruits qu'à la lumière
dieu n'a pas laissé murir
quoique jeune sur la terre
je suis dejà solitaire
parmi ceux de ma saison
et quand je dis en moi-même
"où sont ceux que ton cœur aime?"
je regarde le gazon

C'est un ami de l'enfance
qu'aux jours sombres du malheur
nous preta la providence
pour appuyer notre cœur
il n'est plus: notre âme est veuve
il nous suit dans notre épreuve
et nous dit avec pitié
"Ami si ton âme est pleine
de ta joie ou de ta peine
qui portera la moitié?"

C'est une jeune fiancée
qui, le front ceint du bandeau
n'emporta qu'une pensée
de sa jeunesse au tombeau
Triste, hélas! dans le ciel même
pour revoir celui qu'elle aime
elle revient sur ses pas
et lui dit: "ma tombe est verte!
sur cette terre déserte
qu'attends-tu? je n'y suis pas!"

C'est l'ombre pâle d'un père
qui mourut en nous nommant
c'est une sœur, c'est un frère
qui nous devance un moment
tous ceux enfin dont la vie
un jour ou l'autre ravie,
enporte une part de nous
murmurent sous la pierre
"vous qui voyez la lumière
de nous vous souvenez vous?"

Voilà les feuilles sans sève
qui tombent sur le gazon
voilà le vent qui s'élève
et gémit dans le vallon
voilà l'errante hirondelle
qui rase du bout de l'aile
l'eau dormante des marais
voilà l'enfant des chaumières
qui glane sur les bruyères
le bois tombé des forêts

Philistins

Philistins, épiciers
Tandis que vous caressiez
Vos femmes

En songeant aux petits
Que vos grossiers appétits
Engendrent

Vous pensiez: " Ils seront
Menton rasé, ventre rond
Notaires "

Mais pour bien vous punir
Un jour vous voyez venir
Sur terre

Des enfants non voulus
Qui deviennent chevelus
Poètes…

Pour me rendre à mon bureau

Paroles et Musique: Jean Boyer 1980

autres interprètes: Les Croquants (1999)

Pour me rendre à mon bureau, j'avais acheté une auto
Une jolie traction avant qui filait comme le vent.
C'était en Juillet 39, je me gonflais comme un bœuf
Dans ma fierté de bourgeois d'avoir une voiture à moi.
Mais vint septembre, et je pars pour la guerre.
Huit mois plus tard, en revenant:
Réquisition de ma onze chevaux légère
"Nein verboten" provisoirement.

Pour me rendre à mon bureau alors j'achète une moto
Un joli vélomoteur faisant du quarante à l'heure.
A cheval sur mon teuf-teuf je me gonflais comme un bœuf
Dans ma fierté de bourgeois de rentrer si vite chez moi.
Elle ne consommait presque pas d'essence
Mais presque pas, c'est encore trop.
Voilà qu'on me retire ma licence
J'ai dû revendre ma moto.

Pour me rendre à mon bureau alors j'achète un vélo
Un très joli tout nickelé avec une chaîne et deux clefs.
Monté sur des pneus tous neufs je me gonflais comme un bœuf
Dans ma fierté de bourgeois d'avoir un vélo à moi.
J'en ai eu coup sur coup une douzaine
On me les volait périodiquement.
Comme chacun d'eux valait le prix d'une Citroën
Je fus ruiné très rapidement.

Pour me rendre à mon bureau alors j'ai pris le métro
Ça ne coûte pas très cher et il y fait chaud l'hiver.
Alma, Iéna et Marbœuf je me gonflais comme un bœuf
Dans ma fierté de bourgeois de rentrer si vite chez moi.
Hélas par économie de lumière
On a fermé bien des stations.
Et puis ce fut, ce fut la ligne tout entière
Qu'on supprima sans rémission.

Pour me rendre à mon bureau j'ai mis deux bons godillots
Et j'ai fait quatre fois par jour le trajet à pied aller-retour.
Les Tuileries, le Pont Neuf je me gonflais comme un bœuf,
Fier de souffrir de mes corps pour un si joli décor.
Hélas, bientôt, je n'aurai plus de godasses,
Le cordonnier ne ressemelle plus.
Mais en homme prudent et perspicace
Pour l'avenir j'ai tout prévu.

Je vais apprendre demain à me tenir sur les mains
J'irai pas très vite bien sûr mais je n'userai plus de chaussures.
Je verrai le monde de bas en haut c'est peut-être plus rigolo.
Je n'y perdrai rien par surcroît:
Il est pas drôle à l'endroit.

Puisque vous partez en voyage

Paroles: Jean Nohain. Musique: Mireille 1935

autres interprètes: Ray Ventura (1936), Jacques Dutailly (1962), Georges Brassens (1980), Françoise Hardy amp; Jacques Dutronc (2000)

{Parlé:}

Savez-vous que c'est la première fois
Que nous nous séparons depuis que c'est arrivé?
Remarquez que ça ne fait que quinze jours!…
Evidemment quinze jours ce n'est pas très long…
mais songez tout de même à ce que ça fait d'heures!…

Puisque vous partez en voyage
Puisque nous nous quittons ce soir
Mon cœur fait son apprentissage
Je veux sourire avec courage
Voyez j'ai posé vos bagages,
Marche avant, côté du couloir
Et pour les grands signaux d'usage
J'ai préparé mon grand mouchoir
Dans un instant le train démarre
Je resterai seul sur le quai
Et je vous verrai de la gare
Me dire adieu là-bas avec votre bouquet
Promettez-moi d'être bien sage
De penser à moi tous les jours
Et revenez dans notre cage
Où je guette votre retour.

{Parlé;}

Voilà, je vous ai trouvé une bonne place dans un compartiment
où il y a une grosse dame et un vieux curé avec une barbe blanche.
Et puis je vous ai acheté deux livres…
Le premier, c'est la vie des saintes…
Et l'autre, c'est l'exemple de bienheureuse Ernestine…
Cela vous plaît?

Puisque vous partez en voyage
Vous m'avez promis ma chérie
De m'écrire quatorze pages
Tous les matins ou davantage
Pour que je voie votre visage
Baissez la vitre je vous prie
C'est affreux je perds tout courage
Soudain je déteste Paris
Le contrôleur crie: "En voiture"
Le cochon il sait pourtant bien
Que je dois rester, mais je jure
Que s'il le crie encore une fois, moi je viens
J'ai mon amour pour seul bagage
Et tout le reste je m'en fous
Puisque vous partez en voyage

Ma chérie… je pars avec vous.

Quatre-vingt-quinze fois sur cent

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

La femme qui possède tout en elle
Pour donner le goût des fêtes charnelles
La femme qui suscite en nous tant de passion brutale
La femme est avant tout sentimentale
Mais dans la main les longues promenades
Les fleurs, les billets doux, les sérénades
Les crimes, les folies que pour ses beaux yeux l'on commet
La transporte, mais…

{Refrain:}

Quatre-vingt-quinze fois sur cent
La femme s'emmerde en baisant
Qu'elle le taise ou qu'elle le confesse
C'est pas tous les jours qu'on lui déride les fesses
Les pauvres bougres convaincus
Du contraire sont des cocus
A l'heure de l'œuvre de chair
Elle est souvent triste, peu chère
S'il n'entend le cœur qui bat
Le corps non plus ne bronche pas

Sauf quand elle aime un homme avec tendresse
Toujours sensible alors à ses caresses
Toujours bien disposée, toujours encline à s'émouvoir
Ell' s'emmerd' sans s'en apercevoir
Ou quand elle a des besoins tyranniques
Qu'elle souffre de nymphomanie chronique
C'est ell' qui fait alors passer à ses adorateurs
De fichus quarts d'heure

{au Refrain}

Les "encore", les "c'est bon", les "continue"
Qu'ell' crie pour simuler qu'ell' monte aux nues
C'est pure charité, les soupirs des anges ne sont
En général que de pieux menson(ges)
C'est à seule fin que son partenaire
Se croie un amant extraordinaire
Que le coq imbécile et prétentieux perché dessus
Ne soit pas déçu

{au Refrain}

J'entends aller de bon train les commentaires
De ceux qui font des châteaux à Cythère
"C'est parce que tu n'es qu'un malhabile, un maladroit
Qu'elle conserve toujours son sang-froid"
Peut-être, mais les assauts vous pèsent
De ces petits m'as-tu-vu-quand-je-baise
Mesdam's, en vous laissant manger le plaisir sur le dos

Chantez in petto…

{au Refrain}

Rien à jeter

Paroles et Musique: Georges Brassens 1969

Sans ses cheveux qui volent
J'aurais, dorénavant,
Des difficultés folles
A voir d'où vient le vent.

Tout est bon chez elle, y a rien jeter,
Sur l'île déserte il faut tout emporter.

Je me demande comme
Subsister sans ses joues
M'offrant de belles pommes
Nouvelles chaque jour.

Tout est bon chez elle, y a rien jeter,
Sur l'île déserte il faut tout emporter.

Sans sa gorge, ma tète,
Dépourvu' de coussin,
Reposerais par terre
Et rien n'est plus malsain.

Tout est bon chez elle, y a rien jeter,
Sur l'île déserte il faut tout emporter.

Sans ses hanches solides
Comment faire, demain,
Si je perds l'équilibre,
Pour accrocher mes mains?

Tout est bon chez elle, y a rien jeter,
Sur l'île déserte il faut tout emporter.

Elle a mile autres choses
Précieuses encore
Mais, en spectacle, j'ose
Pas donner tout son corps.

Tout est bon chez elle, y a rien jeter,
Sur l'île déserte il faut tout emporter.

Des charmes de ma mie
J'en passe et des meilleurs.
Vos cours d'anatomie
Allez les prendre ailleurs.

Tout est bon chez elle, y a rien jeter,
Sur l'île déserte il faut tout emporter.

D'ailleurs, c'est sa faiblesse,
Elle tient ses os
Et jamais ne se laisse-
rait couper en morceaux.

Tout est bon chez elle, y a rien à jeter,
Sur l'île déserte il faut tout emporter.

Elle est quelque peu fière
Et chatouilleuse assez,
Et l'on doit tout entière
La prendre ou la laisser.

Tout est bon chez elle, y a rien jeter,
Sur l'île déserte il faut tout emporter.

Sale petit bonhomme

Paroles et Musique: Georges Brassens 1969

Sale petit bonhomme, il ne portait plus d'ailes,
Plus de bandeau sur l'œil et d'un huissier modèle,
Arborait les sombres habits
Dès qu'il avait connu le krach, la banqueroute
De nos affaires de cœur, il s'était mis en route
Pour recouvrer tout son fourbi.

Pas plus tôt descendu de sa noire calèche,
Il nous a dit: "je viens récupérer mes flèches
Maintenant pour vous superflu's. "
Sans une ombre de peine ou de mélancolie,
On l'a vu remballer la vaine panoplie
Des amoureux qui ne jouent plus.

Avisant, oublié', la pauvre marguerite
Qu'on avait effeuillé', jadis, selon le rite,
Quand on s'aimait un peu, beaucoup,
L'un après l'autre, en place, il remit les pétales;
La veille encore, on aurait crié au scandale,
On lui aurait tordu le cou.

Il brûla nos trophé's, il brûla nos reliques,
Nos gages, nos portraits, nos lettres idylliques,
Bien belle fut la part du feu.
Et je n'ai pas bronché, pas eu la mort dans l'âme,
Quand, avec tout le reste, il passa par les flammes
Une boucle de vos cheveux.

Enfin, pour bien montrer qu'il faisait table rase,
Il effaça du mur l'indélébile phrase:
"Paul est épris de Virginie. "
De Virgini', d'Hortense ou bien de Caroline,
J'oubli' presque toujours le nom de l'héroïne
Quand la comédie est finie.

"Faut voir à pas confondre amour et bagatelle,
A pas trop mélanger la rose et l'immortelle,
Qu'il nous a dit en se sauvant,
A pas traiter comme une affaire capitale
Une petite fantaisie sentimentale
Plus de crédit dorénavant. "

Ma mi', ne prenez pas ma complainte au tragique.
Les raisons qui, ce soir, m'ont rendu nostalgique,
Sont les moins nobles des raisons,
Et j'aurais sans nul doute enterré cette histoire
Si, pour renouveler un peu mon répertoire
Je n'avais besoin de chansons.

Saturne

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

Il est morne, il est taciturne
Il préside aux choses du temps
Il porte un joli nom, Saturne
Mais c'est Dieu fort inquiétant
Il porte un joli nom, Saturne
Mais c'est Dieu fort inquiétant

En allant son chemin, morose
Pour se désennuyer un peu
Il joue à bousculer les roses
Le temps tue le temps comme il peut
Il joue à bousculer les roses
Le temps tue le temps comme il peut

Cette saison, c'est toi, ma belle
Qui a fait les frais de son jeu
Toi qui a dû payer la gabelle
Un grain de sel dans tes cheveux
Toi qui a dû payer la gabelle
Un grain de sel dans tes cheveux

C'est pas vilain, les fleurs d'automne
Et tous les poètes l'ont dit
Je regarde et je donne
Mon billet qu'ils n'ont pas menti
Je regarde et je donne
Mon billet qu'ils n'ont pas menti

Viens encore, viens ma favorite
Descendons ensemble au jardin
Viens effeuiller la marguerite
De l'été de la Saint-Martin
Viens effeuiller la marguerite
De l'été de la Saint-Martin

Je sais par cœur toutes tes grâces
Et pour me les faire oublier
Il faudra que Saturne en fasse
Des tours d'horloge, de sablier
Et la petite pisseuse d'en face
Peut bien aller se rhabiller…

Sauf le respect que je vous dois

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

Si vous y tenez tant parlez-moi des affaires publiques
Encor que ce sujet me rende un peu mélancolique
Parlez-m'en toujours je n'vous en tiendrai pas rigueur
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Fi des chantres bêlant qui taquinent la muse érotique
Des poètes galants qui lèchent le cul d'Aphrodite
Des auteurs courtois qui vont en se frappant le cœur
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Naguère mes idées reposaient sur la non-violence
Mon agressivité je l'avais réduite au silence
Mais tout tourne court ma compagne était une gueuse
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Ancienne enfant trouvée n'ayant connu père ni mère
Coiffée d'un chap'ron rouge elle s'en fut ironie amère
Porter soi-disant une galette à son aïeule
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Je l'attendis un soir je l'attendis jusqu'à l'aurore
Je l'attendis un an pour peu je l'attendrais encore
Un loup de rencontre aura séduite cette fugueuse
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Cupidon ce salaud, geste qui chez lui, n'est pas rare
Avait trempé sa flèche un petit peu dans le curare
Le philtre magique avait tout du bouillon d'onze heures
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Ainsi qu'il est fréquent sous la blancheur de ses pétales
La marguerite cachait une tarentule un crotale
Une vraie vipère à la fois lubrique et visqueuse
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Que le septième ciel sur ma pauvre tête retombe
Lorsque le désespoir m'aura mis au bord de la tombe
Cet ultime discours s'exhalera de mon linceul
Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois

Si le bon Dieu l'avait voulu

Paroles: Paul Fort. Musique: Georges Brassens

Si le Bon Dieu l'avait voulu
Lanturette, lanturlu
J'aurais connu la Cléopâtre
Et je t'aurais pas connue.
J'aurais connu la Cléopâtre,
Et je ne t'aurais pas connue.
Sans ton amour que j'idolâtre,
Las! Que fussé-je devenu?

Si le Bon Dieu l'avait voulu,
J'aurais connu la Messaline,
Agnès, Odette et Mélusine,
Et je ne t'aurais pas connue.
J'aurais connu la Pompadour,
Noémi, Sarah, Rebecca,
La fille du Royal Tambour,
Et la Mogador et Clara.

Mais le Bon Dieu n'a pas voulu
Que je connaisse leurs amours,
Je t'ai connue, tu m'as connu
Gloire à Dieu au plus haut des nues!
Las! Que fussé-je devenu
Sans toi la nuit, sans toi le jour?
Je t'ai connue, tu m'as connu
Gloire à Dieu au plus haut des nues!

Si seulement elle était jolie

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

autres interprètes: Maxime Le Forestier

Si seulement elle était jolie
Je dirais: "tout n'est pas perdu.
Elle est folle, c'est entendu,
Mais quelle beauté accomplie!"
Hélas elle est plus laide bientôt
Que les sept péchés capitaux. {2x}

Si seulement elle avait des formes,
Je dirais: "tout n'est pas perdu,
Elle est moche c'est entendu,
Mais c'est Venus copie conforme."
Malheureusement, c'est désolant,
C'est le vrai squelette ambulant. {2x}

Si seulement elle était gentille,
Je dirais: "tout n'est pas perdu,
Elle est plate c'est entendu,
mais c'est la meilleure des filles."
Malheureusement c'est un chameau,
Un succube, tranchons le mot. {2x}

Si elle était intelligente,
Je dirais: "tout n'est pas perdu,
Elle est vache, c'est entendu,
Mais c'est une femme savante."
Malheureusement elle est très bête
Et tout à fait analphabète. {2x}

Si seulement l'était cuisinière,
Je dirais: "tout n'est pas perdu,
Elle est sotte, c'est entendu,
Mais quelle artiste culinaire!"
Malheureusement sa chère m'a
Pour toujours gâté l'estomac. {2x}

Si seulement elle était fidèle,
Je dirais:"tout n'est pas perdu,
Elle m'empoisonne, c'est entendu,
Mais c'est une épouse modèle."
Malheureusement elle est, papa,
Folle d'un cul qu'elle n'a pas! {2x}

Si seulement l'était moribonde,
Je dirais: "tout n'est pas perdu,
Elle me trompe c'est entendu,
Mais elle va quitter le monde."
Malheureusement jamais elle tousse:
Elle nous enterrera tous. {2x}

Stances à un cambrioleur

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

Prince des monte-en-l'air et de la cambriole
Toi qui eus le bon goût de choisir ma maison
Cependant que je colportais mes gaudrioles
En ton honneur j'ai composé cette chanson

Sache que j'apprécie à sa valeur le geste
Qui te fit bien fermer la porte en repartant
De peur que des rôdeurs n'emportassent le reste
Des voleurs comme il faut c'est rare de ce temps

Tu ne m'as dérobé que le stricte nécessaire
Délaissant dédaigneux l'exécrable portrait
Que l'on m'avait offert à mon anniversaire
Quel bon critique d'art mon salaud tu ferais

Autre signe indiquant toute absence de tare
Respectueux du brave travailleur tu n'as
Pas cru décent de me priver de ma guitare
Solidarité sainte de l'artisanat

Pour toutes ces raisons vois-tu, je te pardonne
Sans arrière-pensée après mûr examen
Ce que tu m'as volé, mon vieux, je te le donne
Ça pouvait pas tomber en de meilleures mains

D'ailleurs moi qui te parle, avec mes chansonnettes
Si je n'avais pas dû rencontrer le succès
J'aurais tout comme toi, pu virer malhonnête
Je serais devenu ton complice, qui sait

En vendant ton butin, prends garde au marchandage
Ne vas pas tout lâcher en solde au receleurs
Tiens leur la dragée haute en évoquant l'adage
Qui dit que ces gens-là sont pis que les voleurs

Fort de ce que je n'ai pas sonné les gendarmes
Ne te crois pas du tout tenu de revenir
Ta moindre récidive abolirait le charme
Laisse-moi je t'en prie, sur un bon souvenir

Monte-en-l'air, mon ami, que mon bien te profite
Que Mercure te préserve de la prison
Et pas trop de remords, d'ailleurs nous sommes quittes
Apres tout ne te dois-je pas une chanson

Post-Scriptum, si le vol est l'art que tu préfères
Ta seule vocation, ton unique talent
Prends donc pignon sur rue, mets-toi dans les affaires
Et tu auras les flics même comme chalands

Supplique pour être enterré sur une plage de Sète

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

La Camarde qui ne m'a jamais pardonné
D'avoir semé des fleurs dans les trous de son nez
Me poursuit d'un zèle imbécile.
Alors cerné de près par les enterrements
J'ai cru bon de remettre à jour mon testament
De me payer un codicille.

Trempe dans l'encre bleue du Golfe du Lion
Trempe, trempe ta plume, ô mon vieux tabellion
Et de ta plus belle écriture
Note ce qu'il faudra qu'il advînt de mon corps
Lorsque mon âme et lui ne seront plus d'accord
Que sur un seul point: la rupture.

Quand mon âme aura pris son vol à l'horizon
Vers celle de Gavroche et de Mimi Pinson
Celles des titis, des grisettes
Que vers le sol natal mon corps soit ramené
Dans un sleeping du Paris-Méditerranée
Terminus en gare de Sète.

Mon caveau de famille, hélas! n'est pas tout neuf
Vulgairement parlant, il est plein comme un œuf
Et d'ici que quelqu'un n'en sorte
Il risque de se faire tard et je ne peux
Dire à ces braves gens: poussez-vous donc un peu
Place aux jeunes en quelque sorte.

Juste au bord de la mer à deux pas des flots bleus
Creusez si c'est possible un petit trou moelleux
Une bonne petite niche
Auprès de mes amis d'enfance, les dauphins
Le long de cette grève où le sable est si fin
Sur la plage de la corniche.

C'est une plage où même à ses moments furieux
Neptune ne se prend jamais trop au sérieux
Où quand un bateau fait naufrage
Le capitaine crie: "Je suis le maître à bord!
Sauve qui peut, le vin et le pastis d'abord
Chacun sa bonbonne et courage".

Et c'est là que jadis à quinze ans révolus
A l'âge où s'amuser tout seul ne suffit plus
Je connus la prime amourette
Auprès d'une sirène, une femme-poisson
Je reçus de l'amour la première leçon
Avalai la première arête.

Déférence gardée envers Paul Valéry
Moi l'humble troubadour sur lui je renchéris
Le bon maître me le pardonne
Et qu'au moins si ses vers valent mieux que les miens
Mon cimetière soit plus marin que le sien
Et n'en déplaise aux autochtones.

Cette tombe en sandwich entre le ciel et l'eau
Ne donnera pas une ombre triste au tableau
Mais un charme indéfinissable
Les baigneuses s'en serviront de paravent
Pour changer de tenue et les petits enfants
Diront: "Chouette, un château de sable!"

Est-ce trop demander: sur mon petit lopin
Plantez, je vous en prie une espèce de pin
Pin parasol de préférence
Qui saura prémunir contre l'insolation
Les bons amis venus faire sur ma concession
D'affectueuses révérences.

Tantôt venant d'Espagne et tantôt d'Italie
Tout chargés de parfums, de musiques jolies
Le Mistral et la Tramontane
Sur mon dernier sommeil verseront les échos
De villanelle un jour, un jour de fandango
De tarentelle, de sardane.

Et quand prenant ma butte en guise d'oreiller
Une ondine viendra gentiment sommeiller
Avec rien que moins de costume
J'en demande pardon par avance à Jésus
Si l'ombre de ma croix s'y couche un peu dessus
Pour un petit bonheur posthume.

Pauvres rois, pharaons, pauvre Napoléon
Pauvres grands disparus gisant au Panthéon
Pauvres cendres de conséquence
Vous envierez un peu l'éternel estivant
Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant
Qui passe sa mort en vacances.

Vous envierez un peu l'éternel estivant
Qui fait du pédalo sur la plage en rêvant
Qui passe sa mort en vacances.

Sur la mort d'une cousine de sept ans

Paroles: Hégésippe Moreau. Musique: Georges Brassens

Hélas, si j'avais su lorsque ma voix qui prêche
T'ennuyait de leçons, que sur toi rose et fraîche
L'oiseau noir du malheur planait inaperçu,
Que la fièvre guettait sa proie et que la porte
Où tu jouais hier te verrait passer morte
Hélas, si j'avais su!

Enfant, je t'aurais fait l'existence bien douce,
Sous chacun de tes pas j'aurais mis de la mousse;
Tes ris auraient sonné chacun de tes instants;
Et j'aurais fait tenir dans ta petite vie
Des trésors de bonheur immense à faire envie
Aux heureux de cent ans.

Loin des bancs où pâlit l'enfance prisonnière,
Nous aurions fait tous deux l'école buissonnière.
Au milieu des parfums et des champs d'alentour
J'aurais vidé les nids pour emplir ta corbeille;
Et je t'aurais donné plus de fleurs qu'une abeille
N'en peut voir en un jour.

Puis, quand le vieux janvier les épaules drapées
D'un long manteau de neige et suivi de poupées,
De magots, de pantins, minuit sonnant accourt;
Parmi tous les cadeaux qui pleuvent pour étrenne,
Je t'aurais faite asseoir comme une jeune reine
Au milieu de sa cour.

Mais je ne savais pas et je prêchais encore;
Sûr de ton avenir, je le pressais d'éclore,
Quand tout à coup pleurant un pauvre espoir déçu,
De ta petite main j'ai vu tomber le livre;
Tu cessas à la fois de m'entendre et de vivre
Hélas, si j'avais su!

Tant qu'il y a des Pyrénées

Paroles et Musique: Georges Brassens 1985

Frapper le gros Mussolini,
Même avec un macaroni,
Le Romain qui jouait à ça
Se voyait privé de pizza.
Après le Frente Popular,
L'hidalgo non capitulard
Qui s'avisait de dire "niet"
Mourait au son des castagnettes.

{Refrain:}

J'ai conspué Franco la fleur à la guitare
Durant pas mal d'années; {2x}
Faut dire qu'entre nous deux, simple petit détail
Y avait les Pyrénées! {2x}

Qui crachait sur la croix gammée,
Dans une mine était sommé
De descendre extraire du sel
Pour assaisonner les Bretzels.
Avant que son jour ne décline,
Qui s'élevait contre Staline
Filait manu militari
Aux sports d'hiver en Sibérie.

{Refrain}

Aux quatre coins du monde encore,
Qui se lève et crie: "Pas d'accord!"
En un tournemain se fait cou-
per le sifflet, tordre le cou.
Dans mon village, on peut à l'heure
Qu'il est, sans risque de malheur,
Brandir son drapeau quel qu'il soit,
Mais jusques à quand? Chi Io sà?

{Refrain}

S'engager par le mot, trois couplets un refrain,
Par le biais du micro, {2x}
Ça s'fait sur une jambe et ça n'engage à rien,
Et peut rapporter gros. {2x}

Tempête dans un bénitier

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

Tempête dans un bénitier
Le souverain pontife avecque
Les évêques, les archevêques
Nous font un satané chantier

Ils ne savent pas ce qu'ils perdent
Tous ces fichus calotins
Sans le latin, sans le latin
La messe nous emmerde
A la fête liturgique
Plus de grand's pompes, soudain
Sans le latin, sans le latin
Plus de mystère magique
Le rite qui nous envoûte
S'avère alors anodin
Sans le latin, sans le latin
Et les fidèl's s'en foutent
O très Sainte Marie mèr' de
Dieu, dites à ces putains
De moines qu'ils nous emmerdent
Sans le latin

Je ne suis pas le seul, morbleu
Depuis que ces règles sévissent
A ne plus me rendre à l'office
Dominical que quand il pleut

Il ne savent pas ce qu'ils perdent
Tous ces fichus calotins
Sans le latin, sans le latin
La messe nous emmerde
En renonçant à l'occulte
Faudra qu'ils fassent tintin
Sans le latin, sans le latin
Pour le denier du culte
A la saison printanière
Suisse, bedeau, sacristain
Sans le latin, sans le latin
F'ront l'églis' buissonnière
O très Sainte Marie mèr' de
Dieu, dites à ces putains
De moines qu'ils nous emmerdent
Sans le latin.

Ces oiseaux sont des enragés
Ces corbeaux qui scient, rognent, tranchent
La saine et bonne vieille branche
De la croix où ils sont perchés

Ils ne savent pas ce qu'ils perdent
Tous ces fichus calotins
Sans le latin, sans le latin
La messe nous emmerde
Le vin du sacré calice
Se change en eau de boudin
Sans le latin, sans le latin
Et ses vertus faiblissent
A Lourdes, Sète ou bien Parme
Comme à Quimper Corentin
Le presbytère sans le latin
A perdu de son charme
O très Sainte Marie mèr' de
Dieu, dites à ces putains
De moines qu'ils nous emmerdent
Sans le latin

Tonton Nestor

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1961

Tonton Nestor
Vous eûtes tort
Je vous le dis tout net
Vous avez mis
La zizanie
Aux noces de Jeannett'
Je vous l'avoue
Tonton, vous vous
Comportâtes comme un
Mufle achevé
Rustre fieffé
Un homme du commun

Quand la fiancée
Les yeux baissés
Des larmes pleins les cils
S'apprêtait à
Dire "Oui da!"
A l'officier civil
Qu'est-c'qui vous prit
Vieux malappris
D'aller, sans retenue
Faire un pinçon
Cruel en son
Eminence charnue

Se retournant
Incontinent
Ell' souffleta, flic-flac
L'garçon d'honneur
Qui, par bonheur
Avait un' tête à claqu'
Mais au lieu du
"Oui" attendu
Ell' s'écria: "Maman"
Et l'mair' lui dit
"Non, mon petit
Ce n'est pas le moment"

Quand la fiancée
Les yeux baissés
D'une voix solennell'
S'apprêtait à
Dire "Oui da!"
Par-devant l'Eternel
Voila mechef
Que, derechef
Vous osâtes porter
Votre fichue
Patte crochue
Sur sa rotondité

Se retournant
Incontinent
Elle moucha le nez
D'un enfant d'chœur
Qui, par bonheur
Etait enchifrené
Mais au lieu du
"Oui" attendu
De sa pauvre voix lass'
Au tonsuré
Désemparé
Elle a dit "Merde", hélas

Quoiqu'elle usât
Qu'elle abusât
Du droit d'être fessue
En la pinçant
Mauvais plaisant
Vous nous avez déçus
Aussi, ma foi
La prochain' fois
Qu'on mariera Jeannett'
On s'pass'ra d'vous
Tonton, je vous
Je vous le dit tout net

Trompe la mort

Paroles et Musique: Georges Brassens 1976

Avec cette neige à foison
Qui coiffe, coiffe ma toison
On peut me croire à vue de nez
Blanchi sous le harnais
Eh bien, Mesdames et Messieurs
C'est rien que de la poudre aux yeux
C'est rien que de la comédie
Que de la parodie

C'est pour tenter de couper court
A l'avance du temps qui court
De persuader ce vieux goujat
Que tout le mal est fait déjà
Mais dessous la perruque j'ai
Mes vrais cheveux couleur de jais
C'est pas demain la veille, bon Dieu
De mes adieux

Et si j'ai l'air moins guilleret
Moins solide sur mes jarrets
Si je chemine avec lenteur
D'un train de sénateur
N'allez pas dire "Il est perclus"
N'allez pas dire "Il n'en peut plus"
C'est rien que de la comédie
Que de la parodie

Histoire d'endormir le temps
Calculateur impénitent
De tout brouiller, tout embrouiller
Dans le fatidique sablier
En fait, à l'envers du décor
Comme à vingt ans, je trotte encore
C'est pas demain la veille, bon Dieu
De mes adieux

Et si mon cœur bat moins souvent
Et moins vite qu'auparavant
Si je chasse avec moins de zèle
Les gentes demoiselles
Pensez pas que je sois blasé
De leurs caresses, leurs baisers
C'est rien que de la comédie
Que de la parodie

Pour convaincre le temps berné
Qu'mes fêtes galantes sont terminées
Que je me retire en coulisse
Que je n'entrerai plus en lice
Mais je reste un sacré gaillard
Toujours actif, toujours paillard
C'est pas demain la veille, bon Dieu
De mes adieux

Et si jamais au cimetière
Un de ces quatre, on porte en terre
Me ressemblant à s'y tromper
Un genre de macchabée
N'allez pas noyer le souffleur
En lâchant la bonde à vos pleurs
Ce sera rien que comédie
Rien que fausse sortie

Et puis, coup de théâtre, quand
Le temps aura levé le camp
Estimant que la farce est jouée
Moi tout heureux, tout enjoué
J'm'exhumerai du caveau
Pour saluer sous les bravos
C'est pas demain la veille, bon Dieu
De mes adieux

Une jolie fleur

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1954

Jamais sur terre il n'y eut d'amoureux
Plus aveugles que moi dans tous les âges
Mais faut dir' qu' je m'étais creuvé les yeux
En regardant de trop près son corsage

Un' jolie fleur dans une peau d'vache
Un' jolie vach' déguisée en fleur
Qui fait la belle et qui vous attache
Puis, qui vous mèn' par le bout du cœur

Le ciel l'avait pourvue des mille appas
Qui vous font prendre feu dès qu'on y touche
L'en avait tant que je ne savais pas
Ne savais plus où donner de la bouche

Un' jolie fleur dans une peau d'vache
Un' jolie vach' déguisée en fleur
Qui fait la belle et qui vous attache
Puis, qui vous mèn' par le bout du cœur

Ell' n'avait pas de tête, ell' n'avait pas
L'esprit beaucoup plus grand qu'un dé à coudre
Mais pour l'amour on ne demande pas
Aux filles d'avoir inventé la poudre

Un' jolie fleur dans une peau d'vache
Un' jolie vach' déguisée en fleur
Qui fait la belle et qui vous attache
Puis, qui vous mèn' par le bout du cœur

Puis un jour elle a pris la clef des champs
En me laissant à l'âme un mal funeste
Et toutes les herbes de la Saint-Jean
N'ont pas pu me guérir de cette peste

J' lui en ai bien voulu, mais à présent
J'ai plus d'rancune et mon cœur lui pardonne
D'avoir mis mon cœur à feu et à sang
Pour qu'il ne puisse plus servir à personne

Un' jolie fleur dans une peau d'vache
Un' jolie vach' déguisée en fleur
Qui fait la belle et qui vous attache
Puis, qui vous mèn' par le bout du cœur

Une ombre au tableau

Paroles: Georges Brassens

Si j'ai bonne mémoire, elle allait dégrafée;
On comptait plus les yeux qu'elle avait pu crever.
Elle faisait du tort aux statues de l'antique;
Elle était si prodigue à montrer ses appas
Que la visite au Louvre ne s'imposait pas.
Avec elle le nu devenait art plastique.
Mais les temps sont venus mettre une ombre au tableau,
Rendre à son piédestal la Vénus de Milo.
La belle dégrafée a changé d'esthétique,
Un vent de honte a balayé le pont des Arts,
Et les collets sont montés comme par hasard.
"Les jeunes filles d'aujourd'hui sont impudiques."

De la mode, naguère, elle ignorait le cours,
Invariablement, elle s'habillait court.
Elle aimait accuser le jeu de ses chevilles;
Quand le vent s'en mêlait, c'était fête pour nous
On avait un droit de regard sur ses genoux,
Et l'on en abusait, je vous le certifie.
Mais les temps sont venus mettre une ombre au tableau,
Les jupes tout à coup sont tombées de bien haut.
La belle retroussée est devenue Sophie;
A peine maintenant si l'on voit ses talons,
Quelle que soit la mode, elle s'habille long.
"Elles en font vraiment trop voir, les jeunes filles."

Et s'il avait fallu vêtir une poupée
Du soupçon de chiffon dont elle était nippée,
L'étoffe aurait paru tout juste suffisante;
C'était rien, moins que rien, ça lui couvrait le corps
D'une seconde peau qui la rendait encore
Plus nue toute habillée et plus appétissante.
Mais les temps sont venus mettre une ombre au tableau,
Elle a de la tenue et flétrit le culot
De ces beautés du diable, ces adolescentes,
Qui, la robe collée sur leur peau de satin,
Ont l'air de revenir du faubourg Saint-Martin.
"Les jeunes filles d'aujourd'hui sont indécentes."

Cela dit, sans vouloir lui laver le chignon,
La bagatelle était son gros péché mignon.
L'amour était toujours pendu à sa ceinture.
Légère, elle a connu les mille et une nuits
De noce et son ange gardien, pauvre de lui,
Dut passer auprès d'elle une vie de tortures.
Mais les temps sont venus mettre une ombre au tableau,
Sous le pont des soupirs, il a coulé de l'eau.
La belle enamourée a changé de posture,
Maintenant qu'Adonis a déserté sa cour,
Que l'amour la délaisse, elle laisse l'amour
Aux jeunes filles d'aujourd'hui, ces créatures!

Une partie de pétanque

Paroles: André Montagard. Musique: André Montagard, Léo Nègre 1941

autres interprètes: Georges Brassens

1. Quand reviennent les beaux jours
Sur les places et les cours
On voit sous platanes
Plus d'un groupe s'amener
Ce sont les acharnés
Les joyeux boulomanes
On joue ça en quinze points
Faut voir avec quel soin
On sort ses intégrales
On lance un goder
Qui tourne dans l'air
Si c'est pile: "A toi Bébert!"
"Vas-y Léon. Envoie bien le bouchon!"

{Refrain:}

Une partie de pétanque
Ça fait plaisir
La boule part et se planque
Comme à loisir
Tu la vises et tu la manques
Change ton tir!
Une partie de pétanque
Ça fait plaisir!

2. Il faut voir le beau chichois
En chemise de soie
Pantalon de flanelle
Le foulard et le pailleux
Rabattu sur les yeux
Jouer sa matérielle
Avec Titin ou Pauleau
Quand pour un joli lot
Il se prend de querelle
Il lui dit, moqueur:
"Si tu es vainqueur
Eh ben! tu auras son cœur
Si tu es vaincu,
Ben!… Je t'en dis pas plus!"

{au Refrain}

3. C'est surtout au cabanon
Que nous nous en donnons
Au soleil le dimanche
On se met à quatre ou six
Pour un vermouth-cassis
On en fait plusieurs manches
Marius est un peu là
Mais sa femme Rosa
S'égare sous les branches
Titin qui la suit
Tendrement lui dit:
"Pendant ce temps, ma chérie,
Nous, dans ce coin,
Nous marquerons les points! "

{au Refrain}

Vendetta

Paroles: Georges Brassens. Musique: Georges Brassens 1957

autres interprètes: Christian Méry

Mes pipelets sont corses tous deux,
J'eus tort en disant devant eux,
Que Tino et Napoléon
Jouaient mal de l'accordéon.
Vendetta, vendetta,
Vendetta, vendetta.

Fermement résolus d' se venger,
Mes compatriotes outragés,
S'appliquèrent avec passion
A ternir ma réputation.
Vendetta, vendetta,
Vendetta, vendetta.

Leurs coups de bec eurent c'est certain,
Sur mon lamentable destin,
Des répercussions fantastiques,
Dépassant tous les pronostics,
Vendetta, vendetta,
Vendetta, vendetta.

M'étant un jour lavé les pieds,
J'attendais la femme d'un pompier,
Sûr d'abuser d'elle à huis-clos,
J'avais compté sans ces ballots.
Vendetta, vendetta,
Vendetta, vendetta.

Comme dans le couloir il faisait nuit,
Et qu'elle ne trouvait pas mon huis,
Elle s'adressa funeste erreur,
A ma paire de dénigreurs.
Vendetta, vendetta,
Vendetta, vendetta.

Ils répondirent: cet espèce de con-
Tagieux là, demeure au second,
Mais dès que vous sortirez de chez lui,
Courez à l'hôpital Saint-Louis.
Vendetta, vendetta,
Vendetta, vendetta.

Alors ma visiteuse à corps
Perdu, partit et court encore,
Et je dus convenir enfin
Que je m'étais lavé les pieds en vain.
Vendetta, vendetta,
Vendetta, vendetta.

Mis au fait, les pompiers de Paris,
Me clouèrent au pilori.
Ils retirèrent par précaution
Leurs femmes de la circulation.
Vendetta, vendetta,
Vendetta, vendetta.

Et tout ça, tout ça, voyez-vous
Parce qu'un jour j'ai dit à ces fous,
Que Tino et Napoléon
Jouaient mal de l'accordéon.
Vendetta, vendetta,
Vendetta, vendetta.

Venus callipyge

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

Que jamais l'art abstrait, qui sévit maintenant
N'enlève à vos attraits ce volume étonnant
Au temps où les faux culs sont la majorité
Gloire à celui qui dit toute la vérité

Votre dos perd son nom avec si bonne grâce
Qu'on ne peut s'empêcher de lui donner raison
Que ne suis-je, madame, un poète de race
Pour dire à sa louange un immortel blason

En le voyant passer, j'en eus la chair de poule
Enfin, je vins au monde et, depuis, je lui voue
Un culte véritable et, quand je perds aux boules
En embrassant Fanny, je ne pense qu'à vous

Pour obtenir, madame, un galbe de cet ordre
Vous devez torturer les gens de votre entour
Donner aux couturiers bien du fil à retordre
Et vous devez crever votre dame d'atour

C'est le duc de Bordeaux qui s'en va, tête basse
Car il ressemble au mien comme deux gouttes d'eau
S'il ressemblait au vôtre, on dirait, quand il passe
" C'est un joli garçon que le duc de Bordeaux! "

Ne faites aucun cas des jaloux qui professent
Que vous avez placé votre orgueil un peu bas
Que vous présumez trop, en somme de vos fesses
Et surtout, par faveur, ne vous asseyez pas

Laissez-les raconter qu'en sortant de calèche
La brise a fait voler votre robe et qu'on vit
Ecrite dans un cœur transpercé d'une flèche
Cette expression triviale: " A Julot pour la vie "

Laissez-les dire encor qu'à la cour d'Angleterre
Faisant la révérence aux souverains anglois
Vous êtes, patatras! tombée assise à terre
La loi d'la pesanteur est dur', mais c'est la loi

Nul ne peut aujourd'hui trépasser sans voir Naples
A l'assaut des chefs-d'œuvre ils veulent tous courir
Mes ambitions à moi sont bien plus raisonnables:
Voir votre académie, madame, et puis mourir

Que jamais l'art abstrait, qui sévit maintenant
N'enlève à vos attraits ce volume étonnant
Au temps où les faux culs sont la majorité
Gloire à celui qui dit toute la vérité